L’argot de bureau : le « talent nurturing » ou le refus de se reposer sur ses lauriers

L’argot de bureau : le « talent nurturing » ou le refus de se reposer sur ses lauriers

« Le talent, ça n’existe pas. Je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent. Tout le restant, c’est de la sueur, c’est de la transpiration, c’est de la discipline. » En écoutant ce passage d’une interview télévisée de Jacques Brel en 1971, on se dit qu’il aurait eu tout le potentiel pour enchaîner les conférences sur la motivation au travail, seul en scène, devant un parterre de chefs d’entreprise.

Le talent n’existe pas ? Mais alors, n’y a-t-il pas une petite contradiction lorsque les entreprises utilisent ce terme à longueur de journée pour désigner leurs salariés, dont elles attendent un travail et un investissement de chaque instant ? Le dictionnaire, lui, nous dit bien que le talent est quelque chose d’inné, que c’est une aptitude remarquable…

Les cadres ne s’y trompent pas : 56 % d’entre eux considèrent le talent « comme une ressource rare et non évolutive », selon une étude publiée le 13 novembre par Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines à l’école de management EM Normandie. Une grande partie des travailleurs interrogés s’excluent de cette catégorie, car ils n’ont pas le niveau de diplôme suffisant, ou jugent leur carrière trop hachée.

C’est le cabinet McKinsey qui a introduit le terme « talent » dans le monde des ressources humaines (RH), dans les années 1990, classant les salariés en trois catégories – les meilleurs, ceux qui donnent satisfaction, et les moins bons – et appelant à se focaliser sur les premiers, car ce seraient les seuls qui apportent réellement de la valeur. L’étude du chercheur met en évidence que les RH se sont heureusement éloignés de cette vision élitiste.

Ils ont trouvé la parade avec une nouvelle expression : le « talent nurturing ». Cela signifie, en français, « la capacité à nourrir les talents ». L’univers du recrutement, qui s’est comme souvent inspiré du marketing, est le premier à s’être emparé de ce vocable : le « nurturing » consiste à tenir au courant des candidats que l’on n’aurait pas recrutés sur un poste, en leur proposant des informations sur l’entreprise. En jargon RH, on parle d’« entretenir le vivier candidats ».

L’entreprise comme « mère nourricière »

Pour les salariés déjà dans la boîte, la gestion des talents est censée démontrer la volonté des employeurs à prêter attention à tous, et pas seulement aux meilleurs. Jenny Gaultier, directrice générale du Mercato de l’emploi, un réseau de consultants en recrutement, date l’usage du nurturing de la période du Covid-19 : « L’idée est que l’entreprise est un peu la mère nourricière, elle doit nourrir ses collaborateurs pour qu’ils restent, c’est devenu plus important que d’en attirer de nouveaux. » Cela prend différentes formes, selon elle : « La formation, faire participer les collaborateurs à des projets qui influent sur les directions que prend l’entreprise, ou encore toutes les formes de flexibilité nouvelles (congés menstruels, semaine de quatre jours). »

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LJD

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