L’argot de bureau : « brown out », le travail en sous-tension
Bienvenue dans l’ère du travailleur basse consommation : son corps bouge, ses mains tapotent son clavier, il marche pour se rendre jusqu’à son bureau… Mais aucune dépense d’énergie n’est superflue pour ce salarié zombie. A l’intérieur de son crâne, c’est le désert de Gobi : rien ne s’y passe, et une fois sorti du travail, il ne sait dire ce qu’il a concrètement fait de sa journée.
Cette description ressemble peu ou prou au synopsis de la série dystopique Severance (Apple TV), qui alerte sur l’évolution du travail : dans une entreprise fictive, les employés subissent une opération de séparation entre leurs souvenirs professionnels et privés, car ils ne veulent pas connaître le sens de ce qu’ils font au bureau. Cette invention serait-elle une (sinistre) solution au « brown out », nouveau terme qui décrit la perte de sens au travail ?
Entre burn out et black-out
A mi-chemin entre burn out et black-out, le salarié victime de brown out fait tout sauf des étincelles. Le salarié en brown out voit son énergie chuter à petit feu, car le phénomène physique désigne justement une baisse de courant (volontaire ou non) dans un circuit électrique, afin d’éviter la surchauffe.
Moins célèbre que le burn out, phénomène plus brutal puisque le surinvestissement d’un salarié est subitement rattrapé par sa santé, le brown out est aussi plus difficile à repérer. Les symptômes sont aujourd’hui bien établis : perte de concentration, de motivation, de confiance en soi. Certains psychologues citent un excès de cynisme ou de désinvolture. Le travailleur broie du noir, ou en l’occurrence du marron (brown).
C’est le grand frère, et le versant pathologique de l’expression qui inonde les médias et les discours des DRH inquiets en cette rentrée : le « quiet quitting » (ou démission silencieuse), qui consiste à considérer le travail à sa juste valeur, et dès lors à réaliser le minimum syndical à son poste. Le brown out est parfois traduit par « démission mentale ».
Ici, l’épuisement professionnel relève d’une perte de sens, quand le « bore out » (encore un cousin, mais probablement le plus similaire) est synonyme d’ennui chronique. Plus qu’un problème de management, le brown out a souvent à voir avec la fiche de poste du salarié : répétitives, les tâches sont bien en dessous du niveau de diplôme et du potentiel de son exécutant.
Des métiers à plus faible sens
Le concept est indissociable de celui de « bullshit jobs », ces emplois inutiles qui ne servent qu’à occuper des travailleurs et ne créent rien, théorisés par l’anthropologue David Graeber (1961-2020). On attribue d’ailleurs la paternité du brown out à l’anthropologue américain.
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