« La voie toute tracée pour les jeunes diplômés s’est transformée en voie toute cassée »
Certains cadres ne partagent plus les valeurs des entreprises dans lesquelles ils travaillent et refusent d’être les simples pions d’une économie vorace. Pourtant, par obligation, envie ou conviction qu’il est possible de changer les choses de l’intérieur, de nombreux jeunes diplômés continuent de rejoindre des entreprises polluantes et d’occuper des postes abstraits. Auteur de Le Pouvoir, le bonheur, le climat (Du Détour, 224 pages, 19,50 euros), Laurent Polet a cofondé l’école Primaveras, spécialisée dans l’accompagnement des cadres en quête de sens. Il appelle à transformer ces parcours d’excellence inféodés à la quête de rentabilité des entreprises.
Ceux qui disposent du plus grand nombre d’atouts sur le marché du travail – les bac + 5 des grandes écoles – clament aujourd’hui la perte de sens dans leur vie professionnelle. Comment sommes-nous parvenus à un tel paradoxe ?
Déconstruisons les représentations, ancrées dans notre inconscient collectif, sur les conditions de travail de ces élites intellectuelles. Faire des études serait aujourd’hui la condition de réussite professionnelle et sociale en France, un Graal pour accéder à un travail épanouissant et échapper aux emplois précaires. La réalité est moins heureuse. L’équilibre entre vie professionnelle et privée est perturbé. Le stress est omniprésent, au point que le burn-out en début de carrière ne nous étonne même plus. La nature des responsabilités des cadres se transforme et leur contribution à la société est remise en doute. Des jeunes diplômés tout juste sortis de leurs études critiquent les destins pour lesquels ils ont été formés et optent pour des reconversions radicales, refusant des postes qui participeraient à entretenir la crise climatique. La voie toute tracée pour les diplômés s’est transformée en voie toute cassée.
La désobéissance des jeunes cadres, qui se manifeste à travers des prises de parole virulentes ou des bifurcations radicales, reste un phénomène marginal. Pourquoi dès lors s’y intéresser ?
Ces prises de parole très médiatisées ne sont que la partie visible de bouleversements systémiques. Nier leur manifestation la plus expressive, c’est également nier un mouvement plus discret, mais diffus. Certes, la bifurcation n’est pas à la portée de tout le monde. Une grande partie de cette élite intellectuelle choisit une orientation professionnelle relativement classique et fait de la rémunération son critère de choix final. Néanmoins, parmi cette jeunesse instruite, nombreux sont ceux qui adhèrent complètement aux valeurs de la préservation du climat, même s’ils ne l’expriment pas de façon véhémente, car on parle d’une population discrète et docile, éduquée dans le respect de l’autorité.
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