« Il existe un lien très fort entre la qualité du travail et la santé publique »

« Il existe un lien très fort entre la qualité du travail et la santé publique »

Auteur du Travail à cœur et du Prix du travail bien fait (La Découverte, 2010 et 2021), titulaire de la chaire de psychologie du travail du Centre national des arts et métiers, Yves Clot analyse les conséquences de l’individualisation du travail.

L’individualisation du travail a-t-elle des conséquences sur la santé des salariés ?

Bien sûr. L’organisation du travail rend en partie malade. Elle fabrique des maux, qu’on laisse proliférer, pour ensuite tenter de les résoudre. Avec l’individualisation du travail, ce sont les conditions qui permettent de bien faire qui se dégradent. Les gens vont bien lorsqu’ils se reconnaissent dans ce qu’ils font et que, de temps en temps, ils sont fiers de ce qu’ils font. La majeure partie des problèmes de santé sont dus à l’activité « ravalée ». Ne pas faire un travail de qualité devient un poison s’il n’y a plus de discussion possible.

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Comment l’individualisation produit-elle de la solitude ?

Grâce aux outils numériques, ce qui s’est développé autour de la tâche et de la prescription du travail, c’est la communication formelle, observable. Mais tout ne se dit pas dans ces échanges. Quand on ne peut plus dialoguer sur ce que chacun considère comme la dégradation du travail, sur ce que les salariés n’arrivent pas à maîtriser, c’est un problème. A contrario, c’est un plaisir quand, entre collègues, on trouve la solution à l’angle mort, et qu’on s’entend sur la façon de l’aborder avec la hiérarchie. Si on renonce à mettre sur la table les angles morts, la solitude vient, petit à petit le poison agit, et la santé s’abime.

Connaît-on l’ampleur des dégâts ?

En 2014, le ministère du travail indiquait que 35 % des salariés de l’industrie et 37 % de la fonction publique (d’Etat ou hospitalière) déclaraient ne pas ressentir (toujours ou souvent) « la fierté́ du travail bien fait ». En 2021, 54 % des actifs occupés estimaient « ne pas pouvoir faire du bon travail » et « devoir sacrifier la qualité́ ». Ces chiffres progressent en permanence. C’est une question politique majeure, car mettre son intelligence au service de la dégradation des produits ou des services rend malade. Il existe un lien très fort entre la qualité du travail et la santé publique.

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De quelle nature sont les troubles de santé liés à l’organisation du travail ?

Les atteintes à la santé sont à la fois psychologiques et physiques, simultanément. On sait désormais que le geste empêché est à l’origine de troubles musculo-squelettiques. Empêché par manque de ressources. Quand on parle de stress, on parle de salariés qui n’ont plus les ressources pour faire face, parce que l’organisation ne leur donne pas ce qu’il faut pour réaliser un travail qui se tient.

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