Hôpitaux en crise : « Changer de méthode, c’est réintégrer la logique des acteurs et de leurs pratiques professionnelles »

Tribune.Tirant les enseignements de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a annoncé une grande réforme de l’hôpital. Au-delà de la revalorisation des salaires et des carrières, nécessaire et attendue par les personnels de santé, c’est la méthode et l’organisation des services de santé qu’il faut repenser.
Le 8 avril, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) du Grand-Est était limogé, après avoir assuré que le plan d’économies devant aboutir à la suppression de 174 lits et 598 postes allait se poursuivre. Au moment où les services de santé du Grand Est étaient à saturation et où les personnels de santé faisaient preuve d’un dévouement et d’un engagement exceptionnels, cette prise de parole était plus que malvenue. Ces propos du directeur de l’ARS sont cependant symptomatiques d’une transformation de l’Etat, bureaucratique et totalement désincarnée où l’hôpital et les personnels soignants sont réduits à des nombres de lits et de postes.
Depuis vingt ans, la modernisation de l’Etat survalorise la culture du résultat mesuré par des indicateurs. Dans la culture administrative du secteur public, plus encore que dans le privé, cette focalisation sur la mesure et le pilotage quantitatif amplifient l’abstraction des activités professionnelles. Ces méthodes renforcent la fracture entre des professionnels de terrain qui se sentent incompris et empêchés de réaliser correctement leur métier, et une administration centrale, focalisée sur une gestion budgétaire.
Des services dépassés par la situation
Il n’y a aucune place à la confiance dans un système essentiellement construit sur l’encadrement par les règles, le contrôle et la sanction. Confiance, autonomie, responsabilité, initiative, coopération, professionnalisme, autant de principes que la bureaucratie ne permet pas, voire qu’elle combat. Ce sont pourtant ces comportements-clés, dont ont fait preuve les professionnels de santé, qui ont sauvé le système face à cette crise épidémique.
En temps « normal », on constate les écarts et les incompréhensions entre une tutelle et des professionnels confrontés à l’urgence et au traitement du patient. Cette crise n’a pas révélé des problèmes déjà bien connus, mais elle a mis en exergue les limites d’un système à bout de souffle.
Eloignés du terrain, dépourvus de capteurs, prisonniers de leurs règles et procédures abstraites, les services administratifs régionaux de santé ont rapidement été dépassés : une faible anticipation des difficultés, une faible capacité à mobiliser des moyens, des défaillances dans la mise en alerte des structures privées, une mobilisation et une mise en réseaux des établissements publics et privés lente et compliquée…
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