Gaël Perdriau : « Il faudra accepter que dans le futur la production des mêmes richesses réclame de moins en moins de travail »
Tribune. Nous ignorons, depuis une trentaine d’années, la nouvelle réalité du monde du travail, issue de la révolution numérique. Nous détournons le regard de ce que le penseur allemand Günther Anders (1902-1992) prophétisait, à savoir l’obsolescence de l’homme supplanté par la machine. Incapable de penser l’infini des potentiels qu’offre la technologie, l’homme s’abandonne, presque par caprice, à une course sans fin à des besoins croissants, parfois inutiles, répondant à l’humeur du temps plus qu’à une réalité.
Tout cela ne serait peut-être pas grave si cette évolution s’accompagnait du traditionnel mouvement de destruction créatrice, mis en évidence par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950), permettant de compenser les emplois détruits dans les anciens secteurs par ceux créés. Or la révolution numérique est venue rompre cet agencement traditionnel. De plus, dans la société de l’actionnaire-roi, où le citoyen tend à s’effacer derrière le consommateur et le bulletin de vote derrière la carte bleue, l’Etat voit son action limitée à la création des conditions optimales (économiques, sociales, juridiques ou fiscales) permettant aux entreprises de maximiser leurs bénéfices. Comment s’étonner alors que la solidarité recule, prise en otage par des considérations financières ou nationalistes ?
De moins en moins de travail
Financiarisation du capitalisme et numérisation de la société font croire à l’homme que sa finitude est le symbole même de son inutilité. C’est ainsi que le général De Gaulle percevait, avec acuité, les effets produits sur les hommes par la mécanisation croissante : « Il y a le sentiment attristant et irritant qu’éprouvent les hommes d’à présent d’être saisis et entraînés par un engrenage économique et social qu’ils ne maîtrisent pas. »
Or n’oublions jamais que le travail et l’emploi ne sont pas synonymes. Participer bénévolement à l’action d’une association constitue, bien souvent, un vrai travail tandis qu’un emploi suppose un ensemble de droits concrets, rattachés à un contrat, donnés en contrepartie d’un travail apporté par le salarié à son employeur.
Ainsi, la numérisation de la société implique que le travail se transforme en profondeur. Il faudra sans doute accepter que dans le futur, à volume constant de richesse, la production réclame de moins en moins de travail. Cela induira, sans doute, que les emplois créés nécessitent un niveau de formation initiale élevé et une actualisation permanente des connaissances.
De nouveaux besoins verront le jour dans des domaines tels que l’éducation, la santé, les services à la personne, la protection de l’environnement ou la culture, mais il n’est pas évident que les emplois induits soient suffisants pour compenser ceux détruits dans les secteurs issus de la révolution industrielle. Nous devons prendre la pleine mesure de la révolution numérique et de ses conséquences directes sur le travail ainsi que sur l’emploi qui lui est, parfois, attaché.
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