Face à la crise, les économistes angoissés par « l’économie du trou noir »

Un intense moment de découragement. Lorsqu’il a compris à quel point l’activité s’effondrerait dans le sillage de la pandémie et des mesures de confinement, Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque, a d’abord eu le vertige. « Comment inclure une analyse épidémiologique dans nos modèles ? Au début, nous ne nous sentions pas légitimes pour le faire, il a fallu trouver rapidement de nouvelles façons de travailler », confie-t-il. Comme lui, beaucoup d’économistes racontent avoir été déstabilisés par cette crise bouleversant aussi leurs outils. Et parlent « d’angoisse » ou de « fascination inquiète » face à l’ampleur de cette récession sans précédent.
A certains égards, celle-ci rappelle le choc de 2008, vécu comme un traumatisme par la profession. « A l’époque, les économistes étaient un peu sur la sellette : on leur reprochait de ne pas avoir vu venir la crise, se rappelle Olivier Garnier, chef économiste à la Banque de France. Certains de leurs modèles étaient remis en question. Cette fois, les doutes sont d’une autre nature : ils portent sur les scénarios épidémiologiques et l’évolution de la pandémie. » Avec une question-clé : « Comment une économie que l’on a presque complètement mise à l’arrêt pourra redémarrer ? », résume Philippe Waechter, chez Natixis AM.
Impossible de prédire comment se comporteront les ménages qui ont mis de l’argent de côté pendant le confinement
Pour y répondre, ses confrères et lui ont d’abord tenté de mesurer la profondeur du plongeon subi par l’activité. « C’est l’économie du trou noir : la plupart des indicateurs classiques ne fonctionnent pas, ou moins bien », explique Ludovic Subran, chez Allianz. Il a donc fallu en utiliser d’autres, comme les transactions par carte bancaire ou les données de Google Trends, qui fournissent une indication du niveau de l’activité en temps quasi réel.
Mais cela ne suffit pas. « Jamais, auparavant, une crise n’avait affecté autant de secteurs et de pays de façon quasi simultanée », ajoute Véronique Riches-Flores, économiste indépendante. Résultat : les modèles traditionnels permettant de prévoir comment l’économie d’un pays chute, puis repart, sont perturbés. Et, contrairement à la crise de 2008, dont les enchaînements évoquaient ceux du krach de 1929, il n’existe pas de précédent historique pertinent auquel se référer. Dès lors, il est impossible de prédire, par exemple, comment se comporteront les ménages qui ont mis de l’argent de côté pendant le confinement : piocheront-ils dans leur épargne pour consommer ces prochaines semaines ? Ou préféreront-ils la conserver ?
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