Entreprises libérées sous étroite surveillance
Tout n’est pas rose au pays de l’entrepreneuriat libéré, où le contrôle peut être plus redoutable que dans une entreprise classique, explique la journaliste du « Monde » Anne Rodier, dans sa chronique hebdomadaire.
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Chronique « Carnet de bureau ». « Fais confiance et vérifie (doveriai no proveriai) », ce proverbe russe très prisé en son temps par Ronald Reagan (« Trust but verify ») n’a certainement pas échappé à Google.
Les salariés du géant numérique accusent leur employeur d’avoir installé un « mouchard » sur le logiciel de réservation de salle pour repérer tout regroupement de plus de cent personnes, révélait Bloomberg le 24 octobre. Le droit du travail a beau tenter d’adapter la protection des salariés à l’évolution technologique, les outils numériques permettent une surveillance toujours plus précise et plus discrète des salariés. De quoi tenter les employeurs qui pensent que la croissance de leur entreprise passe par un contrôle toujours plus accru des collaborateurs.
Les entreprises dites « libérées » ont fait le pari inverse pour un succès circonscrit à quelques pionniers, mais durable. Quand, en 2009, Alexandre Gérard, le PDG de Chronoflex, se retrouve au bord du gouffre, menacé de faillite, il décide de « lâcher les rênes », et de relancer son projet en misant tout sur la confiance accordée aux collaborateurs, dans une vision partagée. Pour changer la donne : il supprime les symboles du pouvoir et bannit le contrôle. L’organisation est restructurée pour « coconstruire ».
Tout se décide par équipe. « L’entreprise libérée est une entreprise dans laquelle les productifs ont pris le pas sur les non-productifs, explique le PDG de Chronoflex. On a demandé à chacun : où est-ce que vous vous sentez contrôlés ? Et imaginez des processus d’auto-contrôle. Les manageurs sont passés de “je prends toutes les décisions” à “je n’en prends plus aucune”. Le vrai sujet est de concilier confiance et liberté. »
La confiance prônée par les entreprises libérées repose sur l’autonomie du salarié au service de l’intérêt général de l’entreprise. Alexandre Gérard en a fait le quotidien du site de Saint-Herblain, en Loire-Atlantique. Et ça marche.
Autocontrôle
Pour les salariés « tout va bien » et le chiffre d’affaires augmente de 10 % en moyenne annuelle (33 millions d’euros, contre 22 millions il y a cinq ans). La logique de contrôle a laissé sa place à celle de l’autocontrôle. Evaluation et règlements de conflits n’ont pas disparu, mais sont gérés par le collectif. Ce qui n’est pas sans risque. « Il y a de plus en plus d’entreprises qui s’engagent sur le sujet, mais 90 % vont à l’échec par manque de préparation du dirigeant et de la culture d’organisation. Ils ne travaillent pas assez sur le rapport au pouvoir et sur le lâcher-prise », tranche M. Gérard.