Entreprises : Il faudra « un changement drastique de la façon de sourcer nos fournisseurs »
Tribune. Depuis des décennies, les directions des achats des entreprises ont eu pour mandat de réduire les prix négociés auprès de leurs fournisseurs. Cela a été pendant longtemps le principal résultat attendu des acheteurs, évalués et rémunérés principalement en proportion des économies obtenues. Pour y parvenir, la méthode utilisée a été la mise en concurrence systématique et frontale des fournisseurs entre eux.
Avec l’accélération de la mondialisation, les fournisseurs issus des pays dits à « bas coûts » sont entrés dans la compétition, proposant des prix toujours plus bas. Les industriels occidentaux n’ont alors eu d’autres choix que de s’aligner sur ces offres concurrentes pour ne pas perdre leurs clients.
Cette politique de la terre brûlée a payé pour les fournisseurs des pays à bas coûts : ils n’ont eu qu’à attendre que les fabricants occidentaux mettent la clé sous la porte à force de baisser leurs prix. Quand bien même les acheteurs n’avaient pas déjà, par choix délibéré, décidé de s’approvisionner dans ces pays à bas coûts – une des stratégies enseignées dans les écoles d’achat se nomme d’ailleurs « Low Cost Country Sourcing Strategy » – ils n’ont plus eu d’autres choix que se tourner vers ceux-ci, une fois les fournisseurs occidentaux acculés à la faillite.
Destruction du tissu industriel occidental
Il y a pourtant mille raisons de ne pas acheter au prix le plus bas. Le problème est que ces mille raisons sont très difficilement chiffrables, leur impact sur la balance des pertes et profits (« Profit and Loss » ou P & L, dans le jargon managérial) n’est pas toujours clair, parfois impossible à isoler.
Comment identifier l’impact sur le P & L du risque qu’un virus extrêmement contagieux survienne et bloque une partie de l’économie mondiale en quelques semaines parce que les filières d’approvisionnement (« sourcing ») ont été délocalisées à l’autre bout du monde pour des questions de prix ? Qui aurait suivi l’acheteur qui aurait intégré ce risque dans ses calculs économiques ?
Un rapport du cabinet d’études Dun & Bradstreet indique que parmi le Top 1 000 des sociétés mondiales, 938 ont un fournisseur de rang 1 ou de rang 2 impacté par le Covid-19 !
Aujourd’hui, l’économie mondiale se trouve devant l’impensable, l’inimaginable, l’inquantifiable. Un rapport du cabinet d’études Dun & Bradstreet indique que parmi le top 1 000 des sociétés mondiales, 938 ont un fournisseur de rang 1 ou de rang 2 impacté par le Covid-19 ! Des décennies de stratégies achat orientées prix, des mises en concurrence poussées à l’extrême, ont contribué à détruire le tissu industriel occidental au bénéfice des pays à bas coûts, avec aujourd’hui des conséquences désastreuses que nul n’a vu venir.