En Europe, le grand chamboulement du marché du travail
« Dans les années 1990, on disait que si on résolvait le problème du chômage, il n’y aurait plus de populisme. Ça n’en prend pas le chemin… », constate avec inquiétude Gilles Moëc, chef économiste à Axa. Les sondages pour les élections européennes, du 6 au 9 juin, prévoient effectivement une nette poussée de l’extrême droite, alors que, sur le front du chômage, l’Europe a connu une véritable révolution.
Il y a une décennie, en pleine crise de la zone euro, l’emploi était la principale préoccupation. Le chômage en 2014 atteignait 12 % en zone euro, 27 % en Grèce, 25 % en Espagne, 13 % en Italie, 10 % en France. Aujourd’hui, il a été presque réduit de moitié : 6,5 % en zone euro, 10,2 % en Grèce, 11,7 % en Espagne, 7,2 % en Italie et 7,3 % en France. Quant à l’Allemagne et aux Pays-Bas, ils frôlent le plein-emploi, avec un chômage aux alentours de 3 %. Au total, l’Union européenne (UE) compte 20 millions d’emplois de plus qu’il y a dix ans. « C’est quand même une bonne nouvelle, même si personne ne semble en parler », poursuit M. Moëc.
Andrew Kenningham, chargé de l’économie européenne pour le cabinet d’études Capital Economics, salue, lui aussi, « cette croissance spectaculaire de l’emploi », mais résume le problème d’une phrase : « L’Europe s’est déplacée vers un modèle un peu plus américain, où tout le monde a du boulot, mais un boulot pourri. » « Minijobs » en Allemagne, contrats à horaires flexibles, travailleurs des plates-formes de livraison (Deliveroo, Uber Eats, etc.)… Partout sur le Vieux Continent, les réformes du marché de l’emploi se sont multipliées, afin de simplifier les licenciements, de réduire les aides aux chômeurs, d’alléger les obligations des employeurs.
En France, les lois El Khomri (2016), qui allègent le coût des licenciements et réduisent l’encadrement du temps de travail, suivies des lois Pénicaud (2017), qui inversent la hiérarchie des normes en donnant la primauté aux accords de branche, relèvent de cette tendance. Le durcissement des règles de l’assurance-chômage, annoncé en février par le premier ministre, Gabriel Attal, poursuit la même logique.
L’exemple de l’Espagne est, de même, parlant. En 2022, Madrid a inventé les « travailleurs fixes discontinus », un contrat à durée indéterminée, mais rémunéré uniquement un certain nombre de mois par an, en fonction de l’activité de l’entreprise (souvent durant les mois correspondant à la haute saison touristique ou, dans la construction, pour un nouveau chantier). L’avantage pour les salariés : l’entreprise est obligée de faire appel à ses « fixes discontinus » lorsqu’elle reprend l’activité. L’avantage pour le gouvernement : ces personnes sortent des chiffres du chômage, même s’ils connaissent de nombreux mois non rémunérés.
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