Directeurs d’école en Seine-Saint-Denis : « On te donne 185 balles et on te dit voilà, maintenant tu es responsable de tout »
Précarité, difficultés d’intégration, établissements plus gros qu’ailleurs : les directeurs du département sont souvent seuls, en première ligne. Après le suicide de l’une des leurs, à Montreuil, ils témoignent.
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Il n’est que 11 heures, un mercredi matin, et Sophie (les prénoms ont été changés, à la demande des enseignants) est déjà débordée. En moins d’une heure de conversation, cette directrice d’école de Pantin (Seine-Saint-Denis) sera dérangée trois fois, d’abord par deux enfants, puis par une enseignante, et enfin par le directeur d’une école voisine. « Si vous ne m’aviez pas appelée, je ne me serais pas assise à mon bureau de toute la matinée », résume-t-elle. A 53 ans, cette enseignante déchargée « à plein temps » – elle ne fait plus la classe et se consacre à sa fonction de directrice – dirige seule une école primaire de quinze classes, soit 360 élèves.
C’est à quelques centaines de mètres de là, dans la même ville, que travaillait Christine Renon, la directrice de maternelle retrouvée morte le 26 septembre dans son établissement. Plusieurs milliers d’enseignants se sont donné rendez-vous, jeudi 3 octobre, pour exprimer leur tristesse et leur colère devant les services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, le jour de ses obsèques.
Avant son suicide, l’enseignante avait envoyé des lettres à ses collègues et à l’inspection d’académie, où elle dénonçait ses conditions de travail. Un mouvement de grève à l’appel de l’intersyndicale du premier degré a rassemblé jeudi 43 % de grévistes en Seine-Saint-Denis et 23 % sur l’académie de Créteil, selon le ministère de l’éducation nationale. Le SNUipp, syndicat majoritaire dans le premier degré, revendique 65 % de grévistes en Seine-Saint-Denis.
Département le plus pauvre de métropole
Si l’émotion s’est exprimée partout en France, la situation des écoles de Seine-Saint-Denis est particulière. Le département le plus pauvre de France métropolitaine compte 1,6 million d’habitants : 29 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté (pour 14 % de moyenne nationale), et 39 % dans des quartiers « politique de la ville » (QPV). A ce public spécifique s’ajoute la taille des établissements : 37 % des écoles de Seine-Saint-Denis ont plus de onze classes – soit plus de 250 enfants – alors que la moyenne nationale est à 9 %.