« Derrière les écrans », de Sarah T. Roberts : le sale boulot des « modos »

« Derrière les écrans », de Sarah T. Roberts : le sale boulot des « modos »

« Derrière les écrans. Les nettoyeurs du Web à l’ombre des réseaux sociaux » (Behind the Screen. Content Moderation in the Shadows of Social Media), de Sarah T. Roberts, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Renaut, préface d’Antonio Casilli, La Découverte, 264 p., 22 €, numérique 16 €.

Bien que celles et ceux qui ont participé à sa création depuis les années 1960 aient proposé de le décrire à l’aide de métaphores épurées, comme celles d’« espace » ou de « réseau », Internet n’en demeure pas moins un vaste dépotoir où se déversent chaque jour des contenus violant la loi ou les limites de la décence dans de multiples domaines.

A l’époque des défricheurs et des forums de discussion, les débats charriaient aussi leur lot de disputes, d’insultes ou de provocations. Mais il semblait alors qu’il suffisait d’édicter des règles de comportement et de nommer quelques « modérateurs » pour les éradiquer. Cette forme arti­sanale de modération des contenus ­suscita l’intérêt des observateurs jusqu’aux années 2000 mais, dans les faits, elle ne conduisit pas à supprimer beaucoup de contenus.

Explosion du partage de vidéos

Lorsque, en 2010, Sarah T. Roberts, dont paraît en français Derrière les écrans, travail pionnier issu d’une thèse soutenue en 2014, commença à se pencher sur la façon dont les contenus sont modérés dans cet « espace de contrôle, de surveillance, d’intervention et de circulation où l’information est devenue une marchandise », elle était parmi les premières. Elle constata, paradoxalement, que les modérateurs de contenus étaient devenus invisibles au moment même où explosait le partage de vidéos sur des plates-formes comme YouTube ou Facebook. Des vidéos dont une part considérable s’apparente à du spam ou viole, au choix, le droit d’auteur, les lois en matière de pornographie, le sens moral des internautes ou leur sensibilité.

« Pourquoi, s’est alors demandé cette chercheuse de l’université de Californie (Los Angeles), ne parlions-nous pas collectivement d’eux, du travail qu’ils faisaient et de l’impact qu’il avait sur eux, ainsi que sur l’Internet ? »

Pour répondre à cette question, Sarah Roberts s’est lancée à la recherche des « nettoyeurs » du Web dans les grandes entreprises de la Silicon Valley et chez des sous-traitants en Espagne, aux ­Philippines ou dans l’Iowa. Elle a analysé, au fil de discussions avec eux, leur état de fatigue émotionnelle après des heures passées à supprimer des vidéos d’atrocités guerrières ou pornographiques, ou à signaler aux autorités les abus suspectés sur les mineurs et les annonces de suicide.

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LJD

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