Dans la publicité, #metoo a fait bouger quelques lignes, sans supprimer l’impunité
A quoi reconnaît-on une journée chez Braaxe ? Une salle de réunion toujours fermée à clé ; des godemichés disséminés dans l’open space ; enfin, un dirigeant qui demande régulièrement à ses salariées s’il peut leur « bouffer les seins » ou « la chatte », dégrafe souvent leur soutien-gorge, les oblige à regarder un film pornographique sur le vidéoprojecteur à la pause déjeuner, ou leur envoie parfois, le soir, des SMS comme « Tu m’envoies une photo de ton anus pour 1 000 euros ? »
Le 29 septembre avait lieu, devant le conseil de prud’hommes de Paris, le procès emblématique du #metoo de la publicité : Julien Casiro, fondateur de l’agence parisienne Braaxe, désigné par une trentaine de témoignages anonymes, à la fin de 2020, sur la page Instagram « Balance ton agency » (« BTA »), est attaqué par son ancienne directrice conseil, qui souhaite faire reconnaître le harcèlement sexuel d’ambiance entretenu par son supérieur. Neuf anciens salariés ont témoigné dans le dossier.
A son éclosion, l’affaire avait stoppé net la croissance de Braaxe : face à l’afflux de témoignages, l’agence Australie, qui devait racheter sa consœur, a abandonné ce projet en décembre 2020, mentionnant le résultat des enquêtes internes intervenues entre-temps, et qui avaient confirmé l’omniprésence du harcèlement.
« Je vois assez peu de conséquences sur les appels d’offres »
Si, dans l’univers de l’entreprise, plusieurs secteurs ont été particulièrement montrés du doigt (médias, jeux vidéo, restauration…), deux d’entre eux ont vu le « name and shame » (« nommer et couvrir de honte ») prendre une dimension quasi industrielle : les start-up et la publicité, dénoncées sur Instagram par les comptes « Balance ta start-up » (193 000 abonnés à ce jour) et « Balance ton agency » (320 000), la plupart du temps pour leurs conditions de travail parfois désastreuses.
Dans les agences de publicité, les cas de harcèlement sexuel sont plus nombreux. L’association Les Lionnes, née en mars 2019 pour pousser les entreprises à agir, a été au cœur d’une première vague de révélations : elle a, par exemple, recueilli une vingtaine de témoignages mettant en cause un haut dirigeant de la filiale française de l’agence américaine McCann pour agissements sexistes, avant de les rendre publics face à l’inaction de l’entreprise.
BTA a suivi, fin 2020. Pour sa créatrice, Anne Boistard, une ancienne salariée de Braaxe, dont l’initiative divise le milieu, l’anonymat était nécessaire pour libérer la parole, car « on a affaire à des salariés très jeunes, qui veulent juste éviter d’être licenciés ». Elle relève un problème systémique, dans un milieu professionnel caractérisé par son côté « cool », ses soirées arrosées, ses syndicats inexistants et ses représentants du personnel factices.
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