Comment Kocher a perdu la bataille d’Engie
Dans la saga pour les adolescents Hunger Games, les spectateurs assistent en direct à la mise à mort des participants d’un jeu télévisuel. Depuis le début de la semaine, le capitalisme français ressemblait furieusement au best-seller voyeuriste tant l’éviction programmée d’Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, s’est transformée en déballage public.
Pour couper court à une agonie « en live », Jean-Pierre Clamadieu, le président de l’énergéticien, a convoqué un conseil d’administration extraordinaire jeudi 6 février. Il sera précédé d’une réunion du comité des nominations, des rémunérations et de la gouvernance qui, sauf coup de théâtre, devrait proposer au « board » de ne pas renouveler le mandat de la directrice générale, qui s’achève en mai 2020. Le conseil d’administration devrait dans la foulée acter cette décision. « Elle n’avait plus la confiance des administrateurs », résume un proche d’Engie. « Elle n’en fait qu’à sa tête », ajoute cet autre protagoniste, qui la soutenait pourtant encore il y a peu. Comme tous les participants à cette bataille, ce dernier a requis l’anonymat.
La contre-offensive politique lancée par Mme Kocher ces derniers jours a achevé de liguer l’establishment contre elle. Dans Le Journal du dimanche du 2 février, dénonçant une « campagne » contre elle, elle a appelé à la rescousse le chef de l’Etat. Principal argument, relayé ensuite par des personnalités politiques de tout bord : la patronne d’Engie se targue de mettre en œuvre l’engagement d’Emmanuel Macron en faveur du climat. Depuis lundi, Yannick Jadot, le député européen écologiste, Xavier Bertrand, le président de la région des Hauts-de-France, ou encore la maire de Paris, Anne Hidalgo, ont ainsi affiché leur soutien à la directrice générale du groupe gazier.
C’est un trio composé de trois membres du comité exécutif qui assurera l’intérim en lien étroit avec M. Clamadieu
Ce baroud d’honneur a provoqué l’effet contraire à celui escompté. L’Etat – qui détient 23,64 % de l’ex-GDF Suez – a accepté d’accélérer le calendrier, comme M. Clamadieu le souhaitait depuis des semaines. « Elle veut partir en martyre de la transition écologique », s’agace-t-on au sein de l’exécutif. La question d’un second mandat pour Mme Kocher devait être examinée par le conseil d’arrêté des comptes du 26 février. Mais la situation n’était plus tenable.
Il apparaît fort probable que la dirigeante de 53 ans quitte ses fonctions avant la fin de son mandat. M. Clamadieu, ancien président du comité exécutif du chimiste belge Solvay, avait proposé d’assumer l’intérim le temps de trouver un nouveau pilote pour Engie. Mais l’Etat, qui milite pour le maintien d’une gouvernance dissociée, n’y a pas consenti. C’est finalement un trio composé de Paulo Almirante, directeur général des opérations (avec des pouvoirs renforcés), Judith Hartmann, directrice financière, et Claire Waysand, secrétaire générale, qui assurera l’intérim en lien étroit avec M. Clamadieu. Au sein du groupe énergétique comme de l’Etat, on espère trouver rapidement une dirigeante pour remplacer la seule femme à la tête d’un groupe du CAC 40 – une liste de sept noms aurait déjà été établie.