« Chute libre » : un cadre supérieur à Pôle emploi
Le silence après la déflagration. François Marot se retrouve un beau jour chez lui, en pleine semaine, dans le calme de sa maison. Une première en trente-cinq ans, se souvient-il. La vie trépidante qu’il menait jusqu’alors vient brusquement de prendre fin. Le rédacteur en chef a dû faire ses cartons et quitter son entreprise. Il a été décidé « de mettre fin à [leur] collaboration. C’est le siège qui le demande », lui a précisé son supérieur hiérarchique.
Seul au domicile familial, il « mesur[e] ce qui vient de [lui] arriver. Le licenciement, c’est une grenade qui vous pète à la gueule. Avec des blessures immédiates, plus ou moins profondes, et des dégâts collatéraux provoqués par l’effet de souffle ». Dans Chute libre, un ouvrage paru aux éditions Chemins de traverse, le journaliste fait le récit d’une année de chômage, où espoirs et désillusions alternent et où le sentiment de déclassement social apparaît omniprésent.
L’expérience décrite est celle d’une « plongée dans l’inconnu ». Une situation angoissante dont on se pensait jusqu’alors à l’abri. La formation à Harvard, le poste de dirigeant ne sont plus que de lointains souvenirs. Il faut désormais prendre le chemin de l’agence Pôle emploi du quartier et tenter de comprendre son fonctionnement parfois kafkaïen, aller « se vendre » dans des « forums seniors » avec d’autres compagnons d’infortune ou encore éplucher les annonces et multiplier les envois de CV.
Evolution du regard des autres
Dans ce nouvel environnement, les chausse-trapes sont nombreuses : on se laisse entraîner par le chant envoûtant des bonimenteurs proposant des programmes de réinsertion, on accepte un stage non rémunéré et non déclaré, espérant se remettre le pied à l’étrier. Et on répond positivement à de nouvelles connaissances qui vous proposent de vous investir dans des projets professionnels mal ficelés et sans issue. « Les angoisses générées par le chômage : peur de perdre la main et de ne plus jamais rien trouver, peur de se faire oublier, peur de n’avoir rien à raconter aux enfants, à son entourage, peur de ne plus avoir d’argent, vous font sauter sur n’importe quel projet, même farfelu, reconnaît M. Marot. Et travailler gratuitement, c’est toujours travailler. »
Autre épreuve : le regard des autres évolue. A commencer par celui de l’entourage familial et amical. « La légèreté disparaît souvent, faisant place à une inquiétude gênée », explique l’auteur. Des liens se distendent, des tensions peuvent naître. Les échanges professionnels ne sont également plus les mêmes. Dans sa quête d’emploi, l’auteur a pu rencontrer des marques d’infantilisation, de condescendance. De quoi le renvoyer avec constance à son statut de chômeur.
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