« Chères collaboratrices » : quand les entreprises s’emparent du féminisme
C’est le visage souriant du féminisme. Un mouvement « pop, séduisant, sans effort », qui invite à se parer de tee-shirts « Proud to be a woman » (« fière d’être une femme »), vante à l’envi le parcours des femmes puissantes et s’apparente même à une stratégie de développement personnel.
Un féminisme populaire, en somme, porteur de messages positifs, qui pénètre les différentes strates de la société, notamment le monde des entreprises. Nombre d’entre elles n’assurent-elles pas aujourd’hui s’attaquer aux inégalités de genre, au-delà des obligations juridiques ?
Cet intérêt des organisations pour un mouvement qui pouvait apparaître jusqu’alors comme « une menace pour le capitalisme » a suscité l’attention de Sandrine Holin. Cette ancienne salariée du secteur des affaires publiques et de la finance a décidé d’entamer un projet de recherche sur le sujet qui a nourri un essai, Chères collaboratrices (La Découverte).
L’autrice s’interroge : pourquoi et comment les sociétés ont-elles embrassé certains combats féministes ? Quelles en ont été les conséquences pour les femmes, mais aussi pour le mouvement féministe dans son ensemble ? Une autre question parcourant, en filigrane, l’ouvrage : « Un féminisme banal peut-il rester critique ? »
La réponse est négative. Pour le démontrer, Mme Holin décrit avec minutie cette variante du mouvement qui s’exprime à grand bruit aujourd’hui et qui touche donc l’entreprise : le « féminisme néolibéral ». Celui-ci s’est renforcé autour d’un constat, porté par le monde économique : « L’égalité femmes-hommes rapporterait de l’argent », résume-t-elle. Elle cite notamment un rapport de McKinsey précisant, en 2015, que « faire avancer l’égalité des femmes peut ajouter 12 000 milliards de dollars à la croissance mondiale ».
Une approche structurelle
De quoi inciter les entreprises à s’engager dans la bataille, par un prisme spécifique : transformer « l’égalité entre les genres en libre concurrence entre les genres », explique l’autrice. L’objectif étant de parvenir à « une allocation optimale des ressources et des talents » et d’exploiter ainsi la compétence des femmes. La lutte contre les stéréotypes de genre portée par les organisations devra y contribuer.
Dans le même temps se développent de multiples programmes d’accompagnement au leadership, devant renforcer la confiance en soi. Les femmes sont, dans le même temps, invitées à mener de front carrière et vie de famille. Une voie vers l’épanouissement, défend le féminisme néolibéral, qui peut passer par l’entrepreneuriat – quitte à devenir parfois, pour l’autrice, « son propre bourreau ».
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