Charles Gardou, spécialiste du handicap : « Il n’y a pas de société inclusive sans remise en cause de prés carrés »
Anthropologue, professeur des universités, spécialiste du handicap et organisateur de la troisième édition des Trophées Lumière de l’entreprise inclusive – qui se tiendra le 19 mai 2020 à l’université Lumière-Lyon-II –, Charles Gardou fait le point sur la place accordée aux jeunes en situation de handicap en France.
Peu de jeunes handicapés s’engagent au service de l’intérêt général à travers le service civique dans notre pays, ce constat vous étonne-t-il ?
Pas vraiment, car notre culture produit chez eux des formes d’autocensure. En effet, on reste enclin à les priver de parole, à s’exprimer en leur nom et, plus globalement, à minorer, si ce n’est à nier, leurs compétences d’expression, de décision, d’action. On a du mal à les reconnaître comme les premiers experts de ce qu’ils vivent, au sens premier d’expertus, « ceux qui font l’épreuve de ». Aussi en viennent-ils à s’autolimiter dans leurs projets d’engagement, d’études, de vie professionnelle.
Que dit encore de notre société leur quasi-absence de la vie associative ?
On a situé la question du handicap du côté de la charité, de la tolérance. Si ces valeurs ne sont pas, bien sûr, à rejeter, elles induisent une asymétrie relationnelle. Chaque culture a sa manière de considérer et traiter ceux qu’elle juge inconformes à l’ordre régnant. Michel Foucault écrivait même que l’on peut caractériser les sociétés par la façon dont elles se débarrassent non pas de leurs morts mais de leurs vivants. On est bien loin de l’idée inclusive !
Quelle est votre définition d’une société inclusive ?
En réalité, cette expression est un pléonasme, le mot « société » (societas en latin) signifiant lui-même « communauté, alliance, union ». Une société est une communauté de compagnons, reposant sur la solidarité, la coopération. De fait, exclure un seul d’entre eux engendre un appauvrissement du tissu communautaire. Le défi majeur de notre temps est de (re)faire société.
Dans « La société inclusive, parlons-en ! » (éditions Erès, 2012), vous présentez les cinq piliers sur lesquels une telle société mérite de s’appuyer. Quels sont-ils ?
Le premier invite à retrouver le sens du patrimoine commun : la ville, l’habitat, les transports, les lieux d’éducation, etc., encore difficilement accessibles aux personnes en situation de handicap. Or, nul n’a l’exclusivité de ce « patrimoine ». Etymologiquement, c’est l’héritage du père, transmis pour inscrire chacun dans une histoire et lui conférer une identité. Il n’y a donc pas de société inclusive sans remise en cause de prés carrés, de territoires protégés persistants. Une société n’est pas un cercle réservé à des affiliés préservés du handicap. Une société inclusive, c’est d’abord le contraire d’une société exclusive.