Le dégât du chômage atteint une grande ampleur en Inde

Les sans-emploi sont les grands oubliés de l’ultime budget du gouvernement Modi avant les élections générales

Le gouvernement indien a exposé, vendredi 1er février, devant le Parlement, un budget taillé sur mesure pour les élections générales prévues dans quelques semaines, en avril et mai. De nombreuses exemptions fiscales et subventions ont été dévoilées pour satisfaire le maximum d’électeurs, des classes moyennes aux agriculteurs, en arrivant aux travailleurs du secteur informel.

Le gouvernement de Narendra Modi a garanti une aide directe de 6 000 roupies (73 euros) à 120 millions de paysans, pour un montant total de 9,3 milliards d’euros, et envisage, dans le même temps, d’exempter d’impôts les prestataires qui gagnent jusqu’à 6 250 euros par an. Pour ceux qui, parmi les hindous, vénèrent les vaches sacrées, le gouvernement va créer un nouvel organisme bovin national chargé de se pencher sur le bien-être animal. M. Modi a pensé à toutes les catégories de la population sauf deux : les minorités religieuses et les chômeurs.

Lors de la campagne électorale de 2014, la création de millions de fonctions avait pourtant été l’une des promesses-phares de M. Modi. Vendredi, elle a quasiment disparu du discours du ministre indien de l’économie par intérim, Piyush Goyal, qui a préféré insister sur la création « d’une économie à 5 000 milliards de dollars [4 370 milliards d’euros] d’ici à cinq ans ». Pourtant, la crise du chômage a atteint en Inde une ampleur inédite. Selon l’exposé d’une agence gouvernementale qui a fuité dans la presse indienne, il s’élevait à 6,1 % lors de l’année fiscale se terminant au 31 mars 2018, un record historique.

La mesure du nombre des sans-emploi dans un pays où entre 80 % et 90 % de la population active travaille dans le secteur informel est forcément imprécise, mais elle donne une tendance qui ne cesse de se dégrader, année après année. Une réalité confirmée par plusieurs chiffres. Les chemins de fer indiens ont, par exemple, reçu, en 2018, 25 millions de candidatures pour 89 000 postes à pourvoir, et la cantine d’une administration publique en a reçu 7 000, après avoir fait savoir qu’elle explorait à recruter treize serveurs.

Travail précaire et peu qualifié

« La forte croissance ne peut pas être une fin en soi dans une démocratie aussi vaste que l’Inde », s’inquiète le quotidien Hindustan Times. Alors que les responsables politiques indiens avaient l’habitude de mesurer leur bilan économique à l’aune du seul taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), l’inactivité est en passe de devenir un enjeu politique. « Le “Führer” nous a promis 20 millions d’emplois par an. Cinq ans plus tard, le rapport sur la création d’emplois montre que c’est un désastre national », a diffusé, jeudi 31 janvier, Rahul Gandhi, le président du Parti du congrès, dans l’opposition, sur Twitter.

Enfants d’agriculteurs le « retour à la terre »

Ils ont fréquemment fait des études supérieures, voyagé, vécu en ville, puis sont revenus « à la ferme », avec un regard neuf sur l’activité familiale. Témoignages de cette génération qui veut régénérer les pratiques agricoles.

L’instant de la moisson est sa madeleine de Proust. Quand il évoque ses souvenirs d’enfant, Guillaume Fourdinier, 31 ans, parle avec émotion de la ferme de ses parents, sur la côte d’Opale. Ses odeurs, le bon goût d’un fruit mûr juste cueilli, les repas où l’on mange les produits des fermes voisines, les jeux sur le tracteur paternel.

Emile et Jules Winocour, 35 ans et 31 ans ont, eux, vécu dans une ferme à l’orée de la forêt de Rambouillet. Et eux aussi sont imprégnés de ce moment si distinctif qui cristallise la fin d’une récolte : la moisson, à la fin de l’été, synonyme de fête et d’accomplissement dans l’année.

Tous les trois ont fait des études à l’université. Ils ont voyagé, vécu à l’étranger, en ville, puis ils sont de retour dans le monde agricole, avec des idées et un regard neuf sur l’activité familiale. « Les parents encouragent les enfants à se constituer un capital scolaire car la construction d’un revenu agricole est de plus en plus incertaine, explique François Purseigle, coauteur de Sociologie des mondes agricoles (Armand Colin, 2013, 320 p.,) avec Bertrand Hervieu. Depuis les années 2000, le niveau de formation des chefs d’exploitation n’a pas cessé de croître. En 2010, 17 % d’entre eux avaient un diplôme d’études supérieures. Ils n’étaient que 11 % en 2000. Les jeunes actifs agricoles sont aussi mieux formés que leurs aînés. »

« Quelques hectares de bio »

« Reprendre la ferme » n’est plus systématique, même si l’agriculture figure parmi les univers professionnels où la transmission intrafamiliale est la plus forte. Selon l’Insee, 46 % des fils d’agriculteurs deviennent ouvriers ou employés, 26 % exercent une métier intermédiaire ou deviennent cadres et 28 % conservent un statut d’indépendant.

« Je suis de plus en plus captivé par l’agriculture. Mais pas celle de mes parents, conventionnelle, intensive »

Alexis B., enfant d’agriculteurs céréaliers dans le Val-d’Oise, est de ceux qui posent en question les pratiques de leurs parents. Encouragé à faire des études, il est diplômé de l’Ensae ParisTech en 2011. Il commence sa vie professionnelle à Londres, dans la recherche, la finance, le journalisme économique. De retour en France, à 25 ans, il choisit de passer l’agrégation de philosophie. « L’économie, mes parents trouvaient ça prestigieux, mais la philosophie, ils ont eu trop de mal à accepter », déclare aujourd’hui ce jeune enseignant de 30 ans, qui s’interroge peu à peu sur son envie de reprendre la ferme familiale.

Le mérite est la « bonne attention des gagnants du système »

David Guilbaud, technocrate issu de la classe moyenne, déconstruit le mythe d’un système scolaire français qui admettrait l’ascension sociale. Selon lui, l’idée que « quand on veut, on peut » est en conflit avec « la rigidité de notre société ».

Le principe du mérite agit comme une fiction très forte, notamment parce qu’il donne « bonne conscience » aux gagnants du système. C’est ce que démontre David Guilbaud, 26 ans, haut fonctionnaire, ancien élève de Sciences Po et de l’ENA, dans l’essai L’Illusion méritocratique, publié fin 2018 chez Odile Jacob. Originaire de Rennes, David Guilbaud est issu de la classe moyenne, avec un père cadre qui a connu de longues périodes de chômage et une mère qui a débuté des études supérieures sur le tard. Il raconte son expérience et sa pédagogie des codes de « l’élite » parisienne.

« Vous êtes l’élite de la nation » : voilà le genre de phrase que les étudiants de Sciences Po entendent dès leur arrivée, comme vous l’écrivez dans votre livre. Pourquoi cela pose-t-il problème ?

Ce genre de phrase collabore à ancrer dans l’esprit des étudiants qu’ils sont, par essence, différents des autres, que s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont davantage de valeur que les autres. Pourtant, dans le cas de Sciences Po, ce ne sont jamais que des jeunes de 18 ans qui ont réussi un concours, certes exigeant mais reposant sur l’apprentissage d’une méthode et la mémorisation d’un contenu. Cette phrase acte le fait qu’avec l’étiquette donnée par la grande école, l’élève n’aura plus à faire ses preuves, ou en tout cas profitera partout et tout le temps d’un a priori favorable.

Ce genre de discours existe pareillement ailleurs, à l’ENA notamment : il alimente le sentiment que les élèves sont d’une valeur telle qu’ils peuvent se suffire à eux-mêmes et que, quel que soit leur poste, ils pourront s’en sortir grâce à leurs qualités personnelles. C’est mauvais pour le fonctionnement de l’administration et pour l’intérêt général, car l’une des qualités premières des cadres de la fonction publique doit être de savoir assister avec leurs collègues et écouter leurs critiques.

Vous faites le portrait-robot d’un diplômé type de Sciences Po, mélange d’« arrogance tranquille » et de « mépris souriant », qui n’a pas connu de vraies difficultés mais aime « donner des leçons sur la valeur travail ». N’est-ce pas ces caractéristiques qui sont reprochées au gouvernement actuel ?

L’idée que « quand on veut, on peut » est en contradiction avec la rigidité de notre société et du marché de l’emploi. Les jeunes ont le sentiment que tout est joué dès la sortie de l’école et, de fait, les destins sociaux sont largement déterminés à l’âge de 30 ans. Cette impression de blocage n’est sans doute pas sans lien avec ce qui se passe actuellement.

De même, il est assez impressionnant de voir que toutes les analyses sur les « gilets jaunes » se concentrent sur la manière dont le mouvement s’exprime, alors que le véritable sujet est de comprendre pourquoi cela est arrivé. Ce mouvement est la traduction concrète de cette réalité sociale que nient précisément les discours méritocratiques du type « quand on veut on peut ». La violence de ce discours a été exaspérée par certaines petites phrases, critiquées pour le mépris social qu’elles incarnaient : là se trouve sans doute un facteur conjoncturel majeur dans l’embrasement du mouvement des « gilets jaunes ». Si on est démocrate, on ne peut que se réjouir de constater que, chez ceux qui manifestent, s’affiche une volonté de se réapproprier leur destin social.

Vous parlez à plusieurs répétitions de « l’indigence » de certains enseignements dans les grandes écoles…

Le contenu de la scolarité à l’ENA telle que je l’ai vécue était insuffisant. Aucun sujet de fond ne pouvait être creusé, faute de temps. A cela s’ajoute la pression des « épreuves de classement », qui encouragent une logique utilitariste chez les élèves et les détourne, donc, de cet effort intellectuel. Parce que l’ENA se considère comme une école d’application, le cursus est construit sur le postulat que l’essentiel des contenus intellectuels nécessaires a déjà été intégré pour le concours. C’est une erreur, car cela corrobore qu’une réflexion de fond sur les enjeux auxquels nous sommes confrontés dans nos métiers de hauts fonctionnaires n’est finalement pas obligatoire tant que nous sommes de bons techniciens.

Pour les oraux de l’ENA, vous écrivez que « la joute d’esprit, la repartie, (…) la détente sans l’insolence… » sont autant de qualités maîtrisées par les enfants des classes supérieures…

A l’oral de l’ENA, il faut présenter qu’on fait partie du même monde que l’examinateur, tout en sachant rester humble, et arriver, pour les plus doués, à glisser un mot d’esprit subtil au moment juste. C’est presque du théâtre. C’est pour cela qu’il est très compliqué d’apprendre à se comporter « convenablement » quand on vient d’un milieu social qui n’a pas ces codes culturels. L’apprentissage de ces savoir-être est long, difficile et jamais complètement réussi – il subsiste toujours quelque chose d’un peu forcé, d’un peu artificiel chez ceux qui n’y ont pas été sensibilisés sur le temps long.

D’où vient historiquement cette notion de méritocratie ?

Le terme a été forgé par le sociologue Michael Young [1915-2002], au milieu du XXe siècle, mais notre rapport au mérite, sur un plan politique, est lié à l’héritage de la Révolution française. C’est un principe de légitimation qu’il a été nécessaire de mettre en avant pour justifier la fin des privilèges féodaux et soutenir la montée en puissance politique et économique de la bourgeoisie. C’est l’affirmation qu’il existe une égalité en droit des individus : vision théorique, idéalisée, d’un monde où la réussite n’est plus déterminée par la naissance mais par les efforts de chacun.

« La méritocratie est un principe de légitimation puissant pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérité leur sort. »

C’est évident que cette idée occulte le fait que les conditions économiques et culturelles dans lesquelles grandit un enfant affectent sensiblement ses perspectives dans la société. Cette fiction est un principe de légitimation extrêmement puissant pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérité leur sort.

Mais la mobilité sociale est de nos jours relativement limitée : en 2009, seuls 18 % des enfants de salariés connaissaient une trajectoire sociale ascendante d’ampleur, c’est-à-dire les voyant accéder à un emploi de cadre supérieur alors que leurs parents étaient employés ou ouvriers. Un parcours comme celui de Pierre Bourdieu, fils de petit fonctionnaire, devenu professeur au Collège de France, est désormais, sinon impossible, en tout cas plus difficile. Par ailleurs, cette évolution n’est ni un processus à sens unique ni une dynamique irréversible : certains individus connaissent ainsi une trajectoire « descendante », qui les conduit à une position sociale moins favorable que celle dont bénéficiaient leurs parents. Le sociologue Camille Peugny a ainsi montré que les risques de mobilité sociale descendante étaient plus élevés pour les enfants de cadres lorsque leurs parents étaient issus de milieux dits « populaires ».

Pourquoi les dispositifs d’égalité des chances des grandes écoles manquent-ils leurs objectifs ?

Ils fonctionnent ponctuellement, parce qu’ils permettent à une poignée d’étudiants venant de milieux défavorisés de s’en sortir. L’expérience n’est d’ailleurs pas toujours rose pour ceux qui en bénéficient : parfois, l’étiquette « égalité des chances » colle à la peau. Je me souviens que, lorsque nous avons été admis à l’ENA, le directeur de Sciences Po avait fait une conférence devant les lauréats en soulignant que l’un d’entre nous venait des CEP [conventions éducation prioritaire]. Un hommage, de son point de vue, mais aussi, inconsciemment, le rappel que l’intéressé restait marqué par cette filière « différente » par laquelle il était entré à Sciences Po. L’adaptation des élèves concernés au nouveau milieu social auxquels ils accèdent est souvent difficile : une enseignante à Sciences Po m’expliquait ainsi qu’elle reconnaissait tout de suite les copies des CEP, parce qu’elles étaient plus « scolaires ». La carence de maîtrise de la culture légitime est aussi un handicap, dans un milieu où certains savent manier leur connaissance de l’opéra pour marquer leur appartenance à une certaine classe sociale.

Principalement, la principale délicat que l’on peut faire sur ces dispositifs est qu’ils ne changent hélas rien au problème systémique. Ce qui ne signifie pas qu’il faille les abandonner : si l’on parvient ainsi à permettre à un étudiant de s’en sortir, c’est toujours cela de pris. Mais politiquement, ils ont un effet pervers : celui de servir de « bonne conscience » aux défenseurs d’une organisation sociale inégalitaire dont ils bénéficient, et à laquelle ils doivent le fait qu’ils se situent en haut de la pyramide. Il faut donc faire l’effort de penser plus loin : à court terme, poursuivons les actions pour l’« égalité des chances », mais à long terme, interrogeons-nous sur les moyens d’atteindre une plus grande égalité des places en réduisant les différences dans la société.

La manie de démissions dans les banques françaises

Entre 2015 et 2017, les démissions ont progressé de 85 % chez LCL.
Entre 2015 et 2017, les démissions ont progressé de 85 % chez LCL. Regis Duvignau / REUTERS

Que se passe-t-il dans les banques françaises pour que les « bonnes places » qu’elles proposaient ­naguère n’arrivent plus à retenir une part croissante de leurs salariés, surtout les plus jeunes, toujours plus nombreux à présenter leur démission ?

Le constat est partagé par la composition de la profession : en l’espace de deux ou trois ans, les démissions ont gagné du terrain, au point d’évoquer « désormais le principal motif de départ, en lieu et place des départs à la retraite [largement majoritaires en 2014] », note l’Observatoire des métiers de la banque dans sa dernière étude, publiée en décembre 2018.

La disposition est identique dans tous les grands établissements, même si l’ampleur du phénomène varie. Les démissions ont progressé de 85 % chez LCL entre 2015 et 2017, de plus de 40 % chez BPCE (Banque populaire Caisse d’épargne), et de près de 30 % pour les activités françaises de Société générale et de BNP Paribas.

Les chargés de clientèle, représentes de proue des enseignes bancaires, sont les plus nombreux à renoncer

La banque, qui pèse 2 % de l’emploi salarié en France, et qui a longtemps été collaboratrice à la sécurité de l’emploi et à des perspectives de carrière, est en passe de devenir un secteur comme les autres : les démissions y représentent en moyenne 36 % des départs en CDI, contre 40 % pour l’ensemble du secteur privé en 2017.

Révolution numérique et baisse de production

Derrière ces énumérations, certains métiers retiennent moins bien les salariés que d’autres. Les chargés de clientèle, symbolises de proue des enseignes bancaires, sont ainsi les plus nombreux à abandonner, loin devant les gestionnaires de back-office (chargés du traitement administratif des dossiers), les analystes risques ou les responsables des ressources humaines.

Elise (son prénom a été changé), conseillère clientèle à Paris, vient ainsi d’abandonner LCL, où elle travaillait depuis plus de dix ans, pour passer à la concurrence, dans le groupe Banque populaire. Elle évoque les restructurations qui frappent l’ensemble du secteur bancaire et dégradent les conditions de travail.

« J’ai appris que mon agence fermait lorsque des techniciens sont venus prendre des mesures pour démonter les distributeurs automatiques, déclare-t-elle. Nous avons rejoint un autre site de la banque, de l’autre côté de la rue. Mais il n’y avait pas suffisamment de bureaux pour tous les conseillers. Nous sommes donc passés en bureaux partagés. On nous avait retiré des automates bancaires du jour au lendemain. Il fallait gérer l’insatisfaction des clients. En revanche, sur le plan commercial, la pression restait très forte. Quand une autre banque m’a proposé un poste intéressant, j’ai démissionné. »

Emploi, le challenge du logement

La réunification croissante des emplois à l’intérieur des grandes villes pose la question du coût du logement pour des personnes au salaire modeste. Cette gêne à se loger près de son lieu de travail est l’une des causes du chômage structurel en France.

Dans quartier historique du Marais, à Paris, à quelques pas des Archives nationales et de l’enceinte de Philippe-Auguste, se niche le siège de Famoco, une entreprise de haute technologie spécialisée dans la sécurisation des transactions sur mobile. Créée en 2010, la start-up intervient aujourd’hui dans le monde  et compte étoffer encore son équipe d’une centaine de subordonnés. Pourquoi alors s’établir dans un immeuble historique de ce quartier colonisé par les boutiques de luxe, infréquentable en voiture, plutôt que dans un quartier d’affaires mieux adapté au business ? Lionel Baraban, directeur général et cofondateur, est catégorique : « Aujourd’hui, si vous proposez à de jeunes ingénieurs de travailler à La Défense, vous êtes sûrs qu’ils ne viendront pas. Avoir des locaux sympas, au cœur de Paris, fait partie de l’attractivité de la boîte, au même titre que les salaires. »

Un constat que fait aussi Audrey Barbier Litvak, directrice générale de WeWork pour la France et l’Europe du Sud, alors que l’entreprise vient d’ouvrir son cinquième immeuble parisien sur l’avenue de France, dans le 13e arrondissement, et s’apprête à en inaugurer deux autres cette année, à Saint-Lazare et porte Maillot. « Des entreprises qui avaient fait le choix de s’installer dans des centres d’affaires en périphérie prennent des bureaux chez nous pour revenir au cœur de la capitale », explique la jeune femme, en citant Carrefour, LVMH, Thalès… « Pour un grand groupe, c’est un vrai facteur d’attractivité et de recrutement. »

Attachée à la tertiarisation de l’économie et à la mondialisation, le rattachement croissante des emplois à l’intérieur des grandes villes, qui reçoivent un nombre toujours plus important de start-up, espaces de coworking et autres pépinières, est attestée par différentes études. « Entre 2000 et 2010, la croissance du pays a été générée aux trois quarts sur les grandes aires urbaines », confirme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Depuis la crise de 2008, et le très fort repli de l’emploi salarié privé du pays, seuls quelques rares grands territoires voient le nombre de leurs emplois progresser, grâce aux créations d’activités dans les secteurs de services supérieurs/numériques, à fortes qualifications. Et ces activités se concentrent au cœur de nos quelques métropoles « gagnantes » : plus de la moitié des créations nettes d’emploi dans ces secteurs se situe dans une douzaine des 36 000 communes françaises. (Paris, Toulouse, Lyon, Saint-Herblain, Nantes, Blagnac…), déclarent l’économiste Laurent Davezies et le géographe Philippe Estèbe dès 2015.

L’emploi des jeunes dépendants du besoin de se loger

Les exemples de cherté des loyers près du lieu de travail, véritable frein à l’emploi, ne manquent pas. Témoignages de jeunes salariés contraints de résider dans un foyer à Roissy, Istres, ou Rodez.

Il n’y a peut-être qu’à traverser la rue pour trouver un emploi, mais pas une habitation. Cyrille Boyer, qui dirige, dans le 8e arrondissement, la permanence accueil des jeunes de l’hôtellerie, en sait quelque chose : « J’ai soixante places et dix fois plus de demandes, y compris d’employeurs, restaurants et hôtels de luxe prêts à payer le double du tarif pour réserver des chambres à leurs salariés », déclare-t-il, évoquant le cas d’un jeune homme venant chaque jour de Lille pour travailler à l’hôtel Royal Monceau. « Dans l’hôtellerie et la restauration, les journées sont longues, avec des coupures dont on ne sait que faire, surtout quand, dans un quartier comme les Champs-Elysées, le Coca est à 15 euros », témoigne-t-il.

L’habitation de jeunes travailleurs implanté sur la plate-forme de l’aéroport de Roissy ne manque pas non plus de solliciteurs à la location qui trouvent facilement un emploi, parfois qualifié, sur place, dans la sécurité, la maintenance des avions, l’accueil ou la zone hôtelière, mais pas de quoi se loger : « Il y aurait bien des possibilités de logement à Sarcelles, Goussainville, Villiers-le-Bel, mais pas de transports commodes vers Roissy », déplore Christophe Quenet, directeur de ce foyer et de l’association du logement des jeunes du Val-d’Oise.

Fortuné Aldegon a passé son bac pro puis son BTS en alternance avant d’être recruté par Air France Industries comme mécanicien, puis au bureau technique de la maintenance des avions. Avant de résider près de son travail, il a, pendant deux ans, fait des allers et retours entre son foyer familial, à Nemours, dans la Seine-et-Marne, et Roissy, soit une heure et demie aller et deux heures et demie retour : « J’ai tenu le coup parce que je veux devenir ingénieur dans l’aéronautique pour, peut-être, aller travailler à l’étranger, et heureusement que l’entreprise nous payait des indemnités kilométriques car j’avais mon véhicule à assurer », se souvient-il.

En zones rurales, offre de logements et transports sont rares

« Avoir une habitation, c’est, pour nous les jeunes, un rêve que nous n’arrivons pas à concrétiser tellement les exigences des bailleurs sont impossibles à satisfaire, explique Yasmine, 28 ans, hôtesse d’accueil à Marne-la-Vallée Village. Il faut gagner trois fois le loyer, être embauchée en contrat à durée indéterminée et avoir achevé la période d’essai ou, mieux, avoir déjà six mois ou un an d’ancienneté dans le travail… », déclare-t-elle. Elle a, dans un premier temps, été logée en foyer de jeunes travailleurs à Roissy, ce qui lui occasionnait trois heures journalières de transports, et, aujourd’hui, dans un autre foyer à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), avec des temps de trajet plus prudentes mais moyennant 480 euros par mois pour vivre dans 20 mètres carrés.

« Il faut étaler les complémentarités entre les grandes villes et le reste du territoire »

L’ingénieur et sociologue Pierre Veltz estime que, quand le très haut débit sera répandu, « de nouvelles organisations et des activités plus distribuées émergeront ».

L’ancien directeur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Pierre Veltz est l’auteur de La France des territoires, défis et promesses, à paraître le 7 février aux éditions de l’Aube.

Pourquoi l’activité reste-t-elle aujourd’hui très présente dans un petit nombre de métropoles, entraînant de fortes tensions sur le logement ?

Dans le monde entier, il y a aujourd’hui une forme de réunion dans les métropoles qui peut paraître paradoxale à l’ère d’Internet. Mais elle a de multiples éclaircissements. D’abord, le numérique induit une polarisation du marché du travail, avec des emplois très qualifiés à un bout de la chaîne, et ces emplois ont tendance à se concentrer dans les métropoles. Deuxième élément d’explication, les incertitudes liées à la globalisation ou à la technologie : pour les entreprises comme pour les personnes, les grands marchés du travail des métropoles présentent d’énormes atouts. Quand une entreprise ferme dans un petit bassin d’emploi, c’est un drame social.

Dans une métropole, il y a abondamment plus d’occasions de rebond. Le marché de l’emploi métropolitain joue un rôle « d’assurance-flexibilité », effet accentué par la « bisalarisation » dans les ménages et la multiplication des familles recomposées. Enfin, le nouveau monde économique se nourrit de toutes sortes d’interactions de proximité, entre filières, compétences, technologies. Les écosystèmes métropolitains sont le creuset principal de l’innovation, même s’ils n’en ont pas le monopole.

Qu’est-ce qui pourrait modifier les équilibres et aboutir à une meilleure répartition des emplois sur le territoire ?

La priorité pour la France est de développer les complémentarités entre les grandes villes et le reste du territoire. Pour cela, il y a au premier temps la voie du numérique : lorsque le très haut débit sera généralisé, de nouvelles organisations et des activités plus distribuées émergeront. Ensuite, il y a les enjeux écologiques, la gestion des déchets, de l’eau, le développement de l’éolien ou du solaire : on ne va pas créer ces activités au cœur des villes.

Comment rapprocher les métropoles avec les régions moins bien loties en matière d’innovation ?

Les jeunes qui sortent des écoles et qui engendrent leurs start-up sont tous dans les métropoles. Je suis frappé de voir qu’ils ont tendance à réfléchir et à organiser des services pour le milieu qu’ils connaissent, c’est-à-dire l’univers des jeunes citadins. Ils semblent complètement coupés du reste. Or, il y a des choses à faire dans les secteurs qui se développent et tireront la croissance demain : la santé et le bien-être, le divertissement, la mobilité, l’alimentation et la demande pour des produits plus sains… Il faut joindre tout cela aux individus. Et puis, dans les territoires, dans les petites villes industrielles, il a aussi une quantité de PME qui ont beaucoup de mal à recruter des ingénieurs, et beaucoup de mal à opérer leur passage numérique.

De Sciences Po au ramassage d’épluchures

Clara Duchalet, 25 ans, fondatrice de la société Vépluche, à Boulogne-Billancourt(Hauts-de-Seine).
Clara Duchalet, 25 ans, fondatrice de la société Vépluche, à Boulogne-Billancourt(Hauts-de-Seine). 
L’assistance est accompagnée d’un bon coup de pédale. « Cocotte » n’est pas un gallinacé mais il est bien matinal. Il n’est pas encore 8 heures, ce mardi de janvier, et l’éclairage public illumine un ballet de flocons de neige qui virevoltent sur Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) quand Clara Duchalet, 25 ans, sort « Cocotte » du magasin qui fait aussi office de hangar-bureau-parking de sa jeune société, Vépluche.

« Cocotte » est un vélo triporteur à assistance électrique et le cœur de l’activité de Vépluche : collecter les épluchures des restaurants locaux pour les transformer en compost. Un compost qui servira à faire de nouveaux légumes qui seront distribués aux restaurateurs. La boucle est bouclée.

Projet de fin d’études

L’idée de Vépluche, c’est donc de concevoir les poubelles. Ce ce n’est pas exactement ce qu’imaginait Clara en poussant la porte de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, à Paris (7 e). L’étudiante voulait alors, simplement, « changer le monde ». Son plan : enseigner dans cette grande école, « avoir une grille de lecture de la société » pour faire une carrière dans une grande organisation où elle aurait de « grandes responsabilités ». Dans sa ligne de mire, l’Organisation des nations unies, rien de moins.

« En seulement quatre mois, nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique. »

« “Tu voulais être diplomate”, m’a évoqué récemment ma grand-mère ! », déclare l’entrepreneuse. Mais, entre le moment où la native de Toulouse a gommé son accent du Sud-Ouest et celui où ses camarades de promotion ont passé le concours de conseiller cadre d’Orient, sa vision des choses à faire pour « changer le monde » s’est infléchie. Elle a, en amuse-bouche de sa future carrière, testé la grande entreprise lors d’un stage chez Airbus en tant que « storyteller ». « J’étais chargée d’écrire sur les succès de l’avionneur », explique-t-elle. Après quelques mois, elle éprouve le besoin de se confronter à un public et intègre l’Institut français, à Rome, où elle travaille à promouvoir la littérature française.

Simultanément, une autre voie s’esquisse. « A mon arrivée à Paris, à 18 ans, j’avais constaté qu’il n’y avait pas de tri des déchets alimentaires dans la capitale », déclare-t-elle. Une idée germe alors dans son esprit. Et, cette fois encore, l’école lui donne une clé : son projet de fin d’études de master en affaires européennes qu’elle décide d’orienter « business ». Clara et trois autres étudiantes imaginent un projet de collecte des déchets des lieux de restauration en vélo cargo. « En seulement quatre mois, nous avions été hyper loin. Nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique », se félicite-t-elle. Romain Slitine, maître de conférences en entrepreneuriat social à Sciences Po, remarque la qualité du projet. « L’enjeu, c’est de le rendre concret et de passer à l’action », témoigne-t-il. Vépluche existe sur le papier et les tableaux Excel… Il ne reste plus qu’à le lancer. Ou pas.

« Souvent, les femmes s’autocensurent »

« La peur, c’est comme une petite sœur. Sa petite voix, on la laisse à l’arrière de la voiture », s’amuse Clara. Mais parfois, elle vous couvre : « Est-ce que je veux autant de responsabilités ? Est-ce que je veux monter une boîte ? Est-ce que je peux seulement le faire ? Est-ce que je dois mettre une jupe ou un col roulé ? Comment cela va-t-il être interprété ? Souvent les femmes se freinent, s’autocensurent. Elles se posent tellement de questions… »

« On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris. Vous imaginez l’impact ? »

Son master en poche, la jeune femme essai d’entrer à HEC. Première claque, elle n’est pas admise. « De rage, j’intègre un programme, Women4Climate, un système de mentorat qui encourage l’action des femmes qui veulent lutter contre le changement climatique, chacune à sa manière. » Un réseau de décideuses dont la voix porte bien plus fort que la petite sœur abandonnée à l’arrière de l’auto. Boostée par ces femmes qui osent, Clara lance Vépluche en 2018.

« J’avais déjà aperçu les possibilités de l’entrepreneuriat social chez Phenix », une jeune société qui s’attache à donner une seconde vie aux produits usagés et travaille à rendre la consommation plus responsable et économe en ressources. « J’y ai découvert qu’on pouvait faire du business avec un impact social ou environnemental positif. Ça m’a aidée à ôter les œillères que j’avais pour le privé. En janvier 2018, je suis repartie de zéro pour monter mon entreprise. »

Avec le soutien d’un associé et l’aide de deux collaborateurs, « Cocotte », le vélo fourgon, déambule quotidiennement dans les rues de la ville à l’assaut des poubelles des restaurateurs. Le défi : convaincre, expliquer aux gérants et patrons de cuisine l’intérêt collectif d’un circuit court et circulaire. A Boulogne-Billancourt, les restaurants L’Atelier, La Terrasse Seguin, 750 g La Table figurent parmi les trente clients pionniers. Grégory, patron du Pré en bulles, avoue « approuver une démarche qui (…) permet de [se] sentir responsables ».

L’espoir de Vépluche, c’est une prise de conscience collective que ce qui peut être consommé et transformé à l’échelle locale doit l’être. « On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris, prévoit Clara. Vous imaginez l’impact ? » Sortir le diesel, voire le moteur à explosion de la grande ville et le modifier par des transports doux. Pourquoi pas ? « Allez, Cocotte ! »

Les nouveaux directeurs d’Ascoval saisissent l’aciérie nordiste

Usine d’Ascoval à Saint-Saulve, dans le Nord, 8 novembre 2018.
Usine d’Ascoval à Saint-Saulve, dans le Nord, 8 novembre 2018. Pascal Rossignol / REUTERS

Ils ont aussitôt les clés d’Ascoval. Le 1er février, le groupe Altifort est entré en possession de l’aciérie de Saint-Saulve (Nord), près de Valenciennes. Après quarante-deux années passées dans le giron de Vallourec, et un an d’administration judiciaire, l’usine tourne une nouvelle page de son histoire. Elle se voit difficile. D’ailleurs, les salariés, touchés par le chômage partiel, en conviennent. Jeudi 29 janvier, Bart Gruyaert, le coactionnaire d’Altifort, avait confié à Franceinfo qu’il faudrait attendre « un délai de douze à quinze mois » pour assurer la survie de ce site sidérurgique refait à neuf en 2014.

L’acquéreur, qui a promis d’investir 152 millions d’euros pour son développement, a fort à faire. Alors que l’usine procurait exclusivement Vallourec, et depuis deux ans Ascometal (Schmolz + Bickenbach), elle doit désormais trouver de nouveaux clients, car « ces deux donneurs d’ordre sont désormais des concurrents », confirme Cédric Orban, son directeur.

Précipitamment, trois commerciaux devraient rattraper l’aciérie afin de multiplier les démarches auprès de clients potentiels à travers l’Europe et le monde. Pour M. Gruyaert, il faudra en trouver au moins « 40 à 50 » pour affirmer le plan de charge de l’usine de 281 salariés, qui est dotée de près de 500 000 tonnes de capacité de fabrication d’acier. L’usine n’est pas dénuée d’atouts, selon son nouveau propriétaire : « Elle est la moins polluante du monde et la deuxième plus moderne d’Europe. »

Diminuer les coûts de production

Durant l’acquisition, « on a fait un budget pour 2019 avec une production de 200 000 tonnes et aujourd’hui, la majorité de ce tonnage est déjà engagée. On se situe sur le marché des aciers spéciaux, dans lequel il y a seulement 10 % d’importations hors d’Europe », déclare le cofondateur d’Altifort. « Nos aciers ronds ont des caractéristiques mécaniques supérieures aux aciers ordinaires pour des environnements hostiles comme le nucléaire, les essieux de TGV », garantis le chef d’entreprise. De manière générale, plus l’acier est spécial, plus il est susceptible d’être vendu à un prix élevé.

Alors que près de 200 devis et cotations ont été rédigés ces derniers mois, « tous souhaitent nous tester avant d’aller plus loin, explique M. Orban. Ils nous commandent typiquement une ou deux coulées de 200 tonnes. Ensuite, si cela correspond à la qualité attendue et au coût espéré, cela peut rapidement monter à plusieurs milliers de tonnes. » En plus des petites commandes, de 3 000 à 5 000 tonnes, M. Gruyaert espère attirer de gros clients pour plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an, notamment dans le secteur pétrolier, mais le marché de l’acier spécial s’est tendu fin 2018.

Pour le sidérurgiste, l’urgence est de diminuer encore ses coûts de production. L’an dernier, le prix de revient d’une tonne d’acier a déjà fondu de 400 à 270 euros, alors que celui du marché se situe autour de 220 euros… « A terme, nous visons un coût de 185 euros la tonne, souligne Cédric Orban. Afin de l’atteindre, nous avons déjà engagé une multitude de petites actions, entre la renégociation de certains contrats et l’amélioration continue de nos processus de fabrication. »

Des pièces à forte valeur ajoutée

  1. Gruyaert entend pareillement mieux valoriser sa forge pour varier sa production avec des pièces à forte valeur ajoutée. Enfin, dans le même esprit, Altifort s’est engagé, lors de la reprise du site, à installer un train à fil. Les études de marché doivent être lancées dans les semaines à venir et les premières machines devraient arriver à l’horizon 2020-2021.

Assez rapidement, Altifort devrait pouvoir compter sur l’argent public promis par l’Etat (25 millions d’euros), la région (12 millions) et la communauté de communes du Valenciennois (12 millions). Jeudi, lors de la séance plénière du conseil régional des Hauts-de-France, les élus ont voté son prêt de 12 millions afin de financer le fonds de roulement de l’aciérie.

« Il faut aussitôt que les marchés soient au rendez-vous, commente la sénatrice UDI du Valenciennois, Valérie Létard. Et il faut aller vite dans la mise en œuvre et l’accompagnement pour un train à fil. » Très engagée dans ce dossier, l’élue rappelle qu’« aucun projet n’est sans risque, mais ce qui aurait été grave, c’est de croire qu’il n’y avait pas d’avenir industriel dans notre région. C’est un vrai beau projet ».

Dès la semaine prochaine, Mme Létard collaborera au démarrage d’une commission d’information sur la filière sidérurgique en France. « Les vingt-sept sénateurs de cette mission seront chargés, confie-t-elle au Monde, de faire un point sur la filière pour regarder les dossiers, anticiper et sécuriser la sidérurgie française. »

Le secteur de la construction est un moteur de l’emploi en Espagne

Construction d’un imeuble d’habiation à Barcelone, en novembre 2017.
Construction d’un imeuble d’habiation à Barcelone, en novembre 2017. ALBERT GEA / REUTERS

En 2018, 566 000 emplois nets ont été créés en Espagne en 2018(+ 3 %), dont 136 000 dans le secteur de la construction. Le taux de chômage redescend à 14,45 %, mais les emplois restent précaires.

Les forêts de grues sont revenues dans le paysage espagnol. Tout autour de Madrid, la vigueur du secteur de la construction saute aux yeux et se traduit aussi dans les chiffres de l’emploi. En 2018, 566 000 emplois net ont été créés en Espagne (+ 3 %), principalement dans le secteur des services (428 000), mais aussi dans la construction (136 000), selon l’institut national de statistique. Le taux de chômage est ainsi redescendu à 14,45 % des actifs, alors qu’il frôlait les 27 % en 2013.

La banlieue nord de Madrid, la plus cotée, ne compte plus les chantiers résidentiels, comme à Majadahonda, à 16 kilomètres de la capitale, où s’affaire José Luis Gutierrez. « Je coordonne la construction de cinquante pavillons par cent vingt ouvriers », montionne ce chef de chantier quinquagénaire, dans le bruit des bétonneuses et des camions. Alors que, derrière lui, d’autres grues travaillent à l’édification de pavillons individuels et d’immeubles, il assure avoir des difficultés pour recruter car, « durant dix ans, plus personne n’a appris les métiers, et nous manquons de personnel expérimenté ».

« Après une traversée du désert très difficile pour le secteur, cela fait maintenant trois ans que la construction récupère le terrain perdu, explique Daniel Cuervo, secrétaire général de l’Association des promoteurs et constructeurs d’Espagne. En 2018, près de 100 000 permis de construire ont été accordés, contre 50 000 en 2015. La demande interne est repartie, et les acheteurs internationaux représentent près de 20 % des transactions d’achat-vente. » Il témoigne que les constructeurs peinent à trouver des travailleurs qualifiés. « Beaucoup d’étrangers ont quitté le pays durant la crise, et les plus âgés de la main-d’œuvre locale sont partis à la retraite. Et, malheureusement, la construction n’est pas un secteur attractif pour les jeunes. Nous devons nous réinventer et introduire plus de technologie pour qu’elle le devienne… », déclare-t-il.

Les conditions de travail se sont dégradées

L’Espagne reste loin des niveaux d’activité de 2008, lorsque le pays vivait un boom économique appuyé par une bulle immobilière. Si près de 1,4 million de personnes travaillent maintenant dans le secteur de la construction, ce qui correspond à 8,7 % des emplois, ils étaient 3 millions en 2008. Surtout, les conditions de travail se sont dégradées, comme l’assure, Alejandro Beas, ouvrier sidérurgiste de 54 ans : « Avant la crise, pour neuf heures de travail par jour, je gagnais 1 800 euros mensuels. Aujourd’hui, pour dix heures, on me paie 1 300 euros. » Hassan, 39 ans, lui, se réjouit d’être embauché « depuis un an, sans pause », ce qui ne lui était pas arrivé ces huit dernières années.