Un chef de caisse nettoie les chariots avant l’ouverture du supermarché, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 18 mars. LUCAS BARIOULET POUR « LE MONDE »
Le gouvernement table sur l’instauration de l’état d’urgence sanitaire pour maintenir l’activité dans les entreprises « de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale », selon le texte du projet de loi discuté, mercredi 18 mars après-midi, en conseil des ministres. Objectif : éviter un arrêt complet de l’économie tricolore, alors que la France s’impose des mesures de confinement pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.
Quelques heures avant la discussion du projet, Bruno Le Maire, ministre de l’économie, avaitinvité « tous les salariés des entreprises encore ouvertes et des activités indispensables au bon fonctionnement du pays – nettoyage, traitement des eaux, industrie agroalimentaire, grande distribution – à se rendre sur leur lieu de travail ». Manifestement,le gouvernement s’inquiète de la colère qui gronde chez les salariés maintenus en poste, faute de pouvoir télétravailler, et de la peur qui tétanise les employés des secteurs jugés « essentiels ».
Le président délégué du Medef s’alarme déjà d’un « changement d’attitude brutal » des salariés, depuis l’adoption de mesures de confinement mardi 17 mars. Car « de nombreux salariés ont demandé à ce que leurs employeurs prennent des mesures d’activité partielle sans quoi ils exerceraient un droit de retrait », a déclaré Patrick Martin mercredi, à l’Agence France-Presse (AFP), se disant « très préoccupé » par la situation.
PSA a fermé tous ses sites de production européens. Renault a suspendu la production de ses douze usines en France. Les manufactures Chanel sont à l’arrêt. « Alors, pourquoi pas nous ? », s’agace un manutentionnaire, Jean-Christophe Leroy, élu CGT de La Redoute. A Wattrelos (Nord), une trentaine des 50 salariés de l’entreprise de vente à distance a alerté l’entreprise, mardi 17 mars, lors d’un débrayage au sein de ce site qui expédie ses colis. Malgré la réduction des effectifs, la fermeture des vestiaires pour éviter la promiscuité et la distribution de gants, « il est aberrant de nous faire travailler pour expédier des tee-shirts », juge M. Leroy.
Conditions de sécurité insuffisantes
Chez Amazon, la fronde menace. Alors que le site de vente en ligne connaît un regain d’activité depuis la fermeture des magasins non alimentaires, samedi 14 mars, « les consignes contre le coronavirus ne sont pas respectées », assure Gaël Begot, élu CGT au sein de l’entrepôt du groupe américain, situé à Lauwin-Planque (Nord). Depuis mardi, des salariés Amazon s’y mobilisent contre les conditions de sécurité jugées insuffisantes et mal appliquées, ainsi que dans deux autres sites, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et Montélimar (Drôme), énumère Julien Vincent, délégué général CFDT Amazon. Plus d’une centaine d’employés ont exercé leur droit de retrait, estimant que le coronavirus les met en danger sur leur lieu de travail, selon la CFDT. SUD-Solidaires à Saran et la CGT à Lauwin-Planque l’envisagent aussi.
« A ce stade, pas d’évolution. » La réponse du cabinet d’Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat notamment chargé du dossier de la fonction publique, est laconique. Le jour de carence qui s’applique aux fonctionnaires depuis 2018 ne sera pas suspendu le temps de l’épidémie causée par le coronavirus. Les agents publics qui se trouvent en congé maladie du fait du Covid-19 ne bénéficieront du maintien de leur rémunération qu’à partir du deuxième jour d’arrêt.
Cinq syndicats de fonctionnaires (CGT, Fédération autonome, FO, FSU, Solidaires) ont écrit au premier ministre, mardi 17 mars, pour lui demander que l’abrogation de cette « mesure vexatoire » soit incluse dans le projet de loi d’urgence. Mais le texte adopté par le conseil des ministres, mercredi, ne prévoit rien de la sorte.
« C’est une situation absolument invraisemblable, s’agace Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT-Fonction publique. Je n’arrive pas à comprendre cet entêtement. » Un agent, souligne M. Canon, qui devra rester chez lui pour télétravailler ou garder ses enfants sera payé intégralement. Mais le jour où il tomberait malade du Covid-19, il perdrait une journée de salaire.
Souplesse demandée
Par ailleurs, écrivent les syndicats dans la lettre envoyée à Edouard Philippe, « l’engagement avait été pris devant toutes les organisations », par Olivier Dussopt,de ne pas appliquer le jour de carence. « Ce dernier pourtant est revenu ensuite sur cet engagement à un moment où toute tergiversation n’est plus acceptable, regrettent-ils dans la même missive. Dans une crise sanitaire qui coûtera des milliards à l’économie française, récupérer de l’argent sur le dos de fonctionnaires malades serait très loin des propos du président de la République sur la solidarité et la responsabilité. »
Selon la CGT, le secrétaire d’Etat a promis d’envoyer une circulaire aux employeurs publics pour leur demander de faire preuve de souplesse et de ne pas appliquer le jour de carence pendant l’épidémie. Mais une circulaire « n’a pas force de loi », rappelle Jean-Marc Canon.
C’est ce que confirme Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale : « Ça ne marche pas, les circulaires, explique-t-il. C’est une loi qui a instauré le jour de carence pour les fonctionnaires, c’est elle qui s’impose à nous. »
La coordination des employeurs territoriaux, dont M. Laurent est porte-parole, demande également la suspension du jour de carence. Une question de symbole et d’« équité avec le privé où les employeurs ne l’appliquent pas de fait ». Bref, les fonctionnaires sont défavorisés par rapport aux salariés du privé, car leurs employeurs publics sont tenus par la loi et n’ont pas la même souplesse.
Mais tout n’est pas perdu. Lors de l’examen, jeudi 19 mars au Sénat, du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie, un amendement sénatorial devrait proposer de faire du Covid-19 un motif légal d’exception, permettant de ne pas appliquer le jour de carence aux fonctionnaires. « Olivier Dussopt y est favorable, assure une source proche du dossier, mais ce n’est pas le cas de tout le monde au gouvernement. Cet amendement permettra peut-être de faire bouger les choses. »
Sur le site Amazon de Lauwin-Planque (Nord), en décembre 2019. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS
« On ne blague pas avec le Covid-19 : Amazon doit prendre ses responsabilités et demander à ses salariés de se confiner afin de limiter la propagation du virus ! » Le mot d’ordre résume la mobilisation naissante parmi certains salariés français du leader mondial de la vente en ligne. Cette revendication est extraite d’un tract qui appelait à la « grève » et à un rassemblement sur le parking de l’entrepôt d’Amazon à Saran, près d’Orléans, de 11 heures à 15 heures, ce mercredi 18 mars. Il est soutenu par les syndicats SUD, UNSA, CFE-CGC, Cat et CGT.
D’autres salariés se mobilisent contre des conditions de sécurité jugées insuffisantes et mal appliquées, aux Etats-Unis mais aussi en France, notamment sur le site de Lauwin-Planque, dans le Nord. « Les gens ont peur, explique Gaël Begot, élu CGT de cet entrepôt. Les consignes contre le coronavirus ne sont pas respectées sur le site : on manque de gel hydroalcoolique, les gens ne peuvent se tenir à un mètre les uns des autres quand ils badgent ou à la cantine, on nous demande de tenir des rampes en métal que tout le monde touche… Pour Amazon, c’est le pognon avant tout. »
Les cadres en télétravail
« Les distances de sécurité entre salariés ne sont pas respectées pendant le travail et les pauses », abonde Khaled Bouchajra, élu CGT du site de Saran, photos à l’appui. « Le gouvernement préconise de ne pas côtoyer plus de cinq personnes hors de son cercle familial, ce qui n’est pas possible sur les sites d’Amazon », dénonce le tract intersyndical.
Les nettoyages ont été renforcés et les employés sont tenus de désinfecter leur poste après chaque tranche de travail
Contacté, le groupe dit « placer la santé de ses employés et de ses partenaires en priorité absolue ». L’entreprise a conseillé le télétravail à tous ses salariés dont l’activité permet de rester chez soi. Ce qui est le cas des cadres, mais pas des nombreux employés des entrepôts, chargés de la logistique des colis vendus en ligne. Pour eux, le géant américain dit suivre les recommandations sanitaires du gouvernement sur tous ses sites. Les nettoyages ont été renforcés et les employés sont tenus de désinfecter leur poste après chaque tranche de travail. Les lieux de travail et de repos ont été aménagés, avec des autocollants au sol indiquant les distances à respecter, ajoute-t-on. Les pauses auraient aussi été échelonnées pour réduire le nombre de gens en contact, toujours selon Amazon.
Pour faire face à l’afflux de demandes de livraison émanant de clients confinés dans le monde, l’entreprise de Jeff Bezos a aussi annoncé, mardi 17 mars, l’embauche de 100 000 employés à temps plein ou partiel. Et une hausse temporaire du salaire horaire de deux dollars ou deux euros, aux Etats-Unis et en Europe, jusqu’à fin avril.
« Amazon joue avec notre santé en continuant d’intégrer des intérimaires dans un contexte où la promiscuité est à proscrire », rétorque l’intersyndicale de Saran. A Lauwin-Planque, 300 employés temporaires ont été intégrés au cours des trois derniers jours, selon M. Begot. Et au total, 3 000 personnes travaillent aujourd’hui sur le site, qui compte 1 743 employés à plein temps, affirme l’élu. L’activité est inférieure au gros pic de Noël (jusqu’à 5 000 employés) mais supérieure à la moyenne (autour de 2 500), explique encore le délégué CGT.
Le droit de retrait envisagé
« La hausse de salaire temporaire de deux euros par heure, c’est comme un bonbon donné à un enfant pour qu’il reste sage », critique encore l’élu.
Pour faire pression sur la direction, les syndicalistes souhaitent exercer leur droit de retrait, estimant que le coronavirus les met en danger sur leur lieu de travail. C’est le cas de Jean-François Bérot, responsable syndical SUD-Solidaires à Saran, cité par La République du Centre. Et de M. Begot à Lauwin-Planque. Ainsi que de la CFDT d’Amazon au niveau national. Les syndicats incitent les salariés à faire de même. « Mais la direction met la pression sur les employés, qui ont peur de perdre leur job s’ils demandent à exercer leur droit de retrait », fait savoir M. Begot. L’élu dit avoir rencontré, mardi, la préfecture du Loiret, avec d’autres responsables syndicaux, afin d’alerter sur la situation.
De son côté, Amazon communique depuis mardi sur l’utilité de son activité en temps de confinement : « Les clients n’ont, pour beaucoup, pas d’autre moyen d’obtenir des produits essentiels », argumente-t-on. L’entreprise dit prioriser temporairement les « produits de nécessité » dans les livraisons de vendeurs vers ses entrepôts. Pour les élus de Saran, l’activité de la société n’est pas « essentielle ».
Cinq cas en Italie et en Espagne
En Italie et en Espagne, cinq cas de Covid-19 se sont déclarés chez des employés du groupe, selon l’agence Bloomberg. La direction a décidé de ne pas fermer les trois sites concernés, rapporte la dépêche. Cette politique de continuation d’activité a suscité un appel à la grève sur le site italien de Castel San Giovanni (au sud de Milan), affirme Bloomberg. Si aucun cas n’est confirmé en France à ce stade, les élus syndicaux jugent l’exemple espagnol inquiétant.
Aux Etats-Unis aussi, des employés jugent les mesures de protection trop faibles chez Amazon. Un collectif de salariés a lancé une pétition demandant des gestes de la direction pour compenser la « pression » créée par la hausse des commandes : suspension de l’application des quotas de productivité et de leur hausse, augmentation de 50 % des salaires, accès au congé maladie même sans diagnostic officiel du coronavirus, en raison de la pénurie de tests… Les 1 500 pétitionnaires demandent aussi que les frais de garde d’enfants soient couverts par le fonds de 25 millions de dollars (22,8 milliards d’euros) que le groupe a mis en place pour aider financièrement les intérimaires et livreurs indépendants atteints par le coronavirus.
Plusieurs employés dénoncent une injustice par rapport aux cadres qui télétravaillent : « Nous, simples petits ouvriers, avons juste le droit d’être confrontés à notre cher petit virus et de potentiellement le transmettre à nos proches et tout ça, avec le sourire », ironise le tract de Saran.
Selon une enquête publiée le 12 mars, « près d’un tiers des entreprises et des salariés installent régulièrement (6,4 jours par mois) leur bureau à domicile, les cadres toujours en priorité ». Ingram / Photononstop
Carnet de bureau. Fait à la maison ! Le domicile est le lieu privilégié de 90 % des télétravailleurs (les autres travaillent dans un espace mis à disposition par leur entreprise ou en coworking). Mais 19 % seulement ont une pièce réservée à cet usage, pour les autres, les dossiers professionnels doivent trouver leur place entre le canapé et les jouets du petit dernier. L’ordinateur, portable de rigueur, sur un coin de bureau, voire dans la cuisine pour être tranquille.
« Le télétravail régulier est une pratique encore peu répandue », indiquait le ministère du travail dans sa dernière étude basée sur les chiffres 2017. Seuls 3 % des salariés y avaient alors recours au moins un jour par semaine, surtout des cadres (61 %). La pratique s’est, semble-t-il, répandue sans attendre les aléas de la pandémie de Covid-19. L’enquête du mutualiste Malakoff-Humanis, réalisée de novembre 2019 à février 2020 et publiée le 12 mars, révèle que près d’un tiers des entreprises et des salariés installent régulièrement (6,4 jours par mois) leur bureau à domicile, les cadres toujours en priorité.
Mais travailler à domicile, ça s’apprend. « Je m’suis mis en télétravail, mais j’ai oublié le chargeur du PC portable », tweetait Ahsad, le 12 mars, à quelques heures de l’allocution du président invitant les entreprises à demander à leurs salariés de rester chez eux.
Et ça se prépare : le télétravail n’est pas le même avec ou sans enfant à la maison. Les animaux domestiques doivent aussi être pris en compte. Les miaulements énervés d’un chat interrompent à coup sûr le télétravail. Plus d’un salarié sur deux (58 %) constate qu’il devient difficile de séparer les temps relevant de la vie privée et ceux de la vie professionnelle. « Je n’avais pas pensé que le télétravail m’obligerait à préparer mon déjeuner », notait Florence, coincée chez elle pendant les grèves de décembre.
Une appli costume-cravate
La majorité des salariés interrogés par Malakoff-Humanis (57 %) observent que les échanges entre collaborateurs se complexifient. Chacun sait qu’un courriel peut être mal interprété, et qu’il faut hiérarchiser ses moyens de communication.
C’est surtout chaotique quand on passe au télétravail du jour au lendemain, car les outils et leur maîtrise jouent un rôle important, explique Elise Geinet, responsable commerciale en télémédecine, en télétravail depuis deux ans. « Moi, je suis dans le secteur numérique, alors j’ai les outils et les réflexes. Je fais partie d’une équipe d’une dizaine de personnes, sans compter les collègues techniques, on communique énormément. Téléphone, Skype… hier, le serrurier est venu poser des verrous alors que j’étais en vidéoconférence, j’ai juste mis l’ordi sur silencieux, ouvert la porte au technicien, puis ai facilement repris le fil de la réunion. »
« Dans les deux mois suivant la date à laquelle il a prévenu son employeur de son intention de reprendre son travail, l’ex-élu retrouvera son emploi assorti d’une rémunération équivalente » (Mairie d’Arles, le 19 février). GERARD JULIEN / AFP
Droit social. A la suite des élections municipales, plusieurs dizaines de milliers de salariés, et en particulier des cadres, vont devenir titulaires d’un mandat local. On compte actuellement 16 % de cadres candidats, après les retraités (41 %), mais avant les agriculteurs (14 %).
Comment concilier la charge, extrêmement variable selon la taille de la population et le niveau de responsabilité du maire, de l’adjoint au maire, ou du conseiller municipal, avec l’activité salariée ? La loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a voulu faciliter cette conciliation, nécessaire à la sauvegarde d’un bon vivier de candidats pour assumer ces fonctions plébiscitées par les Français (63 %).
Crédit d’heures
En début de mandat, le nouvel élu salarié peut, à sa demande, bénéficier d’un entretien individuel spécifique avec son employeur. Son but ? Fixer les modalités pratiques d’exercice de son mandat et faciliter l’organisation de la double vie professionnelle et municipale. Mais aussi évoquer les conditions de rémunération des absences consacrées à ces fonctions sous forme de crédit d’heures trimestriel : de dix heures trente pour les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants, à cent vingt-deux heures trente pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants.
Si l’employeur doit laisser à tout membre d’un conseil municipal le temps nécessaire pour se rendre aux réunions et participer aux travaux préparatoires, il n’est pas tenu de les payer. Ce qui, en l’absence de compensation par la collectivité locale, peut dissuader des candidats et mettre les élus en difficulté financière, même si nombre de réunions sont programmées en début de soirée.
Réservée aux maires et à leurs adjoints des communes de plus de 10 000 habitants, la suspension du contrat de travail liée à l’élection n’est pas automatique : c’est à l’élu de la demander à l’employeur… qui ne peut en principe pas la refuser, s’il a plus d’un an d’ancienneté.
Dans les deux mois suivant la date à laquelle il a prévenu son employeur de son intention de reprendre son travail, l’ex-élu retrouvera son emploi assorti d’une rémunération équivalente, bénéficiant de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie pendant l’exercice de son mandat de six ans.
Sanctions pénales
Alors qu’avant 2020, toute rupture du contrat de travail d’un élu local par l’employeur nécessitait l’autorisation expresse de l’inspecteur du travail, ce qui pouvait dissuader certaines entreprises d’en embaucher, le législateur le fait désormais simplement bénéficier de la protection générale contre les discriminations en matière d’embauche, d’affectation, de rémunération, et bien sûr de rupture (L 1132-1). Avec une obligation de réintégration sous astreinte si la discrimination est avérée.
Rue Bayen, dans le 17e arrondissement de Paris, de nombreuses personnes font la queue sur le trottoir pour se rendre à La Poste, le lundi 16 mars. JULIEN MUGUET « POUR LE MONDE »
La distribution du courrier était maintenue, mardi 17 mars, mais des facteurs ont fait valoir leur droit de retrait partout sur le territoire, estimant que les mesures prises par La Poste sont insuffisantes pour protéger leur santé et celle du public face au coronavirus.
Interrogée mardi matin par l’Agence France-Presse (AFP), la direction de La Poste a fait savoir qu’elle était en train de faire le point de la situation. Elle a précisé que « 1 600 bureaux de poste étaient ouverts mardi » sur 7 740, assurant « les opérations prioritaires : retrait-dépôts d’espèces, mandat cash, retraits de courriers-colis en instance ». « 80 % des factrices et des facteurs, soient environ 55 000, assurent leurs tournées ce jour. L’appareil industriel de La Poste fonctionne normalement [centre de tri pour les courriers et les colis] », a-t-elle ajouté.
Une vingtaine de départements concernés
Des postiers « ont exercé leur droit de retrait à Marseille, Lille, Lorient, Toulouse, Caen, Vitrolles, Paris, Chambéry, Le Mans, Bayonne, Bergerac, Montpellier, Sarlat, en Seine-Saint-Denis, dans le Puy-de-Dôme, l’Aube, la Haute-Normandie, en Gironde, dans le Finistère, le Val-de-Marne, la Sarthe et les Hauts-de-Seine, et la colère monte un peu partout sur le territoire pour les mêmes raisons, certains directeurs locaux tentant de s’y opposer », a affirmé, de son côté, SUD-PTT, qui dénonce « un manque de protection élémentaire ». « A Paris, l’ensemble des fédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, SUD-PTT, UNSA, CFTC, CGC) ont dénoncé les pressions exercées sur les salariés dans l’exercice de leur droit de retrait », a déclaré à l’AFP Eddy Talbot (SUD-PTT).
Lors d’une réunion avec la direction des ressources humaines du groupe, elles ont aussi demandé « que les missions indispensables soient redéfinies avant toute chose mais la direction a estimé que toute l’activité devait être assurée », a-t-il déploré, évoquant un « silence au sujet des personnes contaminées ».
« Un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle »
« Une bouteille d’eau, un paquet de mouchoirs jetables et un sac-poubelle : c’est tout ce que La Poste a fourni aux facteurs au lendemain de l’allocution du président de la République annonçant le confinement [des Français] », a dénoncé auprès de l’AFP François Marchive, responsable de SUD-PTT Isère-Savoie. Chargé de la distribution du courrier, il s’insurge : « Des mesures ont été prises dans les bureaux de poste mais, du côté des facteurs, rien n’est fait ! Les agents mettent leur vie en danger. »« On va demander à être reçu par le préfet et à avoir un contact avec le cabinet du ministre de la santé [Olivier Véran] », également ancien député de l’Isère, a-t-il ajouté.
Dans les Hauts-de-Seine, « 200 postières et postiers exercent depuis lundi leur droit de retrait, majoritaire dans les établissements courrier d’Asnières, Gennevilliers, Levallois, Villeneuve-La-Garenne, Clichy, Fontenay-aux-Roses, Malakoff, Courbevoie » et de nombreux facteurs ont aussi cessé le travail à Boulogne, Nanterre et Neuilly, précise SUD-PTT 92 dans un communiqué.
Selon Serge Bourgin, secrétaire départemental SUD-PTT35, « le mécontentement est fort à la plate-forme industrielle courrier [PIC] de Rennes, un établissement qui compte 410 salariés, maintenus au travail sur les machines de tri, malgré les demandes de droit de retrait et alors qu’il y a des cas de contamination avérés ». « La direction de La Poste veut maintenir l’activité. Hier, il y avait un peu plus de 350 bureaux de poste ouverts, aujourd’hui 69, il y a eu quatre bureaux avec des gens malades, fermés en catastrophe », a ajouté ce syndicaliste.
« En 2018, un superviseur de l’usine de Renton (Washington) voulait arrêter les cadences de production qui créaient un problème de sécurité : cette requête a été refusée » (Photo: sur les lieux du crash du Boeing de l’Ethiopian Airlines, le 11 mars 2019). Mulugeta Ayene / AP
Tribune. A la lecture du rapport préliminaire de la commission des transports du Congrès américain sur le Boeing 737 MAX, publié le 6 mars, mais passé inaperçu pour cause de coronavirus, c’est un vrai « dieselgate » de l’industrie aéronautique que l’on découvre. On se demande comment Boeing a pu affirmer si longtemps que ses avions défectueux voleraient à nouveau rapidement. Car le bug à l’origine des deux crashs de la Lion Air (2018) et de Ethiopian Airlines (2019) n’est pas une cause, mais un aboutissement.
La commission d’enquête a reçu 600 000 pages de documents, a mené vingt auditions officielles et, une fois en action, a reçu nombre d’informations émanant de lanceurs d’alerte.
Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence, quels que soient les problèmes de production rencontrés en cours de route.
Il y a aussi eu des erreurs de jugement sur les technologies critiques pour la sécurité de ces avions désormais cloués au sol. On a peine à croire que Boeing a délibérément relié à un seul capteurle fameux système MCAS [le système automatique antidécrochage], à l’origine des crashs. C’est en effet le MCAS qui, dans certaines conditions, incline intempestivement le nez de l’avion. Boeing n’a pas voulu déclarer ce système comme étant un équipement « critique », pour éviter de perdre du temps en certification. Or, l’alerte de dysfonctionnement du MCAS ne fonctionnait pas sur la plupart des avions.
Conflit d’intérêt
Plus grave est le conflit d’intérêt, pourtant évident, des employés de Boeing… agissant comme délégués de la Federal Aviation Authority (FAA), le régulateur américain de l’aviation, pour effectuer en son nom le travail de certification.
Il est pourtant évident que, sous la pression commerciale, ce type de délégation est voué à l’échec. Le rapport met en évidence qu’un de ces délégués avait décidé de ne pas insister sur la nouveauté du système MCAS afin d’éviter trop de certifications et de temps de formation sur simulateur de vol, pour permettre aux pilotes du 737 NG de voler directement sur le 737 MAX.
Pour le Congrès américain, la pression commerciale d’Airbus et de son A320 Neo a amené Boeing à couper dans les coûts tout en maintenant un planning démentiel pour mener son programme sans jamais ralentir la cadence
Et même lorsque ces régulateurs ont bien fait leur travail, la direction de la FAA a contredit leurs avis à plusieurs reprises, comme l’a constaté la commission. Au sein de la FAA elle-même, la communication était en effet déficiente entre bureaux pourtant responsables conjointement de la certification. Et la FAA n’a tout simplement pas correctement utilisé son pouvoir d’investigation, ne posant pas suffisamment de questions et en n’examinant pas en profondeur les réponses de Boeing.
Devant l’usine Airbus, à Hambourg, lundi 16 mars. FABIAN BIMMER / REUTERS
Airbus a annoncé, mardi 17 mars, la suspension de sa production sur deux de ses quatre sites espagnols et à Toulouse. L’objectif de l’avionneur européen est de «mettre en place les directives» de confinement de la population annoncées, lundi 16 mars, par le gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19. La direction du groupe veut mettre à profitles quatre jours qui viennent pour définir «les conditions de transports» de ses salariés qui seront obligés de retourner à l’usine dès lundi 23 mars. Seuls les personnels nécessaires au maintien de la production reviendront à leurs postes. Les autres devront poursuivre leurs activités via le télétravail.
D’ici lundi, la direction veut désinfecter préventivement les deux sites. Pour préparer «le retour des équipes», elle veut d’abord assurer sa fourniture en blouses, masques et charlottes de protection contre le coronavirus. Le siège de l’avionneur européen, à Toulouse, rassemble chaque jour environ 40 000 salariés, dont 30 000 employés directs d’Airbus.
Feuille de route maintenue
Jusqu’à aujourd’hui, le constructeur semble relativement épargné par la propagation de l’épidémie. «Un seul cas positif» a été détecté en Espagne et un autre parmi la myriade de sous-traitants d’Airbus en France. Toutefois, la décision du groupe semble faire écho à l’appel lancé, lundi, par le syndicat Force ouvrière (FO), la première organisation chez Airbus et notamment à Toulouse. Dans un tract, « FO demande le confinement total pour protéger nos salariés et notre industrie». Une demande qui, si elle était acceptée par la direction, aurait comme conséquence directe l’arrêt total de la production. Une issue que les dirigeants de l’avionneur veulent absolument éviter.
Un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé
De même, un ralentissement de l’activité à cause du développement de la pandémie n’a pas été décidé. Airbus devrait évoquer cette question, «fin mars», à l’occasion de la publication de ses résultats pour le premier trimestre de 2020.
Depuis le début de l’année, l’avionneur n’a pas dévié de sa feuille de route et a poursuivi sa montée en cadence pour produire, chaque année, plus d’avions que la précédente. C’est ainsi que lors des deux premiers mois de 2020, il a produit plus d’appareils que lors de la même période un an plus tôt. En février, les chaînes d’assemblages ont ainsi sorti six unités de plus qu’il y a un an. En mars, Airbus a même «livré à Aeroflot le premier des vingt-deux long-courriers A350» commandés par la compagnie aérienne russe.
L’objectif d’Airbus est de «maintenir l’activité » de ses usines, assurer «la continuité des opérations» pour livrer ses clients. Aujourd’hui, une compagnie doit patienter en moyenne cinq ans avant de prendre livraison d’un avion. Un délai qu’Airbus ne souhaite pas allonger. Déjà ultra-dominateur sur le secteur des moyen-courriers avec plus de 60 % de part de marché, le constructeur aéronautique a vu celle-ci augmenter au-dessus de 70 % à cause des déboires de Boeing dont le 737 MAX, concurrent direct de l’Airbus 320, est cloué au sol de puis le 13 mars 2019, après deux catastrophes qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipages.
Deux heures de réunion téléphonique le matin avec le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et presque autant l’après-midi avec Agnès Pannier-Runacher, sa secrétaire d’Etat. Les représentants des commerçants ont été sollicités toute la journée du lundi 16 mars pour avoir des réponses à la crise financière qui menace les entreprises et ajuster le plan d’urgence pour les commerçants, contraints de fermer boutique à la suite des mesures d’urgence sanitaire.
Le gouvernement leur a promis la mise en place d’un plan qui coûtera un milliard d’euros par mois afin d’aider les 450 000 entreprises indépendantes qui réalisent moins d’un million de chiffre d’affaires par an. Ce fonds sera abondé par l’Etat, les régions, mais aussi par un appel que devrait lancer le gouvernement auprès des grandes entreprises – même si bon nombre d’entre elles sont également en difficulté. Une indemnité forfaitaire de 1 500 euros, dont la fréquence de versement reste à définir, devrait être accordée aux entreprises qui doivent baisser le rideau ou qui ont enregistré une baisse d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires. Elles pourront aussi étaler leurs charges sociales et fiscales sur simple demande, sans pénalité.
« A priori, ce sera sur simple déclaration, sans démarche sophistiquée. Pas besoin de recourir à son expert-comptable », indique Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF). A la différence des précédentes mesures d’aides aux commerçants, pour répondre aux conséquences du mouvement des « gilets jaunes » ou des grèves, que les commerçants avaient trouvé administrativement trop complexes. « Mais on a demandé qu’il y ait une campagne de communication nationale, en télé, radio… pour que le plus petit commerçant du fin fond de l’Aveyron puisse être au courant », poursuit M. Palombi, qui ajoute : « On a demandé aussi l’instauration d’une cellule psychologique, car il y a des chefs d’entreprise qui sont confinés, qui tournent en rond et se demandent comment ils vont pouvoir subsister. »
D’autant qu’ils ont des loyers à payer. Le gouvernement réfléchit, à la demande des fédérations et des associations, à un dispositif fiscal qui inciterait les bailleurs privés, principaux propriétaires des magasins que les petits commerçants exploitent, à suspendre ou différer les échéances. Les grands enseignes, elles, sont en discussion avec les centres commerciaux.
Depuis le 2 mars, Bpifrance, qui accorde des prêts aux petites entreprises, a mis en place des mesures d’accompagnement aux PME touchées par l’épidémie, dont des prêts de trésorerie pour assurer leur fonds de roulement.
L’Etat a demandé également aux assureurs d’intégrer dans les contrats d’assurance la prise en charge de la perte d’exploitation, dont beaucoup de commerçants ne disposent pas. Et ce, de manière rétroactive.
Toutes ces mesures doivent être affinées et seront mises en place très prochainement. Dans son allocution de 20 heures, le président de la république, Emmanuel Macron, devrait les évoquer, avant qu’elles soient détaillées par Bruno Lemaire, mardi 17 mars, à 7 h 45 sur RTL.
« Entre tristesse de fermer et sentiment de participer à l’effort collectif pour lutter contre la pandémie, tous les 2 000 cinémas, soit 6 000 salles en France ont fermé samedi 14 mars à minuit », a expliqué au Monde Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Une situation inédite.
Les salles emploient dans l’Hexagone quelque 15 000 salariés. Et un mois d’exploitation, comme celui de mars 2019, par exemple, représentait 18,34 millions de tickets vendus à 6,70 euros en moyenne, soit un chiffre d’affaires de près de 123 millions d’euros.
L’enjeu est crucial pour les exploitants, mais aussi pour toute la filière – depuis les tournages jusqu’aux distributeurs et aux producteurs. Trois phases d’aides aux entreprises sont prévues. Tout d’abord, le gouvernement a déjà annoncé la mise en œuvre de mesures de chômage partiel, de report des charges fiscales et sociales (URSSAF, impôts), avec, dans les cas les plus difficiles, des remises d’impôts directs. « Il s’agit de mettre en sommeil tous les cinémas », qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, de cinéma en régie… souligne le délégué général de la FNCF.
« Préparer la réouverture des salles »
Dans un second temps, interviendra la mise en œuvre des mesures annoncées vendredi 13 mars par le Centre national du cinéma (CNC), comme lasuspension en mars de la taxe sur les billets (TSA), payée par les exploitants de salles. D’autres coups de pouce avaient été annoncés la semaine dernière, comme le paiement accéléré, dès mars, des subventions Art et essai pour ces 1 200 établissements classés et des aides renforcées aux salles, aux entreprises de distribution et aux producteurs.
« Dans plusieurs semaines, on espère le plus tôt possible, explique M. Sebbag, il faudra préparer la réouverture des salles ». En attendant, pour les films à l’affiche, « ce sera le plus compliqué » puisque leur carrière est stoppée net et ils devront attendre quatre mois avant de pouvoir être exploités en vidéo à la demande » , constate M. Sebbag. Les longs-métrages qui devaient sortir mercredi, pourront certes négocier une sortie avec les plateformes mais devront négocier avec le CNC s’ils ont reçu des aides liées à leur sortie sur grand écran. « Cela devra rester exceptionnel », affirme-t-il.