Artistes, auteurs et vacataires : l’inquiétude monte chez les précaires de la culture

Passage Richelieu à Paris, le 15 mars 2020, des vitres donnent sur un Musée du Louvre vide de visiteurs.
Passage Richelieu à Paris, le 15 mars 2020, des vitres donnent sur un Musée du Louvre vide de visiteurs. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

« Annulez tout, mais payez tout le monde. » Dès le 13 mars, après la cascade d’annulations de foires, expositions, conférences et avant le grand confinement décrété trois jours plus tard, le site Documentations.arts exhortait les lieux culturels à ne pas laisser les artistes en rade. Car la crise sanitaire qui a mis la culture à l’arrêt fragilise avant tout les plus précaires – plasticiens, auteurs, indépendants et vacataires – traités en outsiders d’un monde dont ils sont pourtant les piliers.

Le gouvernement a certes annoncé quelques mesures d’urgence. Le Centre national du livre (CNL) et la Sofia (organisme agréé par le ministère de la culture pour la gestion collective du droit de prêt en bibliothèque) ont décidé de maintenir le versement de leurs subventions aux manifestations littéraires annulées, en contrepartie de leur engagement à verser aux auteurs la rémunération prévue au titre de leurs interventions. Les indépendants et autoentrepreneurs pourront aussi recourir à l’aide de 1 500 euros mise en place par le fonds de solidarité, conditionné à une baisse de chiffre d’affaires de plus de 70 % entre mars 2019 et mars 2020. L’Urssaf, qui gère le recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs, a, de on côté, reporté l’échéance de paiement des cotisations dues normalement au 20 mars.

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Si le gel du calcul des droits pendant la période de confinement offre un répit, les créateurs n’en restent pas moins inquiets. « Ces dispositifs permettent des lissages de trésorerie, guère plus. Aucun dispositif d’aide ne concerne spécifiquement les artistes », déplore Grégory Jérôme, membre du groupe Economie solidaire de l’art (ESA). Quant aux 2 millions d’euros dévolus aux arts plastiques, sur les 22 millions d’euros débloqués le 18 mars par la Rue de Valois, ils sont à l’évidence insuffisants, d’autant que les modalités de reversement sont encore floues. « Si nous ne sommes pas enseignants, nous n’avons pas droit au chômage. Donc nous n’avons aucune rentrée d’argent et des charges qui courent, ne serait-ce que pour nos ateliers », résume l’artiste Agnès Thurnauer, qui doit exposer en mai à la galerie Michel Rein, à Paris.

Aucune compensation financière

L’artiste performeuse Violaine Lochu semble a priori mieux lotie, car elle jouit du statut d’intermittente du spectacle. Mais ses revenus dépendent aussi beaucoup des missions d’action pédagogique menées notamment en école d’art, pour lesquelles elle est rémunérée en vacations ou CDD. « Les interventions qu’on m’avait proposées sont le plus souvent officiellement reportées. Peut-être seront-elles in fine annulées, selon la durée du confinement et la situation économique des structures au sortir de cette période », explique-t-elle, précisant qu’aucune compensation financière ne lui a été proposée. En revanche, les équipes des lieux où elle devait exposer en mai et en juin lui ont promis un revenu minimum. « C’est très important, car cela permet de se projeter et de continuer à créer, indique-t-elle. Cependant, aucun contrat n’a été signé, comme c’est souvent le cas en France, où beaucoup de choses reposent sur la confiance… »

Emplois à domicile : vers la mise en place d’un chomage partiel

Rien ne vous interdit - et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié.
Rien ne vous interdit – et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié. Jochen Tack/ImageBroker / Photononstop

Via les plateformes du Cesu et de Pajemploi, les pouvoirs publics invitent les particuliers qui emploient habituellement des personnes à leur domicile (personnel de ménage, garde d’enfants, etc.), ou qui ont recours à un(e) assistant(e) maternel(le), à verser l’intégralité de leur salaire du mois de mars, même s’ils n’ont eu recours à leur service qu’une partie du mois. S’ils le peuvent.

En contrepartie, un système d’indemnisation comparable à celui prévu dans les entreprises pour les périodes de chômage partiel devrait être prochainement mis en place.

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Il reposerait sur le principe suivant : pendant toute la période où ces salariés ne pourront pas travailler, les particuliers employeurs devront continuer à les payer comme s’ils avaient travaillé en leur versant une indemnité égale à 80 % de leur salaire net horaire, puis ils seront remboursés par l’Etat. Les délais de remboursement n’ont pas encore été précisés.

Ce qu’on sait pour l’heure de la démarche

Dans l’attente, les pouvoirs publics demandent aux particuliers employeurs de ne pas faire leur déclaration du mois de mars. Ils seront informés par e-mail lorsque le dispositif sera opérationnel.

Une fois ce mail reçu, vous devrez alors déclarer et payer les heures réellement effectuées en mars dans les mêmes conditions que d’habitude. Pour les heures prévues mais non travaillées, il faudra remplir un formulaire d’indemnisation accessible sur le site du Cesu ou de Pajemploi. Le remplissage de ce document permettra de calculer le montant de l’indemnité que vous devrez verser à votre salarié, en plus de son salaire.

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Rien ne vous interdit – et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié.

Si vous actionnez le dispositif d’indemnisation mis en place par l’Etat, le montant de l’indemnité versée – et remboursée – ne vous ouvrira pas droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié. Vous ne pourrez y prétendre que sur la partie du salaire payé de votre poche.

Pour le soutien scolaire à distance

En revanche, si vous renoncez à demander le remboursement des heures non travaillées, vous aurez le droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile sur la totalité du salaire versé, dans les mêmes conditions que d’habitude.

En plus de cette indemnité spécifique, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, a annoncé que les cours de soutien scolaire réalisés à distance, via Internet, pendant la période de confinement ouvriraient droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile. Cette mesure exceptionnelle et temporaire ne devrait concerner que le soutien scolaire pour les enfants. Elle ne devrait pas être étendue aux cours particuliers pour les adultes (cours de gym, notamment).

SFR impose une mesure de chômage partiel à « un grand nombre » de ses salariés

Une agence SFR à Caen en novembre 2019.
Une agence SFR à Caen en novembre 2019. SAMEER AL-DOUMY / AFP

Dans une communication faite lundi 23 mars à ses salariés, l’opérateur français de télécommunications SFR a fait part de sa décision de recourir au dispositif exceptionnel de chômage partiel mis en place dans le cadre de la crise sanitaire, qui lui permet de transférer à l’Etat une partie de sa masse salariale.

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« Nous enregistrons une baisse significative de notre activité en raison des mesures de confinement et d’un ralentissement global de l’économie en France, s’est justifié dans un courriel adressé aux équipes de l’entreprise son directeur général, Grégory Rabuel. Dans ces circonstances exceptionnelles, compte tenu des annonces du gouvernement, et comme c’est déjà le cas pour une partie de nos salariés de SFR Distribution [les boutiques] depuis le 16 mars, nous avons décidé de recourir au chômage partiel à compter du 23 mars pour un grand nombre d’entre vous ou plus progressivement pour certains sur une partie de nos activités. » Ne seraient préservés que les personnels attachés aux activités essentielles : entretien du réseau, services techniques, services aux entreprises.

Entre 40 % et 50 % des salariés concernés selon la direction

Un certain nombre de salariés ont déjà été informés de leur mise en chômage partiel, mais le nombre total de personnes concernées n’est pas encore connu. D’après les organisations CGT et SUD, qui se sont associées en intersyndicale pour déplorer cette mesure, environ 60 % des 9 000 salariés de la compagnie pourraient être touchés. De son côté, la direction table plutôt sur une proportion située entre 40 % et 50 %, justifiant qu’il faut aujourd’hui à l’entreprise se concentrer sur ses services prioritaires, son activité commerciale étant à l’arrêt.

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Annoncée lundi matin, à 11 heures, lors d’une conférence téléphonique, la mesure prise par la direction soulève l’indignation des organisations syndicales. « Il s’agit de faire des économies sur la masse salariale en les reportant sur les fonds publics, c’est un manque de solidarité nationale », déplore Sylvie Fondacci, de la CGT, tout en rappelant que, même dans cette période agitée, le groupe Altice, propriétaire de SFR, « est loin de mettre la clé sous la porte ». Elle souligne, en outre, que cette décision lui paraît d’autant plus incompréhensible que la société – constituée essentiellement de cadres désormais – s’était organisée pour favoriser le télétravail, auquel sont astreintes une grande partie des équipes désormais.

En réunion sur zoom, avec les collègues sur les réseaux sociaux et le reste comme au bureau, ou presque

« Si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés. »
« Si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés. » Quentin Hugon / Le Monde

Quand il a su qu’il allait falloir télétravailler, comme ses collègues, Philippe Burger (pseudonyme), cadre à la direction régionale d’une grande banque française, a emporté son équipement à son domicile : ordinateur portable, téléphone mobile professionnel, casque pour conférence audio, etc. Connecté en wifi à la box de la maison, il retrouve son environnement de travail habituel. L’application Skype Entreprise lui permet de partager des documents, de passer des appels audio ou vidéo, de faire de la messagerie instantanée… Une application VPN (Virtual private network) sécurise les communications.

Bref, il peut travailler « comme au bureau » ! « Si ce n’est qu’en début de semaine, quand tout le monde s’est connecté pour télétravailler, le réseau est tombé ! », raconte-t-il. Certes, une petite partie de l’effectif de la banque télétravaille déjà un ou deux jours par semaine, mais l’infrastructure n’avait pas été dimensionnée pour supporter la connexion simultanée de l’ensemble du personnel. Le problème a progressivement été résolu et les communications rétablies.

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Au-delà des applications, le télétravail suppose une bonne connexion. Adeline Autin, assistante des trois cofondateurs de Oodrive, une solution sécurisée de partage de documents dans le cloud, utilise les applications de la société pour échanger ou partager les documents ainsi que pour les synchroniser sur son mobile.

Des salariés pas tous bien équipés

Elle utilise également Skype et Zoom pour les réunions audio et vidéo. Un collègue l’a rapidement initiée – en ligne – à cette dernière application qu’elle n’utilisait pas avant cette semaine. Mais son domicile n’est pas encore connecté à la fibre optique… « Mes outils n’ont pas changé, mais les délais de connexion sont un peu plus longs qu’au bureau et surtout le débit en ADSL [utilisation de la ligne téléphonique pour transmettre des données numériques, N.D.L.R.] est nettement inférieur à celui du bureau », regrette-t-elle.

François Le Gunehec, responsable des comptes clés à l’institut d’études de marché GfK France, n’a pour sa part rencontré aucune difficulté de connexion. Toutes les applications qu’il utilise au quotidien, Skype Entreprise, Teams, Outlook et des applications « maison », sont installées sur son ordinateur portable professionnel. Il y accède via une double authentification : son mot de passe et un code qui lui est envoyé sur son mobile. « La seule différence, c’est qu’au bureau, je branche mon ordinateur portable sur une station d’accueil, ce qui me permet de travailler sur un grand écran, mais à part cela, il n’y a aucune différence entre travailler au bureau ou à domicile. Hormis que je gagne du temps sur le transport et que c’est plus calme chez moi ! ».

Toutefois, selon leur secteur d’activité, les salariés ne disposent pas tous d’un équipement à la pointe et n’ont pas toujours été formés aux applications à utiliser à distance. C’est le cas de Florie Vargas (pseudonyme), qui travaille dans un centre d’appel d’urgence. Elle utilise son ordinateur et son téléphone mobile personnels pour travailler depuis chez elle. « Avec mes collègues, nous avons créé un groupe sur un réseau social pour échanger et résoudre les problèmes que nous rencontrons comme, par exemple, que les appelants ne soient pas renvoyés vers nos messageries personnelles lorsque la ligne est occupée. Nous trouvons des astuces et nous nous soutenons parce que ce n’est pas facile de répondre à des appels d’urgence depuis chez soi », remarque-t-elle.

Dans de nombreuses organisations, cette entraide pallie le manque de formation ou de pratique des outils numériques. Ariane Wantz (pseudonyme), cadre d’un service transverse de l’Assurance Retraite, utilise au quotidien Teams pour le partage de documents, des applications métiers propres à la caisse de retraite, et d’autres outils de messagerie, de réunions, etc. Pour y accéder depuis chez elle, elle doit s’authentifier à l’aide d’une application qu’elle a installée sur son téléphone mobile la semaine dernière. « J’ai reçu le mode opératoire par messagerie, mais il m’a fallu l’aide d’un collègue pour l’activer et savoir m’en servir », reconnaît-elle. Autant d’exemples qui montrent que si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés.

La Poste réduit ses tournées de courrier et colis en raison du coronavirus

Devant une agence de La Poste, à Strasbourg, le 17 mars.
Devant une agence de La Poste, à Strasbourg, le 17 mars. FREDERICK FLORIN / AFP

La Poste n’est désormais plus en mesure d’assurer ses tournées habituelles, six jours sur sept. La pandémie due au coronavirus a déjà entraîné une réduction des effectifs de l’opérateur public. Selon nos informations, le groupe a décidé, lundi 23 mars, de prendre les devants en adaptant son organisation, « pour protéger la santé des postiers et assurer ses missions essentielles ».

Les mesures qui auront le plus de conséquences pour les Français concernent la distribution du courrier et des colis. Le temps de travail des facteurs et des personnels dans les centres de tri va en effet être progressivement réduit, « sans impact sur la rémunération », précise-t-on au sein du groupe. Ils travailleront quatre jours la semaine du 23 au 28 mars, puis trois jours par semaine à partir du lundi 30 mars. Le facteur ne pourra donc plus passer tous les jours pour distribuer les lettres et les paquets. Le principe de maintenir deux à trois tournées par semaine a été évoqué en interne, mais tout dépendra des effectifs réellement présents au jour le jour.

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Pour limiter au maximum le nombre de postiers présents simultanément sur un même site de travail, les prises de services décalées vont se poursuivre. L’objectif étant de ne jamais avoir plus de 50 % des effectifs présents en même temps sur un site.

La priorité donnée aux services assurant un lien social

Concernant les différentes missions du facteur, la priorité sera donnée aux services assurant un lien social avec les clients, comme le portage des repas aux seniors, le portage des médicaments et de produits sanitaires nécessaires aux personnels soignants, ou l’offre « Veillez sur mes parents », avec une visite régulière à domicile du facteur. Cette nouvelle organisation du travail ne remettra pas en question le passage quotidien pour ces services de proximité.

La Poste appelle d’ailleurs ses clients à concentrer leurs commandes et leurs envois sur ce qui est strictement nécessaire. Elle en fera part aujourd’hui aux clients et aux e-commerçants. Depuis samedi 21 mars, le géant de la distribution en ligne Amazon a déjà cessé de prendre des commandes jugées « moins prioritaires » sur ses sites français (et italien) pour se concentrer sur les produits les plus demandés en cette période de pandémie de Covid-19 : les produits d’hygiène ou de base pour la maison qui auront la priorité, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.

La nouvelle organisation décidée par La Poste se met en place, alors que six syndicats de l’établissement (CGT, CFDT, SUD, CFE-CGC, CFTC et UNSA) avaient interpellé, vendredi 20 mars, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et leur PDG, Philippe Wahl. Dans un courrier, ils demandaient une « discussion au sujet des missions que devrait assurer prioritairement le groupe La Poste » pendant la crise du coronavirus. Ils alertaient sur la situation sanitaire et sociale au sein du groupe, où « les conditions de sécurité sont bien loin d’être maximales ».

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Airbus veut coûte que coûte maintenir sa production

Produire à tout prix, tel semble être le credo d’Airbus. Comme prévu, Guillaume Faury, patron de l’avionneur, a annoncé, lundi 23 mars, le redémarrage de la production. Le groupe avait décrété quatre jours de pause, en France et en Espagne, pour désinfecter les usines et préparer les mesures et les équipements de protection destinés aux salariés. Pour justifier, la relance de la production, M. Faury a cité l’exemple du site de Tianjin, dans la grande banlieue de Pékin, qui « a rouvert » après avoir fermé ses portes pendant quinze jours.

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Pour reprendre son activité, Airbus a conclu un accord d’entreprise signé par seulement trois des quatre syndicats représentatifs : FO, la CGC et la CFTC. En revanche, « la CGT n’a pas signé cet accord », signale Xavier Petrachi, délégué CGT du constructeur. Le syndicat aurait préféré que l’avionneur suspende sa production au moins pendant la période de confinement de quinze jours décrétée par les autorités.

Soutien aux fournisseurs

Le groupe voit au-delà du coronavirus. Son objectif est de rester opérationnel pour pouvoir rebondir le plus haut possible lorsque la pandémie sera terminée. « Nous sécurisons également nos activités afin de préserver l’avenir d’Airbus et de reprendre efficacement nos opérations après la crise », a déclaré M. Faury. L’avionneur ne veut surtout pas se mettre dans la même situation que Boeing. Son rival américain a dû stopper sa production de 737 MAX dès janvier après que son moyen-courrier a été impliqué dans deux catastrophes aériennes qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipages. Cet arrêt des chaînes du MAX menace d’être très pénalisant pour Boeing.

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Selon l’équipementier américain Spirit Aerosystems, l’un des principaux fournisseurs du MAX, il faudra au minimum deux ans pour retrouver les cadences de production d’avant l’arrêt des chaînes. Un retard à l’allumage qu’Airbus refuse absolument. Notamment pour préserver tous les maillons du plus grand au plus petit de ses fournisseurs.

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L’avionneur a promis d’apporter « un soutien très fort à cet écosystème, à sa chaîne de fournisseurs ». Le PDG a rappelé que pour assembler « chaque avion, il fallait 500 000 pièces » dont beaucoup sont produites par des intervenants extérieurs. Outre un soutien aux équipementiers, il veut aussi rester à l’écoute des compagnies aériennes clientes de ses avions. « Nous allons voir avec chaque compagnie pour nous adapter à la nouvelle situation », a expliqué M. Faury.

Avec ce tour d’horizon, Airbus espère « établir de nouvelles prévisions » de production et de livraisons de ses appareils. Pour fixer ce nouveau calendrier, le groupe veut s’inspirer de l’exemple de la Chine qui a été « la première touchée, mais aussi la première à sortir de la crise ».

Aider les compagnies à ne pas faire faillite

Pour se donner les moyens de passer la crise, mais aussi d’épauler ses fournisseurs et ses compagnies clientes, l’entreprise a levé une nouvelle ligne de crédit de 15 milliards d’euros. Elle dispose désormais de 30 milliards d’euros de liquidités. Pour faire bonne mesure, la direction a annoncé qu’elle renonçait au versement d’un dividende de 1,4 milliard d’euros et qu’elle suspendait le financement de la retraite complémentaire. Cette manne ne sera pas de trop pour aider l’avionneur européen à repartir de l’avant après que le Covid-19 aura été terrassé. Si le constructeur ne veut pas perdre trop de clients, il devra sûrement mettre la main à la poche pour empêcher les compagnies aériennes de faire faillite, et donc de renoncer à leurs commandes.

Il pourrait suivre l’exemple du motoriste Safran, par ailleurs équipementier de premier rang d’Airbus. Selon les informations du Monde, plusieurs compagnies aériennes clientes des moteurs du groupe, lui ont déjà demandé des délais et des facilités de paiement.

« Il y aura toujours une aviation et les gens auront toujours besoin de voyager »

« Dans la plus grande majorité des cas, les compagnies veulent sécuriser leur trésorerie pour pouvoir rebondir dès que la crise sera passée », a assuré Guillaume Faury. Le dirigeant affiche sa très « forte confiance » en l’avenir, mais Airbus a quand même annulé ses prévisions de production et de livraisons pour 2020. M. Faury se veut optimiste car, selon lui, « il y aura toujours une aviation et les gens auront toujours besoin de voyager. Toutefois, cela prendra du temps » pour revenir à la normale.

Les usines du constructeur repartent dès ce lundi mais en configuration réduite, signale la CGT. En effet, certains salariés, testés positifs au SARS-CoV-2, sont confinés à leur domicile, tandis que d’autres doivent s’absenter pour garder leurs enfants. En pratique, les équipes de production travailleront six heures d’affilé avec deux à trois heures d’écart entre chaque équipe pour désinfecter les locaux. Contrairement à beaucoup d’entreprises, Airbus se refuse à prendre des mesures de chômage partiel. Au contraire, rappelle la CGT : « Les jours non travaillés devront être récupérés avant la fin de l’année. »

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Qui peut bénéficier du chômage partiel ?

En principe, toute entreprise relevant du code du travail peut recourir au dispositif de l’activité partielle. Encore faut-il qu’elle en remplisse les conditions, c’est-à-dire qu’elle soit « contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité » pour l’un ou plusieurs des cinq motifs énoncés à l’article R 5122-1 du code du travail.

Parmi ces motifs figure la « circonstance de caractère exceptionnel », qu’a retenu le ministère du travail dans sa communication sur le COVID-19, donnant ensuite quelques exemples de « cas éligibles à l’activité partielle », tels que la suspension des transports en commun, la baisse d’activité liée à l’épidémie ou « l’interruption temporaire des activités non essentielles ».

Or, à ce jour, aucune interruption des activités non essentielles n’a été imposée, dès l’instant qu’elles ne reçoivent pas de public. Par ailleurs les transports en commun sont maintenus (un arrêté paru au JO du 20/03/2020 précise les mesures de sécurité applicables pour en permettre la continuité).

Par conséquent, les seules entreprises qui sont de facto éligibles à l’activité partielle sont celles qui, recevant du public sans avoir une activité indispensable à la vie de la nation, ont été obligées de fermer jusqu’au 15 avril 2020, à savoir les salles d’auditions, conférences, réunions, spectacles, certains centres commerciaux et commerces, les restaurants et débits de boissons, les salles de danse et de jeux, les bibliothèques, centres de documentation, salles d’expositions, les établissements sportifs couverts, les musées, les restaurants et bars d’hôtels, à l’exception du « room service ».

Le gouvernement a aussi précisé que les commerces qui ne peuvent plus accueillir de clients peuvent maintenir leurs activités de livraison et de retrait de commandes. Le critère est donc dans la réception du public à l’occasion d’une activité non essentielle.

Toutefois toutes les autres entreprises doivent continuer leur activité, soit parce qu’elles sont essentielles à la vie de la nation, même si elles reçoivent du public (alimentaire, pharmacies, stations-services, banques, bureaux de tabac, presse, services publics, livraison de repas à domicile, ventes à emporter et de livraison, hôtels et leurs « room service », animaleries restent également ouvertes – voir aussi la liste dérogatoire), soit parce qu’elles ne reçoivent pas de public.

Toutes les autres entreprises doivent, pour l’instant et en priorité, placer leurs salariés en télétravail quand c’est possible, aménager la sécurité des autres postes, placer les salariés en arrêt de travail dans les cas d’infection ou de garde d’enfant de moins de 16 ans.

« Le coronavirus pourrait bien être le point de bascule de l’économie numérique »

Un livreur Amazon dans les rues de Paris, jeudi 19 mars.
Un livreur Amazon dans les rues de Paris, jeudi 19 mars. PHILIPPE LOPEZ / AFP

Pertes & profits. Les grandes catastrophes accélèrent les grandes ruptures. La première guerre mondiale a amplifié le passage de la société rurale à la société industrielle. La seconde a débouché sur l’avènement de la société de consommation. Le coronavirus pourrait bien être le point de bascule de l’économie numérique.

A l’heure où toute l’économie semble mise sous cloche, un petit territoire résiste encore à l’envahisseur biologique. Le commerce en ligne devient subitement tout le commerce, ou presque. Quand Fnac Darty ferme tous ses magasins, il devient de facto une entreprise 100 % numérique alors qu’un mois auparavant ce mode de distribution ne représentait que 20 % de son activité.

Les derniers maillons

C’est exactement ce qui s’est passé en Chine, où, d’un seul coup, le commerce en ligne est devenu le seul lien marchand avec l’extérieur pour les centaines de millions d’habitants calfeutrés chez eux. L’occasion, pour les distributeurs physiques comme Carrefour ou Fnac Darty, de tester leurs compétences numériques. Et, pour les spécialistes du commerce virtuel tels qu’Amazon ou Cdiscount, de monter encore en puissance.

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C’est alors que ce changement de paradigme bute soudain sur un obstacle tout bête : l’humain. Pas de commerce en ligne sans chauffeurs dans les rues ni livreurs dans les escaliers. Ils ont pris, dans ce nouveau monde, la place dévolue aux caissières dans l’ancien. Les derniers maillons face au client. Aussi fragiles qu’essentiels. Ils s’insurgent, de même que leurs confrères magasiniers dans les entrepôts. Pourquoi ne sont-ils pas confinés comme les autres, contraints de prendre des risques pour un si maigre salaire ?

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Dès lors, certains demandent de restreindre l’activité des e-commerçants au commerce des biens essentiels, alimentation, médicaments… Cela réduirait le personnel employé, et donc les risques encourus. Mais ce serait fermer la petite fenêtre vers l’extérieur que conservent encore les confinés et enlever le rare oxygène qui maintient en survie le circuit économique. Non seulement les commerçants, mais aussi les industriels et les services qui en vivent. Parmi toutes les aides que prévoit le gouvernement, la sécurisation des circuits logistiques et la protection des livreurs devraient être tout en haut de la pile. C’est l’économie d’aujourd’hui et plus encore notre place dans celle de demain qui est en jeu.

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« C’est un choc. Ce n’est qu’un premier cas » : les soignants face à la première victime du coronavirus dans leurs rangs

Le personnel médical emmène un patient vers un hélicoptère médical, à l’hôpital Emile-Muller à Mulhouse (Haut-Rhin), le 22 mars.
Le personnel médical emmène un patient vers un hélicoptère médical, à l’hôpital Emile-Muller à Mulhouse (Haut-Rhin), le 22 mars. SEBASTIEN BOZON / AFP

Ils redoutaient tous ce moment. Depuis des jours, des semaines, les soignants qui bataillent contre l’épidémie de Covid-19 s’attendaient à être frappés à leur tour.

La nouvelle est tombée dimanche 22 mars. Le ministre de la santé, Olivier Véran, a annoncé le premier décès d’un soignant contaminé par le SARS-CoV-2. Jean-Jacques Razafindranazy, 67 ans, était médecin urgentiste à Compiègne, dans l’Oise. Hospitalisé depuis près de trois semaines, il est mort, la veille, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille, où il avait été transféré après l’aggravation de son état.

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L’hôpital de Compiègne avait été le premier, avec celui de Creil, également dans l’Oise, à accueillir des patients contaminés, il y a tout juste un mois. « C’est très préoccupant car ce collègue n’avait, à notre connaissance, pas de problème de santé particulier, témoigne un délégué hospitalier de Compiègne. C’est un choc. Et ce n’est qu’un premier cas. Il y aura d’autres morts parmi les soignants. »

« Envoyée au casse-pipe »

La mort de ce médecin a redoublé l’inquiétude et la colère des professionnels de santé, en première ligne dans la lutte contre l’épidémie, mais sans armes, ou si peu. Depuis le début de la crise sanitaire, médecins, infirmières, aides-soignants, pharmaciens dénoncent le manque de masques, ahuris de devoir travailler sans, d’avoir à se rationner ou de se contenter de simples masques chirurgicaux, pourtant inefficaces pour se protéger d’une contamination.

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« Comment l’Etat n’a-t-il pas pu anticiper les stocks ? Nous sommes pour la plupart à court de gel hydroalcoolique, nous utilisons des masques FFP2 (protection de référence en cas d’épidémie) périmés, et nos pharmacies n’ont toujours rien reçu. J’ai le sentiment d’avoir été envoyée au casse-pipe », s’indigne Maryse Balmy, médecin généraliste dans le Val-d’Oise, testée positive au Covid-19.

Lui aussi contaminé, Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, redoute une « hécatombe » parmi les soignants. Furieux de voir la France contrainte de pratiquer une « médecine de catastrophe », il tempête contre « l’administration, qui a été en dessous de tout. Elle devra rendre des comptes ».

« Le système craque de tous côtés »

Le ministre de la santé, Olivier Véran, a annoncé samedi avoir commandé 250 millions de masques et confirmé que les 86 millions actuellement en stock seront en priorité distribués aux professionnels de santé. Mais le temps presse : la « vague » épidémique a déjà commencé à déferler sur la France, avec plus de 16 000 personnes contaminées et 674 morts.

Coronavirus : les « urgentistes » des entreprises sonnent l’alarme

La terrasse d’un restaurant fermé, à Nice, le 15 mars.
La terrasse d’un restaurant fermé, à Nice, le 15 mars. ERIC GAILLARD / REUTERS

L’urgence face à la pandémie de Covid-19 reste avant tout sanitaire, mais elle se révèle aussi économique. C’est « l’appel solennel » que les spécialistes des entreprises en difficulté ont adressé, vendredi 20 mars, au ministère de l’économie et des finances ainsi qu’à celui de la justice.

« Les tribunaux doivent pouvoir sans délai ouvrir en voie numérique les procédures de sauvetage pour payer les salaires et sauver les emplois », a exhorté l’Association pour le retournement des entreprises (ARE). « Nous sommes les urgentistes des entreprises. Il faut laisser les entreprises malades accéder aux hôpitaux, autrement dit aux tribunaux de commerce », presse Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire.

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Message reçu : contrairement au projet initial, une ordonnance attendue ces jours-ci devrait permettre à la justice consulaire de continuer à traiter, malgré le confinement, les entreprises mal en point qui affluent, faute de rentrées d’argent dans leurs caisses. « J’ai ouvert en deux jours quatre dossiers d’entreprises employant plus de 500 ou 1 000 personnes », relève Mme Bourbouloux, sans en dire plus.

Selon l’Agefi, elle a notamment été désignée conciliatrice dans le cadre d’une procédure ouverte le 16 mars sur SoLocal, l’ex-PagesJaunes (2 800 salariés). « Mes auxiliaires de justice sont consultés par des entreprises très importantes, employant des milliers de salariés », observe de son côté Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon.

« Gouffre potentiellement fatal pour l’économie française »

Or, la chancellerie avait fait savoir jeudi qu’il n’y aurait pas de nouvelles procédures de redressement judiciaire ou de conciliation pendant la pandémie, pour des raisons sanitaires. Un enjeu majeur car, selon les règles en vigueur, « l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire » est un préalable pour permettre au fonds de garantie des salaires AGS d’avancer la rémunération des employés d’entreprises en difficulté.

En 2019, le fonds de solidarité patronal a versé 1,5 milliard d’euros à 181 497 bénéficiaires

Des dizaines de milliers d’employés vont avoir besoin de ce secours vital dans les prochains jours, assurent les professionnels. « Les entreprises se placent sous cocon (…). Mais un grand nombre d’entre elles ne pourront pas tenir très longtemps et, déjà, des entreprises nous appellent pour nous informer qu’elles ne pourront payer leurs salaires à la fin de ce mois ou du mois d’avril », prévient l’ARE. En 2019, le fonds de solidarité patronal a versé 1,5 milliard d’euros à 181 497 bénéficiaires, contre 2,2 milliards alloués à près de 290 000 en 2009, au pic de la crise financière.