« Aux yeux des jeunes trentenaires, l’utilité sociale est plus urgente que l’avenir de l’entreprise. La priorité numéro un était de fabriquer des masques » PHILIPPE TURPIN / PHOTONONSTOP
Carnet de bureau. Anaïs Rizza, Charlène Rizza et Marine Vié savaient que leur projet était très ambitieux pour une ville de la taille de Carcassonne (Aude), quand, lauréates d’un concours d’innovation sociale, elles ont décidé de lancer La P’tite Fabrique, un espace de coworking dédié à la couture et à la création, avec location de machines, de salles et ateliers de création. « En 2018, on a testé le projet construit sur un financement participatif. Avec le soutien des acteurs locaux, La P’tite Fabrique a ouvert en juin 2019, après avoir dû s’adapter, se renouveler, pour finalement se recentrer sur les robes de mariée. On en rêvait toutes les trois », raconte Charlène. C’était juste avant l’annonce du confinement, qui a brutalement fait tomber le rideau en imposant la fermeture de l’espace de coworking.
Les entreprises de l’économie sociale affrontent comme les autres les conséquences du Covid-19 : de gros problèmes de trésorerie et d’organisation de la chaîne de travail. Le découpage sectoriel est similaire – suractivité dans l’alimentaire, situation générale dégradée et calme plat dans le tourisme –, et parfois une baisse du nombre de bénévoles. « Les grandes entreprises en réseauarrivent à mutualiser, mais les petites structures sont en grande difficulté. Tout le monde nous appelle pour savoir que faire des salariés et comment payer les charges », confirme Pierre-René Lemas, le président de France Active.
Cette association soutient la création d’entreprises dans le rôle de garant auprès des banques pour aider quelque 40 000 TPE et PME à obtenir des prêts. « Avec le coronavirus, toutes nos équipes se concentrent sur l’accompagnement des entreprises, précise M. Lemas. Depuis avril, on propose un nouveau prêt gratuit de 12 à 18 mois jusqu’à 100 000 euros. » Quelque 8 000 entreprises pourraient être concernées.
La viabilité de d’entreprise un sujet de l’après confinement
Mais pour La P’tite Fabrique, la viabilité de l’entreprise est un sujet de l’après-confinement. L’horizon est peut-être celui de la liquidation. Il y a encore trop d’inconnues : sur la liberté de voyager, sur les mariages reportés, etc. Aux yeux des jeunes trentenaires, l’utilité sociale est plus urgente que l’avenir de l’entreprise. La priorité numéro un était de fabriquer des masques. « On a commencé d’abord pour nos proches, puis on a mis un tutoriel sur les réseaux sociaux, qui a déclenché une première commande de 800 masques. Ce n’était pas le but. Ça ne suffira pas non plus à payer les salaires, mais tant qu’il y aura besoin de masques, on les fabriquera », raconte Charlène.
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« Le calcul de la paie de mars et d’avril est devenu kafkaïen, par exemple pour le salarié qui était sur cette période en chômage partiel, puis en arrêt total de travail pour garde d’enfant, et enfin malade du Covid-19. » Philippe Turpin / Photononstop
Droit social. Les soignants, les travailleurs des chaînes d’approvisionnement alimentaire et en biens essentiels et ceux des services publics sont à juste titre mis en avant, félicités et encouragés pour leur labeur dans des conditions souvent plus que difficiles. D’autres protagonistes restés dans l’ombre sont fort sollicités par l’incessant réaménagement du droit social mis en œuvre depuis la mise en place du confinement le 16 mars : les services de paie et les partenaires sociaux.
Leur travail de coulisses est d’autant plus remarquable que l’administration gouvernementale en charge, urgence oblige, n’a d’abord fixé que les grands principes, puis a peu à peu précisé les règles, les rendant plus complexes. Ordonnances, décrets, arrêtés se succèdent pour annuler, corriger ou amender ce qui vient d’être acté.
On citera en premier lieu les négociateurs d’accords d’entreprise dérogatoires temporaires pour la mise en œuvre de l’activité partielle. Il s’agissait d’abord de déterminer tant le nombre de salariés concernés que la part d’activité partielle par catégorie ou service. Les règles du dispositif ayant évolué, la négociation a dû être adaptée au fur et à mesure. Des compléments à l’indemnité d’activité partielle ont été créés.
Une forte réactivité
En un temps record, de nombreuses autres conditions de travail ont été revues. On songe à l’organisation des congés, au sort des primes d’assiduité, des titres-restaurants, à la prise en charge de frais exceptionnels de transport, à l’aménagement du temps de travail et au paiement des heures supplémentaires, pour les services informatiques, par exemple, etc. Les accords publiés révèlent les efforts de solidarité et de responsabilité des partenaires sociaux.
Pour les services de paie, le travail s’est considérablement complexifié. Les calculs de rémunérations se sont individualisés. Parmi les salariés au travail, certains ont vu leurs horaires diminuer ; d’autres non. Certains relèvent pour partie de l’indemnité de travail partiel, non soumise à cotisations sociales ; d’autres non.
La catégorie des absents au travail a vu s’appliquer trois régimes juridiques : celui des malades « ordinaires », avec délai de carence de trois jours avant versement d’indemnités journalières par la Sécurité sociale, d’une part ; celui des victimes du Covid-19, sans délai de carence ; enfin, le groupe des parents d’enfants de moins de 16 ans, qui n’avaient pas d’autre possibilité que l’arrêt maladie pour garde d’enfants, et à qui étaient attribuées des indemnités exceptionnelles versées par la Sécurité sociale, mais dont il fallut tenir compte pour la paie.
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« Défaire le capitalisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme », d’Eric Dacheux et Daniel Goujon. Erès, 360 pages, 29,50 euros.
Le livre. Le monde change, mais la science économique évolue peu. Depuis Adam Smith (1723-1790) et sa théorisation du fonctionnement de la société industrielle naissante, le noyau dur de la science économique est toujours le même : impératif de croissance, utilitarisme et recherche du profit.
Alors que les crises économique, écologique et démocratique n’ont jamais été aussi patentes, nous restons prisonniers de cadres de pensée hérités du XVIIIe siècle. « Rien ne justifie pourtant cet immobilisme théorique », soulignent Eric Dacheux et Daniel Goujon dans Défaire le capitalisme, refaire la démocratie : les enjeux du délibéralisme (Erès). Montrer que l’on peut penser différemment l’économie est le premier objectif de cet essai.
« Préparer la transition vers une société post-capitaliste plus démocratique et plus écologique demande que l’on change de logiciel intellectuel », estiment le professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Clermont Auvergne et le maître de conférences en sciences économiques à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne.
La crise de 1929 et la crise de 2008 ont révélé les failles de la construction libérale de l’économie. Le cadre théorique du XVIIIe siècle est en déphasage avec la réalité économique présente, qui se caractérise par la financiarisation, la montée de l’immatériel, la numérisation… « Toutes ces évolutions historiques devraient conduire à abandonner l’idée que le marché est le meilleur facteur d’allocation des ressources. »
« Tout devient marchandise »
La domination du capitalisme génère trois crises : politique, économique et écologique. Convergentes, ces crises sont le signe de la transformation de nos sociétés démocratiques en « une société où chacun est en concurrence contre tous, où tout devient marchandise, y compris la nature ». Sous couvert d’adaptation au réel, l’ordre économique détruit toute pensée alternative.
Contre cette tendance lourde, des citoyens développent des initiatives proposant des modalités économiques alternatives : la preuve que la démocratie n’est pas la face politique du capitalisme. « Au contraire, c’est en revitalisant la démocratie que l’on peut lutter contre les crises du capitalisme. »
L’ouvrage s’appuie sur les critiques traditionnelles faites au capitalisme, mais repose surtout sur l’analyse des réponses données aujourd’hui par les citoyens aux maux qu’ils subissent. « Un cadre théorique en résonance avec les théories passées, mais qui s’ancre profondément dans la réalité du terrain », afin de sortir des fausses alternatives que sont capitalisme ou communisme, marché ou Etat, globalisation ou repli identitaire.
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Tribune. La crise actuelle due à l’épidémie de Covid-19 met en lumière la contradiction qui existe entre, d’un côté, l’apport essentiel de certains métiers pour le bien-être général et, de l’autre, la faiblesse de leur rémunération et de leur reconnaissance au plan symbolique comme économique. Cette contradiction est particulièrement flagrante pour un ensemble de métiers très féminisés.
Les femmes qui exercent des métiers du « care » (soin aux personnes), infirmières, aides-soignantes, agentes hospitalières d’entretien, aides à domicile, assistantes maternelles, etc., sont aujourd’hui en première ligne pour soigner les patients atteints de Covid-19, s’occuper des personnes âgées dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou se déplacer à leur domicile, garder les enfants de celles et ceux obligé.es d’aller travailler. Jusqu’alors leur travail était invisible, prolongeant de fait leur assignation aux tâches domestiques, de soin et d’aide au sein de la famille.
D’autres femmes exerçant dans des secteurs plus mixtes, tels que la grande distribution, sont aujourd’hui néanmoins surexposées car très présentes dans les métiers nécessitant un contact direct avec le public, telles les caissières. Elles exercent, elles aussi, une fonction qui se révèle vitale à la lumière de la situation actuelle : permettre l’approvisionnement alimentaire.
En finir avec le smic à vie
Déjà en « temps normal » les conditions de travail des caissières sont éprouvantes. Majoritairement embauchées à temps partiel, et donc avec un salaire partiel – un smic partiel –, leurs horaires variables d’une semaine sur l’autre et l’obligation d’effectuer des heures complémentaires permettent aux employeurs d’adapter en permanence leur présence aux flux de clientèle. Les critères de rentabilité sont restés prévalents après le déclenchement de l’épidémie et elles ont dû se battre pour obtenir des mesures de protection minimales.
Quant aux infirmières, il n’est pas acceptable que leur niveau de rémunération par rapport au salaire moyen soit en France le plus bas des pays de l’OCDE
Toutes ces travailleuses, dont les conditions de travail sont exténuantes, les compétences non ou mal reconnues, les salaires très bas et sans évolution, sont soudain portées aux nues. Il a fallu une pandémie pour que l’on reconnaisse que leur travail joue un rôle irremplaçable en termes de lien social et répond à un besoin vital.
Les qualifications de ces salariées doivent être reconnues en prenant en compte leurs savoir-faire relationnels et techniques et en leur conférant un statut. Les qualités relationnelles requises pour ces emplois (capacités d’écoute, disponibilité, instauration de la confiance, etc.) sont considérées comme « naturellement féminines » et ne sont donc pas valorisées comme compétences, alors qu’elles résultent en grande partie de l’apprentissage dans la sphère familiale du rôle social attribué aux femmes.
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Les superlatifs manquent pour qualifier le désastre qui n’en est qu’à son commencement. En mars, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a enregistré une poussée vertigineuse de 246 100, soit + 7,1 %, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, excepté Mayotte), d’après les données publiées, lundi 27 avril, par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares). Il s’agit d’une augmentation historique, qui n’a pas d’équivalent depuis la création, en 1996, de ces séries statistiques. Elle provient, bien évidemment, du coup d’arrêt que l’épidémie de Covid-19 a infligé à notre économie, avec la mise en place du confinement à partir du 17 mars.
Depuis deux ans, ces indicateurs sont présentés sur une base trimestrielle et non plus mensuelle, les évolutions au mois le mois étant jugées trop volatiles donc difficiles à interpréter. Mais cette fois-ci, en plus des résultats calculés pour les trois premiers mois de l’année, la Dares a décidé de communiquer une note à propos des changements intervenus uniquement en mars. Et les enseignements qui en ressortent sont éloquents.
La brutale dégradation qui s’est produite le mois dernier concerne toutes les tranches d’âge, en particulier les moins de 25 ans (+ 7,9 %), suivis de près par les 25-49 ans (+ 7,8 %). Les publics les plus touchés sont ceux qui recherchent un métier dans la construction, les services à la personne, l’hôtellerie, le tourisme, le monde du spectacle, etc.
Infographie Le Monde
Autre phénomène impressionnant par son ampleur : le repli marqué (− 3,1 %) du nombre des demandeurs d’emploi en activité réduite (catégories B et C). Cette variation, qui pourrait sembler positive de prime abord est, en réalité, liée au fait que beaucoup de personnes ont cessé de travailler ou ont occupé un poste moins longtemps que prévu. Une partie d’entre elles, se retrouvant sans aucune activité, sont, du même coup, venues grossir les rangs de la catégorie A.
Expiration de contrats courts
Au total, les inscrits à Pôle emploi émargeant dans les catégories A, B et C – donc avec un contrat de travail ou sans – voient leurs effectifs s’étoffer de 177 500 en mars (soit + 3,1 %), ce qui constitue également un record. « Ces tendances sont inédites, mais il faut bien se souvenir qu’elles surviennent dans un contexte de perte d’activité causé par le confinement, qui est sans précédent depuis la seconde guerre mondiale », décrypte Bruno Ducoudré, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
Deux mouvements ont joué. D’abord, souligne la note de la Dares, les entrées à Pôle emploi « sont en nette hausse » pour mars (+ 5,5 %), du fait, « principalement » des fins de mission d’intérim et de l’expiration de contrats courts qui n’ont pas été renouvelés. En parallèle, le flux de personnes quittant les fichiers de Pôle emploi a énormément ralenti en mars (– 29 % comparé à février), notamment parce que les possibilités d’être embauché par une entreprise se sont raréfiées.
C’est d’ailleurs ce que montrent les données dévoilées, le 22 avril, par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui coiffe le réseau des Urssaf. Ainsi, les déclarations d’embauche de plus d’un mois ont dégringolé dans des proportions inégalées : – 22,6 % en mars. Le recul se révèle tellement violent qu’il efface les progressions constatées durant la période antérieure : sur un an, les recrutements de plus d’un mois ont baissé de 5,8 %.
La situation s’est donc très rapidement détériorée, malgré le recours massif à « l’activité partielle » – le terme officiel pour désigner le chômage partiel. Ce dispositif, qui concerne désormais près de onze millions de travailleurs (soit plus de la moitié des salariés du privé), permet aux entreprises de conserver leur main-d’œuvre, la rémunération des personnels étant prise en charge par l’Etat et par l’Unédic (l’association paritaire qui gère le régime d’assurance-chômage). Faut-il en conclure que ce filet de protection n’a pas produit les effets escomptés ? « Il a contribué à limiter les destructions d’emplois, répond Bruno Ducoudré. Sans lui, beaucoup de sociétés auraient procédé à des licenciements économiques et le chômage se serait accru encore plus fortement. Nous ne sommes pas dans la même situation que les Etats-Unis où, en l’espace d’un mois, un peu plus de 20 millions de salariés ont été congédiés. »
Ne pas aggraver les difficultés
Pour autant, l’avenir s’annonce très sombre. « La probabilité est grande que les tendances relevées dans la deuxième quinzaine de mars préfigurent ce qui va se passer en avril et en mai, pronostique Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée. Toute la question, maintenant, est de savoir si le choc est durable : plus il le sera, plus il portera atteinte au capital humain et à l’outil de production des entreprises, repoussant ainsi à plus tard le moment où notre économie rebondira. »
« Je suis inquiète pour l’emploi », confie la ministre du travail, Muriel Pénicaud, dans un entretien au Parisien, mardi. La veille, elle avait exprimé la volonté d’engager une réflexion avec les partenaires sociaux « pour adapter rapidement nos règles d’assurance-chômage ». Cette annonce a été faite alors même que l’exécutif a déjà décidé, récemment, de suspendre ou de différer l’application de plusieurs mesures prévues par sa réforme du système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Parmi les dispositions mises sous cloche, il y a notamment la dégressivité des allocations et les nouvelles modalités de calcul de la prestation, susceptibles de pénaliser les individus qui alternent petits boulots précaires et périodes d’inactivité. Le fait de reporter l’entrée en vigueur de ces mécanismes, très critiqués par les syndicats, vise à ne pas aggraver les difficultés des plus vulnérables.
Aujourd’hui, Mme Pénicaud entend donc discuter de la prise en charge des individus privés d’emploi. « Nous aimerions avant tout que le gouvernement mette au rebut sa réforme et rétablisse la convention conclue en 2017 par les partenaires sociaux, qui était beaucoup plus favorable aux chômeurs », indique Michel Beaugas (Force ouvrière). La CFDT défend une position similaire, mais aimerait aussi aller plus loin : « Nous ne pouvons pas nous limiter à une modification des règles de l’assurance-chômage, affirme Marylise Léon, la numéro deux de la centrale cédétiste. Le débat doit être élargi aux politiques de l’emploi qu’il convient de mener, pour prévenir le risque d’un creusement des inégalités induit par la crise que nous traversons. »
En attendant d’y voir plus clair sur les intentions du pouvoir en place, un constat s’impose : il faudrait un miracle pour que se concrétise la promesse faite par Emmanuel Macron de parvenir à un taux de chômage de 7 % en 2022, alors que ce ratio se situait encore à 8,1 % au dernier trimestre 2019.
A l’unité de réanimation Covid de l’hôpital Beaujon de Clichy, mercredi 22 avril. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
Une prime exceptionnelle sera versée aux personnels hospitaliers dès le mois de mai, a promis le gouvernement. En reconnaissance de « l’incroyable dévouement de tout le personnel soignant », selon les mots du premier ministre, Edouard Philippe, le 15 avril. Le président de la République, Emmanuel Macron, s’y était engagé le 25 mars, depuis l’hôpital militaire de campagne installé à Mulhouse, en annonçant une « prime exceptionnelle pour pouvoir accompagner financièrement cette reconnaissance ».
Mais, au-delà de l’intention, la mise en œuvre se révèle complexe, puisque cette prime variera de 500 à 1 500 euros, selon le département et l’établissement ou le statut des personnels. De quoi susciter la contestation de certaines organisations professionnelles, qui voient dans l’annonce de cette prime et de la majoration des heures supplémentaires, une « aumône », comme le Collectif Inter Urgences. « Nous ne demandons pas des primes pour nous récompenser ou pour apaiser la colère accumulée dans le milieu hospitalier, mais une revalorisation salariale », avance Yves Morice, de la direction de la fédération SUD-Santé sociaux.
D’autres ne sont pas aussi critiques, et attendent des précisions avec la publication du décret, encore en discussion. « C’est une grosse usine à gaz, nous ne savons pas qui est éligible, comment ils vont l’être, où et quand », affirme Patrick Bourdillon, de la direction fédérale de la CGT-Santé action sociale.
Dans un communiqué du 15 avril, le ministre de la santé, Olivier Véran, a apporté quelques éléments de réponse. Les agents hospitaliers travaillant « dans la trentaine de départements les plus touchés par l’épidémie recevront une prime de 1 500 euros, versée quel que soit le statut ou le métier considéré, internes, agents de service, infirmiers, médecins (…) ». Interrogé lundi 27avril, le service de communication du ministère a précisé qu’il s’agirait de 33 départements, essentiellement dans les régions les plus touchées, l’Ile-de-France, le Grand-Est et les Hauts-de-France. Les personnels administratifs des hôpitaux bénéficieront aussi de cette prime défiscalisée dans ces départements.
Question salariale
Dans les autres départements, « les personnels ayant travaillé dans les services Covid+ des 108 hôpitaux de référence percevront également la prime de 1 500 euros ». Les agents des autres services toucheront une prime de 500 euros. Précision du ministère, lundi 27 avril, « 94 établissements » seraient ajoutés « en dehors des zones géographiques très touchées [les 33 départements] pour prendre en compte l’impact du Covid sur ces établissements ».
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Chantier d’une maison à l’arrêt, suite au confinement pour enrayer la pandémie due au nouveau coronavirus, à Lille, le 7 avril. MICHEL SPINGLER / AP
C’est un chiffre qui permet d’illustrer « l’ampleur du choc en cours », selon la formulation du ministère du travail. Avec 246 100 inscrits supplémentaires à Pôle emploi, la France a connu en mars une hausse historique du nombre de chômeurs.
En un seul mois, marqué par le début du confinement le 17 mars, le nombre de chômeurs sans aucune activité, comptabilisés dans la catégorie A de Pôle emploi, a bondi de 7 % – un record depuis la mise en place de statistiques harmonisées il y a vingt-cinq ans.
Cette hausse efface à elle seule les bénéfices des sept derniers mois consécutifs de baisse du chômage. Mais avec 3,7 millions d’inscrits, la France restait à la fin mars en deçà de son record absolu de février 2016.
Cette progression du chômage est d’autant plus impressionnante que le choc économique lié à l’épidémie de Covid-19 n’avait pas encore véritablement frappé au mois de mars : le confinement n’a été décrété que le 17, tandis que beaucoup de salariés empêchés de travailler ont pu bénéficier du chômage partiel pour conserver leur salaire sans venir grossir les rangs de Pôle emploi.
En réalité, ce mauvais chiffre ne s’explique pas par le nombre de nouveaux demandeurs inscrits, qui n’augmente que de 5 % par rapport au mois précédent. Il est surtout le résultat d’une baisse spectaculaire, mais logique, du nombre de chômeurs qui ont eu la possibilité de revenir sur le marché du travail (– 29 %) : en plein confinement, rares sont les opportunités de trouver un nouvel emploi. C’est d’ailleurs pour cela que le gouvernement a exceptionnellement prolongé la prise en charge des chômeurs arrivés en fin de droits pendant l’épidémie.
Cette mauvaise tendance devrait s’amplifier dans les chiffres de Pôle emploi pour le mois d’avril, qui seront diffusés dans un mois. D’après les projections de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 460 000 personnes pourraient se retrouver au chômage d’ici à la fin du confinement.
Face aux risques pris en venant travailler pendant le confinement de la population, les salariés de la grande distribution alimentaire avaient espéré être récompensés pour leurs bons et loyaux services. Les enseignes avaient promis, à grand renfort de communication, une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA).
Mais, dans les faits, chez certains, l’élan de générosité sera réduit à la portion congrue. « Où sont passés les 1 000 euros pour tous ? », s’indigne le syndicat UNSA groupe Casino dans un communiqué le 23 avril.
« Le groupe Auchan avait annoncé triomphalement qu’il verserait une prime de 1 000 euros à ses héroïques salarié-es », qui « ont découvert stupéfaits que cette prime sera au prorata de leur temps de travail, ainsi une caissière à dix heures hebdomadaire touchera… 50 euros », a indiqué le syndicat SUD Commerces et services, le 23 avril. « La prime a été négociée avec les représentants » syndicaux, rappelle-t-on chez Auchan.
Selon le bon vouloir des directeurs
Idem chez Casino (enseignes Franprix, Monoprix, Casino…), où la prime sera fonction de la présence effective : 1 000 euros pour un temps plein, 500 euros pour un mi-temps… Et elle « sera également impactée si les salariés ont été en congés sur cette période ! », indique l’UNSA.
Chez Leclerc, ce sera même selon le bon vouloir des directeurs de magasin, qui sont tous des chefs d’entreprise indépendants adhérant au réseau de l’enseigne. « Les centres Leclerc sont indépendants socialement, chacun gère sa politique sociale avec les organes représentant le personnel. La recommandation à tous les magasins est de distribuer la prime à leurs salariés », fait savoir la direction du distributeur.
Chez Casino, la différence de traitement entre salariés du siège et ceux des magasins et entrepôts passe mal. « Le personnel en télétravail est exclu de cette prime ! Une honte pour tous ceux qui participent aux bénéfices de l’entreprise en cette période de crise ! », affirme l’UNSA. Lors de la présentation des résultats annuels, le 26 mars, Jean-Charles Naouri, le PDG du groupe, avait pourtant été clair en précisant que la situation « n’est pas la même pour une hôtesse de caisse et quelqu’un au siège », et que distribuer de manière « uniforme serait injuste ».
Carrefour a aussi choisi de privilégier les salariés sur le terrain. 85 000 employés des magasins, drives et entrepôts se verront attribuer une prime de 1 000 euros sur leur salaire du mois de mai. L’entreprise a laissé entendre à ses syndicats, avec lesquels des négociations sont en cours, que la prime ne dépendra pas du temps de travail.
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De nombreux festivals d’été ont été annulés à cause de la crise sanitaire due au Covid-19 (ici, la scène du Théâtre de la mer dans le cadre du festival Jazz à Sète, en juillet 2018). GUILLAUME BONNEFONT/IP3
Une « année blanche » pour surmonter l’« année noire » : depuis quelques jours, la mobilisation des intermittents du spectacle monte en puissance pour réclamer une solution radicale face à la situation catastrophique dans laquelle la crise liée au coronavirus a plongé durablement le secteur culturel.
Afin d’éviter qu’une partie importante des intermittents du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel se retrouvent à court terme sans ressource et radiés de Pôle emploi, deux pétitions qui se sont rejointes (collectifs « Année noire » et « Culture en danger »), réunissant près de 200 000 signatures à la date du lundi 27 avril, ainsi que plusieurs syndicats, réclament l’instauration d’une « année blanche » pour tous. Cela consisterait à prolonger de douze mois (à compter de la date de réouverture des lieux de spectacle) les droits à l’assurance-chômage afin de laisser le temps à tous les projets remis en cause de pouvoir redémarrer. « C’est la seule solution pour éviter l’hécatombe sociale et culturelle, pour éviter de mourir », insiste le comédien Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires.
Noire, l’année 2020 l’est et le sera au moins jusqu’à l’automne : la mise à l’arrêt, depuis dimanche 15 mars, des salles de spectacles, de cinéma, des théâtres, des répétitions, des tournages et l’annulation en série des festivals et événements du printemps-été ont stoppé net toute possibilité pour les artistes et techniciens de travailler et d’acquérir les 507 heures annuelles nécessaires à l’ouverture ou au renouvellement de leurs droits au régime spécifique de l’assurance chômage (annexes VIII et X). A cela s’ajoute l’absence de visibilité sur la date à laquelle les lieux pourront de nouveau accueillir des spectateurs. Dans son dernier avis relatif à la sortie progressive du confinement, rendu public samedi 25 avril, le conseil scientifique Covid-19, chargé de conseiller le chef de l’Etat, indique : « Il est nécessaire de maintenir fermés ou interdits tous les lieux et événements qui ont pour objet ou conséquence de rassembler du public en nombre important, qu’il s’agisse de salles fermées ou de lieux en plein air. »
Deux mesures d’urgence
Pour l’heure, deux mesures d’urgence ont été prises : les intermittents dont la date anniversaire (ouvrant les droits) tombe entre le 1er mars et le 31 mai verront leurs indemnités prolongées de trois mois. Et la période de confinement sera « neutralisée » pour le calcul des 507 heures. « Les premières mesures ne règlent le problème que pour quelques semaines », souligne Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération nationale CGT des syndicats du spectacle. « Que fait-on après le 31 mai ? »
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Tribune. La sortie de confinement en sécurité constitue un défi majeur. Faut-il procéder à un déconfinement rapide pour atteindre une immunité collective, ou au contraire lui préférer un déconfinement lent et progressif en attendant l’arrivée d’un traitement ou d’un vaccin ? Et comment éviter une deuxième vague tout en minimisant les dégâts économiques et sociaux ?
Pour répondre à ces questions, nous proposons une méthode de déconfinement efficace et sécurisée (« Exit strategy : from self-confinement to green zones », « Esade EcPol Insight », 6 avril 2020). Elle est basée sur trois étapes : découper la France en zones de taille adaptée ; identifier des « zones vertes » où le virus est absent ou maîtrisé ; fusionner progressivement ces zones vertes.
L’ensemble des contacts que nous avons quotidiennement avec les autres peut être vu comme un vaste réseau de proximité physique nous reliant les uns aux autres – tout comme Facebook cartographie nos interactions sociales en ligne. Déconnecter, ou du moins affaiblir ce réseau, est l’objet des mesures de distanciation sociale et de confinement.
Des cellules déconnectées
La fermeture totale ou partielle des frontières a rendu les déplacements internationaux de plus en plus rares : le réseau mondial de proximité physique est aujourd’hui découpé en morceaux déconnectés les uns des autres que constituent les différents Etats. Les mesures de confinement varient d’un pays à l’autre.
La définition de ces zones pourrait s’aligner sur l’activité économique en tenant compte des « zones d’emploi », c’est-à-dire des espaces géographiques à l’intérieur desquels la plupart des actifs résident et travaillent
En France, les déplacements sont interdits à moins de répondre à un impératif médical, professionnel, ou familial. Pour les achats de première nécessité, il est recommandé d’aller au plus près tandis que l’exercice physique est limité à un rayon d’un kilomètre.
Au lieu d’imposer une circulation à proximité du domicile, nous proposons de laisser les personnes se déplacer librement au sein de zones déconnectées les unes des autres. L’objectif est de découper le réseau de proximité physique en cellules déconnectées – ou zones – de taille efficiente pour empêcher le virus de se propager à travers tout le territoire.
Afin de limiter les dommages économiques, la définition de ces zones pourrait s’aligner sur l’activité économique en tenant compte des « zones d’emploi », c’est-à-dire des espaces géographiques à l’intérieur desquels la plupart des actifs résident et travaillent. Nous proposons de diviser le pays en zones géographiques de 10 000 à 200 000 habitants en tenant compte des zones d’emploi.
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