« Le télétravail a changé radicalement de statut. Il est devenu un moyen pour les organisations de relever un défi existentiel »

Tribune. Le Covid-19 apparaîtra peut-être, dans les futures décennies, comme le catalyseur d’une révolution du travail. Nul ne sait prévoir les conséquences de la situation actuelle, mais le surgissement aussi inattendu qu’irrésistible du travail à distance constitue un fait majeur.

Nos agilités collectives et individuelles nous ont permis de continuer à exercer nos missions. Nous sommes des millions à avoir traversé le miroir du télétravail et commencé à explorer, telle Alice, un monde aux repères brouillés : le temps simultanément distendu et contracté, l’espace condensé, bien que virtuellemt ent sans limite, les objets aux fonctions et aux statuts nouveaux et imprévus, les interactions humaines systématiquement virtuelles.

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Chacun s’est ainsi trouvé dans l’obligation, pour paraphraser Bruno Latour, de « réassembler son social », et de réinventer ses propres acteurs réseaux. Les effets saisissants de la crise sanitaire actuelle ne peuvent s’expliquer qu’en considérant que le virus n’a agi que comme un catalyseur particulièrement puissant d’une réaction entre trois réactifs préexistants.

Les trois réactifs

Le premier d’entre eux est l’intrication de nos sociétés. Cet enchevêtrement est le résultat de trois quarts de siècle de décisions géopolitiques constantes, portées par des infrastructures de mobilités de plus en plus performantes et des stratégies d’acteurs centrées sur la spécialisation internationale.

Le deuxième réactif est le niveau de maturité de nos infrastructures numériques. La combinaison d’un système universel de codage, de dispositifs individuels de plus en plus puissants, miniaturisés et bon marché, et de réseaux globaux de communication permet à des milliards d’individus d’être en liens permanents.

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Le troisième réactif est le niveau sociétal de maturité d’usages de ces technologies. La dernière décennie a consacré la « mobiquité » des pratiques de consommation et la généralisation des usages : se distraire, gérer ses comptes, acheter, parier, s’informer…

La sidération a cédé la place à la résilience et à l’appropriation

Le Covid-19 est donc venu perturber cet agencement sociotechnique relativement stable, et l’un des produits de ces réactions en chaîne est la généralisation du télétravail. Les politiques publiques de distanciation ont en effet interdit les accès aux espaces physiques de travail. Après quelques décennies de léthargie, le télétravail est alors apparu comme le moyen de résistance à la crise.

La sidération a cédé la place à la résilience et à l’appropriation. En quelques jours, les directions informatiques ont assuré l’intendance et mis chaque acteur en situation de rester, autant que possible, professionnellement actif.

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« Pour les entreprises, le télétravail reste l’alternative providentielle à la gestion d’une situation complexe »

Tribune. Une pandémie d’un nouveau genre semble embraser le monde du travail. Stimulé par des espaces de bureaux concentrationnaires accusés d’amplifier la circulation du virus, le télétravail tient de l’aubaine consensuelle. Et après deux mois plutôt concluants de mise à distance, le débat sur la nécessité du travail présentiel bat son plein.

L’entreprise incarnée par un conglomérat d’employés à distance préfigurerait-elle le nouveau contrat social ? Où ouvre-t-elle la boîte de Pandore ? Au-delà d’appréciables temps de transports économisés, d’économie foncière inhérente à la suppression d’espaces de bureaux, n’est-ce pas la dimension sociale du travail qui est affectée, et avec elle la part informelle d’échanges sur les lieux de travail, avec une déperdition économique à la clé ?

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Durant la période de confinement, de mars à avril, à peine 5 % des bureaux des grands groupes d’Ile-de-France ont été occupés. Ce taux atteint aujourd’hui moins de 30 %, seuil maximum possible du fait des contraintes sanitaires en vigueur et malgré toute l’ingéniosité de professionnels pour proposer des aménagements sécurisés (cloisons en Plexiglass, distanciation, marquage…).

Une alternative providentielle pour les entreprises

L’incitation à continuer en télétravail est forte, car ni les salariés ni les employeurs ne voient l’intérêt de retourner au bureau pour y porter un masque, se tenir à distance de collègues et ne participer à aucune réunion… Les professionnels notent d’ailleurs un afflux de demandes d’études pour des aménagements réversibles, afin d’anticiper divers scénarios de retour d’une crise de ce type, à court ou à long terme.

Pour les directions d’entreprise, le télétravail reste l’alternative providentielle à la gestion d’une situation complexe et anxiogène et à l’application des recommandations complexes du ministère du travail. Twitter, Facebook, et plus près de nous Peugeot, ont fait le choix de recourir massivement et durablement à un télétravail d’un nouveau genre, celui où le travail au bureau est l’exception et le télétravail la règle.

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Enfin, l’argument de la réduction de l’empreinte immobilière est important, il est même ouvertement avancé par Peugeot. Le télétravail apparaît comme un levier non négligeable pour « se refaire une santé financière », et les renégociations des baux immobiliers se préparent dans cette perspective. Les grandes entreprises se sont largement emparées du sujet.

Un risque d’isolement social

Mais ce recours apparemment consensuel au télétravail doit sérieusement interroger sur le risque d’isolement social des télétravailleurs. Si le « top management » est plutôt favorable à l’extension de cette mise à distance, le « middle management » est plus réticent par crainte de perdre son pouvoir de contrôle – en France, on manage davantage par la vue que par les indicateurs de performance, comme ce peut être le cas aux Etats-Unis.

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Télétravail : « L’enjeu majeur est celui de la renégociation du rapport au travail »

Tribune. D’aucuns se réjouissent aujourd’hui du développement forcé du télétravail et esquissent déjà les contours d’un futur monde du travail davantage en réseau, nécessitant moins de déplacements et offrant davantage de conciliation entre travail et hors-travail. Le réveil pourrait être douloureux.

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la reconfiguration profonde du rapport au travail avec le risque que cette expérience du travail à distance ne mette définitivement les salariés à distance de leur travail. Un enjeu fondamental pour les organisations, qui dépasse de loin les conjectures sur le développement du télétravail.

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« On a besoin de retrouver nos bureaux », « La machine à café nous manque » ou encore « Je veux revoir mes collègues en vrai, pas sur mon écran »… les témoignages des salariés contraints de télétravailler de manière permanente et souhaitant retrouver une « vraie » vie de travail se multiplient. Ils corroborent les résultats « à chaud » des quelques études sérieuses portant sur l’expérience du confinement qui nuancent les sondages plébiscitant la pratique du télétravail.

Le télétravail isole socialement

Car c’est une évidence : le télétravail à domicile est appelé à se développer davantage à l’avenir. Mais à quel prix ? L’enjeu majeur qui se révèle aujourd’hui est celui de la renégociation du rapport au travail. L’expérience vécue par les salariés en ce moment soulève des questions nouvelles et amène déjà l’ajustement de certains comportements.

Notre rapport au travail est défini par une multitude d’éléments (centralité et finalité du travail, identification à des collectifs et à son travail, implication et appropriation) que la distance nous amène à percevoir et à vivre autrement. Deux cas de figure problématiques apparaissent : le sentiment d’abandon et le sentiment de déshumanisation. Ils ont en commun de pouvoir modifier la nature de notre futur rapport au travail.

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Le sentiment d’abandon est l’écueil traditionnel associé au travail à distance – il est largement documenté dans la recherche en sciences sociales. Même pratiqué à une fréquence limitée (un ou deux jours par semaine), le télétravail a la capacité d’isoler socialement.

Le sentiment de déshumanisation

En situation de confinement, et singulièrement pour les salariés dont c’est la première expérience de télétravail, cette expérience est décuplée. Pour peu que les attentes liées au travail et aux modalités d’interactions soient floues et que les outils ne soient pas performants, l’isolement se transforme en invisibilité et le travailleur se sent oublié, inexistant.

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A Bessé-sur-Braye, les liquidateurs d’Arjowiggins veulent vendre le site, les associations locales demandent un délai

Devant l’usine Arjowiggins de Bessé-sur-Braye (Sarthe), le 29 mars 2019, après l’annonce de la liquidation judiciaire de l’entreprise.  Un employé peint les dates 1824, année de sa création, et 2019, date de l’annonce de sa fermeture.
Devant l’usine Arjowiggins de Bessé-sur-Braye (Sarthe), le 29 mars 2019, après l’annonce de la liquidation judiciaire de l’entreprise.  Un employé peint les dates 1824, année de sa création, et 2019, date de l’annonce de sa fermeture. JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP / AFP

Les repreneurs potentiels de la papeterie Arjowiggins à Bessé-sur-Braye (Sarthe), mise en liquidation judiciaire en mars 2019, avaient jusqu’au vendredi 29 mai, 16 heures, pour faire connaître leurs offres. La veille, aucun investisseur ne s’était encore fait connaître.

La publication durant la période de confinement dans le journal Les Echos de cette recherche de repreneurs par les mandataires judiciaires a surpris, voire choqué, ceux qui avaient encore un espoir de relancer une activité papetière à Bessé-sur-Braye.

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En premier lieu, l’intersyndicale des anciens salariés. Elle avait jusqu’à présent réussi à faire patienter les mandataires à plusieurs reprises en leur présentant un projet prometteur de papier barrière, qui ambitionnait de relancer le site avec 120 salariés.

Le papier recyclé comme alternative

Ce papier doté d’une enduction sans polyéthylène se voulait une alternative au plastique pour la fabrication de vaisselle jetable, un créneau porteur pour les années à venir, avec l’interdiction du plastique. Mais les recherches d’investisseurs prêts à injecter au moins 15 millions d’euros n’ont rien donné cet hiver et ont définitivement tourné court quand l’épidémie liée au coronavirus a touché le monde, et notamment l’Asie, où les pistes les plus sérieuses avaient été repérées.

« Le travail réalisé dans un court délai a été colossal et de grande qualité », confie Christophe Garcia pour l’intersyndicale. Mais si les prospects sont intéressés, ils font tous la même réponse : « Votre solution est la bonne et percera à terme, mais il est trop tôt. » Cependant, la recherche de repreneurs publiée par les liquidateurs a été le coup de grâce pour les anciens salariés. Ils ont, lundi 25 mai, annoncé qu’ils jetaient l’éponge.

L’association Action citoyenne pour l’intérêt général, constituée par des habitants du bassin d’emploi de Bessé-sur-Braye et qui défend un autre projet misant sur le papier recyclé, refuse, pour sa part, d’abdiquer, même si elle n’a pas encore trouvé le moyen de financer son projet ni d’en estimer la viabilité. Par la voix de sa présidente, Nadia Mattia, elle est montée au créneau dans une lettre ouverte adressée au mandataire Christophe Basse pour lui demander « de surseoir jusqu’en septembre à la vente du site ». « Le fond de l’affaire, c’est la volonté ou non d’aider au redémarrage d’une papeterie pour produire du papier recyclé (…). Importer du papier du monde entier entraîne un bilan carbone catastrophique et un chômage insupportable ! »

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La crise sanitaire et économique fait bondir le chômage en avril

Les effets du Covid-19 sur l’économie française se révèlent, chaque jour, plus ravageurs. En avril, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) s’est accru dans des proportions sidérantes : + 843 000 par rapport à mars, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), d’après les données diffusées, jeudi 28 mai, par Pôle emploi et par la Dares – la direction des études du ministère du travail. Il s’agit, depuis la mise en place, en 1996, de ces séries statistiques, d’une hausse sans équivalent : elle s’avère bien plus forte (+ 22,6 %) que celle relevée en mars – pourtant qualifiée d’historique à l’époque (+ 7,1 %). Sur trois mois, les personnes, privées de travail et à la recherche d’un poste, ont vu leur nombre s’envoler de 1,065 million (+ 30,3 % depuis fin janvier) : elles sont désormais un peu plus de 4,575 millions dans cette situation – un niveau, là encore, inédit, puisque la barre des 4 millions n’avait jamais été franchie jusqu’à présent.

Pour impressionnante qu’elle soit, la déferlante qui vient de s’abattre était « prévisible », selon le ministère du travail, avril étant « le premier mois intégralement marqué par le confinement ». Le phénomène doit être mis en relation avec les « pertes d’activité » enregistrées à partir de la mi-mars : « Leur ampleur est inégalée depuis la création, à la fin des années 1940, des comptes nationaux de l’Insee », souligne Bruno Ducoudré, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Infographie Le Monde

Au deuxième trimestre, le PIB pourrait diminuer de 20 %, après un recul de 5,3 % entre début janvier et fin mars. Des chiffres « vertigineux, mais à la hauteur, si l’on peut dire, de ce qui s’est passé (…) dans le monde », comme l’indiquait l’Insee, dans sa note de conjoncture diffusée mercredi 27. « Nous ne sommes, malheureusement, plus trop surpris par la série de – mauvais – records battus dans les statistiques du marché du travail », notamment au sein des pays occidentaux, confie Andrea Garnero, de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Aux Etats-Unis, rappelle-t-il, le nombre de demandeurs d’emploi a flambé, à la fin mars, en accomplissant un bond « de 3 millions, sur une semaine, puis de 6 millions, la semaine suivante ».

Missions d’intérim et CDD non renouvelés

En France, toutes les générations sont frappées par la récession en cours, mais ce sont les jeunes (de moins de 25 ans) qui paient le plus lourd tribut : + 29,4 %. Pour les autres tranches d’âge, l’impact est moindre, tout en demeurant spectaculaire : + 24 % pour les 25-49 ans et + 16,1 % chez ceux ayant au moins 50 ans. La tendance est portée par les personnes « qui recherchent un métier » dans de multiples secteurs, selon la Dares : commerce, services à la personne, hôtellerie et tourisme, transports et logistique, construction, travaux publics, industrie du spectacle…

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La potion-choc de Jean-Dominique Senard pour Renault

Capture d’écran de la visioconférence de presse du patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Jean-Dominique Senard, mercredi 27 mai.
Capture d’écran de la visioconférence de presse du patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Jean-Dominique Senard, mercredi 27 mai. Renault-Nissan-Mitsubishi via AP

C’était le point d’orgue de la folle semaine de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Le constructeur français a présenté, vendredi 29 mai, son très attendu plan de réduction des coûts après l’annonce, la veille, des résultats de Nissan et, l’avant-veille, de la réorganisation de l’Alliance. Le partenariat automobile franco-japonais est en difficulté depuis la fin 2018, et la chute de son patron historique, Carlos Ghosn – un handicap accru par la crise brutale et profonde due au Covid-19.

Lire l’entretien : Jean-Dominique Senard : « Il s’agit de la survie de Renault »

Vu de France, le troisième volet de cette trilogie est évidemment le plus chargé en annonces émotionnelles avec son lot de fermetures d’usines, de « dégraissage » ou de transferts de sites. Il faut reconnaître que la potion concoctée par Jean-Dominique Senard, président de Renault et patron de l’Alliance, est puissante, voire amère pour certains. Le plan, présenté jeudi 28 mai au soir aux syndicats, lors d’un comité central social et économique du groupe, est censé faire économiser 2,15 milliards d’euros sur trois ans et supprime, d’ici à 2023, 15 000 emplois dans le monde (soit plus de 8 % des effectifs totaux de 180 000 salariés), dont 4 600 postes qui disparaissent en France.

Dans le monde, la fin de l’ère Ghosn

« Pour Renault, comme pour Nissan et Mitsubishi, c’est l’année de la remise des compteurs à zéro, explique M. Senard. C’est la fin d’une certaine ère, l’époque de la course à la taille et aux volumes. » La stratégie chère à Carlos Ghosn a échoué, assurent les nouveaux dirigeants. De fait, Nissan a été conçu pour fabriquer 7 millions de véhicules par an et en produit 5. Quant au Groupe Renault, il est bâti pour cracher ses 5,5 millions de voitures et n’en a fabriqué que 3,8 millions en 2019. « C’est le retour d’une méthodologie rigoureuse appliquée à nos investissements, ajoute le patron du losange et de l’Alliance. C’est la compétitivité retrouvée. »

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Finie donc l’expansion tous azimuts. Terminée l’aventure au grand large quoi qu’il en coûte. Et le plan s’en ressent : plus de 10 000 emplois disparaissent hors de France. Des projets sont abandonnés au Maroc et en Roumanie, des activités ferment ou se rationalisent en Corée et en Russie. Le départ de la marque Renault de Chine est définitivement confirmé. Et quelques éléments de ligne sur des pièces en Turquie et en Slovénie (boîtes de vitesses) seront même relocalisés en France.

Peau de chagrin pour les usines françaises

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Coronavirus : le marché de l’emploi a changé de visage du fait du confinement

Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile…
Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile… PASCAL GUYOT / AFP

Des entreprises plongées dans l’incertitude, qui recrutent peu et de manière précaire, en face d’une population de demandeurs d’emploi croissante, du fait de la disparition brutale des missions d’intérim, des petits boulots et des emplois saisonniers. En quelques semaines, le marché de l’emploi, qui s’était largement assaini en début d’année 2020 avec une augmentation des contrats à durée indéterminée, a changé de visage du fait du confinement et de la crise née du Covid-19.

Mais les contingents de demandeurs d’emploi issus des plans de licenciements ne sont pas encore là. « L’augmentation du chômage reflète plutôt le gel des embauches de la part des entreprises qui sont dans l’expectative, résume Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode. Il ne s’agit pas encore de gens qui ont perdu leur job. »

Alexandre Juddes, économiste pour Indeed France, site d’offres d’emploi en ligne, confirme cette analyse avec les données du terrain. Après deux semaines atones en début de confinement, le site a vu affluer les demandeurs d’emploi à la fin de la période, en nette hausse par rapport à février, tandis que le nombre d’offres n’est revenu qu’aux deux tiers de la normale.

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Le nombre d’étudiants à la recherche d’un emploi en hausse

Fait saillant, le nombre de demandes d’emploi qui sont accompagnées du mot-clé « urgent » a été multiplié par trois par rapport à l’avant-Covid-19, commente l’économiste. « Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile… », énumère-t-il. Difficile de connaître exactement le profil de ces demandeurs, mais Alexandre Juddes suppose sans prendre trop de risques qu’il s’agit de personnes qui ont vu leur CDD terminé et non renouvelé, de fins de mission d’intérim… « Beaucoup étaient vendeurs, chauffeurs livreurs ou indiquaient stagiaire sur leur profil », dit-il.

En haut du tableau des demandes d’emploi : les étudiants qui sont en quête d’un job saisonnier pour arrondir leurs fins de mois, tandis que les universités et écoles sont fermées. Leur nombre est en hausse de près de 33 % par rapport aux semaines précédentes. Un phénomène saisonnier mais particulièrement marqué cette année, puisque les secteurs traditionnellement pourvoyeurs de jobs étudiants − bars, cafés, restaurants, tourisme, aéroports… − sont empêchés, au moins jusqu’à début juin.

Les entreprises recrutent peu

Viennent ensuite les demandes de postes de vendeurs, serveurs, d’employés polyvalents, de femmes de ménage… Les entreprises, de leur côté, non seulement recrutent peu mais restent très prudentes, avec une proportion de CDD qui est repartie à la hausse au détriment des contrats à durée indéterminée. A la tête de HelloWork, qui gère une petite dizaine de plates-formes de recherche d’emploi (ParisJob, RégionsJob, JobTrotter, Aladom…) drainant chaque mois 4 à 5 millions d’utilisateurs pour 800 000 offres par an, David Beaurepaire estime, lui, que le volume de CDD dans les offres est passé de 15 % à 30 % environ.

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Victoire des ex-salariés de Goodyear : « Ça a été long, fastidieux, violent, mais la lutte paye ! »

Des syndicalistes CGT de l’usine Goodyear manifestent avant le début du procès aux Prud’hommes. au tribunal d’Amiens, le 28 janvier.
Des syndicalistes CGT de l’usine Goodyear manifestent avant le début du procès aux Prud’hommes. au tribunal d’Amiens, le 28 janvier. FRANCOIS LO PRESTI / AFP

C’est un jugement qu’ils espéraient depuis longtemps. Six ans après la fermeture de leur usine, les 832 salariés du site Goodyear d’Amiens Nord qui contestaient leur licenciement économique en justice ont obtenu gain de cause. Jeudi 28 mai, le tribunal des prud’hommes d’Amiens a condamné le géant du pneumatique pour « licenciement sans motif économique valide ».

« C’est le couronnement d’années de lutte acharnée des salariés de ce site, qui avaient décidé de ne pas se laisser faire, souligne leur avocat MFiodor Rilov. Le juge reconnaît qu’ils avaient raison, qu’il n’y avait pas de justification économique aux licenciements et à la destruction des emplois. Et que Goodyear ne l’a fait que pour accroître ses bénéfices et les dividendes versés aux actionnaires, alors même qu’ils réalisaient, cette année-là, 1,7 milliard de dollars [1,5 milliard d’euros] de résultat ! »

« C’est un signal fort envoyé »

Répétant la défense soutenue à l’audience selon laquelle « cette fermeture était nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise », Goodyear France a réagi par un court communiqué indiquant « examiner ces décisions avant de décider de faire appel ». Même si c’est le cas, « ils devront d’abord payer les indemnités » indique MRilov, la condamnation étant assortie d’une exécution provisoire.

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« On est très heureux. Ça a été long, fastidieux, violent, mais la lutte paye !, se réjouit Mickaël Wamen, ex-délégué CGT du site, qui aimerait que cette victoire inspire d’autres salariés. Plein d’entreprises vont utiliser l’excuse fallacieuse du Covid pour lancer des plans sociaux prévus depuis longtemps, il faut se battre ! »

« C’est un signal fort envoyé alors que nous allons assister à une avalanche de licenciements, renchérit Fiodor Rilov. Si les politiques ont renoncé, les juges font la démonstration qu’il est possible de faire quelque chose face aux multinationales, en osant appliquer la loi. »

« J’aurais préféré garder mon boulot »

Cette victoire a pourtant un goût amer. « Goodyear ne rouvrira pas pour autant ce site industriel. 1 143 emplois ont été supprimés », souligne Mickaël Wamen. « Ce jugement nous rend notre dignité. Mais il ne rétablira pas les drames sociaux et familiaux », a regretté l’ex-déléguée CGT Evelyne Becker.

Nombre d’ex-salariés du site n’ont, depuis six ans, jamais retrouvé de CDI. Comme Emile, 56 ans, qui n’a travaillé qu’en intérim. « J’ai accepté des places horribles, comme vider des cuves de purin… » En ce moment, il est au chômage. « Alors le jugement m’a fait chaud au cœur. Les indemnités vont me mettre un peu mieux. »

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Renault prévoit de supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France

Des manifestants se tiennent devant l’entrée de la Fonderie de Bretagne, filiale du Groupe Renault, le 28 mai 2020, à Caudan (Morbihan).
Des manifestants se tiennent devant l’entrée de la Fonderie de Bretagne, filiale du Groupe Renault, le 28 mai 2020, à Caudan (Morbihan). FRED TANNEAU / AFP

Le plan de quelque 8 milliards d’euros annoncé par Emmanuel Macron pour relancer l’automobile n’empêchera pas les suppressions de postes massives attendues dans ce secteur. Le constructeur automobile français Renault compte supprimer environ 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, dans le cadre d’un plan d’économies de 2 milliards d’euros sur trois ans, a-t-on appris jeudi soir de sources concordantes.

Le projet, qui doit être rendu public vendredi matin, a été présenté jeudi soir aux organisations syndicales, lors d’un comité central social et économique (CCSE) du groupe. Il prévoit de réduire les effectifs « sans licenciement sec », via des départs volontaires, des départs à la retraite non remplacés et des mesures de mobilité interne ou de reconversion, ont fait savoir ces sources à l’Agence France-Presse (AFP).

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Les capacités de production réduites

Les capacités de production du groupe au niveau mondial devraient être réduites, passant de 4 millions de véhicules actuellement à quelque 3,3 millions, sur une base de deux équipes (ce qui correspond à une production réelle potentielle plus élevée en ajoutant une troisième équipe).

Renault va suspendre des projets d’extension d’usines au Maroc et en Roumanie, envisage de réduire ses capacités de production en Russie, et de réduire également les activités mécaniques en Corée du sud et la fabrication de boîtes de vitesse en Turquie.

Le projet inclut en France l’arrêt de la production automobile à Flins (Yvelines), après la fin de la Zoe, d’ici quelques années. L’usine, qui emploie actuellement de 2 600 salariés, sera cependant reconvertie et récupérera l’activité du site de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), qui emploie 260 personnes dans la réparation de moteurs et boîtes de vitesse utilisés comme pièces de réemploi.

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L’avenir de la Fonderie de Bretagne, avec près de 400 salariés à Caudan (Morbihan), reste en suspens avec une « revue stratégique » annoncée. Même chose pour l’usine de Dieppe (Seine-Maritime), où une réflexion sera engagée pour « un projet de reconversion à la fin de la production de l’Alpine 110 ».

Enfin, la fusion des sites de Douai et Maubeuge, dans le Nord, est envisagée pour créer un centre d’excellence des véhicules électriques et utilitaires légers.

« Tout est déjà décidé »

En France, une procédure d’« information-consultation » des représentants du personnel commencera « à partir de la mi-juin », selon une source syndicale. Un conseil d’administration du groupe a été convoqué jeudi soir.

De sources concordantes, le plan d’économies de 2 milliards d’euros est réparti pour environ un tiers sur la production, un tiers sur l’ingénierie et un tiers sur les frais de structure, marketing et réseau.

Interrogé par l’AFP à l’issue du CCSE, Franck Daoût, délégué syndical central de la CFDT, a souhaité « un accord de méthode » pour la mise en œuvre du plan, « avec des expertises sur les sites, localement, commençant le plus tôt possible ». Concernant l’impact social des suppressions de postes, M. Daoût a souligné qu’il s’agira de « départs naturels à la retraite et de départs volontaires ».

« Ils sont malins. Ils présentent ça comme des hypothèses de travail, disent on le fera avec vousalors que tout est déjà décidé », a cependant critiqué un autre responsable syndical, sous couvert de l’anonymat.

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Le Monde avec AFP

Trois librairies Gibert Joseph placées en liquidation judiciaire

La librairie Gibert Joseph de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a été mise en liquidation judiciaire, jeudi 28 mai, par le tribunal de commerce de la ville avec maintien en activité afin de susciter des offres de reprise. Ces dernières devront être déposées le 22 juin au plus tard et une nouvelle audience se tiendra le 25 juin.

Deux autres magasins du groupe, qui a bâti sa réputation sur le livre d’occasion ainsi que sur les manuels scolaires et universitaires, doivent connaître le même sort : celui d’Aubergenville (Yvelines), dont le dossier devait être examiné jeudi après-midi, et celui de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour lequel l’audience doit avoir lieu mardi 2 juin.

« Ces magasins sont depuis longtemps en situation déficitaire et, aucune perspective de retour à une situation d’équilibre n’étant possible pour ces points de vente, la direction du groupe Gibert a sollicité la mise en liquidation judiciaire de ces trois librairies », explique au Monde la holding de l’enseigne.

« C’est très violent »

Fermées en raison de la crise sanitaire, les trois librairies n’ont pas rouvert leurs portes le 11 mai. « Nous avons vu le directeur des ressources humaines le 22 mai, témoigne Cécile Le Maire, de la librairie de Chalon-sur-Saône. En moins de deux heures, il nous a expliqué que le magasin allait être liquidé, et les huit salariés licenciés. C’est très violent. » Un scénario identique s’est reproduit à Clermont-Ferrand. « Cela a été un choc », avoue Jean-Philippe Baré, le représentant des quatorze salariés au conseil économique et social (CSE) de cette libraire ouverte en 1942, véritable institution auvergnate. Pour autant, la décision n’a pas été une surprise totale. « Il y a une érosion qui date de plus de dix ans. Les salariés en étaient conscients. »

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La situation du magasin clermontois illustre les mutations rapides du marché du livre d’occasion et de celui du livre scolaire et universitaire. « Le vrai sujet, c’est celui des marketplaces [plates-formes numériques] », explique au Monde Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL). Le secteur du livre d’occasion connaît une croissance importante – 15 % du marché du livre en volume, selon M. Monadé –, mais elle est en majorité captée par de grandes plates-formes, comme eBay ou Priceminister-Rakuten. « Faire reposer l’économie d’une librairie physique sur le livre d’occasion, c’est compliqué. Ce type d’activité ne peut être que complémentaire », juge le président du CNL.

« Un changement de modèle »

L’autre pilier du groupe est également attaqué. « Le marché du livre scolaire et universitaire a été très impacté ces dernières années, autant par la gratuité mise en place par vagues successives dans les régions que par la modification du rythme auquel les programmes changent », constate la direction. « L’essor des cours sur tablettes numériques est un facteur supplémentaire impactant de manière négative ce marché », souligne-t-elle encore.

Le sort réservé aux trois librairies de province inquiète la Confédération générale du travail (CGT) des magasins parisiens. « Nous entrons dans un processus qui va concerner tout le monde, y compris à Paris, où il y a des magasins qui coexistent en vivotant », redoute Rémy Frey, de la CGT-Gibert Joseph. « Au-delà des liquidations actuellement en cours se pose la question d’un changement de modèle, d’une réorientation du groupe. »