Des membres du personnel hospitalier manifestent devant l’hôpital Robert-Debré, à Paris, le 4 juin. PHILIPPE LOPEZ / AFP
Les personnels hospitaliers sont de retour dans la rue. Salués comme des « héros en blouse blanche » par le chef de l’Etat pendant la crise du Covid, applaudis tous les soirs à 20 heures par une partie de la population pendant le confinement, les soignants entendent rappeler au gouvernement la promesse d’un « plan massif » en faveur de l’hôpital public, annoncé le 25 mars, à Mulhouse (Haut-Rhin), par Emmanuel Macron.
Organisée à l’appel de plusieurs syndicats et collectifs de soignants, dont la CGT, FO, SUD et l’UNSA, cette nouvelle journée de mobilisation doit prendre la forme d’un rassemblement « avec masques et distanciation », mardi 16 juin, à 13 heures, avenue de Ségur à Paris, à proximité du ministère de la santé. Des actions sont également prévues devant des hôpitaux, des agences régionales de santé (ARS) et des mairies dans tout le pays. Les Français sont invités à apporter leur soutien au mouvement en se mettant à leurs fenêtres à 20 heures.
« Soignants désabusés »
Si la date du 16 juin avait été fixée avant l’organisation par le gouvernement du« Ségur de la santé » visant à « refonder » en sept semaines le système de soins, la journée vise désormais à exercer une « forte pression » avant la conclusion de cette concertation. L’annonce des décisions issues de ce Ségur sont attendues au cours de la première quinzaine de juillet, avant la cérémonie du 14-Juillet au cours de laquelle Emmanuel Macron souhaite rendre un « hommage » aux personnels soignants place de la Concorde.
Le président de la République a de nouveau promis, dans son discours du 14 juin, « une relance par la santé », avec un Ségur « qui non seulement revalorisera les personnels soignants mais permettra de transformer l’hôpital comme la médecine de ville, par des investissements nouveaux et une organisation plus efficace et préventive ».
Echaudés par les différents plans « santé » présentés depuis le début du quinquennat, médecins et paramédicaux se montrent globalement méfiants sur l’issue des discussions. « A l’hôpital, ce qu’on entend actuellement, ce sont des soignants désabusés, décrit Agnès Hartemann, diabétologue à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH). Ils ont beaucoup donné pendant la crise, ils sont fatigués, cela fait plus d’un an qu’ils se mobilisent… Les soignants sont en perte de confiance, ils n’y croient plus beaucoup. » Pour la professeure de médecine, cette journée est d’autant plus nécessaire :
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Tribune. Les aides à domicile appartiennent à la profession la plus dynamique de ce début de siècle, voyant ses effectifs quasiment doubler entre 2003 et 2018 : elles sont passées de moins de 350 000 à près de 600 000. La crise sanitaire a souligné leur rôle majeur dans l’accompagnement des personnes vulnérables, mais aussi la fragilité des conditions d’emplois qui caractérisent encore et toujours nombre d’entre elles.
Le manque de reconnaissance qu’elles continuent de subir est particulièrement visible lorsque le gouvernement invite les collectivités locales à verser à ces travailleuses et à ces travailleurs, dont on peine curieusement encore à reconnaître leur appartenance au monde du soin ou, au minimum du « prendre soin », une prime de 1 000 euros sans pour autant en prévoir le financement.
Appels inopérants
Malgré un effort constant et soutenu en termes de production de rapports, les pouvoirs publics continuent de promouvoir, par les modalités de solvabilisation des besoins d’accompagnement des personnes âgées, la fixation de salaires pour les aides à domicile à un niveau très faible.
En effet, la politique de lutte contre la perte d’autonomie repose essentiellement sur le versement d’une allocation aux personnes âgées (APA ou allocation personnalisée d’autonomie) calculée en fonction de leur degré d’autonomie et variable selon leur revenu.
Cette allocation consiste à attribuer une somme permettant « d’acheter » un certain nombre d’heures. La valorisation d’une heure obéit à des règles complexes et variables selon les départements mais, le dispositif aboutit de fait à un « tarif APA » par département, qui constitue en quelque sorte la référence au prix d’une heure d’aide à domicile.
La proposition d’un « tarif socle national » à la suite du rapport Libault confirme cette vision. Or les montants actuellement en vigueur dans la plupart des départements (tout comme le tarif national envisagé) dépassent rarement 21 euros alors même que toutes les études de coûts l’évaluent autour d’un minimum de 26 euros… dans des conditions restrictives ! L’écart est alors souvent payé par les aides à domicile elles-mêmes. A ce niveau les appels à une montée en qualification ou une amélioration des conditions d’emplois des salariés sont inopérants.
Epuisement
Car quel est le nœud du problème ? La profession d’aide à domicile est portée par des emplois dont la durée moyenne est de 25 heures par semaine… mais où le travail commence bien souvent à 7 heures – ou plus tôt – et ne s’arrête qu’à 19 heures, 20 heures, voire au-delà ; où l’emprise du travail sur la semaine dépasse nettement les 35 heures, et où les inaptitudes, les accidents du travail, sont à un niveau plus élevé que la plupart des autres professions. La prévalence des situations d’épuisement des salariés montre combien la dite « ressource humaine » est consommée « à taux plein ».
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Des ouvriers de Renault manifestent contre la fermeture du site du constructeur automobile, le 29 mai à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). CHARLES PLATIAU / REUTERS
Est-ce le début d’une nouvelle vague ? La question tourmente les syndicalistes, les élus, les chefs d’entreprise d’Ile-de-France depuis que Renault a confirmé, le 29 mai, son intention de fermer son usine de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), et d’arrêter l’assemblage de voitures sur son site historique de Flins (Yvelines), où travaillent encore 4 000 personnes.
Après des décennies de déclin, la région parisienne avait enfin stoppé depuis deux ans la chute de l’emploi industriel. Or la crise économique actuelle ne peut qu’enrayer cette amélioration. Pire, au-delà d’un trou d’air ponctuel, elle pourrait annoncer une nouvelle désindustrialisation de la première région économique française. Exactement l’inverse de la relocalisation des productions prônée par beaucoup depuis l’épidémie de Covid-19.
« Une situation de dépendance »
« Oui, le risque est là, les entreprises utilisant l’alibi de la crise sanitaire », s’alarme Didier Guillaume, le maire communiste de Choisy-le-Roi. « Avec des annonces comme celles de Renault, on peut assister à une désindustrialisation progressive du bassin d’emploi », s’inquiète également Jean François Mbaye, député (La République en marche) du Val-de-Marne.
Au même moment que le plan d’économie de Renault, un autre dossier a avivé les craintes, celui de Sanofi. Le groupe pharmaceutique avait annoncé, en juillet 2019, sa volonté d’abandonner son centre de recherche d’Alfortville (Val-de-Marne). Ces dernières semaines, plusieurs élus ont tenté de remettre en cause la décision, en tirant les leçons de la crise sanitaire. La multiplication de ce type de mesures « met la France dans une situation de dépendance vis-à-vis des autres pays », a plaidé la sénatrice communiste du Val-de-Marne Laurence Cohen.
Aux yeux des responsables politiques, l’urgence consiste au contraire à « réarmer » la filière de la santé, en ouvrant des sites comme l’usine de masques chirurgicaux montée en quelques semaines par un homme d’affaires chinois au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Un discours sans effet. Sanofi l’a confirmé : d’ici la fin de l’année, Alfortville aura fermé ses portes.
Autre sujet d’interrogation, l’aéronautique, une des principales industries d’Ile-de-France. Frappé de plein fouet par l’arrêt brutal du trafic aérien, le secteur doit bénéficier d’une aide massive de l’Etat. Cela suffira-t-il à empêcher licenciements et restructurations ?
Globalement, « la crise sanitaire va probablement alourdir les pertes d’emplois » en Ile-de-France, « alors que le secteur était à peine entré dans une phase plus favorable depuis mi-2018 », anticipent les experts de la chambre de commerce et d’industrie.
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Dans une agence Pôle emploi, le 9 juin. GONZALO FUENTES / REUTERS
« Il faut lutter contre les discriminations au quotidien », exhorte le ministre de la ville, Julien Denormandie, qui annonce dimanche 14 juin dans Le Parisiende nouveaux « testings » dans les entreprises afin de déceler des discriminations, au lendemain de manifestations contre les violences policières et le racisme à travers la France.
Le testing consiste à envoyer pour la même offre d’emploi deux CV identiques avec comme uniques différences l’origine du candidat et/ou une adresse dans un quartier populaire. Une expérience organisée par le gouvernement a permis « d’épingler sept entreprises sur les 40 testées ».
Une formation contre la discrimination tous les trois ans
Julien Denormandie annonce également l’arrivée prochaine d’un décret obligeant « toutes les agences immobilières et les associations professionnelles à suivre une formation de lutte contre les discriminations » tous les trois ans, et le renforcement des capacités d’évaluation du CSA pour mesurer la diversité dans les médias.
Le ministre de la ville prône aussi la suppression du mot « race » du préambule de la Constitution, qui stipule que « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».
Dimanche matin, dans LeJDD, un autre ministre, Gabriel Attal, s’inquiète de « forces funestes » qui chercheraient à prospérer sur le ressentiment de la jeunesse pour « imposer une lutte des races ». Le secrétaire d’Etat à la jeunesse appelle, par ailleurs, à « un effort collectif pour sauver les plus jeunes » face à la crise économique, et précise que la pérennisation de la réserve civique mise en place pendant la crise sanitaire pourrait être une piste.
Tribune. Dans la foulée du confinement, Mark Zuckerberg s’est adressé, jeudi 21 mai, aux employés de Facebook dans une conférence retransmise en ligne pour annoncer que la moitié des employés du groupe pourraient travailler de chez eux d’ici cinq à dix ans, Facebook voulant devenir « l’entreprise la plus en avancée du monde sur le télétravail ». Mark Zuckerberg parlait ici de travail à distance à plein temps, sans poste de travail attribué dans les locaux de l’entreprise, et pas d’un mélange entre activité au bureau et à la maison.
La différence essentielle entre le télétravail intégralement effectué à domicile et le travail avec présence, même partielle, au bureau, à l’usine, au magasin, c’est la « cafétéria ». Définissons la cafétéria comme un lieu où se produisent de façon aléatoire des rencontres physiques et des échanges d’informations entre individus, qu’ils appartiennent à la même entreprise ou aux autres entreprises logées dans les mêmes bâtiments.
Rencontres physiques et aléatoires
Les restaurants, machines à café, photocopieuses, bibliothèques et salles de sport des campus universitaires en sont des exemples. La cafétéria se distingue donc radicalement de n’importe quel groupe de discussion numérique par le fait que, premièrement, les rencontres y sont physiques et que l’information échangée est ainsi beaucoup plus riche que dans une vidéoconférence, et, deuxièmement, que ces rencontres sont aléatoires, non programmées, de durée maîtrisable et permettent de rencontrer des gens à qui on n’aurait jamais pensé envoyer un texto.
La première est de favoriser des échanges d’informations riches et non planifiées entre employés de la même entreprise. Les exemples abondent pour illustrer que cela encourage la créativité des employés, fait surgir des idées nouvelles et par conséquent améliore la performance de l’entreprise.
La seconde fonction de la cafétéria est d’être un lieu de socialisation plus générale, favorisant amitiés, aventures sentimentales, discussions et débats de toute sorte, donc la satisfaction de besoins relationnels essentiels, mais sans rapports directs avec l’entreprise.
Personne en effet ne peut survivre en passant toute sa vie devant un écran.
La question engendrée par le télétravail à domicile devient donc de savoir comment vont s’organiser les individus pour assurer la fonction sociale que jouait auparavant la cafétéria d’entreprise ?
Créativité « détournée »
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Publié le 13 juin 2020 à 20h55, mis à jour à 09h51
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ReportageDébut juin, des clusters de Covid-19 ont été découverts parmi les ouvriers agricoles, venus majoritairement d’Amérique du Sud, qui circulent entre Gard, Vaucluse et Bouches-du-Rhône. Le dépistage révèle les pratiques douteuses de la filière.
Dans la longue file d’attente qui s’étend devant le gymnase de Beaucaire (Gard) transformé en centre de dépistage, les accents de Colombie et de l’Equateur se mêlent à ceux, plus hachés, des membres de la Croix-Rouge. Un homme s’inquiète auprès de son voisin, en espagnol : « Est-ce qu’il faut une carte Vitale ? Parce que je n’en ai pas. »
Sur ces terres fertiles, limitrophes des Bouches-du-Rhône et proches du Vaucluse, beaucoup d’ouvriers agricoles, provenant majoritairement d’Amérique du Sud et transitant par l’Espagne, arrivent tous les ans par bus entiers au printemps. Très dépendants de cette main-d’œuvre, d’autant plus en période de crise sanitaire, les agriculteurs membres de la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles des Bouches-du-Rhône avaient manifesté le 20 mai à Arles et Aix pour s’assurer de leur venue. Alors, à la réouverture des frontières, ils sont arrivés. Avec, a priori, plusieurs cas de Covid-19 à bord.
A quelques kilomètres de Beaucaire, de l’autre côté du Rhône, plusieurs foyers du virus sont apparus début juin. Une trentaine de cas ont été découverts dans un camping de travailleurs installé au milieu des champs à Noves et chez un producteur de fraises à Maillane, au nord des Bouches-du-Rhône. Une opération de dépistage a depuis été lancée. Les derniers bilans attestent 158 cas dans le département, 53 autres dans le Gard et 39 autres dans le Vaucluse. Des chiffres qui devraient augmenter au début de la semaine du 16 juin.
Dépistage de travailleurs étrangers, le 10 juin à Beaucaire (Gard). ARNOLD JEROCKI / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Dans le complexe sportif, jeudi 11 juin, on s’active. Des entraîneurs de football, des professeurs et même une boulangère se sont proposés pour faire office de traducteurs, rassurer les parents inquiets et répondre aux questions. Pour faire venir au gymnase les saisonniers étrangers, qui sont parfois en situation irrégulière et ne parlent pour la plupart pas le français, l’agence régionale de santé (ARS) a dû innover. En utilisant, par exemple, les réseaux paroissiaux : David Flores, le prêtre équatorien de la ville, a fait circuler le message quotidiennement à ses fidèles par la messagerie WhatsApp.
« Bouche-à-oreille »
Les communiqués annonçant les dépistages gratuits pendant trois jours ont été traduits en espagnol et placardés sur les épiceries latinos du centre-ville. « On compte beaucoup sur le bouche-à-oreille pour rassurer les gens qui auraient peur de venir », explique Claude Rols, délégué de l’ARS dans le Gard.
Pour l’ARS, qui, face à ce genre de situation, met en place un dispositif de traçage des contacts permettant d’enquêter sur les déplacements et les échanges entre individus, la tâche s’annonce ardue. Car ces ouvriers agricoles, souvent accueillis dans des chambres ou des mobile-homes collectifs, travaillent sur plusieurs lieux à la fois. Les risques de contamination deviennent donc importants au gré des déplacements, souvent effectués dans des véhicules collectifs. « Sans compter que tous les magasins latinos sont à Beaucaire », explique Angel (certains prénoms ont été modifiés), 48 ans. L’Equatorien, qui ramasse les abricots en ce moment, l’assure : « Tout le monde se retrouve là-bas le week-end. »
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Un employé du groupe PSA, à son arrivée à l’usine de Sochaux (Doubs), le 18 mai. SEBASTIEN BOZON / AFP
Mardi 16 juin, il est peu probable que les 150 salariés polonais de PSA viendront travailler sur le site PSA d’Hordain (Nord), près de Valenciennes, comme la direction du constructeur automobile l’avait annoncé jeudi 11 juin, lors de son comité social et économique (CSE). PSA a fait en partie marche arrière après la fronde syndicale et politique suscitée par cette annonce et a prévu de réembaucher des intérimaires locaux.
Au total, 531 ouvriers polonais de l’usine de Gliwice étaient attendus dans le Nord d’ici la fin juin pour une mission de trois mois et assurer les commandes en cours, soit près de 30 000 véhicules utilitaires. Selon le principe de « solidarité industrielle », des salariés volontaires du site PSA (ex-Opel) de Gliwice, qui fait face à un faible niveau d’activité, devaient venir prêter main-forte à leurs collègues de l’usine d’Hordain qui bénéficient d’une forte activité, liée au dynamisme commercial des véhicules qu’ils produisent.
C’est déjà le cas à Metz, site qui fabrique des boîtes de vitesse, où « 50 Polonais de Gliwice ont commencé à travailler lundi », ainsi qu’« une quinzaine d’employés de Douvrin » (Pas-de-Calais) a indiqué à l’Agence France-Presse une porte-parole du site. Ces salariés sont payés selon les conventions collectives françaises le temps de ce renfort, a-t-elle précisé.
Pour le site d’Hordain, les salariés polonais devaient être logés par PSA sur Lille et Valenciennes, dans des appartements-hôtels, campings et gîtes. Mais dans la soirée de vendredi, les ministres du travail, Muriel Pénicaud, et de l’économie, Bruno Le Maire, ont demandé au groupe automobile de renoncer à son projet, et de privilégier l’embauche d’intérimaires locaux.
« Transformer les salariés en nomades »
Samedi matin, selon nos informations, M. Le Maire et le PDG du constructeur, Carlos Tavares, se sont téléphoné et entendu sur une solution intermédiaire. Le site PSA d’Hordain, qui a repris ses activités le 11 mai, a besoin de 531 personnes pour renforcer ses deux équipes de jour et relancer l’équipe de nuit. Le groupe avait fait appel à ses salariés polonais plutôt que d’avoir recours aux 500 intérimaires nordistes qui composent habituellement cette troisième équipe.
Des salariés de PSA sont toujours en chômage partiel. « Jusqu’ici, quand il y a eu des montées de production, on a toujours eu recours à des intérimaires ou des CDD, souligne Franck Théry, délégué CGT à Hordain. Mais le projet global de PSA, c’est la mobilité internationale pour transformer ses salariés en nomades. » Pas question pour lui de pointer du doigt les Polonais : « Ce ne sont pas des ennemis, pour eux c’est du volontariat forcé. »
« Certains intérimaires ont la haine. Comme ils sont toujours sous contrat, on les pousse à la démission », dénonce la CGT
Reste que les intérimaires sont dans l’expectative depuis quarante-huit heures. Chez Manpower près d’Hordain, par exemple, on dépeint une situation catastrophique. Sur les 500 intérimaires du site, 230 sont toujours sous contrat avec PSA, la plupart jusqu’à fin juillet. « Certains sont passés du chômage partiel payé 84 % à 50 %, dénonce la CGT. Certains intérimaires ont la haine. Comme ils sont toujours sous contrat, on les pousse à la démission. » Vanessa, intérimaire pendant deux ans chez PSA Hordain, explique : « J’ai été mise en fin de contrat en mars et j’attendais la reprise avec impatience. Quand j’ai découvert qu’on devait ramener nos toiles bleues et que des Polonais prenaient nos places, j’étais écœurée. »
« Esclavage des temps modernes »
A la suite de la fronde des salariés français, PSA a donc revu sa copie, sans toutefois renoncer complètement au principe de solidarité industrielle. En effet, une équipe constituée majoritairement d’intérimaires français toujours sous contrat, en substitution d’une partie importante des salariés de Gliwice, se dessine. Le constructeur devrait également faire appel à une partie des 270 intérimaires aujourd’hui sans contrat et à quelques salariés polonais volontaires.
« Cette équipe supplémentaire dépendra du maintien de la demande des clients dans un contexte économique incertain et de la poursuite des aides gouvernementales en soutien du marché automobile très fortement ébranlé par les conséquences du Covid-19 et les nouvelles réglementations en matière d’émissions. L’extrême gravité de ce qui frappe l’industrie automobile ne peut être ignorée », explique-t-on chez PSA. Lundi 15 juin, un CSE doit être organisé sur le site d’Hordain afin de détailler la composition de la troisième équipe.
« Je suis heureux de voir que l’on a obtenu que Muriel Pénicaud intervienne auprès du groupe PSA, déclarait samedi midi le député (PCF, Nord) Fabien Roussel. On ne peut pas accepter que des salariés français, polonais ou espagnols aillent travailler à 500 km de chez eux pendant plusieurs mois, au nom du Covid-19 et sous couvert qu’ils sont en CDI dans le même groupe. » L’élu a estimé qu’il s’agissait « d’esclavage des temps modernes ». Le secrétaire national du PCF a lancé : « Je vais demander à Muriel Pénicaud d’aller travailler six mois en Pologne ! Ce n’est pas la société que je souhaite pour mes enfants. »
Fusion PSA-FCA : Bruxelles inquiète d’un risque de position dominante dans les utilitaires
La Commission européenne est préoccupée par la part de marché élevée qu’aurait le groupe issu de la fusion entre PSA et Fiat Chrysler (FCA) dans les petits véhicules utilitaires (camionnettes), et elle pourrait demander aux deux groupes automobiles des concessions pour autoriser leur mariage, avance l’agence Reuters lundi 8 juin, citant des sources proches du dossier. PSA et Fiat Chrysler ont été informés de ces inquiétudes des services européens de la concurrence la semaine dernière, précise l’agence. L’exécutif européen, qui entend terminer cet examen préliminaire au plus tard le 17 juin, a refusé de s’exprimer sur le sujet, tout comme FCA et PSA.
Un syndicaliste tient une affiche dénonçant les pratiques supposées de Jean-Louis Louvel, devant le tribunal de commerce de Rouen, mardi 9 juin, en pleine procédure de rachat du quotidien « Paris-Normandie ». SAMEER AL-DOUMY / AFP
A ma gauche, le groupe belge Rossel, propriétaire de La Voix du Nord, acteur majeur de la presse quotidienne régionale française. A ma droite, le groupe belge IPM, acteur de la presse de Outre-Quiévrain (La Libre Belgique, La dernière heure), ne disposant, pour l’instant, d’aucune implantation en France. Mardi 9 juin, l’un et l’autre ont présenté à huis clos leurs offres de reprise de Paris-Normandie, placé en liquidation judiciaire en plein confinement, le 21 avril. En attendant que le tribunal de commerce de Rouen tranche en faveur de l’une ou l’autre, lundi 15 juin à 14 heures, nombre de salariés du quotidien normand s’apprêtent à traverser encore des nuits agitées.
« On est tous pour La Voix du Nord, reconnaît Patricia Buffet, journaliste et secrétaire adjointe du CSE. Si ce n’est pas l’option retenue, il y aura beaucoup de colère et d’incompréhension. » Dans un communiqué, le Silpac-CGT (Syndicat des industries du livre, du papier et de la communication de Rouen, du Havre et de leur région) a prévenu : il « arrêtera l’entreprise » si la deuxième offre devrait être choisie.
« Je saurai m’en souvenir »
Pourquoi tant d’aversion ? Parce qu’IPM ne se présente pas seul devant les juges consulaires : au sein de la holding Normandie Presse (NP), il s’est associé à Fininco holding, société de Jean-Louis Louvel… actionnaire majoritaire de Paris-Normandie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le propriétaire (à 90 %) depuis bientôt trois ans fait l’unanimité contre lui. Il suffit de lire le très long article que lui a consacré le site local d’information Le Poulpe, où officient quelques anciens de Paris-Normandie, pour comprendre qu’à son évocation, les langues se délient volontiers – quoique anonymement. « Dans la région, Louvel est une sorte de parrain », nous confie l’une d’elles, pour signifier à quel point il est incontournable.
Patron de la société Palettes gestion service, actionnaire principal du club de rugby rouennais, Jean-Louis Louvel s’est présenté aux dernières élections municipales sous l’étiquette La République en marche (LRM) ; ses 16,79 % des voix ne lui permettant pas d’espérer de divine surprise au second tour, il a finalement jeté l’éponge.Trop tard pour l’équipe rédactionnelle, qui avait fait connaître sa désapprobation. Un responsable d’une agence locale du quotidien se souvient : « Quand en janvier, à la cérémonie des vœux, les élus SNJ [Syndicat national des journalistes], lui ont fait remarquer qu’une candidature à la mairie de Rouen n’était pas tellement compatible avec la direction du journal local, il a répondu : “je saurai m’en souvenir”. On n’en revenait pas. Ce n’était pourtant qu’une remarque de bon sens… »
L’une de ses consœurs reconnaît toutefois que « Louvel ne s’est jamais autorisé de coup de fil à la rédaction pour demander un article, ou influer sur un autre ». Mais, tempère-t-elle, « il connaît tellement de monde que, souvent, nos interlocuteurs se permettent des petits coups de pression : “Je connais bien Jean-Louis, ou Jean-Luis m’a dit que…” Au quotidien, c’est insupportable. »
Un air de tour de passe-passe
Ce sont cependant des événements plus récents qui ont définitivement discrédité M. Louvel aux yeux des salariés. Ainsi le versement pour plusieurs centaines de milliers d’euros de loyers en retard qui lui étaient effectivement dus, mais récupérés juste avant la mise en liquidation judiciaire du journal… Une opération qui lui permet d’apurer une dette de 7 millions d’euros et donne à sa candidature au rachat avec IMP un air de tour de passe-passe.
« Ce n’est peut-être pas illégal, mais ce n’est pas moral », proteste le journaliste de locale. Un courrier anonyme aurait été envoyé au parquet de Rouen, afin de dénoncer ces agissements et susciter, le cas échéant une enquête. Surgissent également, ces derniers jours, diverses anecdotes révélatrices de pratiques relevant du mélange des genres entre le journalisme et la communication. « Si cette agitation a pu permettre de faire avancer les esprits dans le bon sens, tant mieux, se félicite un membre de la direction, désireux de voir le journal repartir sur des bases saines. Mais la poursuite des polémiques desservirait désormais le titre ». Nos appels à Jean-Louis Louvel et Valéry Jimonet, le directeur général de Paris-Normandie, sont restés sans réponse.
De fait, c’est sur la solidité des offres que devra se prononcer, lundi, le tribunal de commerce et de ce côté-là, « il n’y a pas photo », assure une élue. Les administrateurs judiciaires et liquidateurs, le juge-commissaire et le procureur de la République ont souligné la supériorité de celle de Rossel par rapport à celle de la holding NP, de même que le vote interne des salariés largement favorable à Rossel.
Les deux prétendants au titre de presse prévoient de supprimer une soixantaine de postes sur les 240 que compte actuellement le journal (Rossel promettant une indemnité supra légale de 28 000 euros) mais quand l’un promet de conserver les sept éditions et agences, l’autre envisage de n’en garder que quatre. Enfin, les garanties financières apportées par Rossel (déjà candidat à la reprise de Paris-Normandie par le passé) sont plus grandes, et les redressements récents considérés comme réussis de L’Union de Reims et du Courrier Picard rassurent. Reste, pour les salariés, la crainte que Jean-Louis Louvel compte des amis très fidèles, peut-être trop, au tribunal de commerce de Rouen. « On ne peut évidemment préjuger de rien, mais on a peur, conclut une journaliste. On ne veut pas qu’il revienne, c’est tout ».
De jeunes adultes parcourent les rues de Bordeaux pour nettoyer celles-ci dans le cadre du projet « travail alternatif payé à la journée », en 2018. GEORGES GOBET / AFP
Face au chômage des moins de 25 ans, structurellement supérieur à celui du reste de la population, les gouvernements successifs se sont ingéniés à lancer, les uns après les autres, « leur » mesure en faveur de l’emploi des jeunes. Ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler « les contrats aidés » se sont multipliés depuis quarante ans. La première disposition date de 1977, lorsque le taux de chômage des moins de 25 ans atteint 11,3 %, contre 5,3 % pour l’ensemble de la population active.
Se sont ensuite succédé les travaux d’utilité collective (TUC), en 1984, puis, après un « plan d’urgence pour l’emploi des jeunes », en 1986, les contrats emplois solidarité (CES), puis les contrats initiative emplois (CIP), les emplois-jeunes, les contrats jeunes en entreprise, ceux dits « d’avenir », « d’initiative emploi », ou « d’accompagnement vers l’emploi ». Puis il y aura le mort-né contrat première embauche, le contrat unique d’insertion, les emplois d’avenir, le parcours emploi-compétences et, enfin, la garantie jeunes, généralisée en France au 1er janvier 2017. Un enchaînement de dispositifs qui illustre la limite de ce type de politique.
Parallèlement, des aides pour les entreprises embauchant des jeunes ont été prises, le plus souvent sous forme d’allègements de charges. A cet arsenal, il convient d’ajouter les dispositifs en faveur de l’apprentissage et de la formation en alternance.
Enchevêtrement de mesures
Qu’en est-il de l’efficacité de ces mesures ? La ministre du travail Muriel Pénicaud avait tranché le débat en août 2017. « Des études de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques [Dares], de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] comme de la Cour des comptes montrent trois choses : un, les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation ; deux, ils ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage ; et trois, ils ne sont pas un tremplin pour l’insertion professionnelle », avait-elle assuré à l’Assemblée nationale.
De faux CV montrent qu’un jeune issu d’un emploi aidé non marchand, mais sans formation qualifiante, reçoit le même taux de réponses que s’il était resté au chômage
Certes, un tel enchevêtrement de mesuresrend difficile une évaluation de leur efficacité, d’autant qu’elles ne s’adressent pas toutes aux mêmes publics. Pour autant, les différentes études menées sur le sujet livrent un bilan bien plus nuancé que celui de la ministre du travail, et quelques lignes de force peuvent en être tirées. La première concerne les emplois aidés. « Le plus fort taux de retour à l’emploi est obtenu avec les emplois aidés dans le secteur non marchand (services publics, associations…), s’ils s’accompagnent d’une formation diplômante reconnue », assure Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
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Sur le Vieux-Port de Marseille, deux personnes saluent en respectant les gestes barrières pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19, le 17 mai. CLEMENT MAHOUDEAU / AFP
Chaque semaine pendant le confinement, une dizaine d’entrepreneurs issus des quartiers populaires se sont donné rendez-vous par visioconférence pour des séances express d’une demi-heure. L’objectif : « Se soutenir, s’aider, régler les problèmes les plus urgents », raconte Oilid Mountassar, 42 ans. Consultant indépendant en excellence opérationnelle, il est à l‘origine du collectif Give and Receive, à Marseille, destiné à « renforcer notre écosystème, nos réseaux de solidarité ».
En pleine crise sanitaire liée au Covid-19, ils ont consacré leur énergie au succès de la plate-forme de soutien scolaire lancée cinq mois plus tôt par l’un d’eux, Ilias El-Gabli, 26 ans, fondateur de Trouve ton prof. Les écoles fermées, les parents démunis : le projet collait à la période. « Le projet d’Ilias est celui qui avait le plus de potentiel à ce moment-là, on s’est d’abord concentrés sur celui qui pouvait réussir », explique M. Mountassar.
« Ça n’a pas suffi »
L’entrepreneur évoque les difficultés rencontrées par les « minorités économiques exclues des grands réseaux influents » qui peinent à se faire une place dans la « start-up nation » chère à Emmanuel Macron, « à 85 % blanche et masculine et souvent sortie des grandes écoles ». La crise qui s’annonce ne devrait pas arranger les choses.
Il y a quatre ans, une étude du cabinet de conseil Roland Berger et de l’incubateur Numa, sur la base de 375 start-up interrogées, révélait que près de la moitié des fondateurs seraient diplômés d’une grande école, pour moitié d’une école de commerce et pour l’autre, d’une école d’ingénieurs. «Le système ne mise pas gros sur nous », regrette M. Mountassar.
Ilias El-Gabli, diplômé en ingénierie mécanique de La Sorbonne, à Paris et ancien cadre au sein du groupe Safran, a présenté son projet à sept banques avant d’en trouver une qui accepte de lui prêter 40 000 euros. « J’ai fait une grande université, travaillé dans une grande entreprise internationale, mais ça n’a pas suffi », commente le jeune homme de Cergy (Val-d’Oise), fils d’un professeur de maintenance industrielle et d’une mère au foyer.
Trouve ton prof met en relation des personnes en capacité de donner des cours et celles qui sont à la recherche de soutien scolaire à des tarifs raisonnables : entre 10 et 20 euros de l’heure. Durant le confinement, il a fallu repenser son offre et son modèle économique. Proposer des cours à distance ? « Oui, mais comment ? » Ouvrir la plate-forme aux bénévoles pour offrir des cours gratuits ? « Oui, mais comment l’expliquer aux professeurs payants ? » Changer de modèle économique postconfinement ? « Oui, mais comment se rémunérer ? »« Grâce à nos réunions, on a trouvé les solutions », se réjouit M. El-Gabli.
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