« Bifurquer, asperger de soupe : ces démarches sont-elles les solutions les plus efficaces pour provoquer les changements attendus ? »
Les étudiants d’AgroParisTech ont durablement marqué les esprits. En affirmant, face caméra, lors de leur remise de diplôme, leur choix de « bifurquer », d’être apiculteurs, boulangers ou permaculteurs, plutôt que cadres dans de grandes entreprises, ils ont révélé l’exaspération d’une partie de leur génération.
Non, ils n’acceptent pas d’être associés à des organisations dont ils jugent l’impact globalement négatif. Oui, ils préfèrent gagner moins, plutôt que cautionner la passivité de certaines entreprises face à la montée des périls, le dérèglement du climat ou l’écroulement brutal de la biodiversité.
Ces discours dérangeants reflètent les perceptions de pas moins d’un tiers des 18-30 ans, refusant de postuler dans des entreprises au comportement environnemental problématique (sondage Harris, mars 2022). Certains choisissent donc le repli, la posture d’observation critique « à la Rousseau ». Ils se retirent dans des bulles progressistes depuis lesquelles ils contemplent le reste du monde et inventent de nouvelles manières de vivre, à petite échelle.
D’autres voies existent
Une stratégie de préservation de l’estime de soi face à la compromission. D’autres se tournent vers une action militante plus classique, suscitant l’émoi de l’opinion pour faire pression sur les décideurs. Ils prônent la désobéissance civile, aspergent de soupe à la tomate des tableaux de maître ou se collent à des voitures de sport…
Mais s’exposer ainsi pour dénoncer ou refuser d’intégrer les grandes organisations, bifurquer, asperger de soupe, ces démarches sont-elles les solutions les plus efficaces pour provoquer les changements attendus ? D’autres voies existent. Plusieurs recherches en management montrent que des personnes non décisionnaires, comme des managers locaux, disposent en réalité de marges de manœuvres pour faire cheminer leurs idées, les transformer en projets collectifs et infléchir ainsi les stratégies des organisations.
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Nous mettons en évidence dans notre thèse de doctorat (« La critique dans et à travers les organisations : une approche narrative », 2021) certains moyens de parvenir à ces résultats. Premier conseil à celles et ceux qui voudraient se joindre à cette « armée des ombres » : gérer les impressions, selon l’expression du sociologue Erving Goffman, autrement dit paraître aussi « normal » que possible pour faciliter la relation.
Proposer des narratifs attractifs
Les décisions sont rarement prises dans les instances officielles ; elles se préparent dans les coulisses. Il est donc indispensable de se faire accepter, apprécier, pour pénétrer progressivement dans les cercles de pouvoir. Pour cela, porter son indignation en bandoulière est une grave erreur. Il faut se montrer posé au contraire, rassurant, s’imposer comme crédible, membre du sérail.
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