Problème des intérimaires face à la « prime Macron »
Les formalités de concentration de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat excluent un bon nombre de travailleurs provisoires.
Quand il a lu l’annonce affichée mi-janvier sur la porte de l’atelier, Stéphane, 23 ans, soudeur dans une PME, a « sauté de joie ». Une prime inhabituelle de pouvoir d’achat (PEPA) d’un montant de 700 euros allait être versée « aux acteurs » de cette société, sous provision d’avoir perçu un salaire inférieur à 30 000 euros en 2018, ce qui est le cas du jeune homme. Sauf que la note négligeait de définir que les intérimaires, dont il fait partie, étaient exclus de cette mesure par la direction. « Je suis dégoûté », lâche-t-il.
Stéphane est loin d’être le seul à vivre cette déception. La PEPA, éclaircie par Emmanuel Macron le 10 décembre 2018 en pleine crise des « gilets jaunes » et rédigée dans la loi du 24 décembre, ne visait-elle pas à « soutenir le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes, des précaires comme moi ? », réclame Jamel, un intérimaire de 41 ans, sans prime lui aussi.
Théoriquement, les intérimaires en profitent si elle est mise en place pour les salariés de leur entreprise de travail temporaire ou de leur entreprise habituée, et dans les mêmes conditions. Pour qu’elle soit exemptée d’impôt et de charges sociales, il faut notamment que le salarié ait été contrat de travail au 31 décembre 2018. L’instruction interministérielle du 6 février précise bien ce droit.
« Je donne autant au travail qu’un salarié en CDI »
Malgré cela, l’organisation du dispositif n’est guère adéquate aux intérimaires. Au début parce plusieurs entreprises terminant pour les fêtes de fin d’année, bon nombre d’intérimaires ne sont pas en contrat ce jour-là.
Principalement, encore faut-il que les entreprises apposent ce principe de la similitude de comportement entre intérimaires et leurs propres salariés, inscrit dans le code du travail (article L 1251-43). « Si une entreprise utilisatrice met en place la prime pour ses salariés permanents, elle doit aussi la verser aux intérimaires, insiste Stéphane Béal, directeur du département droit social au cabinet Fidal, qui conseille les employeurs. Nous avons dit nos clients de faire attention à ce point. Après, certains nous écoutent, d’autres pas. »
Qu’en est-il dans la réalité pour les quelque 787 800 intérimaires comptés au quatrième trimestre 2018 ?
L’Agence centrale des organisations de Sécurité sociale (Acoss), l’entrelacement qui assemble les caisses Urssaf, a édité un premier bilan du mécanisme portant sur les primes exercées en décembre et janvier : 2 millions de salariés en ont profité, sans toutefois désigner le nombre d’intérimaires. « Nous ne disposons pas de cette donnée », déclare-t-on à l’Acoss. Le ministère du travail, lui, n’a pas donné suite à nos proclamations.
Une douche froide, glacée même. Mercredi 20 mars au matin, les 300 salariés d’Arjowiggins qui faisaient le pied de grue devant le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) ont vu leurs représentants ressortir de l’audience la mine sombre. « Ce sera certainement une liquidation judiciaire pour le site de Bessé-sur-Braye », lâche Laurent Trudel, délégué CGT de l’usine concernée dans la Sarthe. « Le tribunal a laissé très peu de chance. Il estime que les prêts de l’acheteur ne sont pas assez garantis », déclare le délégué CGT.
Le 19 mars, les organisations syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC et FO) avaient malgré cela cosigné un avis portant un soutien unanime au spécialiste suédois du papier Lessebo Paper, adhérant « au projet industriel et commercial » qu’elles tranchaient « cohérent et pertinent ».
Le tribunal de commerce ne l’a pas expérimenté ainsi et a mis sa fin en délibéré jusqu’au mardi 26 mars. « L’audience ne s’est pas bien déroulé, réaffirme Thomas Hollande, avocat du cabinet LBBA, qui conseille les salariés. Lessebo Paper a reconnu que son offre ne pouvait pas être considérée par le tribunal car il n’était pas en aptitude d’affirmer la date à laquelle il pourrait disposer des fonds prêtés par les banques suédoises ».
Malgré cela, entre cette assistance et la précédente (6 mars), la somme jugée indispensable pour ce projet de reprise est passée de 65 millions d’euros à 50 millions, également partagée entre le repreneur et les pouvoirs publics (la Banque publique d’investissement et les Régions Pays de la Loire et Centre).
« Un coup de massue »
Lessebo Paper est le seul à avoir énoncé une offre pour les trois usines du papetier Arjowiggins, qui emploient 913 salariés en Sarthe et dans l’Aisne. Il prévoit de maintenir 413 salariés sur 568 à Bessé-sur-Braye (papier recyclé), 210 sur 270 chez les voisins de Saint-Mars-la-Brière (ouate de cellulose), et la totalité des 75 salariés de Greenfield (pâte à papier recyclée), à Château-Thierry (Aisne). Ces deux derniers sites font l’objet d’offres alternatives que le tribunal jugerait acceptables.
Si Lessebo Paper ne parvient pas à rapporter in extremis les garanties financières promises, seul le site de Bessé-sur-Braye serait évalué à une liquidation judiciaire. « On a demandé un ultime report de quinze jours, plaide encore Thomas Hollande, mais les mandataires et administrateurs judiciaires ont dit que c’était trop tard et ont demandé la liquidation d’Arjowiggins à Bessé-sur-Braye. C’est un coup de massue pour les représentants du personnel et leurs conseils. »
Christelle Morançais, présidente (LR) du conseil régional des Pays de la Loire et Sarthoise de naissance, veut encore croire que « rien n’est fait ». Elle a écourté la session du conseil régional pour se consacrer au dossier Arjowiggins, ce vendredi 22 mars. « Il faut à tout prix que le futur repreneur soutient des éléments nouveaux. C’est très urgent, c’est le seul moyen d’être pris en considération. Nous, Etat et Région, on a fait ce qu’il fallait pour l’accompagner. Bessé-sur-Braye, c’est là où il y a le plus de salariés et c’est le territoire le plus isolé. Le bassin d’emploi le plus proche est à 50 minutes en voiture. Vous imaginez le drame social ? », s’inquiète-t-elle.
« On a encore un très faible espoir »
« On a encore un très faible espoir, reprend Laurent Trudel. On est les seuls à faire du papier 100 % réorienté. En France, on consomme chacun 100 kg de papier par an et on ne recycle en moyenne qu’une feuille sur quatre. Il y a encore un potentiel énorme. Si l’usine ferme, il va devoir partir. Ce sera une vie qui change totalement et un village qui meurt. »
Une issue d’autant plus pénible que le précédent actionnaire (Sequana) est soupçonné par les salariés d’avoir ponctionné 12 à 15 millions d’euros dans les comptes de l’usine de Bessé-sur-Braye après la cessation de paiement, prononcée le 15 novembre 2018. Les représentants du personnel ont écrit au procureur de la République pour signaler cette pratique illégale. Leur avocat confirme : « On se réserve la possibilité d’escompter des actions judiciaires à ce sujet. »