Les établissements universitaires européens ne doivent ni suivre ni subir les palmarès internationaux, mais choisir une position plus offensive, selon Timothée Toury, enseignant-chercheur.
Le débat sur la réforme du code du travail, qui fit rage en 2017, vient de rebondir devant le conseil de prud’hommes de Troyes. Dans cinq litiges, cette juridiction vient de juger contraire aux engagements internationaux de la France une des mesures les plus importantes adoptées l’an passé : le plafonnement des dommages-intérêts qu’un tribunal accorde à un salarié victime d’un licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Cette disposition, Emmanuel Macron y tient beaucoup, puisqu’il l’avait inscrite dans son programme de campagne après avoir – vainement – tenté de la mettre en place quand il était ministre de l’économie, sous le quinquennat de François Hollande.
Les jugements rendus jeudi 13 décembre constituent une première. L’un d’eux fait suite à un différend entre un homme et l’ancienne entreprise où il travaillait. Jean-Paul G. avait saisi les prud’hommes de Troyes, courant février, quelques jours après avoir appris que son employeur voulait le congédier, en raison de difficultés économiques. Dans sa demande, le salarié avait – notamment – exprimé le souhait que soit écarté le barème obligatoire instauré en 2017, au motif que celui-ci ne respecte pas deux textes : la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne. Celles-ci prévoient qu’une juridiction, en cas de licenciement infondé, doit pouvoir ordonner le versement au salarié d’une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de réparation « appropriée ».
« Marge d’appréciation »
Les prud’hommes ont donné gain de cause à Jean-Paul G. Pour eux, la réforme de 2017 a eu comme effet d’introduire « un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales [qui] ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ». En outre, les montants maximaux fixés dans le barème « ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse » : ils « sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ». Une précision importante : la décision de jeudi a été rendue par une formation collégiale, composée de deux conseillers salariés et de deux conseillers employeurs, ce qui signifie que l’un de ces derniers, au moins, était favorable à l’analyse juridique développée dans le jugement.
Dans une tribune au « Monde », un collectif de doctorants de l’Ecole polytechnique exprime son opposition à l’augmentation des frais universitaires des étudiants extracommunautaires. Cette mesure qu’il juge discriminatoire risque de dégrader fortement leur condition de travail et dévalorise le doctorat.
Tribune. Le premier ministre Edouard Philippe a annoncé une nouvelle stratégie concernant l’attractivité de l’enseignement supérieur français auprès des étudiants internationaux intitulée #BienvenueEnFrance. Cette réforme se matérialise par une forte augmentation des frais universitaires pour l’intégralité des étudiants non-européens. Spécifiquement, les frais augmentent de 170 euros à 2 770 euros annuels pour les licences, et de 243 euros et 380 euros à 3770 euros pour les masters et doctorats respectivement. En contrepartie, le gouvernement propose d’introduire seulement 14 000 bourses d’excellence pour l’ensemble des étudiants (320 000 étudiants étrangers actuellement).
Cette annonce a déjà suscité de nombreuses et légitimes réactions, notamment portées sur les étudiants en licence ou en master : ce plan remet, en effet, en cause une valeur cardinale de notre système universitaire, son accès égalitaire car peu onéreux. Mais nous voulons quant à nous approfondir spécifiquement le sujet rarement discuté des doctorants, dont le statut de salarié est trop souvent occulté dans ces réformes. Nous, doctorantes et doctorants à l’Ecole polytechnique, nous opposons au projet de réforme qui dégrade sévèrement nos conditions de vie, dévalorise dangereusement la vision du doctorat et nous paraît discriminatoire vis-à-vis des lois du travail.
Nous sommes avant tout de jeunes travailleurs en début de carrière, avec au moins cinq ans d’études supérieures à notre actif. Nous avons réussi à obtenir un financement pour notre thèse sur la base d’un concours et la plupart d’entre nous ont un contrat de travail de trois ans afin d’accomplir notre mission de recherche. La réalité du travail en thèse est telle que le laboratoire devient notre seconde maison pour cette période, avec des horaires « hors forfait » et une pression grandissante pour publier.
Membres à part entière
Nous fournissons une partie très importante du travail de recherche : dans le périmètre de Paris-Saclay, nous sommes par exemple co-auteurs d’environ 70 % des publications scientifiques qui produisent le rayonnement de nos laboratoires sur la scène nationale et internationale.
Nos travaux de recherche peuvent également donner lieu à la création de start-up, si attendues aujourd’hui pour la croissance économique du pays, et nous encourageons de fait la création d’incubateurs dans les universités et les écoles, et l’accompagnement de la recherche par des cellules de valorisation dans les organismes comme le CNRS. En parallèle, nous sommes régulièrement impliqués dans des activités d’enseignement, en encadrant des stagiaires ou des travaux dirigés.
La question du salaire minimum est totémique en France. L’intuition première est qu’augmenter le smic est le meilleur moyen d’accroître le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres. Une littérature économique maintenant abondante a montré que cette intuition n’est pas toujours vraie. Depuis sa création, en 2008, le Groupe des experts sur le smic s’appuie sur ce constat pour recommander d’utiliser des dispositifs comme la prime d’activité afin d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres, plutôt que des coups de pouce au smic. Ces analyses, épaulées par les contributions des services de l’Etat (Insee, ministère du travail, Direction du Trésor), dont la compétence et le professionnalisme sont reconnus par tous, sont présentées chaque année dans un rapport accessible à tous.
Dans ce contexte, on ne peut que regretter que soient encore énoncées des contre-vérités pour fustiger les analyses des experts sur le smic, accusés d’appartenir à une même école de pensée et de délibérer dans un suspect entre-soi.
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Certains affirment qu’une augmentation du smic pourrait accroître l’emploi, en citant des travaux portant sur les Etats-Unis. Ces études ont certes montré qu’une hausse du salaire minimum pouvait créer des emplois, mais ce salaire était, dans ces cas précis, particulièrement faible, et ce qui peut être vrai là-bas ne l’est pas nécessairement ici. Le salaire minimum, dans notre pays, est un des plus élevés de l’OCDE et les études examinant spécifiquement les conséquences d’une hausse du smic sur l’économie française ont toutes conclu à un effet défavorable sur l’emploi, en particulier non qualifié.
Cibler les plus vulnérables
Il est aussi affirmé que le coût du travail des personnes peu qualifiées n’aurait aucune influence sur leur emploi dans notre pays, et que les politiques de baisse des cotisations sociales sur les bas salaires pratiquées dans l’Hexagone depuis les années 1990 par des gouvernements de tout bord seraient inefficaces. Cette affirmation est proprement ahurissante : les études qui ont examiné les effets des allégements de cotisations sociales ont toutes conclu qu’elles permettaient de sauvegarder ou de créer des emplois peu qualifiés.
Autre affirmation inexacte, appuyée là encore sur quelques indications éparses en provenance des Etats-Unis, le salaire minimum réduirait les inégalités. Pour ce qui concerne notre pays, cette assertion n’est pas démontrée. En France comme ailleurs, les deux principaux facteurs de pauvreté d’un ménage sont un faible temps de travail et la taille du foyer. Plus de 80 % des ménages dont au moins un des membres est rémunéré au smic ne font pas partie des ménages pauvres. Une hausse du smic n’est donc pas le bon instrument pour lutter contre la pauvreté, car il est peu ciblé sur les pauvres. Les études chiffrées menées par le Groupe des experts sur le smic indiquent sans ambiguïté qu’une hausse de la prime d’activité est bien plus efficace qu’un « coup de pouce » sur le smic, car elle permet de cibler les ménages les plus vulnérables, en particulier les ménages monoparentaux.
La chute brutale de Carlos Ghosn a stupéfié le monde des affaires. Elle n’aurait pourtant pas dû soulever ceux-là mêmes qui invitent à accueillir avec inspiration la remise en cause permanente des modèles industriels et des avantages acquis. Après tout, que le déséquilibre des postes concerne aussi les dirigeants confirme la réalité d’une économie qui se targue d’être en mouvement perpétuel…
Au-delà de ces aspects, la disgrâce de M. Ghosn s’inscrit en réalité dans une logique banale de compétition pour le pouvoir, notamment lorsque s’ouvre une guerre de succession. Banalité qui donne l’occasion de lever deux illusions sur la gouvernance des très grandes firmes multinationales.
Première illusion : croire que la direction de ces entreprises obéit à une rationalité pure, exempte de passions et d’ambitions privées. Loin d’être établi de manière impartiale pour le service de l’intérêt économique de l’entreprise, le pouvoir de gouverner se désire et se gagne. En vingt ans, M. Ghosn a catalysé par son travail et son charisme un empire industriel devenu le numéro un mondial de l’automobile. A 64 ans, régnant sur près d’un demi-million de collaborateurs dans le monde, il présidait à la fois le groupe multinational et chacune de ses entités nationales : Renault, Nissan, Dacia, Avto VAZ (la marque Lada) et Mitsubishi Motors depuis 2016.
Un coup inévitable
Comme souvent dans les jeux de gérance, la succession d’un tel chef au pouvoir absolu est une fenêtre de tir idéale pour avancer des pions et recomposer les pouvoirs : après Carlos Ghosn, le maître du groupe mondial sera-t-il français, comme Thierry Bolloré, actuel DG adjoint de Renault, ou japonais, comme Hiroto Saikawa devenu DG de Nissan en 2017 ?
Question d’orgueil national autant que d’ambitions privées. Les Japonais supportent mal que Renault possède 43 % de Nissan quand leur société ne détient que 15 % du constructeur français et aucun droit de vote. Les dirigeants japonais sont de ce fait privés de toute possibilité de conduire la stratégie du groupe. Pourtant, en 2017, le chiffre d’affaires de Renault était de 59 milliards d’euros, quand celui de Nissan atteignait 93 milliards. Le résultat net du constructeur français était de 2,5 milliards, contre 6,6 milliards pour la firme japonaise. Nissan contribue puissamment à un empire industriel sans que ses dirigeants ne le gouvernent…
Après plusieurs mois d’incertitude, Ford a annoncé, jeudi 13 décembre, dans un communiqué, qu’il écartait l’offre de reprise de la société franco-belge Punch Powerglide pour son usine de Blanquefort, en Gironde.
« Ford Aquitaine Industries (FAI) a informé, ce jour, son comité d’entreprise avoir décidé de ne pas donner de suite favorable à la vente du site de FAI à l’acquéreur potentiel », annonce l’entreprise. Elle ajoute avoir « présenté un plan social complet » pour un arrêt de la production du site qui emploie 850 personnes, prévu à la fin d’août 2019.
« Malgré les discussions rigoureuses et approfondies des neuf derniers mois, et les meilleurs efforts fournis par chacune des parties, le plan proposé par le repreneur potentiel présente des risques significatifs », affirme Ford dans son communiqué.
Ford estime qu’un plan social est préférable à un projet de reprise, qu’elle juge fragile depuis le début. « Nous ne croyons pas que les plans de l’acquéreur potentiel offrent le niveau de sécurité et de protection, ou limitent le risque de possibles pertes d’emplois futures, que nous souhaitons pour les salariés de FAI », a déclaré le constructeur. « FAI a présenté un plan social complet qui comprend notamment un congé de reclassement d’une durée étendue à compter d’octobre 2019 », a souligné l’entreprise.
A la fin de février, Ford avait déclaré cesser tout investissement dans son usine girondine de fabrication de boîtes de vitesses, implantée dans la banlieue bordelaise depuis 1972.
Bruno Le Maire révèle une « trahison »
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a rapidement réagi à cette annonce, critiquant le constructeur automobile de « trahison ». Devant les sénateurs, il l’a appelé à revoir sa décision :
« Je veux profiter de la représentation nationale pour appeler Ford solennellement à réviser sa décision et à accepter la reprise de Punch qui garantit l’avenir du site industriel de Blanquefort. »
« Je suis révolté, je suis écœuré par cette décision qui ne se justifie que par la décision de Ford de faire monter son cours de Bourse », a-t-il dit. « Je veux dénoncer la lâcheté de Ford à qui je demande à parler depuis trois jours et qui n’a même pas eu le courage de prendre le ministre de l’économie et des finances au téléphone », a-t-il poursuivi. « Je veux dénoncer le mensonge de Ford qui dit, dans ce communiqué, que l’offre de reprise n’est pas crédible alors que nous y travaillons depuis des mois », a aussi dit Bruno Le Maire, pour qui la décision du constructeur constitue une « trahison » des 850 salariés de l’usine de Blanquefort.
Le Maire s’était personnellement touché dans ce dossier et avait appelé mardi soir le constructeur états-unien à accepter le projet de reprise de la société franco-belge Punch Powerglide, qui devait préserver 400 emplois.
Les syndicats de Ford Blanquefort avaient eux aussi accentué le plan, en acceptant un gel de salaire pendant trois ans, la perte de trois jours de RTT et un changement du temps de travail. L’Etat, la région Nouvelle-Aquitaine et la métropole de Bordeaux devaient apporter un « soutien financier de 15 millions d’euros » à ce projet industriel.
La société belge Punch Motive International (PMI), détenue par Guido Dumarey, a racheté au début de 2013 l’ex-site de General Motors Strasbourg, devenu Punch Powerglide.
Le 4 juin, dans les salons du ministère de la culture, en pleine présentation du changement de l’audiovisuel public prescrit par le gouvernement, Delphine Ernotte annonçait la couleur : une refonte absolue du modèle de France Télévisions est nécessaire. Six mois après, mercredi 12 décembre, la présidente des chaînes de la télévision publique en a présenté le volet social devant les organisations syndicales.
Au programme, une diminution du nombre de salariés avec des départs volontaires et un désir de « recomposition des effectifs nécessaires à la transformation » au moment où les télévisions traditionnelles font face au défi de Netflix et doivent aller chercher les jeunes là où ils se trouvent, sur le numérique. D’où la nécessité d’avoir en interne de nouveaux profils plus tournés vers les nouvelles technologies.
Les représentants du personnel n’ont pas été ébahi en raison de la cure d’économies assujetti par le gouvernement à l’ensemble de l’audiovisuel public, dont France Télévisions – qui dispose de 2,5 milliards d’euros d’argents publiques – assume la plus grande part : 160 millions en moins d’ici à 2022. L’effort financier réel devrait se situer plutôt aux alentours de 350 millions si l’on prend en compte le glissement naturel des charges et l’obligation imposée par la tutelle d’investir dans le numérique.
« Faire partir les seniors »
Ce qui est récent, c’est la solution retenue. Mme Ernotte a en effet expliqué au Comité social et économique central (CSEC), la plus haute instance représentative du personnel, vouloir recourir à un plan de départs sous forme d’une rupture conventionnelle collective (RCC). Cette procédure, créée par les ordonnances Macron ayant réformé le code du travail en 2017, permet à une entreprise de négocier des plans de départs volontaires sans justifier de difficultés économiques.
Ce plan sera financé, a assuré aux représentants syndicaux Delphine Ernotte. « On aura les moyens », explique-t-on à France Télévisions. Le gouvernement a donc donné son accord, mais aucun détail n’est fourni pour le moment. Les deux derniers plans de départs volontaires dans l’entreprise publique remontent à 2009-2012 et 2014-2015. Ils avaient coûté respectivement 27,5 millions d’euros et 28 millions, et conduit à 696 et 305 départs, soit près de 40 000 euros par personne pour le premier et plus de 90 000 pour le second, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2016. Mais cela n’avait guère permis de rajeunir l’effectif de l’entreprise, où l’âge moyen est de 49 ans, souligne ce rapport.
D’après Arnaud Lesaunier, directeur général délégué des ressources humaines de France Télévisions, il s’agit cette fois à la fois de diminuer les effectifs, mais aussi de permettre « une mixité sociale et générationnelle dans l’entreprise ». Actuellement, la pyramide des âges à France Télévisions ressemble à une toupie affûtée : la moitié des effectifs a 50 ans ou plus, à peine 3 % ont 30 ans ou moins. « Il y a à la fois une ambition de transformation, sinon on ne sera pas au rendez-vous, et dans le même temps nous avons des économies à réaliser », explique-t-il. Marc Chauvelot, délégué syndical central CGT, y voit une résolution de « faire partir les seniors et embaucher des jeunes formés au numérique dans une vision productiviste ».
« Ambition sur le numérique »
Là non plus, aucun chiffre n’est annoncé du côté de la direction. M. Chauvelot évoque 2 000 départs et 1 000 embauches, soit un déficit net de 1 000 pour un effectif total de 9 600 employés à temps plein, dont 8 400 permanents. Des chiffres que M. Lesaunier refuse de confirmer ou de démentir : « On les réserve aux organisations syndicales. » Mme Ernotte a également annoncé son intention de réviser l’accord collectif signé en mai 2013.
Dans une motion, les élus du CSEC ont dénoncé une « restructuration de grande ampleur ». Pour Serge Cimino, délégué SNJ, se met en place « un modèle low cost qui sous couvert d’une ambition sur le numérique se résume à une question de maîtrise des coûts ». Delphine Ernotte insiste, elle, sur le mot « transformation »et sur le dialogue social. Aucun départ ne sera contraint, affirme-t-elle. Il s’agit, détaille M. Lesaunier, à la fois d’accompagner ceux qui voudront partir, de garder les « talents » parmi les non permanents et d’en recruter de nouveaux, bref de préparer l’entreprise pour demain. « Nous avons besoin de compétences portées par toutes les générations », souligne-t-il. Car, plus généralement, « un plan de formation et d’accompagnement à la transformation sera mis en œuvre », insiste-t-il. « C’est un moment nécessaire, mais il faut qu’on en fasse un moment utile en dialoguant avec les organisations syndicales », insiste M. Lesaunier.
Les échanges vont commencer début janvier. Un RCC doit obtenir un accord majoritaire au sein des syndicats représentatifs (CGT, FO, CFDT et SNJ). Dans leur motion, les syndicats ont fait front uni et ont d’ores et déjà annoncé refuser « un nouveau plan de suppression de postes, s’ajoutant à ceux en cours ». Le paquebot France Télévisions est entré sur une mer agitée.
L’avocat Bruno Blanquer propose un moyen de concilier la transition écologique et l’équité entre les citoyens.
Le gouvernement avait imaginé que les hausses présentes et à venir des taxes sur les carburants ne placeraient pas de problèmes au motif qu’il s’agissait d’une fiscalité verte, mise en œuvre au nom de la transition écologique. Fort justement les « gilets jaunes » ont demandé quelle en était l’utilisation et il est apparu que les recettes correspondantes étaient noyées dans le budget général de l’Etat. Comme elles étaient d’un montant équivalent à celui dont s’est privé l’Etat en remplaçant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), quatre milliards d’euros environ, le lien entre l’un et l’autre a été fait, entraînant la demande de rétablissement de cet impôt moins de six mois après sa modification.
Cela pose la question de l’avenir de l’approbation des contribuables à une fiscalité verte. Les contribuables sont-ils encore prêts à accepter de payer des impôts supplémentaires pour financer la transition écologique après avoir regretté le départ du gouvernement de son champion, Nicolas Hulot, ou est-ce le triomphe de l’idéologie Trump, hostile à toute hausse du prix de l’énergie et des impôts. Ce dont on est sûr, c’est que l’on ne peut plus continuer à affirmer mettre en place une fiscalité au nom de la transition écologique et être dans l’impossibilité de prouver son utilité pour le financement de ladite transition.
Pourtant les grandes valeurs du droit budgétaire qui interdisent l’affectation d’une recette à une dépense déterminée justifiaient la façon de procéder de nos gouvernants. Le fait que toutes les recettes doivent être versées dans une caisse unique où l’origine des fonds est indéterminée permet, en théorie, à l’autorité budgétaire de conserver son pouvoir de décision et de gérer les fonds publics en respectant les notions de solidarité et d’unité nationale. Sauf que là nous avons atteint la limite de ces principes qui doivent dès lors être dépassés.
Isoler la fiscalité verte
L’Etat va devoir avoir utiliser les dérogations possibles à la règle de non-affectation pour pouvoir isoler la totalité de la fiscalité verte et l’ensemble de ses utilisations (nécessairement vertes), afin de pouvoir répondre aux objections similaires des « gilets jaunes » quant à la sincérité des motivations écologiques proclamées lors de la mise en place ou de l’augmentation d’une taxe ou d’un impôt. Ces mécanismes, budgets annexes ou comptes d’affectations spéciales, sont des concepts peu explicables, de sorte qu’il serait plus payant politiquement d’isoler la fiscalité verte et la gestion de ses produits dans une entité tierce, telle que la Sécurité sociale en matière de santé et de retraite ou Pôle emploi pour les demandeurs d’emploi.
Le livre. Le temps se répand, il passe, il s’en va, « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », rappelle Héraclite. Avec le commencement du capitalisme, les anciennes métaphores pour parler du temps cèdent la place à des expressions qui ont trait à la notion de possession et de rentabilité : on perd du temps, on en manque, ou on en gagne, car bien évidemment le temps, c’est de l’argent.
Depuis une vingtaine d’années, un autre type de métaphores a occupé le champ des représentations contemporaines à propos du temps : on parle de contraction, d’accélération du temps. La compression « traduit le fait que de plus en plus de choses doivent être accomplies dans la même unité de temps et l’accélération du temps correspond au sentiment que le temps passe de plus en plus vite, qu’il nous pressure et nous emporte, nous enserrant dans une obligation d’accélérer nous-mêmes toujours plus dans l’accomplissement de nos tâches », analyse Nicole Aubert, directrice de l’ouvrage@la recherche du temps. Individus hyperconnectés, société accélérée : tensions et transformations.
Dans notre société hypermoderne, le temps se vit dans des périodes toujours plus courts. Bien sûr, ce n’est pas le temps réel qui accélère mais nous, pour des raisons d’ordre à la fois technologique et économique, avec « l’avènement d’une économie régie par la dictature du capitalisme financier dont les marchés s’ajustent à la microseconde afin d’anticiper les variations du cours de l’action par des ventes et des achats appropriés », détaille la sociologue et psychologue, professeure émérite à ESCP Europe.
Avoir plus d’argent
Dans le régime économique du capitalisme, l’utilisation des nouvelles technologies n’est pas réservé à libérer du temps pour faire autre chose, mais à gagner toujours plus de temps pour gagner toujours plus d’argent. Cette accélération incessante a une répercussion directe sur le vécu quotidien des acteurs de l’entreprise.
Le bureau ne quitte plus jamais les individus, les cadres se retrouvent en contact continu avec l’entreprise, les univers professionnels et privés se fondent de manière insidieuse, avec les conséquences psychopathologiques qui peuvent en découler. L’entreprise instrumentalise l’individu au service d’objectifs techniques ou financiers qui lui font perdre non seulement son autonomie, « mais aussi, trop souvent, le sens de son action et du travail qu’il accomplit ».
« L’obligation de résultat sera contrôlée avec un délai de mise en œuvre de trois ans » (La ministre du travail Muriel Penicaud et le ministre de l’économie Bruno Le Maire, le 10 décembre, à l’Elysée). LUDOVIC MARIN / AFP
« Je ne suis pas très inquiète, on avait déjà travaillé sur un accord d’entreprise pour l’égalité professionnelle et sur les écarts de salaire entre hommes et femmes », réagit Yasmina Bousraou Koubaa, DRH d’Arterris, un groupe coopératif agricole de 2 200 salariés, dont 30 % de femmes.
Après la présentation le 22 novembre, par la ministre du travail, du nouvel classement d’égalité salariale que les entreprises devront mettre en place à partir de 2019 pour analyser et corriger les écarts salariaux, les directions des ressources humaines se disent globalement confiantes sur la mise en œuvre. « Il faut en passer par là si on veut que les choses évoluent plus rapidement », soutient Renaud Sornin, PDG d’Attestation Légale, une PME de 70 salariés spécialisée dans la gestion des documents administratifs pour les entreprises.
Les objectifs à atteindre pour les entreprises de plus de 250 salariés pour cinq sujets évalués sur un total de 100 points : les écarts de rémunération à âge et poste comparables (principal critère assorti de 40 points), la répartition hommes-femmes des augmentations individuelles (20 points), la répartition des promotions (15 points), l’augmentation de salaire au retour de congé maternité (15 points) et le nombre de femmes parmi les dix plus hautes rémunérations (10 points). De 50 à 250 salariés, augmentations individuelles et promotions sont regroupées sous un seul indicateur pour 35 points.
Ces fin étaient pour certaines déjà présentes dans les accords collectifs signés sur l’égalité professionnelle. « C’est intéressant, parce que cet index va nous permettre de voir la réalité en face, mais cela ne va pas nous engager à faire de gros changements, estime Cécile Kebbal, la directrice des ressources humaines de la Manufacture d’Histoires Deux-Ponts, une imprimerie qui compte une centaine de salariés, pour moitié des femmes, et qui avait mis en place un accord « égalité salariale ». Depuis 2014, la loi impose aux entreprises de 50 salariés et plus de négocier un accord ou de mettre en place un plan d’action sur le sujet. L’index s’inscrit donc dans la continuité, mais avec, ce qui est nouveau, un devoir de résultat.
Cinq éléments à respecter
Tandis que 34 % seulement des entreprises de moins de 299 salariés disposaient d’un accord « égalité salariale » valide, indique le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans sa « Contribution au » Tour de France de l’égalité », annoncé en janvier 2018, seulement 157 sociétés ont été condamnées à une amende depuis 2013. Avec le nouvel index, les entreprises n’atteignant pas le seuil de 75 points (sur un total de 100) risqueront une pénalité pouvant s’élever jusqu’à 1 % de leur masse salariale. L’obligation de résultat sera contrôlée avec un délai de mise en œuvre de trois ans (soit le 1er mars 2022 pour les entreprises de plus de 250 salariés, ou le 1er mars 2023 pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés). « Encore faudrait-il que cette sanction s’applique effectivement », relativise Cécile Kebbal.
Les représentants du personnel n’ont pas été ébahi en raison de la cure d’économies assujetti par le gouvernement à l’ensemble de l’audiovisuel public, dont France Télévisions – qui dispose de 2,5 milliards d’euros d’argents publiques – assume la plus grande part : 160 millions en moins d’ici à 2022. L’effort financier réel devrait se situer plutôt aux alentours de 350 millions si l’on prend en compte le glissement naturel des charges et l’obligation imposée par la tutelle d’investir dans le numérique.
« Faire partir les seniors »
Ce qui est récent, c’est la solution retenue. Mme Ernotte a en effet expliqué au Comité social et économique central (CSEC), la plus haute instance représentative du personnel, vouloir recourir à un plan de départs sous forme d’une rupture conventionnelle collective (RCC). Cette procédure, créée par les ordonnances Macron ayant réformé le code du travail en 2017, permet à une entreprise de négocier des plans de départs volontaires sans justifier de difficultés économiques.
Ce plan sera financé, a assuré aux représentants syndicaux Delphine Ernotte. « On aura les moyens », explique-t-on à France Télévisions. Le gouvernement a donc donné son accord, mais aucun détail n’est fourni pour le moment. Les deux derniers plans de départs volontaires dans l’entreprise publique remontent à 2009-2012 et 2014-2015. Ils avaient coûté respectivement 27,5 millions d’euros et 28 millions, et conduit à 696 et 305 départs, soit près de 40 000 euros par personne pour le premier et plus de 90 000 pour le second, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2016. Mais cela n’avait guère permis de rajeunir l’effectif de l’entreprise, où l’âge moyen est de 49 ans, souligne ce rapport.
D’après Arnaud Lesaunier, directeur général délégué des ressources humaines de France Télévisions, il s’agit cette fois à la fois de diminuer les effectifs, mais aussi de permettre « une mixité sociale et générationnelle dans l’entreprise ». Actuellement, la pyramide des âges à France Télévisions ressemble à une toupie affûtée : la moitié des effectifs a 50 ans ou plus, à peine 3 % ont 30 ans ou moins. « Il y a à la fois une ambition de transformation, sinon on ne sera pas au rendez-vous, et dans le même temps nous avons des économies à réaliser », explique-t-il. Marc Chauvelot, délégué syndical central CGT, y voit une résolution de « faire partir les seniors et embaucher des jeunes formés au numérique dans une vision productiviste ».
« Ambition sur le numérique »
Là non plus, aucun chiffre n’est annoncé du côté de la direction. M. Chauvelot évoque 2 000 départs et 1 000 embauches, soit un déficit net de 1 000 pour un effectif total de 9 600 employés à temps plein, dont 8 400 permanents. Des chiffres que M. Lesaunier refuse de confirmer ou de démentir : « On les réserve aux organisations syndicales. » Mme Ernotte a également annoncé son intention de réviser l’accord collectif signé en mai 2013.
Dans une motion, les élus du CSEC ont dénoncé une « restructuration de grande ampleur ». Pour Serge Cimino, délégué SNJ, se met en place « un modèle low cost qui sous couvert d’une ambition sur le numérique se résume à une question de maîtrise des coûts ». Delphine Ernotte insiste, elle, sur le mot « transformation »et sur le dialogue social. Aucun départ ne sera contraint, affirme-t-elle. Il s’agit, détaille M. Lesaunier, à la fois d’accompagner ceux qui voudront partir, de garder les « talents » parmi les non permanents et d’en recruter de nouveaux, bref de préparer l’entreprise pour demain. « Nous avons besoin de compétences portées par toutes les générations », souligne-t-il. Car, plus généralement, « un plan de formation et d’accompagnement à la transformation sera mis en œuvre », insiste-t-il. « C’est un moment nécessaire, mais il faut qu’on en fasse un moment utile en dialoguant avec les organisations syndicales », insiste M. Lesaunier.
Les échanges vont commencer début janvier. Un RCC doit obtenir un accord majoritaire au sein des syndicats représentatifs (CGT, FO, CFDT et SNJ). Dans leur motion, les syndicats ont fait front uni et ont d’ores et déjà annoncé refuser « un nouveau plan de suppression de postes, s’ajoutant à ceux en cours ». Le paquebot France Télévisions est entré sur une mer agitée.