Le préjudice d’anxiété

Jusqu’à cette fin de la Cour de cassation, la rémunération de ce préjudice était limitée aux seuls salariés dont l’établissement était mentionné dans une loi.
Tout salarié ayant été montré à l’aspiration d’amiante peut aussitôt faire valoir un préjudice d’anxiété en invoquant l’obligation de sécurité de tout employeur, a jugé la Cour de cassation vendredi 5 avril.
Le « préjudice d’anxiété », consacré en 2010 par cette cour, accepte l’indemnisation de personnes qui ne sont pas malades mais qui s’inquiètent de pouvoir le devenir à tout moment. Jusqu’ici, la Cour de cassation limitait ce mécanisme aux seuls salariés dont l’établissement est inscrit sur une liste dans la loi de 1998 ouvrant droit à la « préretraite amiante » : travailleurs du changement de l’amiante ou de la construction et de la réparation navale.
L’assemblée plénière, la formation la plus considérable de la haute juridiction, consente ainsi une jurisprudence que les syndicats et associations de victimes de l’amiante considéraient comme « injuste » et « discriminatoire ». Dans sa décision, la Cour indique donc que de nombreux salariés, en plus de ceux dont l’employeur est inscrit sur cette liste, ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans des exigences de nature à compromettre gravement leur santé.
« Préretraite amiante »
Cette issue de la Cour de cassation va donc dans le même sens que celle prise le 29 mars 2018 par la cour d’appel de Paris. Celle-ci avait accordé 10 000 euros de dégâts et intérêts au titre du préjudice d’anxiété à 108 salariés exposés à l’amiante dans des centrales thermiques d’EDF qui ne figurent pas sur ces listes « préretraite amiante ».
EDF s’était protégée en cassation et, le 22 mars, la Cour avait reconsidéré la question du préjudice d’anxiété à la lumière du cas d’un de ces anciens salariés d’EDF, qui demandait réparation pour avoir inhalé des fibres d’amiante entre 1973 et 1988.
Dans son arrêt rendu vendredi, consulté par l’AFP, la Cour de cassation reconnaît que « le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour désobéissance de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements » listés.
Le laborieux souhaitant voir indemnisé son préjudice d’anxiété devra justifier de son exposition à l’amiante. En retour, l’employeur pourra s’exonérer s’il apporte la preuve qu’il a mis en œuvre les mesures de sécurité et de protection de la santé considérées par le code du travail.
C’est une conclusion qui « répond à nos attentes », s’est félicité Alain Bobbio, de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), auprès de l’AFP. Désormais, « la porte est vraiment ouverte pour les travailleurs » dont les habitations n’étaient pas inscrits sur la liste, s’est-il réjoui : « On va enfin avoir des dockers, des ouvriers du bâtiment qui pourront faire valoir leurs droits ».
Fibre tueuse
Malgré la censure complète, en 1997, de ce matériau isolant bon marché, largement utilisé en France dans l’industrie et la construction, le scandale sanitaire lié à l’amiante est loin d’être terminé. Selon les appréciations de l’Institut de veille sanitaire (INVS) publiées en 2014, l’amiante pourrait provoquer d’ici à 2050 entre 68 000 et 100 000 morts en France. Entre 1995 et 2009, cette fibre avait déjà tué entre 61 000 et 118 000 personnes, selon ces mêmes travaux.
Il s’agit de borner les abus dans un secteur très montré au dumping social. Mais, étant donné les profondes divisions qui présentent entre les Etats du centre et ceux de la périphérie, le « paquet transport » tel que réformé par les eurodéputés est un parfait compromis à l’européenne, avec ses avancées et ses faiblesses.
Etait-il éventuel d’aller plus loin dans le support des chauffeurs et des intérêts des entreprises de transport hexagonales ? Pas sûr. Il s’agit en tout cas d’un bon thème de discussion pour la campagne des européennes.
Parmi les points forts du « paquet », les mandatés ont utilisé la prohibition du repos hebdomadaire nécessaire des chauffeurs dans leur cabine. La France faisait partie des pays qui défendaient cette mesure. Les chauffeurs routiers devraient par ailleurs bénéficier d’un droit de retour régulier dans leur pays d’origine, au moins toutes les quatre semaines. Et ce, pour en finir avec les pratiques de certaines entreprises qui les encouragent de leur famille durant plusieurs mois d’affilée.
« Réelles avancées »
Les opérations de cabotage (livraison d’un point à un autre dans un même pays, par un camion venu de l’étranger) seront bornées. Elles ne seront pas autorisées plus de trois jours par an. En outre, entre chaque intervalle de cabotage, le camion devra réintégrer dans son pays d’attache, et y rester au moins 60 heures avant de repartir. Il s’agit de prévenir « le cabotage systématique », effectué par des chauffeurs payés bien moins cher que ceux des pays où ils réalisent leurs livraisons.
Autres dispositions : pour mieux combattre contre les entreprises « boîtes aux lettres », enregistrées dans un pays mais salariant des chauffeurs venus d’ailleurs, les transporteurs devront réhabiliter d’une « activité substantielle » dans l’Etat dans lequel ils sont enregistrés. Les véhicules légers (moins de 3,5 tonnes), de plus en plus abîmés pour le cabotage, seront soumis aux mêmes règles que les camions. Par ailleurs, les élus ont voté l’application des règles du renoncement (même salaire horaire pour le même travail) dès le premier jour, pour les opérations de livraison internationales, y compris le cabotage.
Mais les eurodéputés de l’Est, lourdement opposés au raffermissement des règles, ont obtenu des exemptions importantes : le principe de la capitulation ne s’apposera pas pour des livraisons« bilatérales », d’un point A en France, par exemple, à un point B, en Belgique. Dans ce cadre, les chauffeurs pourront aussi accomplir une opération de cabotage à l’aller et une au retour (ou deux à l’aller et aucune au retour), sans être examinés comme des « détachés ».
La députée Verte Karima Delli, patronne de la commission transport à Strasbourg, a révoqué « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone »
« Ces orientations représentent de réelles avancées pour les droits des travailleurs et pour une concurrence plus loyale dans le transport routier », s’est félicité Elisabeth Borne, la ministre française des transports. « La bataille a été difficile, mais désormais nous abordons de l’objectif de doter [les trois millions de chauffeurs routiers] de conditions de travail dignes », a pour sa part salué Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, chef de file des eurodéputés socialistes hexagonaux.
La députée Verte Karima Delli, présidente de la commission transport à Strasbourg, a, elle, révoqué « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone. Les chauffeuses et chauffeurs du secteur routier sont victimes du “deal” passé entre le gouvernement français et les Etats périphériques, qui en avaient fait une monnaie d’échange afin d’obtenir un accord sur la révision de la directive générale sur le détachement ».
Manœuvre protectionniste
Il est vrai qu’avec d’autres Etats, la France a accueilli que le transport soit sorti du champ de la révision de la directive sur le travail dégagé et fasse l’objet d’un texte hétérogène. Il est aussi vrai qu’en 2017, Paris avait obtenu un aboutissement du détachement à un an, contre l’avis des pays de l’Est, qui estimaient bien prendre leur revanche avec le « paquet transport ».
Ces dernières semaines, les élus de l’Est ont essayé d’esquiver un vote du Parlement sur ces textes, considérant qu’ils représentaient une manœuvre protectionniste de l’Ouest à l’égard de leurs entreprises. Dans les pays baltes ou en Bulgarie, le transport représente une part élevé du produit intérieur brut (plus de 12 % dans le cas de la Lituanie).
« Obtenir de l’Est l’abstraction du renoncement à tous les types de transport, c’était impossible. Ces capitales considèrent que l’Ouest a profité à plein de l’accroissement, particulièrement en investissant le secteur financier à l’Est, et qu’on doit leur laisser le transport », glisse une source parlementaire.
Ces textes approuvés par les eurodéputés verront-ils le jour avant les élections européennes ? Cette vision est peu probable. Au Conseil, les Etats sont, eux aussi, parvenus à un accord (fin 2018). Leur position est proche de celle du Parlement. Mais les deux institutions doivent entrer en discussion pour achever à une position commune. Ce qui peut prendre au minimum un trimestre.