Apprendre à diriger une équipe en entraînant des moutons

Dans la Bergerie nationale de Rambouillet (Yvelines), lors d’un atelier organisé par HEC.
Dans la Bergerie nationale de Rambouillet (Yvelines), lors d’un atelier organisé par HEC. François Vergonjeanne

Instituts ou grandes écoles offrent à des spécialistes de se former au leadership au contact d’oies, de chevaux, de loups… Objectif : s’améliorer dans l’empathie, la gestion de groupe et animer un esprit d’équipe.

Chèvres angoras de Turquie, moutons d’Afrique, vaches de Suisse, ânes de Malte. A la fin du XVIIIe siècle, Louis XVI teste la naturalisation de plusieurs espèces animales dans la ferme du domaine de Rambouillet. Depuis, la Bergerie nationale n’a jamais oublié sa veine innovante. C’est ici qu’a été mise au point, durant la seconde guerre mondiale, la technique de la fécondation artificielle. Actuellement encore, l’établissement, situé à 50 kilomètres au sud-ouest de Paris, pourchasse sa mission d’application : aux beaux jours, manageurs et moutons se donnent rendez-vous dans le pré. Les nouvelles coqueluches du coaching d’entreprise, ce sont les animaux.

Les notaires et le troupeau                                                                                      

« Au début, il y avait quelques réserves, nos clients avaient l’impression d’être pris pour des moutons », se distrait François Vergonjeanne, dirigeant de Mediaxion. La formation en sheep concept qu’il dispense à la Bergerie nationale est pourtant très sérieuse, et répond à des questionnements récurrents en entreprise : comment faire adhérer les collaborateurs à un projet ? Comment et jusqu’où accélérer les changements ? Comment procréer et soutenir la cohésion dans un environnement incertain ?

« On travaille sur la habileté, un concept très en vogue en entreprise. Les stagiaires sont évalués à la résistance naturelle de la matière : parfois, trop de vitesse nuit à l’efficacité » François Vergonjeanne

« Je n’offre pas de réponse toute faite. Les stagiaires redécouvrent eux-mêmes les bases de la dynamique de groupe en travaillant avec les mérinos, une race spécialement grégaire », déclare le spécialiste des compétences relationnelles. L’été dernier, il a reçu des notaires désireux d’arrêter au mieux les évolutions de la profession – « Ils sont passés d’un métier archaïque consistant à rédiger des actes à de véritables entreprises où il faut manager des collaborateurs. »

En petits groupes de 6 à 8 personnes, les notaires sont appelés à faire circuler le troupeau entre deux poteaux. Les uns prennent leur temps pour élaborer une stratégie qui s’avère obsolète. Les autres ne s’occupent que de deux, trois moutons, remettant le reste de la troupe. D’autres encore foncent dans le tas, et font se disperser les bêtes. La posture du berger s’apparente à celle du coach face à un groupe : par trop de pression, on fait éclater le troupeau. « Je les fais identiquement travailler sur l’agilité, un concept très en vogue en entreprise. Une fois qu’ils ont réussi l’exercice, ils doivent réitérer l’expérience, mais plus précipitamment. Ils se apprécient alors avec la résistance naturelle de la matière : parfois, trop de vitesse nuit à l’efficacité », mentionne François Vergonjeanne.

Chargeur de trottinettes, ultime tendance des petits boulots

Yacine, un « juicer » de 39 ans, à bord de sa camionnette avec laquelle il récupère et recharge des trottinettes électriques.
Yacine, un « juicer » de 39 ans, à bord de sa camionnette avec laquelle il récupère et recharge des trottinettes électriques. 

Avec le défilé des trottinettes électriques en libre-service dans les villes, un nouveau job est apparu : celui de « juicer », ou chargeur de trottinettes.

A bord de sa fourgonnette blanche, Yacine quitte Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, pour rattraper le centre de la capitale. Il est 14 heures, jeudi 21 février, et sa journée de travail commence : six heures de chasse aux trottinettes que les clients ont laissées à moitié déchargées, ici ou là, à l’ondulation d’une rue. Six heures à tourner dans les artères de la ville comme un poisson dans un bocal. Saint-Michel, Raspail, Saint-Germain, puis encore Saint-Michel, Châtelet, Rivoli…

Yacine, 39 ans, est chargeur de trottinettes, ou « juicer » – juice signifie électricité en argot anglais. Un nouveau petit boulot de l’ubérisation – la mise en relation, par des plates-formes numériques, de clients et d’indépendants – exposé en France à l’été 2018, quand des sociétés (sept aujourd’hui) ont débuté à enfoncer leurs trottinettes électriques en libre-service dans les villes. Depuis novembre, Yacine œuvre pour l’entreprise américaine Lime, la marque au citron. Il n’est pas salarié, mais auto entrepreneur. Il n’obtient pas de fiche de paie, mais une rémunération journalière qui dépend du nombre de trottinettes assemblées dans la journée, rechargées à son domicile la nuit et redéployées au petit matin.

Yacine n’a pas de directeur, si ce n’est l’algorithme de la concentration Lime sur son smartphone. C’est l’application qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent (entre 5 et 6 euros l’unité). C’est aussi l’application qui lui donne une note de satisfaction. De cette note dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour. Un couac, un retard, et ce plafond baisse. La rétribution aussi.

Etudiants ou salariés en quête d’un supplément de revenu

A voir les cernes cachés dans l’ombre de sa casquette, le boulot est épuisant. « On finit tard le soir, on commence tôt le matin, exprime ce père de trois enfants. Et puis c’est physique. Les trottinettes pèsent 20 kg. Je me suis musclé depuis que je fais ça ! » Ses efforts, dit-il, sont « récompensés » chaque matin, lorsqu’il reçoit son dû. Quarante trottinettes – son plafond actuel – rapportent à Yacine autour de 200 euros par jour, auxquels il faut diminuer les charges : la rentabilisation du camion (acheté 3 500 euros), l’assurance, l’essence, l’électricité, les cotisations… A la fin du mois, il lui reste environ 1 800 euros.

Master en « philo pour l’entreprise » pour les étudiants en philo

« L’Ecole d’Athènes », fresque du peintre italien Raphaël (musée du Vatican) représentant les principaux philosophes antiques.
« L’Ecole d’Athènes », fresque du peintre italien Raphaël (musée du Vatican) représentant les principaux philosophes antiques. http://chemins-de-philosophie.over-blog.com

S’interroger sur l’innovation, répliquer au besoin de sens des jeunes cadres… Plusieurs défis pour lesquels sont postulés des consultants en philosophie, formés à l’université. La pratique, qui demeure marginale, tend à se changer

Un grand bâtiment de style industriel, le Centquatre logeait anciennement les pompes funèbres de la Ville de Paris. Il abrite actuellement des activités plus joyeuses – expositions, concerts, danse. Et aussi un incubateur de start-up. A l’entrée, une machine au minois animal formé sur un bras détaché reçoit le visiteur. « C’est un robot social, précise Julien de Sanctis. Il est habile de lire la conduite de son interlocuteur et de s’y ajuster pour donner une sensation d’empathie, et il apprend les contenus que les humains avec qui il entre en contact lui transmettent. » Contradictoirement aux apparences, le jeune homme n’est pas créateur de robots mais… philosophe.

« Midis philo »                                                                                                                                                                           

Ce jeune doctorant est l’un des premiers salariés mobilisés par la jeune pousse Spoon, à l’origine de l’automate. Ses missions sont multiples : définir les valeurs de l’entreprise, diffuser sur les questions éthiques posées par l’IA, en passant par l’organisation de « midis philo » pour ses collègues.

« En fait, mon rôle est de demander : de quelles valeurs et de quel modèle sociétal veut-on que le robot soit le reflet ? Puis de formuler des protections pour que cela se regagne dans le produit et dans le management », résume Julien de Sanctis, diplômé du master Ethires de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, spécialisé dans la formation de « philosophe d’entreprise ». Maintenant en convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) chez Spoon, il prépare aujourd’hui une thèse à l’université de technologie de Compiègne sur l’éthique appliquée à la robotique sociale.

Maintenant, quelques établissements – comme l’Université catholique de Lyon – présentent ce type de cursus. Créé il y a neuf ans, le master 2 Ethires de la Sorbonne est l’un des plus anciens. Son objectif : aménager des personnes qui vont « accompagner les organisations – entreprises, collectivités, ONG… – dans la prise de terme et la recherche de stratégies qui révèrent les nouvelles exigences sociétales et environnementales ».

Des formations à la réflexion

Les étudiants philosophes mènent pendant l’année scolaire des « missions entreprise » : depuis la création du master, ils ont œuvré pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris sur l’implication des médecins face à l’utilisation de substances illicites par des patients pour apaiser la douleur, ou avec la RATP sur le changement de la relation client. « Cela permet aux étudiants de se familiariser avec les codes et acteurs de l’entreprise. Pour les dispositions, c’est l’occasion d’être un peu bousculées dans le regard sur leurs pratiques », développe Marie Garrau, responsable de ce master.

Il est nécessaire d’établir une réforme de l’impôt sur le revenu en France

Marc de Basquiat Economiste

Pour l’économiste Marc de Basquiat, la cession de la mesure par la Finlande le certifie : l’enjeu du rétribution de base est surtout fiscal. Il regrette que l’Etat français empile des procédés sociaux compliqués et inefficaces.

Après trois années d’inquiétude médiatique, le gouvernement finlandais a éclairci qu’il ne donnera pas suite à l’application d’un prétendu « revenu de base » de 560 euros, qu’il a partagé pendant deux ans à 2 000 Finlandais tirés au sort parmi les plus désavantagés. En réalité, le dispositif testé n’avait qu’un vague cousinage avec ce que serait un véritable revenu universel : fiscal, individuel, à tous, sans condition. Refermer cette parenthèse approximative permet de reprendre l’étude de propositions plus sérieuses.

Car l’augmentation d’intérêt mondial sur la thématique du revenu universel est impressionnante. Depuis cinq ans, plusieurs articles et d’études plus ou moins fantaisistes sont diffusés chaque mois sur le sujet. En juin 2016, le monde entier observait le référendum suisse, qui proposait aux citoyens d’étudier une proposition délirante : 2 300 euros pour tous, chaque mois. La campagne présidentielle française n’y a pas fui, avec le passage d’une comète Hamon qui a semé une insuffisance massive sur son sillage.

Piège infernal

Pour les 2 000 adultes choisis en janvier 2017 parmi les sans-emploi de 25 à 58 ans, le « revenu de base » administré par KELA, la Sécurité sociale finlandaise, a modifié tout ou partie de l’allocation-chômage par une allocation d’un montant forfaitaire, 560 euros, assortie d’une promesse : vous la garderez jusqu’à fin 2018 même si vous retrouvez un travail. Normalement, certains ont estimé une prestation qui augmentait leurs ressources ou lissait des revenus irréguliers. Mais ont-ils retrouvé le chemin du travail pour autant ?

En Finlande, un euro encaissé par son travail, c’est presque autant de perdu sur ses prestations sociales

L’objectif du gouvernement finlandais était d’étudier une parade contre la désincitation massive induite par des prestations sociales très généreuses – clairement plus qu’en France. En Finlande, récupérer un travail ne paie pas. Un euro gagné par son travail, c’est presque autant de perdu sur ses prestations sociales. Un piège infernal.

Le ministre des finances, Petteri Orpo, président du Parti de la coalition nationale, a expliqué les premiers résultats de l’application, rappelant d’abord qu’il y était opposé dès l’origine. Le fait qu’il n’ait pas examiné d’encouragement à reprendre un emploi certifie son impression première. Il recommande aujourd’hui une simplification importante de la protection sociale, des allocations conditionnelles d’un niveau possiblement inférieur aux 560 euros testés et des mécanismes motivants qui auraient prendre la forme de dispositifs fiscaux.

« Possibilité d’examiner et réévaluer les professions très féminisés »

Les économistes Séverine Lemière et Rachel Silvera recommandent de rendre inévitable dans l’entreprise l’assemblage d’emplois au pouvoir féminine ou masculine, en considérant de contenu du travail effectué.

L’origine « d’un rémunération égal pour un travail égal » a une vigilance très limitée, dans la mesure où 17 % des emplois uniquement sont mixtes… Pour cheminer enfin vers l’égalité salariale réelle dans l’entreprise, il ne faut pas se contenter de raisonner à poste égal.

On le sait, les femmes sont réduites dans peu d’emplois, plus de la moitié d’entre elles travaille dans uniquement douze grands métiers. Presque un million de femmes sont aidés à domicile, aides ménagères ou assistantes maternelles, plus de 850 000 sont agentes d’entretien, plus d’un million sont employées administratives ou secrétaires, et presque 1 million, aides-soignantes, infirmières ou sages-femmes.

Ces professions sont féminisés à plus de 75 % et sont réunis aux stéréotypes féminins, ce sont des emplois d’assistance et de relationnel, il s’agit d’éduquer, de soigner, de participer, de purifier, de conseiller, d’écouter, de coordonner… Bref, des « compétences présumées innées », si naturelles quand on est femme…

En réalité, ces fonctions font appel à des vraies compétences professionnelles. Et pour mieux les admettre, pourquoi ne pas les confronter avec les compétences d’autres emplois ? En effet, le cadre légal envisage que l’égalité salariale s’appose certes à travail égal, mais pareillement pour un travail de valeur égale. Et la nuance est ici capitale.

Le modèle du Québec

La loi sur la similitude professionnelle de 1983 définit la notion de valeur égale et précise que « sont examinés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble semblable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, d’implications et de charge physique ou nerveuse ». Elle permet ainsi de poser l’égalité salariale entre emplois différents mais estimés de même valeur. Et donc de comparer la valeur des emplois très féminisés avec celle d’autres emplois, par exemple masculinisés.

Mais ce cadre légal est peu désigné. En 2010, la Cour de cassation a connu une situation de ségrégation salariale en comparant la valeur des fonctions d’une femme responsable des ressources humaines, avec celles d’autres cadres, directeur financier et directeur commercial. Ce jugement, très important dans la jurisprudence française, garantit la possibilité de comparer des emplois différents pour établir l’égalité salariale. L’égalité salariale ne se réduit donc pas aux écarts au sein de même métier. Exiger l’égalité ne se limite donc pas à plus de mixité ou à détériorer le plafond de verre.

Femmes dans les postes de responsabilités : un tournant ?

« Un quart des soixante plus grandes entreprises françaises n’ont même aucune femme dans leurs comités exécutifs. »
« Un quart des soixante plus grandes entreprises françaises n’ont même aucune femme dans leurs comités exécutifs. » Gregory Baldwin/Ikon Images / Photononstop

L’égalité est pratiquement prise au sein des conseils d’administration des grandes entreprises, grâce à la loi Coppé-Zimmermann. Mais les lieux de prise de terminaisons ne se féminisent que doucement.

Quelques mois après le raz-de-marée #metoo et l’attention de la loi Copé-Zimmermann de 2011 qui exige aux sociétés cotées d’appeler au moins 40 % de femmes dans les conseils d’administration, la parité s’améliore à petits pas au sein des instances dirigeantes des grandes entreprises. Sans surprise, ce sont les conseils d’administration qui expérimentent l’évolution la plus spectaculaire. Selon l’observatoire de la gouvernance des sociétés cotées d’Ethics & boards, au 1er mars 2019, la féminisation des conseils d’administration abouti même 43,7 % pour l’ensemble des sociétés du SBF 120 (un indice boursier qui rassemble 120 valeurs, parmi lesquelles les entreprises du CAC 40).

« Clairement, c’est par la loi que l’on a pu obtenir de tels résultats, estime Michel Ferrary, professeur de management à l’université de Genève et fondateur de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises. Rappelons qu’il y a vingt ans, on comptait seulement 11 % ou 12 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. » Les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés exposant un chiffre d’affaires net supérieur à 50 millions d’euros avaient jusqu’au 1er janvier 2017 pour se permettre au quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration exigé par la loi Copé-Zimmermann, sans quoi elles risquaient de lourdes sanctions : l’annulation des nominations non conformes à l’obligation de parité et la suspension des jetons de présence (la rétribution versée aux administrateurs pour leur participation au conseil). La menace du bâton semble avoir marché.

Pas de carences pour apercevoir les profils

Cheminé par les détracteurs de la loi Copé-Zimmermann, la preuve de la carence du vivier de talents féminins inoccupés pour prendre place au sein des conseils d’administration a fait long feu. « Je ne connais aucun conseil qui ait eu des difficultés pour trouver des profils adéquats », fait valoir Thierry Moreau, directeur associé chez Ernst & Young, le cabinet de conseils qui a édité le Panorama EY de la Gouvernance 2018.

En tête de proue, le groupe de luxe Kering est l’une des exceptionnelles entreprises à compter plus de femmes que d’hommes au sein de son conseil d’administration et une majorité de femmes managers au niveau du groupe. Le fruit d’une promesse de longue date : dès 2010, le groupe a lancé le programme « Leadership et Mixité » et mis en place des programmes de mentoring pour encourager l’accès des femmes aux postes de direction. Il participe pareillement au programme « Eve », des séminaires interentreprises de leadership au féminin.

L’usine Arjowiggins prochainement fixé sur son destin

La justice a donné jusqu’au 20 mars au groupe suédo-norvégien Lessebo pour purifier son offre de réparation.

L’usine de Bessé-sur-Braye (Sarthe) d’Arjowiggins, le 20 février.
L’usine de Bessé-sur-Braye (Sarthe) d’Arjowiggins, le 20 février. JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Le jeudi  7 mars dans la soirée, le maire (divers droite) de Bessé-sur-Braye (Sarthe) a poussé un soupir de tranquillité. C’est dans sa municipalité de 2 200 habitants qu’est installée la principale unité de production du papetier Arjowiggins (568 salariés). « Sa clôture serait une véritable catastrophe pour notre commune. Avec les sous-traitants, ça fait presque 1 200 emplois. Sans parler des écoles et des classes qui pourraient fermer, observe Jacques Lacoche. L’usine existe depuis 1860. Des générations y ont travaillé. »

Le groupe suédo-norvégien ­Lessebo est l’unique à avoir placé une offre globale qui concerne cette usine réorientée dans le papier recyclé. Il prévoit d’y conserver 413 salariés, ainsi que 210 sur 270 à la papeterie toute proche de Saint-Mars-la-Brière, particularisé dans la ouate cellulosée, et la totalité de l’effectif (75 salariés) de Greenfield, à Château-Thierry (Aisne) – ces deux dernières effectuant l’objet d’offres alternatives.

Pour Thomas Hollande, fils de l’ancien président de la République et avocat du cabinet LBBa qui participe aux côtés des représentants du personnel, « il y a du soulagement, car cela donne du répit, mais ce n’est pas une victoire pour autant. C’est un délai donné à l’offre de THLF [Lessebo] pour être progressée significativement, particulièrement sur le volet financier ».

« Apporter des garanties sur le projet industriel »

L’Etat et la région sont convoqués à mettre 32 millions d’euros d’argent public dans la corbeille, à condition que l’acheteur trouve de son côté 33 autres millions, que ce soit en capital ou avec un emprunt sécurisé, vision qui semble encore lointaine. « Il faut aussi apporter des garanties sur le projet industriel qui paraît aujourd’hui simple, pour ne pas dire simpliste, reprend l’avocat. Créer la même chose, mais avec moins de salariés et de frais de siège, ça pose un certain nombre de questions. On demande des précisions. L’acheteur s’est promis à venir sur le site mercredi prochain. »

« La guerre n’est pas finie. (…) Mais les salariés espèrent », observe Olivier Pollet, secrétaire du syndicat CGT de l’usine sarthoise de Bessé-sur-Braye

Il faut dire que le profil du potentiel futur patron a de quoi les séduire. « Il a un projet technique dans la tête. Il sait de quoi il parle. Il éprouve le marché et il sait qu’il se défie à quelque chose de difficile », récapitule Christophe Garcia (délégué CFE-CGC). Qu’en est-il des réductions d’effectifs ? « Ça va être douloureux, mais il va falloir y dépasser. Il veut aussi faire de l’écrémage dans les commandes pour ne conserver que les plus rentables. »

« L’accès des femmes aux postes clés passe par le rétablissement des préjugés culturels »

Emmanuelle Quilès

Présidente de Janssen France, succursale du groupe pharmaceutique américain Johnson & Johnson

La dirigeante du groupe pharmaceutique Janssen France, Emmanuelle Quilès, rappelle que l’équité salariale doit actuellement être une priorité pour garantir l’égalité femmes-hommes en entreprise.

« L’égalité femmes-hommes en entreprise est synonyme de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergent vers cette certitude. »
« L’égalité femmes-hommes en entreprise est synonyme de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergent vers cette certitude. » Ingram / Photononstop

Soyons clairs une bonne fois pour toutes : l’égalité femmes-hommes en entreprise est équivalente de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergentes vers cette certitude. Pourtant, si les femmes représentent 50 % de la population mondiale, elles ne profitent encore que 25 % des postes de management, 5 % des postes de PDG et elles ne sont que 12 % à siéger aux comités de direction dans les pays du G20 (13,6 % en France).

Une sous-représentation qui n’a rien à voir avec le prétendu « manque d’ambition des femmes » que j’entends parfois, entre cynisme et insolence, puisque 79 % des femmes et 81 % des hommes garantissent vouloir atteindre à des postes de « top management ». Et qui ne met pas en avant les entreprises qui ont 60 % de femmes demeurant au comité de direction, selon l’étude McKinsey Women Matter.

Une essentielle mise en valeur des capacités féminines ne permettrait-elle pas de générer 12 milliards de dollars additionnels d’ici à 2025, soit 11 % du PIB mondial, toujours selon la même étude ? Le constat est sans appel et le gâchis immense en termes de croissance économique globale, particulièrement dans nos économies matures aux populations vieillissantes et à court de forces vives. Si ces arguments économiques en faveur d’une égalité réelle sont déterminants, ils ne sont pas suffisants.

Le sujet n’est pas nouveau : l’histoire des idées est jalonnée de penseurs masculins qui ont affirmé nettement leurs convictions sur l’égalité. Parmi les plus illustres : Condorcet, authentique pionnier de la lutte pour les droits des femmes dont les premiers écrits de militant sont diffusés dès 1787, se faisant sans relâche l’avocat de « l’admission des femmes au droit de cité ». Moins d’un siècle plus tard, l’économiste John Stuart Mill, dans son livre De la subordination des femmes (1869) dévoile un plaidoyer magistral pout une égalité totale.

Echanger, communiquer                                                                                                   

En cherchant dernièrement sur Internet « homme féministe », je n’ai pas trouvé grand-chose. Comme si les deux concepts existaient antinomiques. Mais il est vrai que notre civilisation occidentale a été écrite comme une métaphysique de l’« Un », et que cet « Un » est masculin. Comme le développe très bien la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, « l’homme est à la fois au centre et au sommet, et ce depuis des millénaires ». Alors on pourrait se dire que ce sommet demeurera longtemps inaccessible, ou bien on agit, ce qui est ce que je veux, en cette journée internationale des droits des femmes.

Le combat pour les droits des femmes peine à progresser

A Bruxelles, jeudi 7 mars.
A Bruxelles, jeudi 7 mars. EMMANUEL DUNAND / AFP

 

La France a l’allure de bonne élève avec 44 % de femmes au sein des conseils d’administration.

Le 8 mars, l’Europe célèbre la Journée internationale des droits des femmes : rapports, déclarations, conférences, etc. La circonstance pour les institutions de mettre en avant leur travail en matière d’égalité hommes-femmes, sans forcément risquer faire référence aux vieux dossiers qui n’avancent pas.

Bien sûr, des choses sont faites partout dans l’Union européenne : une nouvelle législation vient d’être optée sur le congé parental et le congé de paternité. Mais d’autres, réciproquement, prennent la poussière dans les tiroirs des institutions. C’est le cas d’un projet de règle de 2012 visant à assurer la présence de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse, qui prévoit qu’en présence de candidats à qualifications égales, priorité doit être accordée au candidat du sexe sous-représenté. Un palier largement dépassé par la France (44 %), grâce notamment à sa loi du 28 juillet 2011, mais que tous les autres Etats membres peinent à atteindre (avec moins de 10 % pour l’Estonie et la Grèce).

Blocage d’une dizaine d’Etats membres          

En présentant sa proposition en 2012, la Commission avait insisté sur la nécessité de ne pas perdre de temps, puisque, « au rythme actuel, quarante années seraient nécessaires pour parvenir à réduire les différences actuelles ». Or, sept ans ont passé. Mais une dizaine d’Etats membres – assez pour bloquer la proposition – s’y opposent. La Commission de Jean-Claude Juncker, soutenue par le Parlement, refuse de retirer son texte. Mais rien n’est sûr pour celle qui la remplacera.

Autre exemple, qui concerne le cœur des institutions : la formation sur la prévention du harcèlement, y compris sexuel, au Parlement européen. Elle bénéficie en théorie du soutien des députés. Ils ont pourtant refusé, en février, de la rendre obligatoire dans leur règlement intérieur, lors d’un vote à bulletin secret. Cette formation est pourtant défendue depuis plusieurs années par MeTooEP, un ensemble de travailleurs du Parlement européen actifs contre le harcèlement sexuel. Il a donc fait circuler une déclaration d’engagement contre le harcèlement sexuel faisant référence à cette formation. Ladite proclamation s’adresse aux députés et aux candidats députés à l’approche des élections européennes, mais demeurera valable ensuite. Et pas uniquement le 8 mars.

 

Les jeunes étudiantes se renforcent pour prendre la parole

Agence 9 / Une bulle en plus

Dans les écoles comme à Sciences Po, des formations pour apprendre à être à l’aise à l’oral visent particulièrement les femmes, moins encouragées à à faire preuve d’éloquence.

Capucine Gourmelon, étudiante en école de commerce à Nantes, s’en souvient comme si c’était hier. En 2017, alors qu’elle étudiait en première année à Audencia Business School, à Nantes, elle s’est présentée au concours d’éloquence de son établissement – « un défi personnel ». Elle fut alors frappée par ce qui s’y déroulait : plus elle grimpait dans la compétition, plus le nombre de filles s’amenuisait. La demi-finale en comptait quatre pour le double de garçons. En finale, il n’y avait que deux filles sur sept candidats. Capucine a poursuivi son ascension jusqu’à la finale interécole. Là, sur les neuf finalistes, deux uniquement étaient des filles. « Elles n’osent pas, là où les garçons ne se posent même pas la question », enregistre l’étudiante, qui se dit actuellement ravie de cette expérience. « J’ai beaucoup appris sur moi, sur la gestion du stress. J’ai pris confiance. Faire des présentations en réunion n’est plus un problème. »

Concours d’inspiration, cours de prise de parole, séances de coaching ou de mentorat pour se ravitailler dans une réunion ou acheter, ateliers de « pitch », organisation de conférences type « TEDX »… L’enseignement de l’oralité se développe dans les grandes écoles et les universités, comme témoigne le film documentaire A voix haute, de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, qui suivait de jeunes étudiants de Paris-8, à Saint-Denis. « Avec l’accent mis sur les soft skills, la capacité à argumenter, à interagir et donc l’aisance à l’oral sont de plus en plus stimulées dans les cursus », rappel Anne-Lucie Wack, la présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE).

Mais si la facilité à l’oral devient une aptitude de plus en plus prisée dans le monde professionnel, elle n’en est pas moins source de ségrégations, sociales, mais aussi de genre. C’est l’un des enjeux de certaines formations : réduire des inégalités entre les hommes et les femmes face à cette prise de parole.

Une « académie de l’éloquence »

Eric Cobast, professeur renommé connu pour ses manuels de culture générale, est le directeur de la toute nouvelle « académie de l’éloquence » d’Inseec U, un groupe privé qui rassemble plusieurs écoles. Dans ce programme qui vise aussi bien les étudiants de l’Inseec U, des jeunes qui passent des oraux ou des cadres qui veulent développer leurs aptitudes oratoires, on apprend les bases de la prise de parole, la gestuelle, le rythme, la respiration, le raisonnement. On développe les techniques pour parler debout devant un public, en réunion ou à l’occasion d’un débat. Eric Cobast a été stupéfait par la proportion de femmes dans ces nouvelles formations équipées aux cadres : « Elles constituent la majorité des élèves. Elles parviennent chercher de l’assurance et veulent sans doute rétablir de l’égalité dans l’échange. »