Assurance-chômage : la légitimité sociale négligée

Le premier ministre Edouard Philippe devant la ministre du travail Muriel Pénicaud, lors de la présentation de la réforme de l’assurance-chômage, à l’hôtel Matignon, le 18 juin.
Le premier ministre Edouard Philippe devant la ministre du travail Muriel Pénicaud, lors de la présentation de la réforme de l’assurance-chômage, à l’hôtel Matignon, le 18 juin. LUCAS BARIOULET / AFP
Si les objectifs du perfectionnement sont difficilement contestables, les traitements choisis sont notamment durs pour ceux qui vont s’inscrire à Pôle emploi et sont frappés du sceau de l’injustice.

Le Président de la République avait certifié, pour l’acte II de son quinquennat, « plus d’humanité ». En parlant, mardi 11 juin, devant l’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève, le président de la République s’était procuré à une vibrante défense en faveur de la justice sociale, refusant que « l’ajustement économique et financier » prévale « sur les droits sociaux ». Il avait même fait l’éloge du tri­partisme – le fondement de l’OIT, qui recherche des arrangements entre l’Etat, les employeurs et les travailleurs –, formulant exiger s’en inspirer en France.

L’amélioration de l’assurance-chômage, sur laquelle l’Etat avait repris la main après l’échec des transactions entre les syndicats et le patronat, le 20 février, lui vendait l’occasion d’installer en pratique sur le dialogue social une transmutation de méthode. Peine égarée : la justice sociale est la grande omise du dispositif annoncé, mardi 18 juin, par le premier ministre, Edouard Philippe.

Les objectifs de la réforme sont difficilement contestables. Il s’agit d’abord de réaliser, entre novembre 2019 et la fin 2021, 3,4 milliards d’euros d’économies pour ne pas alourdir une dette déjà abyssale. Il s’agit ensuite, alors que le chômage est sur une courbe descendante, de réduire le nombre de chômeurs entre 150 000 et 250 000 d’ici à la fin du quinquennat. Mais les remèdes choisis sont particulièrement durs pour ceux qui vont s’inscrire à Pôle emploi et sont frappés du sceau de l’injustice.

Quand l’Etat se remplace aux partenaires sociaux, il ne fait que des mécontents. Cela avait déjà été le cas lorsque, le 24 novembre 1982, Pierre Bérégovoy, ministre (socialiste) des affaires sociales, devant l’inaptitude des syndicats et du patronat à se distinguer, avait pris un décret qui avait soutenu les différences de traitement entre chômeurs, donnant naissance à ce qu’on avait appelé « les nouveaux pauvres ».

« 100 % de perdants, rapidement »

Enveloppant le risque de se mettre à dos les syndicats, mais possédant que ces mesures sont habituellement bien reçues par l’opinion, le gouvernement a visiblement durci les règles pour bénéficier d’une indemnité. A l’avenir, il faudra avoir été en activité pendant six mois (au lieu de quatre aujourd’hui) sur une période de vingt-quatre mois (au lieu de vingt-huit) pour avoir une allocation dont les procédés de calcul ont aussi été revus à la baisse.

Lors du meeting entre les partenaires sociaux et le premier ministre, mardi, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a exposé plusieurs cas concrets de solliciteurs d’emploi pour prouver que cette réforme va faire, selon lui, « 100 % de perdants, rapidement ».

  1. Philippe a aussi établi une dégressivité des prestations pour les cadres qui n’était pas sollicitée par le patronat et dont le rendement sur la reprise d’emploi est douteux. Les employés qui touchaient, lorsqu’ils étaient en poste, plus de 4 500 euros brut par mois supporteront, s’ils sont au chômage à moins de 57 ans, une baisse de contribution de 30 % au bout du septième mois.

Sur la lutte contre le déséquilibre, la promesse de campagne de M. Macron sur la création d’un bonus-malus pour punir les entreprises qui amplifient des contrats courts n’est que relativement tenu : il ne concernera que sept secteurs, le bâtiment et le médico-social étant particulièrement épargnés. La réforme comporte des mesures positives sur la formation et l’accompagnement des chômeurs, mais cela ne satisfait pas à la rééquilibrer dans le sens de la justice sociale.

Le turn-over des infirmiers aux urgences

Dans les hôpitaux parisiens, les infirmiers ne demeurent en moyenne que trois ans dans les services d’urgence, selon des estimations. Un déséquilibre des équipes qui brouille encore un peu plus le travail des soignants.

Ce sera la deuxième fois qu’elle immobilise les urgences. Mais cette fois, pour de bon. Anne-Claire Rafflegeau redonnera franchement sa blouse d’ici à la fin de l’année et changera de métier, après six ans aux urgences du Kremlin-Bicêtre, au sud de Paris. « Je voulais être infirmière depuis l’âge de 15 ans mais là, je suis à bout. Physiquement, psychologiquement. J’ai 31 ans, je suis célibataire, je ne gagne pas hyper bien ma vie. J’ai fait mon temps aux urgences. »

Quand elle sort diplômée de son école d’infirmières il y a huit ans, son ultime stage la projette aux urgences. Elle adore : « La proximité avec le patient, les différentes pathologies, l’adrénaline… on ne sait jamais ce qui va se passer ! » Mais déjà, les conditions de travail sont embrouillées et, au bout de trois ans, Anne-Claire fait un « burn-out » à la suite d’une attaque physique. « La direction ne m’a absolument pas accompagnée. J’étais dégoûtée. »

La jeune soignante abandonne alors son service pour atteindre une habitation privé. Mais au bout de deux ans, l’envie de récupérer les urgences l’emporte : revenue comme infirmière de nuit au Kremlin-Bicêtre, elle ne convient plus son service. 80 % de l’équipe qu’elle éprouvait est partie, dit-elle. Depuis, face à la détérioration des conditions de travail, Anne-Claire Rafflegeau s’est nommée et fait actuellement partie du collectif Inter-Urgences, qui a déterminé lundi 17 juin de continuer le mouvement de grève.

« Nous sommes les pièces d’une machine qui nous broie »

S’il n’existe pas de statistiques officielles sur le turn-over des paramédicaux dans les services d’urgence ; plusieurs déclarations font état d’une forte instabilité des équipes. Selon l’évaluation de Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF), accomplie à partir d’attestations de cadres de santé, une infirmière demeure en moyenne trois ans dans un service d’urgence parisien. Certes, « c’est plus stable dans les petits services de province, mais dans tous les grands hôpitaux, il y a une très forte rotation, assure M. Prudhomme. A l’hôpital Lariboisière, où les conditions sont particulièrement difficiles, la moitié du personnel est partie en un an ! »

Sanofi conduit ses réorganisations en France

A Paris, en mars 2016.
A Paris, en mars 2016. Philippe Wojazer / REUTERS

Le groupe pharmaceutique envisage de suspendre quelque 270 emploi net dans son organisation de recherche et développement. Il perçoit stopper la recherche interne en cardiologie.

La barre des mille postes retirés est actuellement franchie par Sanofi en France. Les aménagements syndicaux ne savent plus où céder de la tête, tant les réaménagements se succèdent sur le territoire dans les différentes abstractions du groupe. Mercredi 19 juin, dans l’après-midi, le laboratoire devait dévoiler un plan de réaménagement et de départs, dans son concept de recherche et développement (Sanofi-Aventis R&D). Il se découlera du troisième plan de suspension de postes dès le début de l’année.

Quelque 299 emplois vont décéder, 200 seront transportés du site francilien de Chilly-Mazarin (Essonne) vers Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) ou Montpellier, et 30 conçus. Le tout, sans licenciement économique ni fermeture de sites. Et aucune externalisation n’est évoquée, contrairement à 2018, lorsque Sanofi avait cédé à l’allemand Evotec deux établissements à Toulouse et à Lyon. Pour les salariés, « il n’y aura pas de mobilité géographique contrainte hors du bassin d’emploi, assure une source. Sauf en région parisienne, où les transferts seront bien contraints ».

Pour 2019, environ 1 200 postes sont déjà annulés

Mardi 18 juin, la direction de Sanofi se limitait à certifier la tenue d’une réunion, le lendemain, avec le comité social et économique central de Sanofi-Aventis R&D, ayant pour ordre du jour « un projet d’organisation des activités de R&D en France ».

Pour 2019, quelques 1 200 postes sont déjà annulés. En mars, les services supports ont mettre au point une rupture conventionnelle collective soutenant sur le départ de 700 personnes. Une semaine plus tard, quelque 232 commerciaux ont été aussi remerciés lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

« Sanofi, c’est une vraie essoreuse ! », se distille une élue syndicale. Et encore, mercredi, le groupe doit aussi lancer des réorganisations en Allemagne. « Aux Etats-Unis, ils le font aussi, mais pas besoin de mettre en place ce type de plan collectif et codifié. Ils paient et les gens partent », récapitule un élu de Sanofi, qui garantit que les investissements se portent dorénavant en Chine, où les effectifs de recherche progressent. Actuellement, quelque 15 000 travaillent pour la R&D dans le monde, dont 4 200 en France, avant le dernier plan de départs.

« Cela doit être le cinquième plan social en six ans »

« Pour la recherche, cela doit être le cinquième plan social en six ans », remarque Thierry Bodin, de la CGT. « On les voit défiler, sans pour autant apercevoir de projet de recherche très défini », déclare Chantal Drouet-Petre, de la CFDT. « C’est une vraie catastrophe de se priver de ces emplois stratégiques », ajoute M. Bodin, non sans rappeler que Sanofi « perçoit, chaque année, 150 millions d’euros de crédit d’impôt recherche ». « Depuis 2012, environ un tiers des postes ont été supprimés ou externalisés », témoigne Christophe Picot, de la CFE-CGC.

Comment assurer le repos de l’employé

« Avec Internet, le cloud et le développement du travail à distance, elle est inadaptée à l’économie numérique où le travail a le don d’ubiquité, et rend très poreuse la frontière vie professionnelle-vie personnelle »
« Avec Internet, le cloud et le développement du travail à distance, elle est inadaptée à l’économie numérique où le travail a le don d’ubiquité, et rend très poreuse la frontière vie professionnelle-vie personnelle » Ingram / Photononstop

Avec les nouvelles technologies, il est de plus en plus compliqué de calibrer le temps réel passé au travail, déclare le professeur Jean-Emmanuel Ray dans sa chronique.

Les vacances rapprochent… mais plusieurs sont les laborieux intellectuels emportant leur portable professionnel pour s’ajuster habituellement. Acmé de la servitude volontaire ? Un siècle après la loi française du 24 avril 1919 sur la semaine de 6 × 8 = 48 heures, la Cour de justice de l’Union européenne (UE) a rendu, le 14 mai, un arrêt en forme de rappel à l’ordre : « Le droit de chaque travailleur à une borne de la durée maximale du travail et à des périodes de repos constitue une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, consacrée à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. »

Elle en retient le devoir de mettre en place « un système objectif, assuré et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier accompli par chaque travailleur ». Pour la rémunération des heures littéralement « supplémentaires », mais aussi pour soutenir le temps minimal de repos journalier de onze heures (donc une amplitude de travail de treize heures au maximum), et de repos hebdomadaire de trente-cinq heures.

Rien de nouveau en France : en dehors des usines ou grands magasins aux horaires collectifs, en cas de contrôle de la consultation du travail, l’entreprise doit pouvoir réhabiliter du temps de travail de chacun de ses assistants.

La mesure du temps de travail

Fécondée pour le modèle militaro-industriel et son tout-collectif (lieu, temps, action), le certificat horaire permettait de fixer la rétribution, mais aussi de mesurer la charge de travail forcément réalisé dans l’entreprise : impossible alors d’emporter six portes de 2 CV pour les terminer à la maison. Mais avec Internet, le cloud et le développement du travail à distance, elle est inadéquate à l’économie digitale où le travail a le don d’ubiquité, et rend très poreuse la frontière vie professionnelle-vie personnelle.

En ne tenant guère compte de ces nouvelles formes de distribution et des pratiques digitales des jeunes générations, le droit du travail met des employeurs de bonne foi en outrage. Ce qui les incite à avoir recours à des indépendants.

Admise par une dérogation figurant dans la directive collectif de 1993, la révolution du « forfait jour » de janvier 2000 engendrait un réaliste aveu. Pour les cadres « disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps » (commerciaux, consultants…), souvent nomades et se connectant n’importe où et n’importe quand, il est impossible de décompter à la minute près leur durée de travail ; et eux-mêmes ne détestent pas maintenir une certaine opacité sur leur « emploi du temps ». Alors, plutôt que de bâtir une belle usine à gaz, par accord collectif la naissance peut devenir la référence. Côté travail (maximum 218 jours par an), mais aussi côté diminution de ce temps.

« Un monde nouveau »

Un monde nouveau, Anne Akrich , Julliard, 166 pages, 18 euros
Un monde nouveau, Anne Akrich , Julliard, 166 pages, 18 euros DR

Dans son œuvre « Un monde nouveau » Anne Akrich décrit les récents codes de la vie dans les entreprises. A travers des contes découragés, le lecteur plonge dans une touchante parodie de notre époque, où chaque nouvelle illusion progressiste semble dissimuler une régression cauchemardesque.

C’est une entreprise installée en plein cœur de Paris, mais où on favorise le mot anglais et la réduction. Le quotidien s’y conjugue en « réu », en « work in progress » et en « soft skills ». Les rapports structurés sont cassés : le tutoiement est méthodiquement employé, chacun s’appelle par son prénom, on déjeune côte à côte et on participe aux entretiens « Happy or not ». Le bien-être et la manifestation des travailleurs – d’ailleurs, on ne dit pas « salariés » mais « collaborateurs » – sont au cœur de #InFutureWeBelieve, devenue l’une des plus grosses sources d’entreprises en France.
Comment se fait-il alors qu’ils attristent tant à trouver leur place dans ce propre univers qu’ils prétendent bâtir ? Dans son dernier oeuvre, Un monde nouveau, Anne Akrich lève un portrait amer de la culture d’entreprise. L’ouvrage se traite de microfictions qui constituent un vaste roman choral. Elles sont rythmées par les entretiens menés par Pandore, « happiness manager » – responsable du bonheur − chez #InFutureWeBelieve.
Une fois bourrés les bureaux de fleurs et produits bio, obligé des plantes vertes à s’installer dans des lieux stratégiques, organisé les espaces de travail pour que chacun bénéficie de la photosynthèse, hypothéqué des coachs sportifs, procuré des tables de ping-pong et organisé des karaokés, Pandore reçoit les collaborateurs pour savoir comment ils voient leur place dans l’entreprise.
Bien que les postes innovants et les salaires alléchants, malgré leur jeunesse, leur dynamisme et leur croyance dans l’économie du partage et la société collaborative, ils paraissent tous malheureux, dépossédés dans une société atomisée. Farid, l’administrateur système, trouve sa vie d’ingénieur télécoms insignifiante. Tous les soirs, il s’adonne à une correspondance improbable : il compose des lettres à des inconnus, des usagers qui passent leur journée devant Netflix, qu’il tente de sauver de la dépression.
Esther engendre les outils informatiques de la boîte et martyrise les sept membres de son équipe de développeurs, qu’elle appelle « mes sept nains ». Elle se demande pourquoi on utilise le même verbe – « incuber » – pour une start-up ou un virus, et termine par s’évaporer pour la Corée, à la recherche de son « vrai moi ». Martin a rejoint #InFutureWeBelieve pour lever Crisis, une louable entreprise de gestion de crise. Sur la Toile, c’est autre chose : il dispose d’un double malfaisante et multiplie les hashtags blessants.

Avec les opposants de conscience de la « tech »

Après Amazon, c’est au tour de Google de voir son rassemblement général perturbé par des réclamations éthiques conduites par certains de ses salariés. Une révolte qui a pris une grandeur nouvelle après l’élection de Donald Trump, fin 2016.

Ingénieure chez Google, Irene Knapp devait s’informer, mercredi 19 juin, devant l’assemblée générale annuelle des actionnaires du géant technologique américain.

Trois minutes pour défendre, face à un auditoire, l’une des trois résolutions déposées cette année par des salariés. « Toutes sont liées à des thèmes qui nous intéressent en tant qu’employés engagés dans les mouvements de mobilisation au niveau interne comme le “Google Walkout” », raconte-t-elle.

Avec 20 000 des 100 000 salariés du groupe, Irene Knapp avait participé, le 1er novembre 2018, à la grande marche devant plusieurs bureaux de l’entreprise dans le monde, pour dénoncer le traitement des cas de harcèlement sexuel et les inégalités6 au sein de la société de Mountain View en (Californie). Elle est aussi une colonne des autres manifestations qui agitent Google depuis plus d’un an. Ainsi, elle a fait partie des 4 000 salariés signataires de la demande pour l’arrêt du contrat Maven de collaboration avec l’armée américaine ou encore des 700 salariés sollicitant l’arrêt du projet « Dragonfly », un moteur de recherche ajusté à la Chine.

De supplément, elle a corédigé la lettre ouverte, approuvée par 2 000 de ses collègues, contre la nomination, au comité d’éthique de Google sur l’IA d’une personnalité conservatrice jugée antitrans, anti-LGBTQ et antimigrants. Des employés de ces différents mouvements étaient appelés à se rassembler, mercredi, devant l’assemblée générale et les bureaux de Google dans douze villes.

Croisade écologique

La détermination 14 défendue par Irene Knapp demande que les dirigeants soient payés en fonction de leur capacité à respecter des « critères de diversité et d’inclusion », afin de prévenir les discriminations selon des critères ethniques, de genre ou d’orientation sexuelle. Elle-même se définit comme « transgenre » et souhaite, en anglais, être désignée par le pronom pluriel neutre « they » ou « them ».

Cette « autodidacte » de 38 ans développe avoir « toujours voulu travailler dans la tech », mais ne s’être fait recruter chez Google qu’à la trentaine, en 2014, après avoir connu des périodes « de pauvreté ». « Je voyais les entreprises de la tech comme un repaire d’idéalistes où l’on cherche à régler les problèmes des gens. Mais j’ai été déçue de voir qu’on n’y était pas assez conscients des effets réels de la technologie sur la société », déclare-t-elle.

Autolib’ : bilan de la classification des travailleurs un an après le clap de fin

A Paris, une station de voitures électriques Autolib’.
A Paris, une station de voitures électriques Autolib’. Christophe Lehenaff / Photononstop / Christophe Lehenaff / Photononstop

En juin 2018, les 254 personnes qui œuvraient pour la société d’autopartage guidaient l’arrêt quasi immédiat de leur activité. Seules une dizaine ont été reclassées dans le groupe ; 70 n’ont pas rattrapé de travail.

Le 21 juin 2018, le syndicat Vélib’ Autolib’ Métropole éclairait, à la stupeur générale, qu’il retirait le contrat le liant au groupe Bolloré pour l’exploitation d’Autolib’, le service d’autopartage initier en région parisienne.

Victimes alliées de ce jugement : les 254 salariés d’Autolib’. Apprenant du jour au lendemain que son poste d’« ambassadeur du service d’autopartage » allait disparaître, Edouard (son prénom a été modifié) évoque encore du choc éprouvé lors de la nouvelle : « Vous imaginez, on a appris l’arrêt d’Autolib’ dans la presse ! »

Après avoir « passé l’été le plus pourri de [sa] vie », Edouard regarde actuellement l’avenir avec plus de confiance : il a recouvré un travail. Sans espérer la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) commercé pendant l’été 2018 entre les syndicats et la direction, le jeune homme a demandé un départ anticipé et retrouvé un nouveau poste dans la foulée, dès la rentrée de la même année, dans une société de transports. « J’étais dans le flou total, alors j’ai préféré ne pas attendre pour chercher du travail », déclare-t-il.

A l’instar d’Edouard, la majorité des ex-salariés d’Autolib’ ont choisi d’abandonner le navire sans attendre le congé de rangement. Echaudés par l’arrêt brutal du service, 135 d’entre eux ont fait le choix d’un départ précédé, déclare Samir Mohamdi, le secrétaire FO de la délégation unique du personnel d’Autolib’.

« Les indemnités de départ étaient avantageuses, donc beaucoup ont préféré partir, ajoute M. Mohamdi. De plus, pour les postes non qualifiés, il fallait fréquemment changer de région. Le jeu n’en valait pas la chandelle : des postes de cariste, par exemple, on peut en trouver à Paris. »

Difficile retour à l’emploi

Sur les 254 travailleurs, une centaine ont actuellement retrouvé un emploi ailleurs ; vingt-quatre se sont jetés dans la création d’entreprise, et une trentaine ont entrepris une formation pour se transformer. Définitivement, seuls une dizaine de salariés ont été reclassés dans le groupe. Alors que le congé de reclassement des employés d’Autolib’ se termine à la fin juin, Samir Mohamdi estime à 70 le nombre de ceux qui restent sans travail, en plus de la vingtaine de personnes qui n’ont retrouvé qu’un emploi précaire, contrat à durée déterminée (CDD) ou autre.

« C’est surtout difficile pour les anciens ambassadeurs et les chefs d’équipe », s’intérroge le délégué syndical FO, qui se dit contrarié du cabinet chargé du rangement, Alixio : « Alors qu’on nous avait promis un cabinet expérimenté, on s’est retrouvés en face de gens qui étaient eux-mêmes en CDD ! »

Encourager un employé peut miner toute une équipe

Grève de Radio France

Assemblée générale des salariés en grève de Radio France, mardi 18 juin.
Assemblée générale des salariés en grève de Radio France, mardi 18 juin. TAIMAZ SZIRNIKS / AFP
La présidente de Radio France, est mélomane. Mais il n’est pas sûr qu’elle ait estimé la version tenace de la neuvième de Beethoven fredonnée, mardi 18 juin, par le chœur de Radio France à l’occasion de la journée de grève pour faire face contre le plan d’économies qu’elle veut mettre en œuvre jusqu’en 2022 :

« Unis dans la même chaîne CDI et CDD. Ecoutez ce chant sans haine, celui des cœurs révoltés. Face au plan de Mme Sibyle, nous sommes tous mobilisés pour que la radio publique continue de rayonner. »

Pas certainement une ode à la joie. Plutôt un appel à la lutte et à l’appel. Il a été habitué par 1 289 travailleurs, soit un taux de collaboration de 41,6 % sur la journée, selon la direction.

Comment ça débute un AG à Radio-France ? #OnlyInRadiofrance https://t.co/5PD5wndS09

 

— FabSintes (@Fabienne Sintes)

Dans une situation de fermeté exigée par l’Etat à l’ensemble de l’audiovisuel public pour cette période – soit moins 20 millions d’euros pour Radio France –, Mme Veil s’inquiète d’une trajectoire budgétaire qui, si rien n’est fait, déclare-t-elle, s’interprétera par 40 millions d’euros de déficit, en raison de l’augmentation des charges de personnel et de l’exigence d’investir dans le digital. Il y a une dizaine de jours, elle développait vouloir affecter 20 millions d’euros à ce sujet, pour « construire la plateforme française de référence de l’audio sur le numérique, qui alliera qualité de nos contenus et diversité de nos offres ».

Néanmoins, les efforts sollicités au personnel sont lourds : la direction a prétendu entre 270 suppressions de poste – si les organisations syndicales admettent de rogner sur les jours de congés et de revoir l’organisation du travail afin d’éviter le recours aux CDD – et 390 si elles disent non à son plan. Elle a proposé aux syndicats un accord de méthode, mais ces derniers ont refusé, dénonçant un chantage inadmissible.

Audiences excellentes

Les salariés réunis mardi dans l’agora, au centre de la Maison de la radio, ne conçoivent pas cette volonté de couper une nouvelle fois dans les effectifs, alors que les entourages des différentes chaînes sont excellents – France Inter est même devenue au premier trimestre la radio la plus entendue de l’Hexagone devant RTL – et que le groupe a réparé avec l’équilibre financier. « Au moment où toutes les audiences sont au beau fixe, ce plan d’économies constitue une opération programmée de destruction massive », s’alarme un représentant du personnel.

Syndicats et direction nécessitaient se récupérer mardi après-midi pour un comité social et économique (CSA) mais, en raison du mouvement de grève, cette retrouvaille aura lieu mercredi. Dans un communiqué, l’intersyndicale juge que :

« Les besoins de financement doivent être accompagnés par l’Etat, qui ne peut continuer à casser le service public en le privant de moyens. Sibyle Veil doit écouter les salariés et retirer son plan dangereux et destructeur ».

Assemblée générale des travailleurs en grève de Radio France, mardi 18 juin. TAIMAZ SZIRNIKS / AFP

De son côté, la direction, tout en captivant « acte de la mobilisation de ce jour, des angoisses et du très fort inclination à l’audiovisuel public et à ses missions qui se sont exprimés », « réaffirme sa volonté de construire un avenir durable pour Radio France et pour ses salariés et propose aux partenaires sociaux de poursuivre le dialogue pour construire avec eux un équilibre entre les efforts indispensables et les perspectives apportées à l’entreprise et à ses salariés ».

Appel à continuer le mouvement en septembre

Les envoyés des appointés jugent, eux, que cette journée de mobilisation constitue un « coup de semonce » et appellent à poursuivre la mobilisation en septembre.

Ils remettent aussi en cause les chiffres de la direction, en s’appuyant sur le rapport d’un cabinet indépendant, Tandem, qui, mandaté par le comité social de Radio France, a qualifié les économies de « surdimensionnées » : la hausse des charges de personnel sur les prochaines années a été, selon ce cabinet, surévaluée de 8,7 millions d’euros, et Radio France pourrait s’épargner 118 annulations de poste.

La direction de Radio France a critiqué ce rapport lundi soir, repassant une « méthodologie erronée ». Selon Marie Message, directrice des opérations et des finances, le cabinet Tandem s’est appuyé sur l’année 2018 pour calculer la hausse de la masse salariale, alors que cette année a vu peu d’embauches, du fait d’une vacance à la tête du groupe pendant quelques semaines, due à la dévolution de l’ex-PDG Mathieu Gallet – transformé par Sibyle Veil en avril 2018.

En 2015, Radio France avait connu une grève historique de vingt-huit jours pour protester contre un plan d’économies.

Sur les compensations chômage pour les cadres, une exceptionnelle union entre la CFE-CGC et la CGT

Les deux dispositions ont initié une demande digitale commune contre la mesure gouvernementale, qui a déjà récolté plus de 7 000 signatures.

Une alliance exceptionnelle a vu le jour pour s’objecter au sort attentif aux cadres dans la réforme de l’assurance-chômage que devait exposer, mardi 18 juin, Edouard Philippe, Muriel Pénicaud. La CFE-CGC, la confédération de l’encadrement, et l’UGICT, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, ont initié, le 11 juin, une requête nommée « non à la dégressivité des allocations-chômage ». Celle-ci avait concentré, mardi matin, plus de 7 000 signatures sur la plate-forme Change.org.

Dans son exposé de politique générale, le 12 juin, à l’Assemblée nationale, M. Philippe a affirmé que l’allocation des chômeurs qui apercevaient une rétribution élevée lorsqu’ils étaient en activité serait dégressive. L’exécutif se justifie en faisant valoir que le taux de chômage pour ces personnes est très faible et qu’il leur est plus facile d’avoir un emploi. Un raisonnement qui ne passe ni pour l’UGICT ni pour la CFE-CGC, qui le jugent « populiste ».

C’est la première qui est à l’origine de cette décision commune, et la seconde n’a pas souhaité à embrayer. Les autres confédérations n’ont pas été souhaitées. Dans le texte qui accompagne la pétition, ses auteurs jugent qu’« une fois expérimentée, n’en supposons pas, la dégressivité sera étendue à tous les autres travailleurs au prétexte de l’équité » et que « stigmatiser les cadres alors qu’on refuse de rétablir l’impôt sur la fortune, la ficelle est un peu grosse ».

Si ces discours sont dans la droite ligne de ce que défend la CGT, elles sont plus étonnantes pour la CFE-CGC. « Ce n’est pas forcément raccord avec ce que les cadres attendent », se demande un haut gradé d’une autre organisation syndicale.

« Particulièrement indigne »

François Homméril, président de la CFE-CGC, les assume entièrement. « Le gouvernement en a plein la bouche de son argument de “justice sociale”, dénonce-t-il. C’est principalement révoltant quand on sait qu’il s’agit de s’attaquer au principe même du régime assurantiel et contributif. Sans les plus hauts revenus, il n’y a pas d’équilibre ni de solidarité du système. » Même si sa centrale n’est pas allée jusqu’à appeler à défiler aux côtés de la CGT contre les ordonnances enlevant le droit du travail en 2017, M. Homméril a multiplié les critiques envers l’exécutif depuis le début du quinquennat.

Le ton est encore élevé d’un cran depuis qu’il sait que les droits de la catégorie socioprofessionnelle engendrant l’essentiel de l’électorat de son syndicat vont être rognés. « Dire, comme le fait le gouvernent, qu’il y a une corrélation entre le niveau d’indemnisation et le nombre de jours passés à Pôle emploi est une interprétation fausse d’une courbe qui est réelle, c’est un viol des faits et des chiffres, s’emporte-t-il. Pour les cadres expérimentés, il est difficile de retrouver le même niveau d’emploi, c’est beaucoup plus dur de rebondir. »

Le président de la CFE-CGC ne se fait néanmoins guère d’illusions sur le succès de la pétition dont le nombre de signataires, reconnaît-il, est « relativement faible » à l’heure actuelle. Mais initier cette action avec la CGT forme pour lui « un message politique fort ». Quant à ceux qui ridiculisent depuis plusieurs mois sur la « CFE-CGT », il n’en a cure : « Cela fait trente ans que je milite et trente ans qu’on me fait le coup, rien de nouveau sous le soleil. »