« L’implication des syndicats est indispensable pour les travailleurs comme pour la démocratie »
Un an après leur création, les ruptures conventionnelles collectives encaissent du terrain. Le travail des syndicats est éminent pour en entourer la pratique et considérer dans le rapport de force. Il devrait en être de même dans le débat public.
Il a fallu espérer 1975 pour que soit finalement confirmé en France le divorce par accord mutuel. Plus besoin de démontrer la faute et de s’envoyer des assiettes à la figure pour se séparer. Aujourd’hui, presque un mariage sur deux se termine par un divorce et la grande majorité se concluent à l’amiable. La transformation de mœurs a été encore plus tardive dans l’entreprise. La rupture conventionnelle, égale du consentement mutuel, a été qualifiée en 2008. Elle simplifie et sécurise la séparation, à la fois juridiquement, pour l’employeur, et financièrement pour le salarié. Ce dernier peut palper les compensations chômage sans avoir besoin d’être licencié pour faute. Là encore, le succès a été au rendez-vous (437 000 en 2018). Ce mécanisme conduisait en France l’embryon d’une « flexisécurité », clé du succès des politiques d’emploi dans les pays scandinaves.
D’où l’idée d’étaler le dispositif en le redonnant collectif en 2018. Dans ce cas, ce n’est plus l’individu qui vend ses conditions de départ mais les syndicats. Il s’agissait au début de découvrir pour les sociétés une alternative plus simple aux coûteux plans de départs volontaires et aux complexes plans de sauvegarde de l’emploi. Les syndicats, qui ont le pouvoir de dénier ce plan, sont plus mitigés. Le divorce est affaire personnelle. Quand il devient collectif, il change de nature.
Compétence de terrain
Les délégués du personnel doivent à la fois s’angoisser des conditions de départs, en termes financiers et d’accompagnement (formation), mais aussi de diminuer l’effet d’emballement qu’ils animent chez ceux qui veulent tout plaquer et toucher un chèque, sans trop se soucier du lendemain. Et enfin, ils sont supposés s’angoisser de ceux qui restent et risquent de voir leurs conditions de travail se dégrader après tous ces départs.
Leur implication est donc importante pour défendre les intérêts des travailleurs mais aussi pour extérioriser et codifier le débat grâce à leur expérience et leur expertise. Il est crucial de les assister à récupérer du pouvoir dans les entreprises alors que le taux de syndicalisation s’est effondré à partir des années 1980. Mais on pourrait pousser l’argumentation plus loin. Cette compétence de terrain et ce recul sont indispensables à la déambulation de la démocratie. Le soulèvement des « gilets jaunes », comme le développement du populisme, nous renvoie à la figure la faiblesse contemporaine de ces corps intermédiaires. Ils seraient pourtant bien utiles pour entourer et structurer les contre-pouvoirs dans le débat national. Il semblerait que l’on commence à s’en rendre compte en haut lieu.
Liron Ben-Shlush et Menashe Noy dans « Working Woman », de Michal Aviad. KMBO
Tournant dans la vague #metoo, l’Israélienne Michal Aviad accomplit un film d’une sécheresse et d’une médiocrité bienvenues qui enseigne, au quotidien, comment la vie d’une jeune femme peut être affectée par une conduite de prédation sexuelle montant méchamment en puissance sous les dehors d’une requête d’efficience et de complicité professionnelles.
Interprété par Liron Ben-Shlush – qu’on avait déjà pénétrée très convaincante dans Chelli (2014), d’Asaf Corman – le personnage d’Orna trouve, au début du film, un travail exceptionnel comme assistante dans une agence immobilière spécialisée dans les produits de luxe. Une aubaine, alors que son mari, Ofer, qui se lance au même moment dans la restauration à son propre compte, peine à découvrir ses marques et que la famille tire le diable par la queue.
Devant Orna parade Benny (Menashe Noy), le patron de la société immobilière qui vient de la recruter. Père de famille, mais homme de pouvoir et séducteur irrépressible, le quinquagénaire utilise une gamme de comportements assez subtile pour parvenir à ses fins. Autoritaire et serviable. Amical et prédateur. Il ne régresse que pour mieux revenir à la charge. Et fait feu de tout bois. Promotion rapide, prolongement des journées de travail, voyages à l’étranger, tête-à-tête de plus en plus fréquents, coup de main donné à l’occasion au mari dans sa carrière naissante… Autant d’éléments qui, tant en vertu de la reconnaissance que du témoignage de loyauté professionnelle qu’ils engagent, œuvrent à un approche insidieux entre le patron et son employée.
Mutisme stoïque
Bientôt appelée directrice des ventes pour la clientèle française, Orna, seul pôle de stabilité financière du foyer, résiste en silence. Le mutisme stoïque dans lequel elle s’emmure, tour à tour flattée et choquée, va l’empêcher de prédire et de freiner la montée en puissance du désir de son patron, qui le conduira à transgresser toutes les règles.
Centré sur le couple, filmé en longs plans-séquences, le film laisse en jachère, par la force des choses, les autres personnages, comme le mari ou la mère d’Orna, qui ignorent de quoi il rentre. Encore que l’aveuglement auquel est cantonné le mari, et sa réaction de machiste obtus sur le tard, puisse être aperçu comme une sorte de connivence involontaire, et donc être mis au débit du genre masculin dans son ensemble, qui sort du film en très piteux état. Working Woman installé en revanche une liaison plus subtile entre le libéralisme destructeur qui vend à l’encan le littoral du pays à de riches étrangers et l’outrage à la libre disposition de leur corps dont sont victimes les femmes.
Film israélien de Michal Aviad. Avec Liron Ben-Shlush, Menashe Noy, Oshri Cohen (1 h 33). Sur le Web : www.kmbofilms.com/working-woman