Medef : Roux de Bézieux est parvenu « à naviguer entre plusieurs récifs conjoncturels »

Michel Offerlé, professeur émérite à l’ENS, revient sur la première année de Geoffroy Roux de Bézieux à la tête de l’organisation patronale.

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 15h00

Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Michel Offerlé, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure (ENS), et auteur de Les patrons des patrons. Histoire du Medef (Odile Jacob, 2013), analyse la première année de mandat du président de l’organisation patronale.

Même si Geoffroy Roux de Bézieux a finalement renoncé à convier Marion Maréchal à l’université d’été du Medef, faut-il y voir un tournant dans les rapports du patronat à l’extrême droite ?

Michel Offerlé : Marine Le Pen avait été invitée en 2017 à présenter avec d’autres candidats à la présidentielle son programme au Medef. Pierre Gattaz avait quelques jours plus tard qualifié ses positions économiques « d’ineptes ». Depuis les années 1980, il y a un cordon sanitaire entre le patronat et l’extrême droite.

L’idée de convier Mme Maréchal à un débat sur le populisme – à quel titre d’ailleurs ? – vient-elle d’un stagiaire zélé ou indique-t-elle une nouvelle forme de communication pour l’université d’été du Medef : accueillir des débats houleux ? Car on remarquera qu’aucun chercheur parmi les spécialistes de l’extrême droite n’avait été invité.

Lire aussi Le Medef renonce à inviter Marion Maréchal à son université d’été

Comment analysez-vous la première année de M. Roux de Bézieux à la tête du Medef ?

Et de son équipe ! Car la présidence est un peu moins personnalisée que par le passé. Ils sont parvenus à naviguer entre plusieurs récifs conjoncturels : un président de la République qui fait une partie de leur politique mais sans leur donner voix publiquement au chapitre – d’où un satisfecit retenu, insistant sur la nécessité d’aller encore plus loin, notamment du côté des prélèvements obligatoires et de l’âge de la retraite – ; un mouvement social des « gilets jaunes » qui ignore la plupart des patrons et dont les chefs d’entreprise s’en sortent par une prime d’Etat et des primes facultatives ; enfin, un slalom, dont on ne sait s’il sera réussi, entre les intérêts contradictoires de ses composantes pour l’application du bonus-malus [sur les contrats courts] et le choix des niches fiscales.

Mais le programme du Medef issu des cogitations patronales organisées durant le grand débat a débouché sur 43 propositions qui ne forment pas vraiment un corps de doctrine original et n’ont guère été reprises dans le débat public.

Lire aussi Assurance-chômage : le principe de bonus-malus confirmé sur les contrats courts

Est-ce plus facile pour le patron des patrons d’être face à un gouvernement décrit comme pro-business ?

Roux de Bézieux est entré dans le rôle de président, avec son style propre qui tient à sa trajectoire entrepreneuriale passée – il est issu des nouveaux services, plus parisien, plus inséré dans des cercles de sociabilité plus élitistes – et à son positionnement dans l’organisation. Il décline beaucoup moins une posture victimaire qui a été une des thématiques du mandat de Pierre Gattaz.

Réforme de l’assurance-chômage : les cadres se sentent trahis

Pour une population plutôt acquise à la politique d’Emmanuel Macron, la dégressivité des allocations chômage pour les hauts salaires passe mal.

Par Publié aujourd’hui à 08h56

Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Dans le quartier d’affaires de la Défense, près de Paris, en septembre 2015.
Dans le quartier d’affaires de la Défense, près de Paris, en septembre 2015. FLORIAN DAVID / AFP

« On est toujours le riche de quelqu’un », et Nicolas T. le reconnaît volontiers : il est, lui-même, « le riche » de beaucoup. Salarié à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), l’électronicien gagne plus de deux fois le revenu médian en France. « Je me vois mal, dit-il, aller sur un rond-point et me plaindre que je n’ai “que” 4 000 euros par mois… Par rapport à un smic, cela ne peut pas être compris. Je n’irai pas non plus voter pour les extrêmes. Mais cette réforme de l’assurance-chômage, ça va trop loin ! »

Le cadre se rebiffe ? Pas encore. Le pourrait-il ? Pas vraiment. Même si « le sentiment de trahison est bien là ». A 45 ans, Nicolas T. a déjà connu deux licenciements et une création d’entreprise avortée. Il n’a jamais bénéficié pleinement des deux ans d’indemnisation chômage, mais savoir qu’il le pouvait le rassurait. « Emmanuel Macron change les règles en cours de route ! Parce qu’il n’a plus d’opposition, il se croit permis de se moquer éperdument de son électorat. »

Cette « rupture de contrat » qu’évoque l’ingénieur a un nom : la dégressivité. Dans le cadre de la réforme, le gouvernement prévoit de raboter de 30 % les allocations des salariés qui touchaient plus de 4 500 euros brut par mois avant de pointer à Pôle emploi. La baisse interviendrait dès le septième mois d’indemnisation pour les moins de 57 ans.

« Violence », « cynisme » et « inconséquence »

Lire aussi Faible mobilisation et front syndical désuni contre la réforme de l’assurance-chômage

« Un acte politique d’agression », dénonce François Hommeril, président de la CFE-CGC, le syndicat des cadres. L’ancien géologue n’a pas de mots assez durs pour dénoncer « la violence », « le cynisme » et « l’inconséquence » de l’exécutif. « Non seulement la réforme prive de leurs droits ceux qui contribuent le plus, mais, cerise de l’indignité, elle prétend le faire au nom de la justice sociale. »

En 2017, rappelle-t-il, la participation des cadres finançait le régime d’assurance-chômage à hauteur de 42 %, alors qu’ils ne recevaient que 15 % des allocations. « Ce gouvernement, qui donne des leçons de morale, fait tout simplement des économies sur le dos des chômeurs. » Un agacement que Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, reprend à son compte en réclamant une baisse des « cotisations des employeurs qui paient très cher » pour indemniser les cadres.

Frais bancaires, encadrement des loyers, trottinettes, contrôle technique : ce qui change le 1er juillet

Chaque année, certains tarifs ou allocations sont revalorisés au 1er juillet… Nous faisons le point sur les changements qui interviennent aujourd’hui.

Le Monde avec AFP Publié le 01 juillet 2019 à 00h16

Temps de Lecture 3 min.

Les voitures essence d’avant 1997, et diesel d’avant 2001, ne peuvent désormais plus circuler en région parisienne.
Les voitures essence d’avant 1997, et diesel d’avant 2001, ne peuvent désormais plus circuler en région parisienne. GERARD JULIEN / AFP

Baisse des tarifs réglementés du gaz, renforcement du contrôle technique pour les véhicules diesel, prime de risque revalorisée à 100 euros net pour 30 000 personnels des urgences, plafonnement des frais d’incidents bancaires pour certains clients, encadrement des loyers et interdiction du stationnement des trottinettes sur les trottoirs à Paris… Voici ce qui change, lundi 1er juillet, en France.

  • Une baisse de 6,8 % pour les tarifs du gaz

Appliqués par Engie à quelque 4,3 millions de foyers, ces tarifs réglementés sont toutefois appelés à disparaître progressivement d’ici à 2023, car jugés contraires au droit européen.

  • Les allocations-chômage revalorisées de 0,7 %

L’indemnité minimale passe de 29,06 euros à 29,26 euros par jour. Cette hausse concerne environ 2,6 millions de personnes, soit près de 94 % des demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance-chômage.

Décryptage : Réforme de l’assurance-chômage : ce qu’elle va changer concrètement pour les demandeurs d’emploi
  • Le contrôle technique renforcé pour les véhicules diesel

Afin de mieux lutter contre les particules fines, les tests antipollution des véhicules diesel immatriculés après 2005 sont renforcés lors des contrôles techniques. Pour passer ce nouveau test, un véhicule sera déclaré apte s’il n’émet pas plus de fumée que lorsqu’il était neuf. Annoncée en janvier, la mesure avait été repoussée lors de la crise des « gilets jaunes ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Contrôle technique : les prix se sont envolés depuis la réforme de mai 2018
  • Un congé de trente jours pour les pères d’un nouveau-né hospitalisé dans une unité de soins spécialisés

Ce nouveau droit s’ajoute aux congés de naissance (trois jours) et d’accueil de l’enfant (onze jours). Il s’agit d’un congé de trente jours calendaires consécutifs, à prendre dans les quatre mois suivant l’accouchement.

Lire aussi Egalité femmes-hommes : « Allonger le congé paternité serait un signal fort »
  • Une indemnité revalorisée à 100 euros net pour les infirmiers, aides-soignants et ambulanciers

Environ 30 000 agents hospitaliers bénéficieront de ce coup de pouce, principale mesure annoncée à la mi-juin par la ministre de la santé Agnès Buzyn pour désamorcer un mouvement de grève national entamé mi-mars.

  • Les frais d’incidents bancaires plafonnés à 200 euros par an (20 euros par mois) pour les personnes « en fragilité financière »

Fin 2018, 3,4 millions de personnes étaient potentiellement éligibles à cette « offre spécifique », garantissant des services de base pour 3 euros maximum par mois. Toutefois, seulement 348 000 personnes en bénéficiaient, de sorte que le montant moyen des frais acquittés par ces clients « fragiles » pour des dépassements de découvert ou des rejets de prélèvement s’est élevé à 300 euros en 2018.

  • Retour de l’encadrement des loyers à Paris

Les bailleurs ne devront pas dépasser de plus de 20 % des « prix de référence » variant selon les quartiers, sous peine d’encourir une amende de 5 000 euros à 15 000 euros. Après une première tentative entre 2015 et 2017, annulée par la justice, ce deuxième plafonnement des loyers dans la capitale doit durer cinq ans « à titre expérimental » et s’applique à tous les baux signés ou renouvelés à partir de ce lundi.

Explications : Comment va fonctionner l’encadrement des loyers
  • Les voitures essence d’avant 1997, et diesel d’avant 2001, interdites de circuler en région parisienne

Les voitures classées Crit’Air 5 ou non classées ne peuvent plus circuler dans une « zone à faible émission » délimitée par l’A86, qui forme une boucle autour de Paris. Dans la capitale, où ces véhicules étaient déjà bannis depuis 2017, la restriction est désormais étendue aux vignettes Crit’Air 4 (diesel avant 2006), du lundi au vendredi de 8 heures à 20 heures.

Lire aussi Le vrai du faux sur la pollution des voitures au diesel
  • Les trottinettes ne pourront plus être stationnées sur les trottoirs et dans les parcs à Paris

Le 6 juin, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé l’interdiction du stationnement des trottinettes sur les trottoirs ; elles doivent être placées « sur les places de stationnement situées sur la chaussée et déjà utilisées par les voitures et les deux-roues motorisés ». Elles sont interdites dans les parcs et leur vitesse est limitée (20 km/h dans la capitale et 8 km/h sur les aires piétonnes). En cas de non-respect de ces règles, les opérateurs s’exposent à une amende de 49 euros par engin, auxquels s’ajouteront les frais de fourrière.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Eric Clairefond : « les réglementations des trottinettes sifflent enfin la fin de la récréation »
  • L’éco-prêt à taux zéro étendu à tous les logements achevés depuis plus de deux ans.

Il était jusqu’alors réservé aux résidences principales construites avant 1990. Autres nouveautés : la durée maximale d’emprunt est relevée de dix à quinze ans et les travaux d’isolation des planchers bas (rez-de-chaussée) deviennent éligibles à ce financement.

Réagissez ou consultez l’ensemble des contributions

Harcèlement moral à l’Assemblée : « Ici comme ailleurs ça existe, il ne faut pas se voiler la face »

Des collaborateurs parlementaires, véritables « couteaux suisses » des députés, témoignent. Deux députés viennent de rendre un rapport sur le sujet au président du Palais-Bourbon.

Par Publié le 29 juin 2019 à 04h51, mis à jour à 09h40

Temps de Lecture 5 min.

Article réservé aux abonnés

Quand Caroline (les prénoms ont été modifiés) ne décroche pas immédiatement son téléphone, il peut sonner plusieurs fois sans discontinuer. Au bout du fil, son employeur, un député, qui l’appelle ou lui écrit pour régler, pêle-mêle, un problème de billet de train, d’écharpe tricolore qu’il ne trouve pas ou de vidéo à mettre en ligne sur son compte Facebook. Tard le soir comme le dimanche matin à 7 heures. « Si je ne réponds pas dans les cinq minutes, j’ai un SMS avec des points de suspension », relate-t-elle. Trois points d’impatience.

Caroline est collaboratrice parlementaire, l’un de ces 2 000 « couteaux suisses » employés par les locataires du Palais-Bourbon pour travailler sur les textes de loi comme pour assurer leur logistique quotidienne. « Dans n’importe quelle autre boîte, ce que l’on vit serait du harcèlement moral », souffle-t-elle. « Les risques psychosociaux et le harcèlement existent à l’Assemblée nationale ! Les ors de la République n’en sont malheureusement pas exempts », reconnaît Michel Larive, député La France insoumise (LFI, Ariège) dans un rapport écrit avec Jacqueline Maquet (La République en marche, LRM, Pas-de-Calais), remis mercredi 26 juin au bureau de l’Assemblée à la demande de son président, Richard Ferrand.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi A l’Assemblée nationale, la dure réalité des collaborateurs parlementaires

« Ici, on fait la loi mais on ne la respecte pas »

Si le harcèlement sexuel au Palais-Bourbon a été médiatisé depuis quelques années, le harcèlement moral reste tabou. Les cas sont cependant plus fréquents, selon les syndicats de collaborateurs et la déontologue de l’Assemblée. « On sait que quelque chose ne va pas, mais on n’en mesure pas l’ampleur car il y a peu de cas avérés », explique M. Larive. « Ici comme ailleurs ça existe, il ne faut pas se voiler la face », abonde Mme Maquet.

En avril, L’Express révélait que la députée LRM des Yvelines Florence Granjus était poursuivie aux prud’hommes par deux anciens collaborateurs qui l’accusent de harcèlement. Le 21 juin, le journal Sud-Ouest faisait état des griefs d’ex-collaborateurs de la députée LRM de Charente Sandra Marsaud, décrite par l’un d’eux comme « hyper exigeante mais surtout oppressante et colérique ». « Elle oblige souvent à faire les dossiers plusieurs fois. Je me doutais qu’elle ne les lisait pas. Alors j’ai inséré du faux texte en latin. Le dossier m’est revenu en disant que ça n’allait pas. Mais elle ne l’avait pas lu », relate un autre. L’élue, contactée par Sud-Ouest, « réfute tout ce qui est dit » dans l’article.

Apple : « Jonathan Ive, le départ d’un héros fatigué »

L’iMac, l’iPod ou l’Iphone, le designer a conçu les plus lucratifs produits de l’entreprise américaine qui ont été à l’origine de son spectaculaire redressement. Mais, le petit génie n’est plus dans l’air du temps, explique dans sa chronique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

Publié le 28 juin 2019 à 11h09, mis à jour à 09h14 Temps de Lecture 2 min.

Article réservé aux abonnés

Le patron d’Apple, Tim Cook et le designer de la marque à la pomme, Jonathan Ive (à droite), lors de la conférence des développeurs de l’entreprise américaine, à San José, en Californie, le 3 juin.
Le patron d’Apple, Tim Cook et le designer de la marque à la pomme, Jonathan Ive (à droite), lors de la conférence des développeurs de l’entreprise américaine, à San José, en Californie, le 3 juin. MASON TRINCA / REUTERS

Pertes & profits. Sir Jonathan Ive est toujours vivant, mais on lui a réservé des funérailles nationales. L’emblématique concepteur des plus beaux et lucratifs produits d’Apple a droit à un éloge appuyé du patron à l’occasion de son départ, à la promesse de fidélité éternelle de son employeur et à une série en six épisodes dans le Financial Times, la bible des milieux d’affaires. Anobli en 2012 par la reine d’Angleterre, le petit Londonien au regard candide, entré discrètement en 1992 dans l’entreprise californienne, est un héros de la mythologie technologique de ce début de siècle.

A l’instar de Steve Jobs, il sera à l’origine du plus fantastique redressement d’entreprise de l’histoire économique moderne. En 1998, il signe son premier produit phare, l’ordinateur iMac et ses couleurs acidulées. L’entreprise est au bord de la faillite et soudain elle refait parler d’elle. Puis viendra la fortune. Apple sauve le marché de la musique avec l’iPod en 2001 et révolutionne le monde de la technologie avec l’iPhone, en 2007. Le premier vrai smartphone qui placera la société de l’information dans les poches de milliards d’individus. Viendront l’iPad, l’iWatch, les Macbook et autres AirPods, tous nés dans le cerveau de la vingtaine de petits génies rassemblés autour de l’inventif Britannique.

Retard dans la diversification

Mais le héros est fatigué. Son dieu Jobs est remonté aux cieux en 2011, et les temps ont changé. Apple est devenu la plus riche société du monde, mais elle ne s’est jamais autant interrogée sur son avenir. Sondé par le New Yorker en 2015, Jony Ive a confié son extrème lassitude. Il avait depuis pris du champ, quittant de moins en moins sa maison de San Francisco pour le magnifique nouveau siège de Cupertino. Une immense citadelle en forme de vaisseau spatial dont il a supervisé tous les plans avec Jobs. Comme ces empereurs chinois qui révisaient les détails de leur futur mausolée.

Les quelque 12 000 employés du Apple Park ne sont pas en terre cuite comme les soldats de l’empereur Qin enterrés au cœur de la Chine, mais ils cherchent la voie du salut. L’iPhone, qui représente 60 % des revenus de l’entreprise, ne fait plus la différence. Les relais de croissance peinent à s’affirmer, et l’entreprise est en retard dans la diversification menée tambour battant par Google, Facebook ou Amazon dans l’automobile, la voix ou le service aux entreprises.

D’ex-livreurs de la plate-forme Take Eat Easy obtiennent des indemnités aux prud’hommes

Après trois ans de combat judiciaire, ils ont été reconnus salariés de la défunte société de livraison de repas. Leurs indemnités devraient osciller entre 16 000 à 60 050 euros.

Par et Publié aujourd’hui à 10h32

Temps de Lecture 3 min.

Article réservé aux abonnés

C’est une nouvelle salve de décisions judiciaires qui ébranle un peu plus le modèle économique des plates-formes numériques. Jeudi 27 juin, le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié en contrat de travail la relation entre la société de livraison de repas Take Eat Easy et quatre coursiers que celle-ci avait employés. Selon leur avocat, MKevin Mention, les jugements ouvrent la voie au versement d’indemnités, oscillant entre 16 000 à 60 050 euros. L’entreprise incriminée ayant été mise en liquidation, il y a trois ans, ces sommes seront versées par l’Assurance de garantie des salaires – si la décision de jeudi devient définitive.

Lire aussi Les fondateurs de Take Eat Easy se remettent en selle avec un vélo électrique

Lorsqu’elle a mis la clé sous la porte en juillet 2016, Take Eat Easy s’appuyait, en France, sur une armada de quelque 2 500 livreurs à vélo, qui travaillaient sous le statut d’autoentrepreneurs. Les individus relevant de ce régime sont présumés être des indépendants, avec des droits (notamment en matière de protection sociale) inférieurs à ceux d’un salarié « ordinaire ». Mais ils peuvent demander au juge de requalifier en relation de travail leur lien avec la plate-forme – à condition de démontrer qu’ils sont placés sous sa subordination.

Des décisions qui pourront « servir de référence »

Plusieurs recours de ce type ont été engagés. D’abord infructueux, ils ont fini par déboucher sur des victoires, dont l’une, retentissante, remportée à la fin de novembre 2018 : dans cette affaire, qui concernait aussi Take Eat Easy, la Cour de cassation a estimé qu’il fallait retenir « la qualification de contrat de travail » pour un coursier de la plate-forme.

Lire aussi Livraison de repas : la justice reconnaît un lien de subordination entre Take Eat Easy et un coursier

Depuis, les conseils de prud’hommes de Nice et de Paris ont reconnu à d’anciens livreurs le statut de salariés. Durant le mois de juin, 26 décisions allant dans ce sens ont été rendues, selon MMention. S’y ajoutent donc les quatre prononcées, jeudi, par une formation de jugement présidée par un magistrat professionnel : elles n’ont pas encore été communiquées aux parties – seul le sens du délibéré ayant été dévoilé –, mais seront « très bien motivées » et pourront « servir de référence » dans d’autres litiges, pense l’avocat. Ce dernier soutient :

« Les prud’hommes ont admis que le contrôle des livreurs par GPS, ainsi que le système de sanctions très explicite de Take Eat Easy, qui allait de l’avertissement pour un refus de commande, jusqu’à la rupture du contrat, constituaient bien un lien de subordination. »

Les paradoxes des salariés sur le dialogue social

L’image des syndicats est légèrement meilleure et davantage de personnes envisagent le recours à la grève malgré un dialogue social « peu efficace » pour 52% de salariés, selon un sondage Ipsos pour le Cevipof. La crise des « gilets jaunes » est passée par là, explique l’éditorialiste du « Monde » Michel Noblecourt.

Par Publié le 28 juin 2019 à 09h55, mis à jour à 09h47

Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Dans la deuxième édition du baromètre du dialogue social, réalisé par l’Ipsos pour le Cevipof, à l’intention du master dialogue social de Sciences Po et de l’association Dialogues, qui réunit des directeurs de ressources humaines et des syndicalistes, aucune question n’a été posée directement sur la crise des « gilets jaunes ». Mais, en en présentant les résultats, lundi 24 juin, Martial Foucault, le directeur du Cevipof, n’a pas caché qu’elle était omniprésente dans l’esprit des 1 523 salariés du privé et du public hors fonctionnaires – 596 cadres et 927 non-cadres, 623 employés dans des PME et 231 syndiqués – interrogés par Internet du 19 au 21 juin. C’est à elle que 67 % des sondés font allusion quand ils disent que des « événements concernant le climat social ont été particulièrement marquants », soit une hausse de 14 points par rapport au baromètre de juin 2018.

Cette crise inédite a aussi eu des effets sur l’état d’esprit des salariés : 37 % évoquent leur « lassitude » (+ 4 points en un an), 32 % leur « inquiétude » (+ 3). Alors que la confiance, avec 31 %, est en baisse de deux points et l’espoir (20 %) de trois, 10 % font même état de leur « dépression » (+ 2). Sur la vision du dialogue social, l’enquête fait apparaître un certain nombre de paradoxes, voire de contradictions. Ainsi pour 76 % des sondés, « le dialogue social existe », soit une hausse de 6 points, mais pour 52 % (+ 3), « il n’est pas efficace ». En même temps, le pourcentage de ceux qui jugent qu’« il ne fonctionne pas bien » est élevé (72 %), mais il marque un recul de neuf points en un an…

Au classement de la confiance, les syndicats arrivent en dixième place, dans un hit-parade inchangé qui place dans le trio de tête les PME, les collègues de travail et… la Sécurité sociale

Contrairement à 2018, les salariés ne sont pas directement interrogés sur la réforme du code du travail d’Emmanuel Macron mais ils sont autant qu’il y a un an (57 %) à voir dans la flexibilité une « menace » pour leur protection sociale. Ils ne sont plus que 55 % (− 6) à estimer qu’il faut faire de la compétitivité de l’économie « une priorité » mais, en même temps, le pourcentage de ceux qui privilégient « l’amélioration de la situation des salariés », s’il reste haut (73 %), est en baisse de sept points.

Procès France Télécom : le regard du romancier Vincent Message

L’écrivain Vincent Message, qui publiera à la rentrée un roman sur la souffrance au travail, a assisté, pour « Le Monde », aux audiences du tribunal correctionnel de Paris sur le harcèlement moral subi par les employés du groupe

Par Vincent Message Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 08h43

Temps de Lecture 15 min.

Article réservé aux abonnés

« Avez-vous déjà pensé sérieusement à vous suicider ? » La question flotte dans la salle d’audience aux tons clairs. Posée lors d’une enquête IFOP, elle est reprise à la barre par le professeur de médecine Michel Debout, témoignant à l’appel des parties civiles au procès France Télécom. Dans la population générale, explique le fondateur de l’Observatoire national du suicide, 20 % des personnes interrogées répondent « oui ». Parmi celles qui estiment avoir un travail facteur d’équilibre dans leur existence, les réponses positives atteignent encore les 12 %. Mais les personnes qui ont subi un harcèlement au travail, elles, sont 42 % à avoir réfléchi à mettre fin à leurs jours. Le chiffre dit la place que le travail prend dans nos vies, et l’impact ravageur qu’il peut avoir sur nous.

Gilles Rapaport

La justice se rend en public. On le sait en théorie, mais on a rarement le temps d’en faire l’expérience en personne. Pour ma part, le procès France Télécom, qui s’est ouvert le 6 mai, est le premier dont je suis les audiences au long cours. Les bâtiments du palais de justice sont flambant neufs et les enjeux du procès, inédits : c’est la première fois que les dirigeants d’une grande entreprise française sont jugés pour harcèlement moral. Sur les bancs des prévenus, ils sont sept à devoir rendre compte de la politique qu’ils ont menée pour redresser l’entreprise entre 2005 et 2010. Sous la pointe de l’iceberg que constituent les 19 décès et les 12 tentatives de suicide dont le tribunal est saisi, ce sont des milliers de salariés qui ont été fragilisés par la réorganisation à marche forcée de l’opérateur dans le cadre du plan Next et de son volet social Act.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Procès France Télécom : les 22 000 « départs naturels » annoncés par Didier Lombard au cœur de l’audience

J’ai décidé de me rendre régulièrement aux audiences de ce procès car cela fait dix ans que je m’intéresse aux métamorphoses du capitalisme contemporain et à la question de la souffrance au travail. Le roman que j’y ai consacré, et qui paraît mi-août, a pris forme au moment de la crise des subprimes, qui a coïncidé avec l’entrée de ma génération sur le marché de l’emploi. La crise que traversait France Télécom n’était alors qu’un des exemples des effets que la pression économique exerce sur nos corps et sur nos esprits, mais elle a acquis avec les années une valeur emblématique. Entre l’exercice de la justice et l’art du roman, du moins quand il est pratiqué dans un esprit de pluralisme, il m’a toujours semblé y avoir de solides points communs : ce sont des espaces où les discours entrent en confrontation, où on se donne les moyens d’entendre toutes les voix ; on est incité à s’y méfier des jugements hâtifs et à prendre le temps de raisonner à charge et à décharge. C’est le sens de ma présence ici : aller au-delà de ce que j’ai pu lire sur le sujet et me faire ma propre opinion.

Au procès France Télécom : « La mort de mon père, c’est la réussite de leur objectif »

Rémy Louvradoux, 56 ans, s’est immolé par le feu, le 26 avril 2011, devant l’agence de Mérignac (Gironde), après avoir été ballotté de poste en poste par sa direction. Jeudi, sa fille a témoigné devant le tribunal correctionnel de Paris.

Par Publié aujourd’hui à 05h57, mis à jour à 09h01

Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Son père est « la trace sur le mur ». Une tache noire sur la façade de l’agence France Télécom à Mérignac (Gironde), devant laquelle il s’est immolé par le feu, le 26 avril 2011. Rémy Louvradoux avait 56 ans. Sa fille Noémie allait fêter ses 18 ans. Huit ans plus tard, jeudi 27 juin, c’est elle qui s’avance à la barre du tribunal correctionnel de Paris, qui juge sept anciens dirigeants de l’entreprise pour « harcèlement moral » et complicité de ce délit.

Noémie Louvradoux témoigne au nom de sa mère, de ses deux frères et de sa sœur cadette, assis au premier rang du public. La jeune femme est un bloc de colère et de chagrin. Elle jette l’une et l’autre à la face des prévenus : « Ils ont assassiné mon père. Ils ont tué notre vie de famille. Et ils ont dit qu’ils ne savaient pas. » Elle égrène chacun de leur nom : « C’est une horreur et ils en sont responsables. »

Rémy Louvradoux était entré chez France Télécom en 1979, il était fonctionnaire. En 2006, son poste de « préventeur » régional, chargé de la sécurité et des conditions de travail au sein de la direction des ressources humaines du Sud-Ouest, est supprimé. On lui confie une fonction de contrôleur interne pendant deux ans avant qu’il soit à nouveau « redéployé » en 2008. Il devient alors chargé de mission dans un poste précaire dont la durée ne peut excéder douze mois. « Bien en deçà de ses qualifications et de son grade », dit sa fille. Pendant l’instruction, l’un des responsables de l’agence Sud-Ouest Altlantique avait admis que ces missions « n’étaient pas des vrais postes. Ce n’était pas trop constructif, pas vraiment pensé, pas valorisant. »

Dans une lettre adressée en mars 2009 à la direction des ressources humaines de sa direction territoriale, Rémy Louvradoux évoque la dégradation de ses conditions de travail, rémunération en baisse, temps de trajet qui s’allongent. A la même époque, les candidatures qu’il dépose dans la fonction publique territoriale échouent les unes après les autres. Doit-il se considérer comme « totalement incompétent » ou fait-il « l’objet d’une attention particulière et personnalisée », demande-t-il ? Aucun entretien ne lui est proposé à la suite de son courrier.

« Il était là, physiquement, mais c’est tout »

Rémy Louvradoux se replie sur lui-même. « On ne connaissait plus ses collègues de travail, il ne voulait plus sortir », raconte sa fille. Rémy Louvradoux prend du poids, sa santé se détériore. « Il était tout le temps fatigué. Avant, il faisait du cyclisme et de la natation. Il a tout arrêté. » A la maison, l’atmosphère devient lourde. « On avait quand même une vie de famille, on prenait tous nos repas ensemble. Mais mon père voulait toujours le silence, il se mettait en colère, il ne parlait plus, sauf avec ma mère. Ça a détaché le lien qu’il avait avec nous et celui qu’on avait avec lui. Il était là, physiquement, mais c’est tout. Il avait perdu toute estime de lui-même, au travail et en famille. »