Harcèlement moral : les salariés de Pôle emploi témoignent

A Pôle emploi, la souffrance est des deux côtés du guichet. Depuis le 15 juillet 2014, l’opérateur public est visé par une information judiciaire pour « harcèlement moral, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, non-assistance à personne en danger, homicide involontaire et conditions de travail contraires à la dignité de la personne ».

L’information judiciaire fait suite à une plainte déposée par les parents d’Aurore Moësan. Cette conseillère, qui a travaillé dans plusieurs agences Pôle emploi de Saine-Saint-Denis, s’est pendue à son domicile le 27 octobre 2012, à 32 ans. Longue d’une vingtaine de pages, la plainte évoque plus de 17 suicides qui auraient une origine professionnelle entre 2009 et 2014. Dans Pôle emploi. La face cachée (Editions de l’Atelier, 2019), Margaux Duguet, Catherine Fournier et Valentine Pasquesoone, journalistes de Franceinfo.fr, lèvent le voile sur la situation des quelque 50 000 agents et cadres supérieurs de Pôle emploi.

Depuis la naissance de Pôle emploi, le portefeuille des agents chargés de l’accompagnement ne cesse de grossir. A la fin de l’année 2018, un conseiller aidait en moyenne trois cent quarante-neuf demandeurs d’emploi en « modalité suivi ». Un chiffre en hausse de près de 10 % en à peine deux ans. « On a normalisé la surcharge de travail. Quand tu fais beaucoup, tu dois faire encore plus », relate un conseiller. Ils sont quarante-cinq à s’exprimer sur leurs conditions de travail dans l’ouvrage.

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Ils évoquent tantôt le burn-out, conséquence de cette surcharge de travail, mais également dans le phénomène inverse, celui du bore-out, cet ennui profond qui se transforme en souffrance au travail. « Car si certains sont submergés, d’autres se sentent placardisés, mis à l’écart de Pôle emploi. Marc-Antoine, chargé de mission, raconte s’être vu conseiller par la médecine du travail d’amener “un bouquin ou du tricot” au bureau, tant il manque au quotidien de tâches à faire. »

Surveillance

Le livre décrit également les mécanismes de surveillance mis en place pour mesurer l’efficacité des agents. « Retenez que la politique du chiffre reste le leitmotiv de Pôle emploi ! Voilà l’essentiel de notre mission : obtenir de bons indicateurs à tout prix ! », confie une conseillère.

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Aux yeux de nombre d’interlocuteurs, la souffrance au travail a gagné les rangs du service public depuis la fusion de l’ANPE et de l’Assedic, en 2009. « Dix ans après la fusion, les tensions subsistent entre les cultures issues du public et du privé. La pression des résultats, de plus en plus prégnante, ainsi que les adaptations permanentes, des directives parfois contradictoires, laissent bon nombre d’agents sans repères », résument les auteurs, qui ont rencontré Claude Guéant, secrétaire général à l’Elysée à l’époque des faits, pour comprendre la volonté politique derrière cette réforme emblématique.

Malgré le plein-emploi, la discrimination par l’âge persiste aux Etats-Unis

Selon une étude portant sur l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992, 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée (Urban Institute et Propublica).
Selon une étude portant sur l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992, 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée (Urban Institute et Propublica). Jens Magnusson/Ikon Images / Photononstop

Depuis deux ans, Maurice Anscombe, 58 ans, survit grâce à de petits boulots. Cet habitant de Baltimore, dans l’Etat du Maryland, fait le chauffeur pour Uber. M. Anscombe n’a jamais retrouvé d’emploi stable après son licenciement du groupe de télécommunications Verizon. A la belle époque, il gagnait bien sa vie. Avec les heures supplémentaires, ce technicien empochait 90 000 dollars (81 547 euros) par an. Aujourd’hui beaucoup moins. Et pourtant, assure-t-il, « je suis très adaptable, j’apprends vite, j’arrive à l’heure et je reste jusqu’à ce que le travail soit fini ».

Mais les futurs employeurs ne se donnent même pas la peine de regarder son CV. En moyenne trois fois par semaine, M. Anscombe pose sa candidature pour un nouveau poste. En vain. Personne ne lui répond. Il est jugé trop vieux. Alors, sur les conseils de son syndicat CWA (Communications Workers of America), il a rejoint deux autres anciennes salariées des centres d’appel, elles aussi au chômage, et tous ensemble ils ont porté plainte contre Facebook, Cox Communications, Amazon, T Mobile… pour discrimination par l’âge.

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Une différenciation normalement interdite par la loi, tout comme la discrimination fondée sur la race, le sexe, l’appartenance à la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ou encore le handicap. Ces grandes entreprises sont accusées d’avoir placé des petites annonces de recrutement sur Facebook, LinkedIn et autres plates-formes du Net, excluant d’office certaines tranches d’âge, les plus de 50 ans. Grâce aux algorithmes de Facebook, il est facile de cibler la génération du millénaire.

L’histoire de M. Anscombe n’est pas unique. Son avocat, Peter Romer-Friedman, du cabinet Outten & Golden, espère bien obtenir le statut de plainte collective pour cette affaire et rallier à la cause plusieurs millions d’anciens.

La loi protège mal

Les Etats-Unis ont beau connaître une situation de plein-emploi exceptionnelle – le taux de chômage, passé sous la barre des 4 %, continue de descendre –, les hommes de plus de 50 ans et les femmes quadragénaires ont dû mal à garder ou à retrouver de bons postes. Le laboratoire d’idées Urban Institute et l’ONG d’enquêtes journalistiques Propublica traquent depuis plusieurs années l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992. Résultat : 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée.

Prévention du suicide : « Solitude, qualité de travail “empêchée”, surengagement, surcharge mentale sont au nombre des facteurs de risques suicidaires »

« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. »
« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. » PhotoStock-Israel/Cultura / Photononstop

Carnet de bureau. La France compte entre 10 000 et 11 000 suicides par an depuis dix ans. Combien d’entre eux sont-ils liés au travail ? Le quatrième rapport de l’Observatoire national du suicide, à paraître prochainement, ne l’indique pas, « parce que c’est impossible, explique Christian Baudelot, sociologue et coauteur du rapport avec le psychiatre Michel Debout. Il y a un blocage énorme des entreprises pour en parler. Les directions se refusent toujours à comptabiliser et à communiquer sur les suicides. Alors même qu’elles sont soumises à des transformations radicales ».

Les drames des dix dernières années (Technocentre Renault, France Télécom, La Poste) n’ont pas suffi à briser le tabou. L’intérêt du rapport de l’Observatoire national du suicide est de parler et de faire parler de ce phénomène multifactoriel en réaffirmant son lien avec les conditions de travail. Solitude, qualité de travail « empêchée », surengagement, surcharge mentale, sont au nombre des facteurs de risques suicidaires. La politique de prévention est au nombre des solutions.

« France Télécom nous a beaucoup appris. Le concours des psychiatres, des psychologues et des syndicalistes a permis de mieux appréhender le sujet, estime M. Baudelot. Ce sont les travailleurs les plus impliqués et les plus attachés à l’éthique de leur travail qui se suicident. Et le suicide est d’autant plus fréquent, qu’il y a une perte des liens sociaux. Or, le management rend les salariés de plus en plus seuls, avec l’injonction de s’investir toujours davantage. Mais la situation n’est pas irrémédiable. La direction et le management de France Télécom ont changé et l’entreprise n’a pas coulé. »

De nombreux obstacles

La prévention des risques dits psychosociaux (RPS) est un problème. Les entreprises ne savent ni anticiper ni la suivre dans la durée, affirment Michel Debout et Jean-Claude Delgènes dans leur essai Suicide. Un cri silencieux. Mieux comprendre pour mieux prévenir (Le Cavalier bleu). Le psychiatre et le directeur général du cabinet Technologia spécialiste des RPS décodent un certain nombre d’idées reçues (Non ! Le suicide n’est pas héréditaire) et montrent en quoi le rôle du DRH est primordial. Le plus souvent, le changement d’organisation du travail n’est ni concerté ni participatif. Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié.

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Les obstacles à la prévention sont nombreux : la difficulté à parler le même langage entre psychologue et manageur pour élaborer des sorties de crise, la méfiance des dirigeants à l’égard des sciences humaines, le respect du secret médical. C’est une fois la tragédie survenue, donc trop tard, que l’entreprise met en place des espaces d’écoute ou de médiation, pour traiter les risques suicidaires au cas par cas. « Au moment du drame, tous les acteurs se mobilisent, préoccupés par les conséquences juridiques et par l’image de l’entreprise. Des projets de prévention voient le jour. Mais avec le temps et le turnover des DRH et des leaders syndicaux, toute cette réflexion se perd », témoigne M. Delgènes.

Pierre-Yves Gomez : «  La rhétorique sur le savoir-être permet d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations »

Chronique. La formation au management et les techniques de recrutement s’enthousiasment pour les soft skills. Ce terme vague et assez fourre-tout désigne les capacités personnelles constitutives du savoir-être d’un collaborateur au nombre desquelles on compte l’agilité intellectuelle, la résilience face à l’échec ou la bienveillance dans les relations. Selon ce point de vue, le savoir-être permet d’affronter les situations concrètes auxquelles sera confronté le salarié et il s’oppose au savoir-faire, suspecté d’enfermer les individus dans des routines. Dit autrement, il s’agit de former ou de recruter des potentiels agiles plutôt que des sachants rigides.

A première vue, cette conception fait écho à l’environnement économique et social au caractère changeant et incertain. Difficile de recruter sur la base de savoir-faire stables, lorsque la transformation permanente des entreprises est considérée comme un principe de gestion, voire comme une condition de survie. L’exaltation du savoir-être traduirait l’impuissance des organisations à anticiper sur le moyen terme les compétences qui lui seront nécessaires, et le besoin d’attirer des collaborateurs avec suffisamment de ressources personnelles pour s’adapter à un monde promis au mouvement permanent.

Mais cette vulgate pourrait masquer une impuissance inverse : loin d’être incertaine, la production des entreprises est, au contraire, de plus en plus contrainte par les règles qu’imposent la globalisation des économies et la transparence exigée par la société. A tous les niveaux hiérarchiques, une part importante des activités est prescrite par des normes et des obligations, qu’elles soient sociales, financières ou techniques.

Standardisation

Au-delà du discours convenu sur la mutation constante du travail, on assiste plutôt à sa standardisation. L’exigence de « conformité » (compliance) en est l’expression patente : depuis l’agent de nettoyage jusqu’à la cadre supérieure, on est appelé à documenter que le travail réalisé est conforme aux listes d’attentes prescrites. La rhétorique sur le savoir-être permet alors d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations et d’attirer des collaborateurs en se centrant sur eux plutôt que sur la réalité du travail qu’ils auront à produire.

Cette dernière interprétation expliquerait le décalage constaté, dans les études sur le travail, entre le discours positif sur les soft skills personnelles et le désengagement croissant à l’égard des activités professionnelles. La déception est inévitable, en effet, sitôt que le collaborateur se heurte à la matérialité des contraintes auxquelles les organisations sont soumises.

« Le travail ne disparaîtra pas à cause de l’intelligence artificielle »

Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019.
Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019. Martin Meissner / AP

Chronique. La diffusion de l’intelligence artificielle (IA) dans l’ensemble de l’économie laisse entrevoir la possibilité – et, chez un bon nombre de gens, la peur – que les machines finissent par remplacer le travail humain. Certains se félicitent de ces avancées qui, selon eux, réalisent le vieux rêve humain de la libération du travail, tandis que d’autres leur reprochent de priver les gens de l’accomplissement par le travail et de couper le lien entre les prestations sociales et l’emploi.

Notre définition actuelle du travail remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque l’essor de la grande industrie a généralisé la séparation du lieu de travail et du domicile. Le travail dans les régions industrielles s’est réduit à un emploi rémunéré à l’extérieur du domicile, tandis que les travaux ménagers, l’agriculture de subsistance et les échanges de proximité ont été soudainement exclus du calcul de la valeur. Ces activités n’ont pas disparu, ni de la périphérie ni du cœur de l’économie mondiale, mais l’absence de salaire impliquait l’absence de reconnaissance, donc aucun enregistrement statistique ni aucun accès aux prestations publiques.

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Les travaux domestiques et de subsistance non rémunérés, ainsi que l’agriculture paysanne et l’artisanat traditionnel ont été considérés comme résiduels, bientôt remplacés par des techniques modernes et une logique de marchandisation.

Mais cette vision dominante tout au long du XXe siècle ne s’est pas matérialisée. Il est vrai que les relations salariales se sont développées, mais dans de vastes régions du monde, elles étaient insuffisantes pour nourrir une famille.

Nouvelles exigences

A partir des années 1980, le travail non rémunéré a fait son retour dans les économies développées. La rationalisation, la financiarisation et l’externalisation des productions à forte intensité de main-d’œuvre vers les pays de la périphérie mondiale ont brisé le lien entre l’emploi à vie et la sécurité sociale. Les employeurs ont introduit des contrats de travail de plus en plus flexibles. Les travailleurs pauvres, qui ne peuvent pas vivre de leur salaire, ont à présent plusieurs emplois ou contrats ; dans les zones rurales, ils répondent à leurs besoins alimentaires et de logement en partie grâce à l’agriculture de subsistance et aux travaux de construction. Mais l’augmentation de l’activité non rémunérée ne concerne pas que les pauvres. Afin de répondre aux nouvelles exigences de l’ère de la machine, les personnes aisées doivent aussi travailler sur leurs performances physiques et mentales, en particulier leur apparence, leur motivation et leur endurance.

Comment repérer le burn-out et y faire face

Le burn-out est encore mal appréhendé par les pouvoirs publics et les entreprises. Défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2019 comme « un syndrome résultant d’un stress chronique professionnel qui n’a pas été correctement managé », le burn-out est caractérisé par « un sentiment d’épuisement, du cynisme et une perte d’efficacité ».

Face au burn-out, la prévention est primordiale. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle, et quels outils mettre en œuvre. Explications, en dessins, par la psychologue Catherine Vasey, avec notre partenaire Sydo.

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Chez Engie, la querelle de gouvernance vire au pugilat public

Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris.
Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris. ERIC PIERMONT / AFP

Combien de temps Isabelle Kocher peut-elle tenir à la tête d’Engie ? Le mandat de la directrice générale du géant de l’énergie expire en mai, mais la guerre de tranchées qui dure depuis des mois sur la question de son renouvellement vire au pugilat.

« Tout dérape complètement », confie une source haut placée au sein d’un groupe où l’atmosphère devient irrespirable – les acteurs du conflit n’ont accepté d’évoquer le sujet avec Le Monde que sous de strictes conditions d’anonymat. D’un côté, Isabelle Kocher, unique femme à la tête d’un groupe du CAC 40, se targue d’avoir réussi la transformation de l’ancien GDF Suez en groupe ancré dans la transition énergétique. De l’autre, son conseil d’administration, présidé par Jean-Pierre Clamadieu, estime que la directrice générale n’est plus la bonne personne pour piloter cette stratégie.

L’Etat, premier actionnaire d’Engie avec 23,64 % du capital, avait fait savoir jusque-là qu’il entendait laisser le conseil d’administration faire son travail. Mais dimanche 2 février, dans un entretien au Journal du dimanche, Mme Kocher a dénoncé une « campagne » contre elle et a insisté sur le fait qu’elle s’inscrivait dans la ligne droite des engagements du président de la République sur le climat.

Seule femme à diriger une entreprise du CAC 40

Un assemblage baroque de soutiens s’est ensuite fait entendre dans les médias. Le député européen écologiste Yannick Jadot a d’abord appelé M. Macron à la soutenir. « Je soutiens cette femme qui est en train de faire changer un grand groupe énergétique français vers ce que nous portons, la révolution climatique, la révolution énergétique, l’efficacité dans nos logements », a-t-il expliqué, lundi 3 février, sur LCI. Dans la foulée, un collectif allant d’Anne Hidalgo à Xavier Bertrand en passant par Cédric Villani, a publié une tribune dans Les Echos pour vanter la « réussite » de Mme Kocher, leader « indispensable » à Engie.

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Ce déballage en place publique a pour objectif avoué de pousser les pouvoirs publics à intervenir. « L’Etat ne voulait pas s’en mêler, analyse un soutien de la directrice générale. Et bien, on va l’obliger à le faire ! Si Macron veut la sortir, qu’il l’assume. » Il est vrai que mettre fin au mandat de la seule femme à diriger une entreprise du CAC 40 peut avoir valeur de symbole pour les pouvoirs publics, qui préparent une loi visant à favoriser la féminisation des instances dirigeantes.

La grève sans précédent à Radio France suspendue jusqu’à début mars

Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris.
Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Après soixante-trois jours de grève, des salariés de Radio France réunis en assemblée générale ont décidé, lundi 3 février, de suspendre le mouvement jusqu’au début du mois de mars.

La grève, d’une durée sans précédent dans l’histoire de l’audiovisuel en France, doit être suspendue à partir de minuit. La mesure a été adoptée avec 25 voix pour, 16 contre et 29 abstentions. Il s’agit de la deuxième pause décidée depuis le début du mouvement, après une suspension d’une dizaine de jours observée fin décembre.

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Des concessions de la direction

Si les autres syndicats du groupe public ont appelé ponctuellement à des arrêts de travail depuis le début du mouvement, la Confédération générale du travail (CGT) est la seule organisation qui avait lancé un préavis d’une durée illimitée, reconduit jusqu’ici de jour en jour.

La grève avait commencé après l’annonce, en novembre 2019, d’un plan prévoyant 299 suppressions de postes, sur un effectif total de 4 600 équivalents temps plein environ. En janvier, la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, avait cependant accepté de transformer, à la demande de plusieurs syndicats (à l’exception notable de la CGT), ce plan de départs volontaires en rupture conventionnelle collective. Par ailleurs, 76 postes, en majorité liés au numérique, doivent être créés dans le cadre du plan.

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« Le rapport de force a changé »

Dans la foulée, quatre des six syndicats de Radio France, qui représentent la majorité des salariés, ont entamé des négociations avec la direction. Et vendredi, pour la première fois depuis le début du mouvement, le ministre de la culture, Franck Riester, a reçu l’ensemble des syndicats et la direction de Radio France. « Le problème, c’est comment on se bagarre. Le rapport de force a changé » avec l’ouverture de ces négociations, a estimé un représentant de la CGT lors de l’AG de lundi.

Suspendre la grève permettra aux personnels de « réemmagasiner des forces » et de « se remobiliser », a-t-il souligné, précisant que son organisation continuerait, en attendant la reprise du mouvement, d’appeler à la grève lors des journées interprofessionnelles de mobilisation contre la réforme des retraites, dont celle du jeudi 6 février. Une nouvelle réunion de négociation doit se tenir vendredi et la CGT organisera une nouvelle AG le 11 février pour faire le point sur ces discussions.

Retraites : « La question de la pénibilité au travail ne peut pas être abordée en silo »

« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. »
« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. » Ingram / Photononstop

Tribune. Les études européennes indiquent que les salariés français sont parmi ceux qui aspirent le plus à partir à la retraite. Le souhait exprimé par nos compatriotes de cesser de travailler dès que possible est à mettre en relation avec d’autres études qui indiquent qu’ils sont parmi les plus stressés au travail.

La question de la pénibilité au travail est certes abordée dans le débat sur la réforme des retraites, mais elle se focalise sur la seule pénibilité physique des métiers qui y sont exposés avec la possibilité d’un départ du travail plus précoce. La pénibilité psychologique n’est absolument pas prise en compte, alors que, depuis plusieurs années, les grandes institutions (Organisation mondiale de la santé, Bureau international du travail) soulignent que le stress est devenu le premier risque pour la santé des travailleurs.

Selon les données les plus récentes, entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. Dans une étude couvrant la dernière décennie, Santé publique France s’inquiète de la progression des souffrances psychologiques liées au travail.

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Comment alors peut-on imaginer que l’hypothèse de reculer l’âge de départ à la retraite puisse être acceptée quand le travail est encore vécu par un nombre important de nos concitoyens comme source de mal-être ?

Dépression, burn-out, voire suicide

Malheureusement, la France est aussi le pays qui a le moins pris en compte la prévention des risques psychosociaux, à l’origine de cet hyperstress et des nombreuses conséquences qui y sont liées : dépression, burn-out, voire suicide. Là encore, les comparaisons internationales ne sont pas en notre faveur. Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail sur les risques professionnels (Esener-2, 2014) indique que seulement 29 % des entreprises françaises ont mis en place des actions de qualité pour prévenir les risques psychosociaux, alors qu’elles sont plus de 50 % en moyenne en Europe.

La tendance est de traiter indépendamment les thèmes du chômage, des retraites, de l’emploi des seniors, de la qualité de vie au travail, etc. Il faut davantage réfléchir à une approche globale du travail, car tous ces thèmes sont intriqués entre eux

Quant à la formation des manageurs sur cette question, elle n’est mise en place que dans 46 % des entreprises françaises, contre 73 % en moyenne en Europe. C’est ainsi, sans surprise, que 35 % des salariés français pensent que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être psychologique contre 16 % en Suisse ou en Allemagne.