Conférence « Qui travaillera demain ? » : « L’économie de la confiance se développe »

Après avoir mené la stratégie de développement durable de plusieurs entreprises, Miniya Chatterji a fondé sa structure de conseil à New Delhi, d’où elle est originaire, mais aussi à Paris, où elle a fait ses études.

Dans les années qui viennent, voyez-vous plutôt dominer un modèle ultralibéral, fondé sur la concurrence, ou un modèle différent, axé sur la collaboration ?

Miniya Chatterji : Il est intéressant de voir que, dans le monde de l’entreprise et dans le privé, l’économie de la confiance se développe. Plus que la nature des objets échangés, c’est la confiance des gens qui sous-tend ce modèle économique d’un nouveau genre.

Je le vois de plus en plus, et dans les modes d’organisation aussi. Parmi les exemples que j’ai en tête, il y a Zappos [entreprise de vente en ligne de chaussures, filiale d’Amazon], qui a opté pour un mode d’organisation particulier, l’« holacratie ». En résumé, c’est une entreprise sans patron, plus ouverte, et donc plus transparente. Il y a aussi Lego, qui collabore avec ses clients. Si l’un d’entre eux propose un design intéressant pour une pièce, il touchera un pourcentage sur les recettes.

De plus en plus, je constate une évolution vers la transparence, la confiance, entre les services et entre les clients et les entreprises. Bien sûr, l’essor des nouvelles technologies – comme le cloud – a contribué à développer cette économie de la confiance.

Voyez-vous une différence dans la manière de gérer cette évolution entre la France et l’Inde, où vous êtes installée ?

La France arrive assez bien à tirer parti de la technologie pour améliorer la transparence. Les choses avancent. Mais la transparence est une question souvent plus politique et culturelle que technologique. C’est un défi que le pays doit encore relever. C’est un peu comme en Inde, où la question culturelle influe sur la manière de collaborer, tout comme l’application du droit des sociétés, qui laisse à désirer. C’est ce qui explique la culture du secret ambiante.

Pensez-vous que l’économie sociale et solidaire soit l’avenir ?

Elle ne va pas conquérir tout le secteur privé. Mais elle fera toujours partie intégrante du fonctionnement des entreprises. C’est un modèle économique. Donc, oui, les choses vont évoluer, ce modèle est parti pour durer. Il coexistera avec de nombreux autres modèles économiques, mais il va se développer, c’est une certitude.

Vous avez fondé Sustain Labs, qui a une antenne à Delhi, une à Paris, une autre à Auckland, vous vivez à Goa et vous travaillez également à Dubaï. Pensez-vous que ce type d’entrepreneuriat nomade va devenir la norme ?

« Qui travaillera demain ? » Les coopérateurs ou les compétiteurs ?

Dominique Méda

Vers un surcroît de coopération

Tribune. La sociologie a établi depuis fort longtemps un lien entre compétition et surconsommation. Dans Théorie de la classe de loisir (1899), par exemple, Thorstein Veblen montre qu’« au fur et à mesure qu’une personne fait de nouvelles acquisitions et s’habitue au niveau de richesse qui vient d’en résulter, le dernier niveau cesse tout à coup d’offrir un surcroît sensible de contentement ». Elle ne va donc avoir de cesse qu’elle n’obtienne de nouveaux biens dans un processus où rivalité et consommation ostentatoire s’alimentent l’une l’autre.

En 1970, les travaux de Baudrillard dans La Société de consommation l’ont confirmé : la consommation est un langage dont l’usage principal est de permettre aux individus de se différencier. Un tel processus alimente donc aussi la croissance du PIB dont les dégâts sont dénoncés depuis les années 1970 et de plus en plus fortement à mesure que la crise écologique s’aggrave.

La gestion partagée des biens communs que sont le climat et les éléments composant la biosphère exige à l’évidence des formes de coopération étroite, notamment internationales

La reconversion écologique dans laquelle nos sociétés doivent s’engager de toute urgence devra donc sans doute faire une place beaucoup plus importante soit à un type de compétition qui n’entraîne pas une forte consommation d’énergie (donc qui s’appuie sur d’autres leviers que l’achat de biens, par exemple des compétitions sportives, des joutes oratoires…), soit à un surcroît de coopération.

La gestion partagée des biens communs que sont le climat et les éléments composant la biosphère exige à l’évidence des formes de coopération étroite, notamment internationales. Mais les processus de production eux-mêmes devront devenir plus coopératifs : la reconversion écologique s’accompagnera sans doute d’une relocalisation d’une partie de la production en raison de la hausse du coût des transports.

Celle-ci pourrait alors être prise en charge par un artisanat local revitalisé et/ou un tissu de coopératives. De la même manière, nombreux sont ceux qui attendent que le coopérativisme de plate-forme, théorisé par Trebor Scholz, se substitue aux plates-formes capitalistes actuelles. En tous cas, les travaux qui appellent de leurs vœux un tel changement sont désormais de plus en plus nombreux.

Dominique Méda est directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales. Elle a écrit notamment « La Mystique de la croissance. Comment s’en libérer » (Flammarion, « Champs actuel », 2014).

« Qui travaillera demain ? » Les jeunes ou les seniors ?

Serge Guérin

Un projet partagé pour éviter l’affrontement

Tribune. L’affrontement entre jeunes et seniors n’est pas écrit. Tout dépendra si nous laissons la société française continuer de se fragmenter ou si nous inventons un projet partagé fondé sur l’accompagnement et la réciprocité. La France fait face à certaines spécificités au regard de ses voisins : faible valorisation des services, chômage de masse structurel, retard en matière de robotisation, démographie tonique qui entraîne l’arrivée chaque année sur le marché du travail de beaucoup de jeunes, image très dégradée des seniors…

Depuis les années 1970, toutes les études montrent qu’en matière d’insertion professionnelle, la ligne de fracture concerne le niveau et, surtout, la valeur du diplôme. A l’avenir, le besoin de compétences va continuer de s’élever. Les jeunes sont réputés plus aptes à l’innovation, plus adaptables, plus modernes que leurs aînés ?

Le besoin des entreprises devrait être croissant pour des personnes, de tous les âges, disposant de savoir-être

Sauf qu’aucune étude n’est venue conforter ces représentations. Au contraire ! L’expérience, le relationnel, la capacité de recul sont des caractéristiques associées à la prise d’âge qui peuvent contribuer à l’efficience au travail. Et puis, y aura-t-il suffisamment de personnes compétentes pour faire l’économie du savoir-faire et de l’expérience des seniors ?

La société qui vient sera à la fois plus complexe, plus performante, plus exigeante… Aussi, le besoin des entreprises devrait être croissant pour des personnes, de tous les âges, disposant de savoir-être, formés aux soft skills [« qualités relationnelles »], sensibles à la préservation de l’écosystème, sachant apprendre des uns et transmettre aux autres, capables d’accompagner les âgés, les fragiles, les non-qualifiés…

C’est, en particulier, les métiers de la santé et du « prendre soin », des services à la personne, de l’accompagnement social, de la protection, de l’enseignement et de l’éducation qui vont être le plus en tension pour attirer ce type de qualité humaine.

Disposer d’un minimum d’expérience, de capacité d’empathie et de discernement sera plutôt un avantage pour s’acquitter de telles missions. Ce n’est donc pas l’âge qui fera la différence mais la personnalité.

Serge Guérin est professeur de sociologie à l’Inseec SBE. Il est notamment l’auteur de « Les Quincados » (Calmann-Lévy, 2019) et coauteur de « La guerre des générations aura-t-elle lieu ? » (Calmann-Lévy, 2017)

« Au Japon, les jeunes n’arriveront pas à prendre la relève »

Karyn Nishimura-Poupée vit au Japon, où elle est journaliste et correspondante pour l’Agence France Presse depuis quinze ans. Elle a répondu aux questions de Courrier international sur l’avenir du travail dans l’Archipel.

Comment le Japon compte-t-il faire face à son déclin démographique ?

Il ne compte pas vraiment y faire face, en fait, si on veut répondre le plus simplement possible. Il se dit quasiment que c’est une fatalité, maintenant, que la population va décliner et passer au-dessous des 100 millions.

Actuellement, les seniors sont encore très nombreux sur le marché du travail. Pourquoi et quels sont les facteurs qui les y poussent ?

Il y a au Japon, depuis les années 1970, une politique qui consiste à repousser de plus en plus l’âge du départ du travail, de 60 à 65 ans aujourd’hui, sur une base plutôt volontaire, à la fois de la part des entreprises et des travailleurs. Par exemple, quand quelqu’un arrive à 60 ans, on lui propose de continuer jusqu’à 65 ans avec un nouveau contrat stipulant un salaire un peu moindre, mais des contraintes réduites. Et cette base volontaire se transforme peu à peu en obligation.

Cette politique a plutôt bien fonctionné. Elle a démarré lentement, mais toutes les entreprises ont fini par proposer cette solution à leurs salariés âgés.

Est-ce que les jeunes peuvent, et veulent, prendre la relève ?

Ils n’y arriveront pas. Les jeunes ne sont ni assez nombreux ni même capables de remplacer poste pour poste les vieux qui partent. Généralement, au Japon, la progression dans la hiérarchie de l’entreprise se fait encore en fonction de l’âge. C’est très bloquant, et même décourageant pour les jeunes quand ils arrivent dans une société. Les deux premières années, on leur confie des tâches qui sont vraiment des tâches de débutants.

Quand vous évoquez les jeunes, vous parlez des jeunes hommes ou aussi des jeunes femmes ?

C’est vrai qu’il faut différencier les deux. Au Japon, une femme qui devient mère va souvent rester en dehors du marché du travail, dans le meilleur des cas, pour une durée de un à trois ans et, dans le pire des cas, pendant dix ou quinze ans. Dans la période de pénurie actuelle, c’est un facteur très handicapant. Néanmoins, dans les jeunes générations, parce que le seul salaire des hommes ne suffit plus à subvenir aux besoins des familles complètes, les femmes ont intérêt à travailler.

Pour travailler demain sur qui peut-on compter ? Les migrants, les robots ?

Il va effectivement falloir trouver des solutions pour le déficit de main-d’œuvre dans certains secteurs. On a déjà une politique, qui est apparue l’année dernière. Il s’agit de l’instauration de visas pour accueillir des travailleurs peu qualifiés, pour l’agriculture, le BTP, le soin aux personnes.

« Qui travaillera demain ? » Les robots ou les humains ?

Un robot construit par Honda sert un thé à un visiteur dans un salon à Johannesbourg, en octobre 2011.
Un robot construit par Honda sert un thé à un visiteur dans un salon à Johannesbourg, en octobre 2011. Siphiwe Sibeko / REUTERS

Antonio Casilli

« L’avènement du dresseur d’intelligences artificielles »

Tribune. Face aux inquiétudes autour de l’effacement annoncé du travail humain par une vague d’automates intelligents, nos sociétés doivent encore apprendre à se poser les bonnes questions. Un réflexe sain consisterait à cesser d’ergoter sur le nombre exact d’emplois qui seront remplacés à l’avenir et demander plutôt combien sont d’ores et déjà en passe de se métamorphoser en digital labor. Cette expression désigne littéralement le « travail du doigt », qui clique et produit des données.

Depuis des décennies, la numérisation grandissante des professions manuelles et intellectuelles amplifie la composante de production de data au sein de tout métier. La tendance est liée à l’exigence des entreprises de fragmenter et d’uniformiser leurs processus productifs pour les articuler avec des écosystèmes de prestataires externes, de sous-traitants, et parfois de communautés de producteurs non professionnels.

Même le travail gratuit que chacun d’entre nous réalise en effectuant des « reCAPTCHA » pour Google enseigne aux véhicules autonomes à reconnaître des feux de circulation et des passages pour piétons

Ceci explique aussi la prolifération des plates-formes numériques, qui coordonnent ces acteurs en les transformant en main-d’œuvre docile et bon marché, disponible à flux tendu pour réaliser des tâches de plus en plus fragmentées. Partout sous nos yeux, ce travail de production de données tisse le quotidien des livreurs et des chauffeurs, qui gèrent leurs profils sur l’appli Uber et se géolocalisent sur leurs GPS.

Mais il est aussi l’occupation des modérateurs de YouTube et Facebook, qui filtrent à longueur de journée des contenus multimédias. Même le travail gratuit que chacun d’entre nous réalise en effectuant des « reCAPTCHA » (les fenêtres surgissantes qui nous enjoignent de démontrer que nous ne sommes pas un robot) pour Google enseigne aux véhicules autonomes du géant de Mountain View à reconnaître des feux de circulation et des passages pour piétons.

Se situant sur un continuum, entre activités sous-payées ou non rémunérées, ces tâches numériques contribuent à l’automatisation de nos métiers. Métier du futur : dresseur d’intelligences artificielles, accordeur des algorithmes qui permettent à nos robots de livrer, conduire, manœuvrer.

Alors même que ce travail du clic est l’ingrédient secret de notre automatisation, il n’est aujourd’hui qu’insuffisamment encadré par la protection sociale et encore en quête de reconnaissance politique. Ce travail humain est là pour durer, mais, si nos luttes n’aboutissent pas à de nouveaux conquis sociaux, il le sera dans des conditions d’exploitation et d’invisibilité généralisées.

« Qui travaillera demain ? », une conférence du « Monde », le 6 février, à Paris

Boris Séméniako

Qui travaillera demain ? Les robots ou les humains ? Les jeunes ou les seniors ? Les tenants d’une économie responsable fondée sur la coopération, ou les partisans d’une compétition libérale effrénée ? Au fil des ans, de nombreuses études tentent de dessiner, chiffres à l’appui, l’avenir du travail.

Parmi les plus récentes et robustes, celle de l’OCDE indique que, en raison des profondes mutations technologiques, 14 % des postes actuels vont disparaître dans les quinze à vingt prochaines années, et 32 % supplémentaires connaîtront de profondes transformations. Inquiétant, mais moins que les données avancées par deux chercheurs d’Oxford, en 2013, selon lesquelles 47 % des emplois américains allaient être décimés…

Une tendance lourde est en revanche indéniable : avec les progrès de l’automatisation, une forte polarisation est déjà à l’œuvre, qui creuse chaque jour davantage le fossé entre des emplois hautement qualifiés et bien rémunérés et des postes peu qualifiés, mal payés et précarisés. Autre certitude : le vieillissement de la population.

Dérégulation massive du cadre juridique

D’après les Nations unies, d’ici à 2050, une personne sur six dans le monde aura plus de 65 ans, contre une sur onze en 2019. Une situation d’autant plus inquiétante qu’en France, par exemple, « dès 45 ans, il est compliqué de rester en emploi. Et, après 50 ans, on n’a guère de chance de retrouver un job stable ou de continuer à se former », relève Serge Guérin, sociologue, spécialiste des questions liées au vieillissement.

L’avenir et les contours du travail dépendent de la façon dont les Etats vont aborder plusieurs grands enjeux. « Va-t-on réussir à réguler les entreprises transnationales qui ont constitué en trois décennies des chaînes de production mondiales ?, s’interroge notamment Isabelle Berrebi-Hoffmann, sociologue, chercheuse au CNRS.

Un petit nombre d’acteurs, les Gafam et certaines plates-formes numériques, se jouent des droits nationaux et sont à l’origine d’une dérégulation massive du cadre juridique occidental de l’emploi. Pour parer à cela, en 2015, est lancée la première plate-forme transnationale de défense des crowdworkers, les petites mains d’Internet. Mais ce n’est là que le début de l’histoire.

 « Une phase de tous les possibles »

Autre challenge majeur, la question écologique. « Allons-nous la considérer comme la priorité absolue et engager nos sociétés dans la bifurcation radicale qu’elle exige ? Si nous le faisons, les transformations sur le marché du travail pourraient être massives, explique Dominique Méda, sociologue, professeure à Paris-Dauphine et titulaire de la chaire « Reconversion écologique, travail, emploi » de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Il faut changer nos modes de production et de consommation et substituer au fétichisme du PIB le fétichisme de l’empreinte carbone individuelle et collective. D’après les travaux dont on dispose, c’est créateur d’emplois. »

« Le futur du travail reste une idée assez décevante »

Tribune. Le futur du travail est un thème à la mode. Des séminaires professionnels aux cabinets de conseil en transformation en passant par les événements et médias qui lui sont consacrés, impossible d’échapper au phénomène « future of work ». Pourtant, le futur du travail est resté jusqu’ici une idée assez décevante. Il suffit pour s’en convaincre de penser aux nouvelles injonctions à la créativité, à la mode du « tout collaboratif » ou aux grands récits radicaux mais souvent inopérants du « tout automatisation » ou de la société du loisir et du revenu universel. Les rapports, analyses et travaux prospectifs sur le futur du travail se multiplient sans que l’on puisse y voir clair : serions-nous tous voués à devenir entrepreneurs, oisifs ou augmentés ?

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En réalité, évidemment, l’avenir reste résolument incertain. Néanmoins, l’impact sera majeur. De la mutation du monde professionnel (plates-formes, « slasheurs », « makers », « bore out », travailleurs non salariés…), aux tendances lourdes et globales (démographie, mondialisation, environnement), en passant par les nouvelles formes d’organisation et, bien sûr, la technologie et l’automatisation, c’est une révolution massive et profonde qui est en cours et qui mettra en jeu l’équilibre même de nos démocraties et le financement de l’Etat providence.

Une compétition anxiogène

Pour l’instant, ces mutations multiples ont surtout tendance à opposer les uns aux autres dans une compétition anxiogène. « Baby-boumeurs contre millennials », « salariés contre entrepreneurs », « fin du mois contre fin du monde », « hommes contre femmes », « robots contre humains »… Pourtant, l’Organisation internationale du travail le disait déjà il y a cent ans, dans le préambule de sa constitution, « une paix durable et universelle ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ». L’urgence est donc de ne pas se résigner, ni de subir, mais d’agir, d’expérimenter et se donner les moyens de construire le monde du travail que nous voulons pour demain.

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A titre d’exemple, deux oppositions actuelles sont appréhendées comme des tensions dont les polarités sont à (ré) concilier.

L’opposition stérile entre l’individu et le collectif, d’une part. L’époque où l’on travaillait à des horaires homogènes, au sein d’un collectif de travail unique, sur un site de travail bien identifié est révolue. Entre l’éclatement des lieux de travail, l’individualisation des horaires ou encore les nouveaux modes d’organisation donnant plus de place à l’authenticité et la prise d’initiative individuelle, l’hétérogénéité est devenue la norme. En réalité, loin d’asseoir la primauté de l’individu, la personnalisation renforce la nécessité du collectif : il est plus que jamais indispensable de partager un projet commun, et avant cela, le définir, le partager, le faire vivre. Pour y parvenir, le chemin semble se trouver dans la recherche de systèmes de gouvernance (de parole, de régulation) renouvelés.

Connecter le travail et l’environnement pour s’inscrire dans le futur durable, d’autre part. Travail et environnement ne sont souvent pas liés. Sauf parfois quand il s’agit de mettre en avant la préservation des emplois face à certains choix écologiques. Des réfugiés climatiques, au manifeste des étudiants pour un réveil écologique en passant par les risques du stress thermique en termes de productivité, les questions environnementales affectent pourtant directement celles du travail.

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Il importe de ne pas se contenter d’intentions en termes d’externalités mais de se lancer dans la tâche – sans doute longue et besogneuse – visant à comprendre comment chaque geste, chaque action de travail doit et peut permettre de transformer réellement l’impact d’une organisation. Et ainsi faire entrer ces discussions dans l’entreprise, permettant également de voir émerger des pistes et solutions par les salariés eux-mêmes, tout en accordant enfin une place plus importante au sujet de la transition écologique dans le dialogue social.

Le futur est incertain mais il n’est pas figé. Alors qui travaillera demain ? Pour ne pas subir la réponse à cette question, il importe de créer dès aujourd’hui les méthodes, les projets et les formations qui permettront à chacun de développer une réelle capacité à se saisir et à agir sur son environnement, ses pratiques de travail en commun, pour inventer et décider de son futur du travail souhaitable.

Une conférence en trois temps

Le Monde et Courrier international organisent, en partenariat avec Thecamp, la conférence « Qui travaillera demain ? », le 6 février, de 17 heures à 20 h 30, à La Gaîté-Lyrique, Paris 3e.

Les mutations technologiques et sociétales du monde du travail en cours sont multiples, et elles ont tendance à opposer humains et robots, femmes et hommes, salariés et entrepreneurs, Nord et Sud. Pourtant, il est fondamental que chacun trouve sa place.

Lire l’éditorial du dossier : « Qui travaillera demain ? », une conférence du Monde, le 6 février, à Paris

La soirée s’articule notamment autour de trois thèmes, et des intervenants de l’événement se sont exprimés :

L’intelligence artificielle ou les humains ?

Lire les quatre tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les robots ou les humains ?

Les jeunes ou les seniors ?

Lire l’entretien : « Au Japon, les jeunes n’arriveront pas à prendre la relève »
Lire les trois tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les jeunes ou les seniors ?

Les coopérateurs ou les compétiteurs ?

Lire l’entretien : « L’économie de la confiance se développe »
Lire les trois tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les coopérateurs ou les compétiteurs ?

Voir le programme et s’inscrire

Olivier Mathiot est président du campus pour l’innovation Thecamp

Ingrid Kandelman est responsable de l’exploration « Futur(s) du travail » de Thecamp

Cette tribune est réalisée dans le cadre d’un partenariat entre « Le Monde », Thecamp et « Courrier international » à l’occasion de la conférence « Qui travaillera demain ? » à la Gaîté-Lyrique, à Paris, le 6 février.

« Moi manager. Mes droits et mes devoirs »: maîtriser le droit pour éviter le procès

« Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail », de Jean-Emmanuel Ray. Editions de la Revue Fiduciaire, 316 pages, 29 euros.
« Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail », de Jean-Emmanuel Ray. Editions de la Revue Fiduciaire, 316 pages, 29 euros.

Livre. Lecteurs juristes, passez votre chemin. Si en revanche vous n’entretenez pas avec le droit des rapports d’affection, si le droit du travail tout particulièrement vous paraît complexe, entravant votre quotidien sans vraiment protéger vos collaborateurs, Jean-Emmanuel Ray, chroniqueur au Monde, vous propose une « modeste promenade juridique ». Dans Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail (Revue fiduciaire), le professeur de droit du travail à Paris-I-Panthéon-Sorbonne répond simplement, en des termes les moins techniques possible et avec des exemples réels, aux questions que vous vous posez.

Un gros client appelle : ai-je le droit d’aller chercher les renseignements dans la boîte mail d’Hubert ? A quelles conditions puis-je muter Isabel à Vesoul ? Que faire si elle refuse ? L’ouvrage se penche sur des thèmes que les cadres ou les manageurs non-juristes abordent le plus souvent lors de journées de formation au droit du travail, dans un style vivant, sans aucune prétention à l’exhaustivité, et surtout sans langue de bois. « Car pas plus que le contentieux n’est le droit, le droit n’est pas la vie : ici des règles juridiques pas ou peu appliquées, là des règles non juridiques mais très importantes (ex. : votre réputation), d’autres enfin donnant lieu à des tactiques ; ainsi le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, dont le plafonnement des dommages-intérêts en 2017 a conduit les salariés à modifier leurs demandes devant le conseil des prud’hommes pour obtenir une meilleure indemnisation. »

Bien sûr, s’agissant du contentieux, les spécialistes qui maîtrisent les 3 800 pages et 9 887 articles du code du travail – sans parler des conventions collectives – feront sans doute mieux que le manageur. « Mais le rare contentieux, ce “droit à l’état de guerre” voire forme pathologique du droit, n’est heureusement pas le “droit à l’état de paix” : les règles appliquées tous les jours en entreprise “sans autre forme de procès”. »

Expertise et exemplarité

Le directeur du Master 2 en apprentissage « Développement des RH et droit social » apprend aux profanes à ne pas se laisser exclure du marché du droit du travail, en pleine expansion, par le vocabulaire technique. « “Tu peux pas comprendre : il s’agit d’un contrat synallagmatique, à titre onéreux et à exécution instantanée !” Traduction : “Quand tu achètes une baguette, tu en paies le prix, la boulangère te remet la baguette, et c’est fini.” Moins impressionnant. »

Le sort d’Isabelle Kocher à la tête d’Engie sera décidé le 6 février

La directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, à Paris, en mai 2019.
La directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, à Paris, en mai 2019. ERIC PIERMONT / AFP

La crise de gouvernance la plus longue jamais advenue dans le CAC 40 est sur le point de s’achever. Selon nos informations, un conseil d’administration extraordinaire d’Engie a été convoqué, jeudi 6 février dans l’après-midi, par son président, Jean-Pierre Clamadieu. Son objet : le renouvellement ou non du mandat d’Isabelle Kocher, la directrice générale depuis mai 2016. Sauf coup de théâtre de dernière minute, le conseil devrait choisir de ne pas accorder de second mandat à la dirigeante de 53 ans.

Initialement, la décision devait être prise le 26 février, lors du conseil d’arrêté des comptes de l’année 2019. Mais ces derniers jours, les différends à la tête de l’énergéticien se sont étalés sur la place publique et M. Clamadieu a préféré anticiper pour couper court à tout déballage. Dans le Journal du dimanche du 2 février, Mme Kocher en a appelé à Emmanuel Macron pour arbitrer en sa faveur, soulignant qu’elle mettait en œuvre les engagements du président concernant la transition énergétique.

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Dans la foulée, le député européen écologiste Yannick Jadot a enjoint lundi à M. Macron de soutenir Mme Kocher. Une tribune parue dans Les Echos, signée par un collectif de personnalités comprenant Anne Hidalgo, la maire de Paris, ou encore Xavier Bertrand, le président du conseil régional des Hauts-de-France, a également volé au secours de la directrice générale d’Engie.

L’Etat, qui détient 23,64 % du capital de l’ancien GDF-Suez, a toujours fait valoir ces derniers mois qu’il laissait au conseil d’administration – lequel comprend deux membres nommés sur sa proposition et un représentant – le soin de choisir à qui il confiait les commandes du groupe.