« Premier appel à la grève dans un magasin Apple aux Etats-unis : la Big Tech et ses pratiques antisyndicales dans le viseur »

La boutique Apple de Towson dans le Maryland, le 10 mai 2024.

Towson (Maryland) est une ville de la banlieue de Baltimore que les dirigeants d’Apple ont marqué d’un point rouge. C’est là qu’en juin 2022, les salariés de la boutique locale avaient voté pour se doter d’un syndicat, une fâcheuse première dans un magasin américain du fabricant de l’iPhone. Et qui dit syndicat dit négociations et même grève. C’est encore à Towson que la centaine d’employés syndiqués a approuvé, samedi 11 mai, le principe d’un arrêt de travail, autre première pour le géant technologique aux Etats-Unis.

Ouvertes il y a plus d’un an avec la branche locale du syndicat IAM CORE, les négociations achoppent, selon elle, sur « l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les horaires imprévisibles perturbant la vie personnelle et les salaires qui ne reflètent pas le coût de la vie dans la région ». A lui, désormais, de décider du jour de grève, qui pourrait intervenir avant le 21 mai, date de la prochaine séance de négociations.

Si la grande industrie traditionnelle conserve des syndicats puissants, comme l’automobile, la Big Tech, alors qu’elle s’est fait une solide réputation pour ses pratiques antisyndicales dans un environnement légal freinant la syndicalisation, est aujourd’hui dans le viseur. En 2018, 20 000 salariés de Google avaient manifesté contre le harcèlement sexuel ; trois ans plus tard, 226 employés avaient mis sur pied un syndicat, s’attirant cette réplique d’une dirigeante : la société « continuera à dialoguer directement avec les employés ». Le New York Times n’y voyait pas moins « le signe le plus clair de l’ampleur avec laquelle l’activisme des salariés a balayé la Silicon Valley au cours des dernières années ».

Mouvement embryonnaire

Dans ces sociétés à hauts salaires, cet activisme porte avant tout sur la lutte contre la ségrégation raciale, les discriminations entre hommes et femmes, et les harcèlements. Voire leurs choix stratégiques, comme l’intelligence artificielle ou les contrats avec le Pentagone. Mais le mouvement de syndicalisation a aussi touché des secteurs à emplois peu qualifiés, où les travailleurs ont remporté des victoires salariales, à l’instar des manutentionnaires d’Amazon et des serveurs de Starbucks.

Ce mouvement reste embryonnaire : l’Apple Store d’Oklahoma City est le seul, avec Towson, à avoir franchi le pas. Les employés d’un magasin du New Jersey l’ont rejeté le jour où leurs collègues du Maryland votaient la grève. Le président américain, Joe Biden, n’a pas gagné son pari d’accroître leur influence. On compte un peu plus de syndiqués depuis son élection, soit 14,4 millions de salariés et de fonctionnaires, les nouveaux encartés étant afro-américains et hispaniques. Mais l’augmentation du nombre d’employés a fait reculer le taux de syndicalisation à 10 % en 2023. Loin du pic historique de 30 % dans les années 1950.

Déclaration de revenus : quand le fisc refuse votre déduction de frais professionnels

Les contribuables qui s’apprêtent à remplir leur déclaration de revenus souhaiteront peut-être déduire certains frais professionnels pour diminuer leur impôt. Attention : l’administration fiscale n’acceptera ces déductions que si elles s’accompagnent de factures (et non de reçus de carte bancaire) et qu’elles sont justifiées.

Ces refus de l’administration seront validés par la justice, si l’une ou l’autre des deux conditions n’est pas remplie. L’examen des décisions de justice montre que l’administration peut contrôler très scrupuleusement le bien-fondé des déductions réclamées.

Elle vérifie ainsi que les frais de transport des salariés sont bien ceux des trajets domicile-travail, de moins de 40 kilomètres ; que les distances n’ont pas été rallongées fictivement (tribunal administratif de Nîmes, 2 février 2024) ; que les allers-retours comptabilisés n’ont été effectués que les jours travaillés, et non les jours fériés ou les jours de congé (cour administrative d’appel de Douai, 26 octobre 2023).

Elle s’assure que le nombre de trajets déclarés par l’employé et par l’employeur correspond ; que le lieu d’exercice annoncé est bien celui du siège du patron (cour administrative d’appel de Lyon, 21 mars 2024) ; qu’une personne disant utiliser son véhicule personnel pour aller au travail est bien propriétaire de ce véhicule. Elle refuse les frais de location de voiture qui concernent le week-end (tribunal administratif de Toulon, 9 octobre 2023).

Motifs médicaux

L’administration scrute aussi les « frais supplémentaires » de nourriture : ils étaient de 15 euros au maximum par repas en 2023 (soit la différence entre la valeur du repas pris au domicile, de 5,20 euros, et le plafond de déduction, de 20,20 euros). Ils ne sont déduits que si le salarié ou l’indépendant prouvent qu’ils ont dû manger à l’extérieur de chez eux, à cause de leur emploi du temps ou de l’éloignement de leur domicile. Et si les factures produites concernent bien des restaurants situés à proximité de leur lieu de travail (cour administrative d’appel de Paris, 31 mai 2023).

Décryptage | Article réservé à nos abonnés Impôts : ce qui change en 2024 pour la déclaration de revenus

Si un professeur d’université déduit une partie de son loyer au motif qu’il prépare ses cours à la maison, l’administration lui demande de prouver qu’il n’a pas de bureau sur son lieu de travail et qu’il affecte une pièce entière de son logement à cet usage professionnel (cour administrative d’appel de Paris, 31 mai 2023).

Le fisc n’accepte les déductions de dépenses de « double résidence » qu’en cas de « circonstances particulières ». Le 9 mai 2023, la cour administrative d’appel de Versailles lui impose de déduire quelque 14 000 euros de loyer des revenus d’un couple de personnes pacsées, dont l’une souffre d’une affection de longue durée lui interdisant de longs trajets.

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L’argot de bureau : le « bien-être au travail » rejette la faute sur les salariés

Une « bulle de bien-être ». Un « havre de paix » où l’on trouve du mobilier ergonomique, de la décoration inspirante, une « ambiance olfactive et sonore apaisante », des végétaux. Où est-on ? Dans le spa d’un hôtel, en attente d’un massage aux pierres chaudes ?

Argot de bureau.

Malheureusement non : en y regardant de plus près, on découvre une boîte pleine de petites billes arborant le smiley « 🙂 », ou un bouton diffusant une playlist et un parfum spécial. Ce n’est pas une blague, c’est un prestataire qui propose aux DRH de réaménager leurs salles de pause en… « espaces bonne humeur ».

A 1 000 lieues de là, à la RATP, des salariés chargés de la maintenance des RER testent depuis le début de l’année des « exosquelettes » futuristes, pour soulager leur posture lorsqu’ils réparent des portes de rames.

Quel est le point commun entre ces deux exemples ? Ils prétendent améliorer le « bien-être au travail », l’un en luttant contre les risques psychosociaux qui envahissent la santé mentale des salariés de bureau, l’autre en limitant les troubles musculo-squelettiques chez les manutentionnaires ou artisans.

QVCT ne fait pas rêver

Selon la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Or, le management de la santé au travail n’est pas nouveau. Ce champ s’est formalisé dans les années 1970, à l’origine pour parler des conditions de travail des ouvriers. Peu à peu, les spécialistes ont commencé à parler de « qualité de vie au travail » (QVT), en élargissant les conditions de travail aux organisations, aux horaires, puis à l’équilibre vie privée-vie professionnelle. En France, un accord national interprofessionnel est même consacré à la QVT en 2013, puis en 2020 à la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

« QVCT », ça ne fait pas rêver. Ces dernières années ont vu le monde de la prévention – et surtout les employeurs – lui préférer le « bien-être au travail ». Sa définition est très large : selon l’Institut national de recherche et de sécurité, c’est un « sentiment général de satisfaction et d’épanouissement dans et par le travail qui dépasse l’absence d’atteinte à la santé ».

Jouant de ce flou, les actions en bien-être au travail tombent souvent à côté de la plaque. Dans Les Servitudes du bien-être au travail. Impacts sur la santé (Erès, 2021), un ouvrage collectif réalisé sous la direction de Sophie Le Garrec, des chercheurs décrivent les dérives du management de la santé vers de vagues injonctions au développement personnel des salariés. A base de smileys – toujours se méfier des smileys dans le cadre professionnel –, ou de slogans impersonnels affichés sur les murs comme « retrouvez l’essence vraie de vous-même »

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La qualité de vie au travail, première source d’engagement des seniors

Quelle perception les salariés de 55 ans et plus ont-ils de la qualité de vie et des conditions de travail, communément appelée « QVCT », dont dépendent leur santé et leur engagement ? Pour répondre à cette question, le cabinet Qualisocial, spécialisé dans les risques psychosociaux, a mené avec Ipsos une étude sur le sujet, en novembre 2023, auprès de 3 002 salariés travaillant en France dans des organisations publiques et privées. Sur cette base, un focus a été réalisé sur les salariés âgés de 55 ans et plus, soit 549 personnes.

Premier enseignement : ces seniors se distinguent de l’ensemble des salariés par une satisfaction moindre des relations et de l’ambiance au travail (68 % se disent plutôt satisfaits, contre 72 % pour l’ensemble de l’échantillon), ainsi que de l’organisation du travail (61 % contre 65 %). L’écart se creuse encore sur l’utilisation et le développement des compétences et sur le parcours professionnel (53 % de seniors satisfaits contre 58 % pour l’ensemble de l’échantillon). On peut y voir le fait que les seniors sont rarement les mieux servis quand il s’agit de demander une formation en fin de carrière.

Deuxième enseignement : la considération de l’employeur recule avec l’âge du salarié. L’écart atteint en effet son maximum en ce qui concerne l’appréciation de la place que les directions donnent à leurs salariés. Sur ce point, seulement 43 % des seniors se disent plutôt satisfaits, contre 51 % pour l’ensemble des salariés. « Ils se sentent davantage mis à l’écart, car les compétences relationnelles acquises avec l’expérience et qu’ils détiennent intéressent moins les employeurs que les compétences techniques, notamment la maîtrise des outils numériques », analyse Camy Puech, président fondateur du cabinet Qualisocial.

Le développement rapide de l’automation et de l’intelligence artificielle dans tous les secteurs pourrait cependant changer la donne, estime ce dernier : si des machines et des logiciels de plus en plus ergonomiques deviennent capables d’exécuter des instructions complexes exprimées en langage courant, les compétences humaines et relationnelles (capacité à travailler en équipe, sens des responsabilités, gestion du stress, du temps…) qui se peaufinent avec l’expérience pourraient regagner de l’importance.

En bonne santé et performants

Enfin, troisième et dernier enseignement : les sources d’engagement des seniors sont multiples. L’étude Qualisocial/Ipsos identifie ainsi trois leviers que les organisations peuvent actionner pour optimiser leur engagement : « La fierté vis-à-vis du travail effectué, les possibilités qu’on leur accorde d’utiliser pleinement leurs compétences, la capacité des employeurs à encourager une ambiance de travail positive », détaille Camy Puech.

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« Les stations de ski, organisations types de l’anthropocène »

Dans un article devenu un classique des sciences économiques et de gestion, l’économiste britannique Ronald Coase (1910-2013) s’intéressait à « la nature de la firme », c’est-à-dire à ce qui explique pourquoi les entreprises émergent dans une société. Plutôt que de défendre une généalogie historique de cette entité devenue si puissante dans notre monde moderne, Coase s’intéressa surtout à ce qui fait la nature originelle de l’entreprise : une affaire de coordination.

L’entreprise naît parce que les individus n’arrivent pas toujours à se coordonner dans leurs transactions. Cette réponse renvoie à ce que les philosophes appellent l’« ontologie » : s’intéresser à ce qui fait l’essence des choses, aux manières de construire des catégories du monde. Paradoxalement, dans cet article, point de « nature » au sens de l’écologie scientifique, mais une affaire de transactions entre des organismes vivants et leurs milieux.

Au mieux, on devine un « état de nature », soit un monde aplati et isomorphe où des individus réduits à leurs plus simples attributs ont du mal à coordonner leurs actions et à ajuster leurs transactions. Cette ontologie très particulière est le socle d’une théorie des organisations où l’entreprise devient le point nodal du monde.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les théories des organisations n’ont pas dit leur dernier mot

L’anthropocène vient ébranler cette image réductrice des organisations et de leurs conditions d’existence. Il s’agit d’aborder autrement les organisations et la façon dont elles enquêtent sur les changements écologiques qu’elles subissent. Il convient de porter un intérêt central aux « organisations sentinelles », c’est-à-dire aux organisations placées sur le front des manifestations concrètes, tangibles et sensibles du changement climatique et de l’effondrement écologique. Il existe, en effet, une abondante littérature, en écologie et en sciences sociales, qui s’est intéressée aux « sentinelles » écologiques ou climatiques.

Réactions aussi vives que binaires

Ces sentinelles définissent souvent des entités naturelles (lacs, forêts, récifs coralliens, îles, animaux) qui se trouvent (ou sont placées volontairement) sur le front de situations de basculement écologique, climatique ou sanitaire. Pensons ainsi, par exemple, à ces poulets qui sont placés et surveillés dans des fermes en Chine et qui, en tombant malades, déclenchent une alerte sanitaire. Ou encore à ces glaciers étudiés à la loupe par les géomorphologues pour analyser les discontinuités climatiques. Mais ces situations précoces, aux avant-postes, ne sont pas seulement occupées par des organismes vivants ou des entités terrestres ; elles le sont aussi par des organisations socio-économiques, comme des stations de ski, par exemple.

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« Le défi aujourd’hui est de savoir comment représenter la nature dans les discussions et les décisions »

Les débats sur la protection de la nature sont nombreux aujourd’hui et mettent aux prises des acteurs qui représentent des intérêts différents, parfois divergents. La question de la représentation de la nature elle-même se pose. Le mot « représentation » peut se comprendre ici de deux manières. La première concerne la façon dont nos imaginaires contemporains se figurent cette nature. Le domaine de l’art s’est emparé de cette version de la représentation depuis le XVe siècle, en peinture notamment : d’un arrière-plan mettant en lumière un portrait ou une scène, la nature est devenue progressivement un sujet en soi dans nos images comme dans nos imaginaires.

Le second sens de la représentation concerne la façon d’inclure la nature dans les débats et les prises de décision relatifs aux aménagements du territoire, à l’usage des ressources naturelles et, plus généralement, aux activités humaines. Evidemment, les deux perspectives sont liées : l’inclusion du vivant ou de paysages dans les décisions dépend largement de la conception de la nature dans nos sociétés.

Les associations de défense de l’environnement et les experts sont souvent en première ligne pour défendre et représenter la nature, c’est-à-dire parler pour elle. Une recherche que nous avons menée pour la Revue française de gestion sur l’existence et le maintien de spectacles d’animaux sauvages dans les cirques en France aborde cette question en retraçant et en analysant la controverse qui s’est développée et amplifiée à ce sujet de 2016 à 2020.

Exposition à la critique

Après de nombreux pays européens, la France a finalement interdit cette pratique en prévoyant cependant un moratoire de sept ans pour permettre aux cirques de s’adapter (loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021). Cette controverse très circonscrite illustre des situations bien plus nombreuses, qui vont au-delà de la question du bien-être animal. Elle permet d’identifier les arguments échangés dans les controverses liées à la défense de la nature, et de comprendre sur quelles bases se fabrique la critique des positions des différents intervenants.

Cette critique prend deux formes générales. Une première concerne les arguments en soutien d’une pratique ou en opposition avec elle. Ces arguments puisent leurs justifications morales dans différents registres. Dans le cas de la présence d’animaux sauvages dans les cirques, des acteurs défendent le recours aux animaux sauvages au nom de la magie, de la tradition ou de l’audience importante de ces spectacles, tandis que d’autres s’y opposent en brandissant une forme dégradante et amorale de divertissement ou la popularité en berne de ce type de spectacles.

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« Le défi aujourd’hui est de savoir comment représenter la nature dans les discussions et les décisions »

Les débats sur la protection de la nature sont nombreux aujourd’hui et mettent aux prises des acteurs qui représentent des intérêts différents, parfois divergents. La question de la représentation de la nature elle-même se pose. Le mot « représentation » peut se comprendre ici de deux manières. La première concerne la façon dont nos imaginaires contemporains se figurent cette nature. Le domaine de l’art s’est emparé de cette version de la représentation depuis le XVe siècle, en peinture notamment : d’un arrière-plan mettant en lumière un portrait ou une scène, la nature est devenue progressivement un sujet en soi dans nos images comme dans nos imaginaires.

Le second sens de la représentation concerne la façon d’inclure la nature dans les débats et les prises de décision relatifs aux aménagements du territoire, à l’usage des ressources naturelles et, plus généralement, aux activités humaines. Evidemment, les deux perspectives sont liées : l’inclusion du vivant ou de paysages dans les décisions dépend largement de la conception de la nature dans nos sociétés.

Les associations de défense de l’environnement et les experts sont souvent en première ligne pour défendre et représenter la nature, c’est-à-dire parler pour elle. Une recherche que nous avons menée pour la Revue française de gestion sur l’existence et le maintien de spectacles d’animaux sauvages dans les cirques en France aborde cette question en retraçant et en analysant la controverse qui s’est développée et amplifiée à ce sujet de 2016 à 2020.

Exposition à la critique

Après de nombreux pays européens, la France a finalement interdit cette pratique en prévoyant cependant un moratoire de sept ans pour permettre aux cirques de s’adapter (loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021). Cette controverse très circonscrite illustre des situations bien plus nombreuses, qui vont au-delà de la question du bien-être animal. Elle permet d’identifier les arguments échangés dans les controverses liées à la défense de la nature, et de comprendre sur quelles bases se fabrique la critique des positions des différents intervenants.

Cette critique prend deux formes générales. Une première concerne les arguments en soutien d’une pratique ou en opposition avec elle. Ces arguments puisent leurs justifications morales dans différents registres. Dans le cas de la présence d’animaux sauvages dans les cirques, des acteurs défendent le recours aux animaux sauvages au nom de la magie, de la tradition ou de l’audience importante de ces spectacles, tandis que d’autres s’y opposent en brandissant une forme dégradante et amorale de divertissement ou la popularité en berne de ce type de spectacles.

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« La révolution technologique, économique et écologique s’accompagne d’une révolution sociale tout aussi majeure : l’entrée dans la société des organisations »

Les causes du changement climatique depuis 1850 sont aujourd’hui bien connues : elles sont intégralement liées aux activités humaines. Prises dans leur globalité, nos sociétés bouleversent les équilibres bio-géophysiques du système Terre, au point de nous faire basculer dans une nouvelle ère : l’anthropocène. Si la date de départ de cette « ère de l’humain » reste débattue, les observateurs s’accordent sur un point : la première révolution industrielle constitue un point d’inflexion majeur. Elle est en effet marquée par la domestication des énergies fossiles, s’accompagnant d’innovations dans de multiples secteurs (agriculture, santé, transports) et d’immenses bénéfices en matière de développement humain, sous-tendant un accroissement rapide et inédit de la population, mais aussi de l’emprise humaine sur les écosystèmes.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les théories des organisations n’ont pas dit leur dernier mot

Cette révolution technologique, économique et écologique s’accompagne d’une révolution sociale tout aussi majeure : l’entrée dans la société des organisations. La révolution industrielle est ainsi marquée par la multiplication d’organisations privées et publiques qui produisent en masse, bureaucratisent, mécanisent, divisent et contrôlent le travail, mesurent les coûts, s’engagent dans des logiques de volume et de croissance, affectent des rôles, missions et responsabilités individuelles et collectives, étudient et segmentent les consommateurs, transforment la nature en ressource productive, organisent les marchés pour mieux les étendre, formalisent et diffusent des principes de bonne gestion.

La croissance de la taille et du pouvoir des organisations dans l’économie a longtemps alimenté de vifs débats dans la société. Dans l’Amérique des années 1960 déjà, John Kenneth Galbraith dénonçait l’emprise d’une technostructure de manageurs sur l’économie et la politique américaines, ou la création de besoins artificiels associés à la société de consommation. L’expansion des organisations se poursuivra par la suite. « Les grandes organisations ont absorbé la société », comme l’indiquait le sociologue des organisations et théoricien des risques Charles Perrow (1925-2019) dans l’article « A Society of Organizations » (Theory and Society n° 6/20, 1991).

Phénomène invisible

L’anthropocène est donc indissociable d’un « organocène », c’est-à-dire une ère où les organisations formelles deviennent un trait dominant de nos sociétés et sont, par là même, intrinsèquement liées aux dégradations écologiques irréversibles actuelles. Le paradoxe est que ce phénomène organisationnel est désormais si omniprésent et évident qu’il semble être devenu invisible et impensé, n’étant que rarement abordé comme une dimension du débat climatique. Tout se passe comme si l’organisation et sa gestion, ses dispositifs, outils et institutions, étaient une technologie invisible et neutre de l’anthropocène.

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« Les élites managériales prennent conscience du caractère insécable du lien entre résilience des entreprises et résilience écologique »

La légende amérindienne du colibri veut qu’un incendie de forêt gigantesque ait pu être éteint grâce à l’action individuelle d’un oiseau minuscule, d’à peine quelques grammes. La détermination exemplaire du colibri l’aurait amené à multiplier les allers et retours entre une petite mare et le foyer de l’incendie afin, goutte après goutte, d’arroser à la mesure de ses capacités les flammes et tenter de circonscrire le feu de forêt. C’est cette détermination sans faille qui est présumée avoir fait tache d’huile auprès des autres habitants de la forêt, ainsi convaincus de la nécessité d’agir eux aussi, à la mesure de leurs moyens propres, pour venir à bout de l’incendie. « Prendre sa part », c’est la formule consacrée pour désigner l’éthique particulière qui a guidé l’action du colibri. Est-ce là le sens de l’injonction faite à l’entreprise en présence des crises écologiques contemporaines ?

L’impératif d’une plus grande sobriété dans l’utilisation des ressources naturelles semble pourtant avoir connu un destin plus funeste que la forêt de la légende amérindienne. Le comportement exemplaire du colibri peine à trouver un équivalent dans l’écosystème singulier de la vie des affaires. A tout le moins, les initiatives de quelques entreprises pionnières souffrent de ne pas parvenir à faire tache d’huile auprès de leurs homologues.

Dans un tel contexte, c’est à la fois la fonction éthique et morale de l’entreprise mais aussi les directions dans lesquelles elle doit orienter ses stratégies et ses techniques de gestion qui se trouvent immédiatement interrogées. Entre 2010 et 2017, les entreprises du CAC 40 ont alourdi significativement leur empreinte environnementale, en particulier si l’on tient compte des émissions importées imputables à la délocalisation de leur appareil productif (« Les Grandes Entreprises françaises : un impact désastreux pour la société et la planète ! », Pierre Grimaud et Dominique Plihon, Observatoire des multinationales/Attac, 2019) .

Le déni n’est plus de mise

Dans le même temps, leurs pratiques de gestion de l’environnement témoignent d’une appétence plus forte pour les annonces d’une transition future que pour l’atténuation de leurs impacts ici et maintenant. On serait tenté d’en déduire que le colibri n’est décidément pas une métaphore transférable au monde de l’entreprise, ou que ce monde n’est peut-être pas aussi interdépendant que l’est le biotope des forêts primaires. Il s’agit pourtant d’une interprétation sans doute partielle.

Une tendance, somme toute assez récente, permet d’observer une prise de conscience des élites managériales vis-à-vis du caractère insécable du lien entre résilience des entreprises et résilience écologique. Sont en effet passés par là, dans l’intervalle, le travail d’objectivation du phénomène d’anthropocène entrepris par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ; ou encore, au niveau national, les projections établies par l’Ademe, dans son rapport « Transitions 2050 » publié en 2023, sur les impacts socio-économiques des différents scénarios de réchauffement climatique. Le colibri ne semble, dans ce contexte, n’avoir d’autre choix que de tenter de sauver la niche écologique dont il dépend, sous peine de disparaître avec elle.

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Paris 2024 : les éboueurs de Paris menacent de faire grève

Lors de la grève des éboueurs contre la réforme des retraites, à Paris, le 21 mars 2023.

L’image reste dans la tête de nombreux Parisiens. Lors du mouvement social contre la réforme des retraites au printemps 2023, la grève d’une partie des 7 500 agents de la direction de la propreté et de l’eau de la Ville de Paris s’était traduite par un amoncellement de déchets dans certains arrondissements. Alors que quinze millions de visiteurs sont attendus pour les Jeux olympiques (JO), la filière de traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement (FTDNEEA) de la CGT a choisi de jouer de nouveau cette carte, en déposant un préavis de grève sur une partie du mois de mai (les 14, 15, 16, 22, 23 et 24), puis du 1er juillet au 8 septembre. « Ça ne nous fait pas plaisir de le faire, bien sûr que l’on veut montrer un Paris propre au monde entier, mais c’est un calcul stratégique, car les négociations sont au point mort », admet Smina Mebtouche, secrétaire générale de la CGT-FTDNEEA.

Le syndicat, majoritaire chez les éboueurs, égoutiers et autres conducteurs de benne, exige en particulier une prime de 1 900 euros pour tous les agents concernés de près ou de loin par les JO, arguant que les quantités de déchets augmenteront partout dans la capitale cet été. En avril, la Mairie avait annoncé que ses équipes percevraient des primes comprises entre 600 et 1 900 euros « en fonction de l’intensification de la charge de travail et de la mobilisation sur la période couvrant les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques ».

La CGT demande aussi une augmentation de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) – variable selon les postes, elle constitue une part importante de la rémunération mensuelle des agents – de 400 euros par mois pour l’ensemble du personnel.

Chez les éboueurs de Marseille, la CGT demande aussi une augmentation de l’IFSE et l’harmonisation du montant de celle-ci entre les agents de la métropole des Bouches-du-Rhône, tout en protestant contre une réorganisation du système de collecte des déchets. Le syndicat avait ainsi déposé un préavis de grève illimité, un mois avant l’arrivée de la flamme olympique, le 8 mai.

Faute de réponse de Métropole Aix-Marseille-Provence, une partie des agents a cessé le travail, surtout dans les 4e et 5e arrondissements de la ville, entre le 29 avril et le 7 mai. Selon la CGT, qui compte poursuivre la métropole pour entrave à la grève, il y aurait eu jusqu’à 70 % de grévistes parmi les mille éboueurs de Marseille, lorsque la métropole en a compté une « quarantaine ». « Le but était de faire un coup d’éclat. Mais les revendications de la CGT sont irréalistes, elle voudrait travailler une heure de moins par jour avec 300 euros de plus », assure un représentant d’Aix-Marseille-Provence.

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