Les Européens trouvent un accord pour mieux protéger les travailleurs des plates-formes

Laborieusement, les Européens sont enfin parvenus, lundi 11 mars, à s’entendre sur le sort des travailleurs des plates-formes numériques, comme Uber ou Deliveroo. Il aura fallu plus de deux ans de négociations pour qu’une majorité qualifiée de quinze Etats membres, représentant 65 % de la population du Vieux Continent, soutienne un texte qui oblige désormais les Vingt-sept à créer une présomption légale et réfutable de salariat dans leurs droits respectifs, en les laissant libres d’en définir les conditions.

Le vote formel aura lieu dans quelques jours mais les ministres des affaires sociales, qui se réunissaient lundi à Bruxelles, ont, à cette occasion, exprimé leur position, et son issue ne fait plus de doute.

Avec l’essor des plates-formes, les Européens souhaitaient harmoniser et améliorer les conditions de travail d’un secteur peu régulé qui emploie aujourd’hui 28 millions de personnes – en 2025, ils devraient être 43 millions – et les fait travailler, dans 90 % des cas, avec le statut d’indépendant sans que celui-ci soit toujours justifié.

Passage au salariat

Selon la Commission, aujourd’hui, 5,5 millions de chauffeurs et autres livreurs répertoriés non salariés devraient en réalité l’être, au vu de la relation de subordination qui les attache à leur employeur, et accéder ainsi aux droits afférents en termes de salaire, de congés, d’assurance-maladie ou encore de droits à la retraite et au chômage.

En décembre 2021, la Commission avait proposé de créer une présomption de salariat dès lors que certains des critères qu’elle avait retenus (niveau de rémunération, supervision à distance des prestations, horaires imposés, obligation d’accepter une mission, port d’un uniforme ou encore interdiction de travailler pour une autre entreprise) étaient remplis.

Lire aussi la chronique du juriste Francis Kessler Article réservé à nos abonnés « L’Union européenne se penche sur le statut des travailleurs des plates-formes »

Mais les deux colégislateurs – le Parlement européen et les Etats membres – ne sont pas parvenus à s’entendre sur cette logique. Les eurodéputés souhaitaient assouplir les conditions de la présomption de salariat par rapport à ce que prévoyait l’exécutif communautaire quand les Vingt-sept voulaient les durcir.

La Belgique, l’Espagne ou les Pays Bas, où les indépendants sont nombreux et où les contentieux en justice sur ce sujet ont bondi, étaient favorables à la proposition de la Commission. L’Allemagne, faute d’un accord entre les partenaires de la coalition d’Olaf Scholz, avait prévenu qu’elle s’abstiendrait, rendant plus difficile l’obtention d’une majorité qualifiée parmi les Etats membres.

Paris, isolé

Quant à la France, qui est le pays européen où il y a le plus de plates-formes, elle défendait un dispositif sur le modèle de ce qu’elle fait à domicile : la revalorisation des droits des indépendants plus que la requalification de leur contrat de travail, alors que le statut de salarié dans l’Hexagone est relativement rigide. Paris a finalement accepté la logique d’une présomption de salariat, mais a, en contrepartie, exigé des critères plus stricts que ceux de la Commission.

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Union européenne : accord autour de la directive sur les travailleurs des plates-formes numériques

Un livreur à vélo, à Nice, le 25 octobre 2022.

Après plusieurs semaines de blocage, les Etats membres de l’Union européenne (UE) ont trouvé un accord politique à la majorité qualifiée, lundi 11 mars, sur une législation européenne censée renforcer les droits des travailleurs des plates-formes numériques comme Uber ou Deliveroo, a annoncé la présidence belge du Conseil de l’UE.

« De meilleures conditions de travail pour les livreurs de repas à domicile ! Les ministres viennent d’approuver le texte de compromis sur la directive relative aux travailleurs des plates-formes. Cela améliorera les droits et les conditions de plus de 28,5 millions d’Européens travaillant dans » ce secteur, a-t-elle fait savoir sur X.

La directive, telle que proposée par la Commission européenne fin 2021, visait à requalifier comme salariés de nombreuses personnes, livreurs de repas ou chauffeurs de VTC indépendants, afin de renforcer leur protection sociale. Elle devait aussi harmoniser les critères de cette requalification à l’échelle européenne.

Le Parlement européen et les Vingt-Sept avaient annoncé, le 13 décembre 2023, avoir trouvé un accord politique sur la directive. Mais ce compromis avait été critiqué par plusieurs pays, dont la France, et son adoption n’avait pas trouvé de majorité lors d’une réunion des ambassadeurs neuf jours plus tard.

Blocage de plusieurs pays dont la France et de l’Allemagne

Un accord politique avait de nouveau été annoncé en février, mais le texte avait été largement vidé de sa substance. La France et l’Allemagne avaient bloqué le texte, avec le soutien de l’Estonie et la Grèce. Tandis que le texte présenté en décembre créait une présomption de salariat sur la base d’une série de critères, le compromis retenu renonce à cette liste de critères, laissant les Etats membres décider comment qualifier les travailleurs.

Le dossier a été mis à l’agenda d’une réunion des ministres du travail à Bruxelles lundi, où une majorité d’Etats membres ont soutenu le compromis. Le lobby des sociétés de mobilité à la demande, Move EU, qui compte Uber parmi ses membres, a exprimé son mécontentement. « Move EU regrette que les États membres aient approuvé aujourd’hui l’accord provisoire sur la directive modifiée relative aux plates-formes », a déclaré le président de l’organisation, Aurelien Pozzana.

« Ce texte, bien qu’il constitue une amélioration par rapport aux versions précédentes, ne permet pas d’aboutir à une approche harmonisée dans l’ensemble de l’UE, ce qui crée encore plus d’incertitude juridique » pour les travailleurs, ajoute-t-il. Dans un communiqué, Uber a estimé de son côté que « les législateurs de l’UE ont voté aujourd’hui en faveur du maintien du statu quo, le statut des travailleurs des plates-formes continuant à être décidé d’un pays à l’autre et d’un tribunal à l’autre ».

« Uber appelle maintenant les pays de l’UE à introduire des lois nationales pour donner aux travailleurs des plates-formes la protection qu’ils méritent tout en maintenant l’indépendance qu’ils préfèrent », déclare un porte-parole de l’entreprise.

Le Monde avec AFP

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La CFDT attaque Carrefour sur sa politique sociale en France « qui a des conséquences très fortes pour les travailleurs »

Carrefour, qui revendique plus de 5 000 magasins en France, s’est longtemps présenté comme le premier employeur privé du pays. Depuis l’arrivée à la tête du groupe d’Alexandre Bompard, les organisations représentatives du personnel, dont la CFDT, n’ont cessé de contester le passage d’un nombre significatif de magasins en franchise ou en location-gérance.

La branche Services du syndicat CFDT a annoncé lundi 11 mars à l’Agence France-Presse (AFP) assigner l’enseigne devant le tribunal judiciaire d’Evry, duquel dépend le siège du distributeur à Massy, en banlieue parisienne. « Nous estimons que [le] mode de gestion tel que pratiqué par Carrefour ne répond pas aux règles du droit et qu’elle a des conséquences très fortes pour les travailleurs », a expliqué à l’AFP Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT-Services, au sujet du passage de nombreux magasins en location-gérance ou en franchise.

Le syndicat demande à la justice d’« interdire au groupe Carrefour et aux sociétés défenderesses de procéder à de nouvelles mises en location-gérance ou en franchise au sein du groupe », et de « garantir cette injonction par une astreinte de 100 000 euros par infraction constatée », selon le texte de l’injonction que l’AFP a pu consulter.

Depuis l’arrivée à la tête de Carrefour d’Alexandre Bompard, en 2017, plus de 300 magasins ont été confiés à des sociétés tierces, franchisés ou locataires-gérants, ce qui représente selon la CFDT 23 000 salariés sortis des effectifs. Le distributeur ne communique plus, depuis plusieurs années, sur le nombre de personnes qu’il y emploie.

La franchise et la location-gérance sont des formes de cession à des tiers de la gestion des points de vente. Pour Carrefour, le mouvement permet de conserver sa part de marché commerciale tout en se libérant d’un certain nombre de dépenses, à commencer par les salaires. En outre, le franchisé s’approvisionne auprès de la centrale du groupe, ce qui place l’entreprise franchiseuse dans un rôle de grossiste.

Perte d’avantages sociaux

Cela n’est pas sans conséquence pour les salariés. Une fois que leur magasin a « basculé », ils ne sont plus employés par un grand groupe coté au CAC 40, mais par une plus petite structure. Après une période de transition, ils perdent les avantages sociaux négociés au sein de Carrefour, évalués par la CFDT à 2 000 euros par an en moyenne.

Le distributeur défend cette politique en assurant qu’elle permet d’éviter les fermetures pour les magasins les moins rentables, qu’elle relance l’activité et qu’elle préserve l’emploi.

« Le modèle imposé aux franchisés et locataires-gérants pèse in fine sur les salariés » qui deviennent la seule marge de manœuvre pour améliorer la rentabilité du magasin, estime Sylvain Macé. Le syndicaliste rejoint l’analyse d’un ancien cadre du distributeur, Jérôme Coulombel, qui avait estimé dans un livre publié en septembre 2023 que le distributeur imposait aux franchisés et aux gérants des prix de gros ou des prestations externes trop élevés.

Une association de franchisés de Carrefour a annoncé en janvier avoir assigné le distributeur devant le tribunal de Rennes, en disant regretter « le déséquilibre significatif entre les droits et les obligations de chaque partie ».

Forme de “délocalisation locale”

Un autre point hérisse les syndicats : que cette politique soit menée alors que Carrefour débourse des centaines de millions d’euros pour rémunérer ses actionnaires. Le distributeur, qui a annoncé pour 2023 un bénéfice net à 1,66 milliard d’euros pour 94,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, a versé 481 millions d’euros de dividendes en 2023, et dépensé 802 millions d’euros pour racheter ses actions.

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La CFDT s’inquiète de voir l’ensemble de la grande distribution, au-delà du seul géant du CAC 40, « se diriger vers un modèle qui est une forme de “délocalisation locale”, où on externalise les enjeux sociaux ». Auchan a récemment dit vouloir se tourner vers davantage de franchise, modèle également plébiscité par Casino. Ce mouvement s’opère dans un contexte de fort dynamisme des enseignes de magasins indépendants, comme le leader E.Leclerc, Intermarché et Système U, où chaque patron d’un magasin ou de quelques magasins est libre de sa politique sociale.

Le Monde avec AFP

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« Que sait-on du travail ? » : des « normes viriles » persistent en entreprise

17 % : c’est, en 2019, la part de femmes en emploi qui possèdent le statut de cadre, contre 4 % en 1982. Cette proportion de cadres atteint 21,6 % chez les hommes, selon l’Insee. Alors que les entreprises et les pouvoirs publics ne cessent – en particulier autour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes – de mettre en avant leurs initiatives, peut-on affirmer que l’égalité femmes-hommes soit en bonne voie ?

Ce n’est pas l’avis de la sociologue Haude Rivoal, dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

Cette sociologue affirme que l’entreprise demeure fondamentalement masculine, ce qui signifie non pas « qu’elle est dirigée par des hommes », mais que « les pratiques d’entreprises favorisent les hommes ».

Pour établir ce constat, l’autrice fait appel aux travaux de plusieurs chercheurs, mettant en évidence les raisons structurelles de cette lenteur. L’accession de davantage de salariées à des postes à responsabilité est un arbre qui cache la forêt, car cela ne change pas la manière dont fonctionnent les organisations, les inégalités structurelles de salaires et les violences sexistes. Les qualités attendues pour devenir dirigeant ont peu changé, soit la même confiance en soi, et le même investissement sans faille – qui implique de se délester du travail domestique, et exclut dès lors une majorité de femmes.

Un marqueur social

Lorsqu’elles ne sont pas critiquées pour un comportement trop masculin, il arrive que les femmes cadres supérieures soient à l’inverse valorisées pour un management « différent » : « plus doux, plus conciliant, plus horizontal »… Soit, paradoxalement, l’inverse de ce qui permet de gravir les échelons. En s’attardant sur ces traits de caractère très schématiques, ou en les incitant simplement à mieux négocier leur salaire, certains employeurs relèguent la progression des femmes à un problème individuel.

Haude Rivoal explique qu’il s’agit d’un problème de culture, et que la « virilité » en entreprise a su s’adapter aux évolutions de la société pour conserver ses privilèges. En affirmant parfois à outrance une inclusivité et un féminisme qui ne se vérifient pas dans les chiffres de l’entreprise, certains chefs d’entreprise masculins espèrent même protéger leur poste, a pu observer la chercheuse au fil d’entretiens. Le sexisme ou la lutte contre celui-ci est davantage un marqueur social qu’un réel engagement. Dans la manière de manager, la hantise de l’impuissance reste valorisée, de même que la concurrence entre hommes.

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« Les hommes et l’égalité professionnelle : qu’est-ce qui coince encore ? »

[Malgré les engagements affirmés par les employeurs, pourquoi les femmes sont-elles toujours absentes de certains métiers ou postes à responsabilité ? Haude Rivoal est sociologue, associée au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) – Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa). Elle est l’autrice de La Fabrique des masculinités au travail (La Dispute, 2021).]

Ces derniers temps, on s’interroge beaucoup sur le sens du travail, mais moins sur le genre de celui-ci. Pourtant, les faits sont têtus. Qu’il s’agisse des inégalités de salaires, du plafond de verre, ou, plus grave, du harcèlement sexiste ou sexuel au travail, l’actualité ne finit pas de nous rappeler leur persistance. Pourtant, le monde du travail ne cesse de multiplier les initiatives, de clamer sa bonne volonté et de prouver sa « proactivité » en matière de lutte contre les discriminations : de grands patrons s’engagent, des lois incitent et des rapports alertent.

Alors, qu’est-ce qui coince encore ? Les apports des sciences sociales sont nombreux et riches d’enseignements sur l’étude des femmes au travail, des discriminations qu’elles subissent aussi bien que des manières qu’elles ont parfois de les contourner. Mais, que se passe-t-il du côté des hommes ? Leur rapport au travail, à la virilité et à l’égalité a-t-il changé ?

La féminisation du travail ne modifie pas ses structures inégalitaires

Il n’est pas besoin de beaucoup de chiffres pour prouver que les élites (économiques, financières et culturelles) sont toujours masculines. A Bercy, par exemple, les femmes représentent en 2016 seulement 20 % des emplois de cadres alors que le ministère de l’économie est composé à 57 % de femmes. Même dans les filières plus féminisées comme l’administration, les femmes sont sous représentées.

Cette inégalité existe aussi dans les ministères sociaux considérés comme plus « féminins », où elles sont seulement 40 % dans les postes de direction alors qu’elles composent deux tiers des effectifs (Laure Bereni, Alban Jacquemart, 2018). Dans les emplois les moins qualifiés, le constat reste quant à lui très binaire (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2023). Schématiquement : les ouvriers sont encore largement des hommes et les femmes sont concentrées dans les métiers de l’éducation, du nettoyage et du soin. Voilà de quoi désamorcer d’emblée une idée reçue : celle qui suppose que le chemin vers l’égalité n’est plus très long et qu’il ne suffirait plus que d’un renouvellement des générations pour que le partage des tâches et des responsabilités s’installe définitivement.

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En Espagne, l’impossibilité d’un débat serein sur les horaires de travail

La ministre du travail espagnole, Yolanda Diaz, à Madrid (Espagne), le 10 janvier 2024.

« Il n’est pas raisonnable que l’Espagne soit un pays où l’on convoque des réunions à 20 heures. Et ce n’est pas raisonnable, un pays dont les restaurants sont ouverts à une heure du matin. » Yolanda Diaz, la ministre du travail de la gauche radicale, Sumar, a jeté un pavé dans la mare, le 4 mars, en plaidant pour la « rationalisation des horaires » dans une contrée qui vit à un rythme décalé, largement incompréhensible dans le reste de l’Europe.

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« L’Espagne a la meilleure vie nocturne du monde, avec des rues pleines de vie et de liberté. Et ça aussi crée de l’emploi, a immédiatement réagi, sur X, la présidente du gouvernement régional de la Communauté de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, figure de la droite du Parti populaire (PP). Ils nous veulent puritains (…). Ennuyés et à la maison. »

En Espagne, on déjeune entre 14 heures et 16 heures, ce qui désespère les touristes et ne manque pas de compliquer les relations professionnelles avec les entreprises du reste de l’Europe. Alors que les Allemands sont depuis longtemps rentrés chez eux, près de 30 % des travailleurs espagnols sont encore au bureau à 19 heures, selon une récente étude commandée par le gouvernement. Et près de 10 % y restent après 21 heures. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, à la télévision, le prime time ne commence pas avant 22 heures.

Quasi pathologique

A cette heure tardive, les boutiques de vêtements ferment à peine leurs portes à Madrid, où les horaires commerciaux sont libéralisés depuis 2012, et les Espagnols se mettent à table pour dîner. Ils ont le temps : à Barcelone, les restaurants servent, en salle, jusqu’à 2 h 30 du matin. Et les terrasses de Malaga sont ouvertes jusqu’à 2 heures, au grand dam des habitants, qui aimeraient parfois dormir.

Les Espagnols entretiennent un rapport quasi pathologique avec ces horaires décalés, source à la fois d’une certaine fierté, tant ils sont associés à un mode de vie festif, et d’insatisfaction, car ils signifient, pour beaucoup, l’étalement de leurs heures de travail sur de longues journées, entrecoupées de grandes pauses et terminant tardivement. Le débat qu’ils suscitent n’est pas nouveau. Cependant, Yolanda Diaz a décidé de s’y attaquer, avec la même fermeté que lorsqu’elle a mené la dernière réforme du travail, limitant efficacement le recours aux CDD et autres contrats temporaires.

Son objectif, pour commencer, est de réduire le temps de travail, fixé depuis quarante ans à 40 heures par semaine, et de l’abaisser à 37,5 heures hebdomadaires d’ici à 2025, sans réduction de salaire, l’alignant ainsi sur les heures pratiquées dans la fonction publique. Dès cette année, il devrait passer à 38,5 heures par semaine. Alors qu’avancent les négociations avec les syndicats – et avant que le patronat, très réticent sur la mesure, ne formalise son opinion –, Mme Diaz a aussi proposé d’ouvrir « un grand débat social » sur la « rationalisation des temps de travail ». « C’est une folie de continuer à augmenter les horaires (de travail) à l’infini », a-t-elle ajouté.

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« La priorité n’est peut-être pas tant à la semaine de quatre jours qu’à l’instauration d’un vrai droit à la délibération sur le travail »

Le travail est devenu insoutenable pour une grande partie des salariés, cela ne fait plus guère débat. L’ouvrage collectif Que sait-on du travail (Seuil, 2023), rédigé par une soixantaine de spécialistes à l’initiative de Bruno Palier (et avec le soutien du « Monde »), en a établi un état des lieux précis et documenté.

Pour autant, le déni patronal et gouvernemental demeure. Contraindre les salariés à accepter les emplois tels qu’ils sont, plutôt que de changer le travail : c’est le but des durcissements successifs des règles de l’assurance-chômage ou des pressions sur les médecins, qui prescriraient « trop » d’arrêts de travail, sans oublier la réforme du revenu de solidarité active (RSA).

La semaine de quatre jours, dont Gabriel Attal a prôné l’expérimentation, semble un levier plus positif pour rendre le travail attractif. Mais faute de réduire sa durée, elle risque (comme la journée de douze heures à l’hôpital ou le télétravail pour les cadres) de déplacer le problème sans le résoudre, voire en l’exacerbant par une nouvelle intensification du travail.

La recherche l’a établi : c’est bien au cœur de l’activité, dans son organisation au quotidien, que se logent les causes du mal-être et des pathologies psychiques au travail. Modifier les horaires ne change rien, et pourrait même aggraver la perte de sens et l’éclatement des collectifs. En télétravail pour les uns, en horaires décalés ou en quatre jours pour les autres, quand les équipes pourront-elles se rencontrer et tisser la coopération nécessaire au travail bien fait ?

Ce n’est pas seulement la santé des salariés qui est en jeu, c’est aussi celle de la démocratie. Une longue lignée de chercheurs, initiée par l’économiste et philosophe John Stuart Mill et poursuivie par Carol Pateman, Georges Friedmann, Yves Clot ou Christophe Dejours, a montré pourquoi être soumis toute la journée à un travail répétitif et dénué d’autonomie ne prédispose pas à l’engagement citoyen hors du travail. Une étude confirme que, au-delà du diplôme ou de la profession, le manque d’autonomie au travail est un déterminant important de l’abstention à l’élection présidentielle de 2017 comme aux élections européennes de 2019 (« Le bras long du travail. Conditions de travail et comportements électoraux », Thomas Coutrot, document de travail n° 1-2024, IRES, 2024.)

Santé psychique et affects démocratiques

Plus encore : l’impossibilité de s’exprimer sur son travail, sur les difficultés qu’on y rencontre et les solutions qu’on pourrait proposer favorise clairement le vote pour l’extrême droite. Ainsi, dans les communes ayant privilégié le vote pour la liste de Jordan Bardella en 2019, la probabilité que les salariés disposent de temps collectifs organisés par leur manageur pour aborder des questions d’organisation ou de fonctionnement de leur unité de travail est de 20 % inférieure à la moyenne. Le vote Rassemblement national (RN) est également associé aux horaires atypiques (travail la nuit ou tôt le matin), ainsi qu’à la pénibilité physique, même à métier identique. La France qui trime et souffre au travail sans pouvoir le dire et sans espoir d’y changer quelque chose tend à se venger par, ou à se réfugier dans, le vote pour des candidats autoritaires. Ce n’est pas la seule raison de la montée du vote RN, mais c’en est une qu’on ne saurait ignorer et qu’il est possible de traiter.

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« Pour attirer et fidéliser les salariés, l’instauration d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle s’impose »

Outre le fait d’être préoccupés par la baisse de leur activité et par l’inflation, les dirigeants de PME connaissent des difficultés pour recruter et un turnover inédit, selon l’enquête de conjoncture de la Confédération des PME (« La santé économique et l’accès au financement des TPE-PME au second semestre 2023 », 12 décembre 2023, CPME). Pour attirer et fidéliser les salariés, l’instauration d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle s’impose. Où en sommes-nous sur ce point ?

Certaines PME ont déjà déployé des actions facilitant cet équilibre en passant à la semaine de quatre jours, à l’image de Pimpant (produits de consommation familiale rechargeables). Dans un autre registre, des congés menstruels sont proposés aux salariées par des entreprises comme Goodays (plate-forme de gestion des interactions clients). Emmanuel Macron a annoncé, le 16 janvier, vouloir faciliter la prise de congé parental pour les salariés. Actuellement, une fois le congé paternité ou maternité terminé, l’un ou les deux parents peuvent décider de prendre un congé parental, avant les 3 ans de l’enfant.

Face aux difficultés pour trouver des crèches ou des assistantes maternelles, cette option est souvent envisagée par les parents salariés. Mais, dans ce cas, le contrat de travail est suspendu, le salarié n’est pas rémunéré par l’entreprise (sauf en cas de congé à temps partiel). Et l’aide sociale minimale proposée par la Caisse d’allocations familiales est de 428,71 euros par mois en 2024 (pour un congé parental à temps plein pour un seul enfant), pour un maximum de six mois. Les entreprises peuvent bien sûr améliorer ces dispositifs légaux.

Confrontation à la réalité

Du côté du droit du travail, l’utilisation de certains dispositifs par l’employeur peut contribuer à un équilibre des sphères de vie : citons l’autorisation d’absence pour actes médicaux nécessaires à un protocole d’assistance médicale à la procréation comptant en temps de travail effectif (le conjoint en bénéficie aussi pour trois de ces examens) ; l’indemnisation dès le premier jour d’arrêt de travail dans le cas d’une fausse couche (sans délai de carence depuis le 1er janvier) ; l’impossibilité de licencier pendant les dix semaines suivant une fausse couche, sauf en cas de faute grave ; le droit pour une femme enceinte d’être affectée à un autre poste si son état de santé le nécessite ; l’autorisation d’absence afin de se rendre aux rendez-vous médicaux obligatoires pendant la grossesse et en postnatal ; les autorisations d’absence pour allaitement pendant un an (non rémunérées, sauf dispositions conventionnelles) à raison d’une heure par jour…

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Assurance-chômage : la volonté de l’Etat de « reprendre la main » sur le régime hérisse les syndicats et le patronat

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances dans son bureau à Bercy, à Paris, le 5 mars 2024.

Décidément, le gouvernement a plein d’idées sur l’assurance-chômage. Depuis son arrivée à Matignon, Gabriel Attal ne cesse de répéter qu’il faut, à nouveau, revoir l’indemnisation des demandeurs d’emploi – sans doute pour réduire sa durée. Bruno Le Maire, lui, vient d’émettre une autre proposition. « L’Etat devrait reprendre la main sur [le régime] de manière définitive », a expliqué le ministre de l’économie, dans un entretien au Monde, daté du jeudi 7 mars. Sa déclaration, validée par l’Elysée, a heurté les syndicats et le patronat, puisque ce sont eux, théoriquement, qui gèrent le dispositif, à travers l’association Unédic. La position du locataire de Bercy s’inscrit dans une épreuve de force, engagée dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, au cours de laquelle l’exécutif n’a cessé de resserrer son emprise sur le système de protection des chômeurs. Et ce processus pourrait aller encore plus loin.

Sur le papier, la gouvernance de l’Unédic est paritaire, c’est-à-dire exercée conjointement par les organisations d’employeurs et de salariés. Mais, dans la réalité, l’Etat est omniprésent, depuis des décennies : son agrément est indispensable pour l’entrée en vigueur des « conventions » négociées par les partenaires sociaux sur les règles d’indemnisation. C’est lui, également, qui se porte garant de la dette du régime en cas de défaut de paiement – ce qui ne s’est jamais produit, jusqu’à présent.

Depuis la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, l’étreinte des pouvoirs publics s’est accentuée. Désormais, le gouvernement fixe les objectifs des négociations entre le patronat et les syndicats dans un « document de cadrage ». En 2019, un nouveau seuil a été franchi après l’échec des discussions entre organisations d’employeurs et de salariés. L’exécutif s’est installé aux commandes, et a imposé des changements de la mi-2019 au début de 2023, à travers une cascade de textes législatifs et réglementaires, qui ont durci les conditions dans lesquelles un chômeur est couvert. Les partenaires sociaux n’ont retrouvé leurs prérogatives que très récemment. Le 10 novembre 2023, ils sont parvenus à un accord signé par l’ensemble des mouvements patronaux et par la CFDT, la CFTC ainsi que Force ouvrière (FO). La « convention » résultant de ce compromis doit maintenant être agréée par le ministère du travail, qui a repoussé sa décision en attendant le résultat de la négociation en cours sur l’emploi des seniors.

« Situation bancale »

L’hypothèse d’une nationalisation à 100 % de l’Unédic ne jaillit pas de nulle part. Elle affleurait déjà dans un livre-programme publié par M. Macron quelques mois avant son entrée en fonction à l’Elysée : Révolution (XO éditions, 2016). En 2018, Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, et son équipe avaient plaidé pour que le pilotage de l’Unédic soit confié à l’Etat. « Mais le projet avait été abandonné. Des voix s’élevaient pour dénoncer la verticalité du gouvernement sur la réforme de l’apprentissage, que les régions désapprouvaient, et sur la refonte du compte personnel de formation, menée contre l’avis des partenaires sociaux », raconte Antoine Foucher, directeur du cabinet de Mme Pénicaud lorsque celle-ci était ministre.

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« L’application universelle de la semaine de quatre jours dans la fonction publique semble peu probable, voire peu souhaitable »

Les sondages indiquent qu’une majorité de Français sont favorables à la semaine de quatre jours. Depuis la crise due au Covid-19 et l’essor du télétravail, cette tendance concerne aussi la fonction publique. Selon une étude du Sens du service public avec OpinionWay de mars 2023, 79 % des agents publics seraient enclins à proposer la semaine de quatre jours à ceux qui ne peuvent pas télétravailler.

Un leitmotiv émerge, selon lequel, pour renforcer son attractivité, la fonction publique doit promouvoir la semaine de quatre jours afin de permettre davantage d’individualisation des organisations du travail. Cette affirmation soulève toutefois des interrogations, parfois vite évincées, mais entretient aussi la confusion entre la semaine de quatre jours à trente-deux heures, donc avec réduction du temps de travail hebdomadaire, et la semaine de quatre jours à trente-cinq heures, donc avec allongement de la durée quotidienne de travail.

Dès lors que les effets bénéfiques de la semaine de quatre jours sont censés être nombreux (diminution des temps de transport, liberté accrue dans la gestion de son emploi du temps, davantage de temps pour soi), la fonction publique se doit de l’expérimenter. Elle est d’ailleurs déjà testée, notamment dans certains hôpitaux ou certaines collectivités locales. Il s’avère, à travers ces expérimentations, qu’en libérant une journée sans diminuer le temps de travail hebdomadaire, l’amplitude horaire de la journée de travail est augmentée de quasiment deux heures. Or, allonger la durée quotidienne de travail de certains métiers peut être plus délicat qu’on ne le suppose. L’intensification quotidienne de la charge de travail peut avoir des effets sur la fatigue et le nombre d’accidents. En outre, la hausse du volume horaire quotidien peut engendrer des difficultés à concilier les contraintes de la vie privée (garde d’enfants) avec la vie professionnelle.

Conséquences sur l’harmonie des collectifs

Pour les services publics qui doivent garantir la continuité de leur fonctionnement, les jours « off » communs à tous les salariés, c’est-à-dire des jours de fermeture des services, sont impossibles. Dès lors, la semaine de quatre jours peut avoir de lourdes conséquences pour la cohésion des équipes qui, mathématiquement, se côtoient moins, surtout lorsqu’elle se cumule avec le télétravail. Nous n’avons pas encore de recul suffisant sur ces expériences pour apprécier les effets de la diminution des interactions entre collègues. Toutefois, on note que concentrer la charge de travail sur un nombre de jours plus réduit nécessite de revoir les façons de travailler (durée raccourcie des réunions, processus de décision simplifiés…) et d’allonger la durée quotidienne de travail, mais aussi de réviser et d’enrichir les missions des agents.

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