« En empêchant l’entrée de nouveaux immigrants, Trump pénaliserait l’économie américaine »

Des migrants guatémaltèques, expulsés des Etats-Unis, arrivent à l’aéroport de Guatemala, le 9 juin.

La crise liée à la pandémie risque de creuser encore les écarts de salaires entre les travailleurs très qualifiés et peu qualifiés, prévient Jennifer Hunt, professeure d’économie à l’université Rutgers (Etats-Unis), intervenant aux rencontres « d’Aix en Seine », qui se sont tenues du 3 au 5 juillet à Paris.

Ancienne chef du département américain du Travail (2013–2015) passée par le Trésor américain, cette spécialiste de l’immigration estime également qu’en fermant partiellement ses portes aux travailleurs étrangers, l’économie américaine serait durablement affaiblie.

Quelles séquelles cette crise laissera-t-elle, à long terme, sur les marchés du travail ?

Cela dépend des pays et il est encore trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûre : les cicatrices seront probablement plus marquées dans ceux qui, au moment où la pandémie a frappé, n’avaient pas encore retrouvé leur niveau de production d’avant la récession de 2008, comme l’Italie.

Le chômage partiel a protégé des millions d’emplois pendant le confinement en Europe. Sa prolongation ces prochains mois pourrait également contribuer à maintenir des emplois qui, sans la crise, auraient disparu. Est-ce un problème ?

Ces mécanismes ont été efficaces pour permettre aux entreprises de conserver leurs salariés, leur éviter d’avoir à s’en séparer pour tenter de les réembaucher plus tard.

Si en raison d’un rebond de la pandémie, ces dispositifs se prolongent au-delà d’un an, il y a un petit risque : celui de voir l’Etat subventionner des anciennes façons de travailler, de maintenir des emplois peu appareillés au regard des évolutions de l’organisation technique. Mais ce risque reste largement secondaire et limité au regard des coûts qu’un chômage de masse engendrerait.

La hausse du chômage dans les économies avancées va-t-elle se traduire par une nouvelle augmentation des inégalités ?

En termes salariaux, l’écart risque en effet de se creuser encore entre les travailleurs très qualifiés et les peu qualifiés. Ces derniers sont plus durement pénalisés pendant les récessions, car ils occupent des emplois plus fragiles. En outre, le travail à distance a bien souvent été impossible pour eux pendant le confinement.

Ajoutons que la récession actuelle est différente de la précédente à bien des égards. Celle de 2008 avait frappé en premier lieu les hommes, surreprésentés dans les secteurs de l’industrie et de la construction. Cette fois, les femmes, plus nombreuses dans le tourisme, l’hôtellerie-restauration et le commerce de détail, sont les premières affectées – du moins, jusqu’ici.

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Les ingénieurs, victimes collatérales de l’aéronautique en crise

Les premières turbulences de la tornade qui s’est abattue à l’échelle mondiale sur l’aéronautique commencent à se faire durement ressentir sur les sociétés d’ingénierie du territoire toulousain. A l’image d’Airbus, leur principal donneur d’ordres. Si le constructeur européen taille dans ses effectifs, il réduit aussi ses dépenses de recherche et développement (R&D) et d’ingénierie. Ce qui fragilise ces deux secteurs, qui emploient un tiers des salariés de la filière dans la région.

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« A Toulouse, 8 à 10 000 ingénieurs, qui travaillent pour Airbus et d’autres clients de l’aéronautique, se retrouvent en inter-contrats, sans mission, et sont menacés par un PSE [plan de sauvegarde de l’emploi] dans les prochains mois », avance, inquiet, Benoît Maistre, président du collège ICT (ingénierie et de conseil en technologies) du syndicat Syntec-Numérique.

Sogeclair Aerospace, sous-traitant de premier plan d’Airbus, de Bombarbier
ou encore de Dassault Aviation, a perdu plus de 50 % de son activité

A Blagnac (Haute-Garonne), la société Sogeclair Aerospace est l’une des premières PME à travailler à la mise en place d’un plan social. Ce sous-traitant de premier plan d’Airbus, de Bombarbier ou encore de Dassault Aviation, qui a perdu plus de 50 % de son activité depuis le début de la pandémie, a présenté un projet de PSE qui concernerait jusqu’à 245 personnes en France. Le site toulousain, fort de 400 ingénieurs, devrait être alors sévèrement touché, avec à la clé des licenciements secs et des départs volontaires en retraite non renouvelés.

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Dans les sociétés d’ingénierie, il y a urgence

Si le secteur du transport aérien ne redécolle pas, avertit un porte-parole de la direction, des « mesures d’adaptation des effectifs à la nouvelle réalité du marché » seraient appliquées pour ses filiales allemande, britannique et espagnole. En clair, il pourrait y avoir une saignée plus importante dans cette entreprise familiale fondée en 1962, et propriété de Philippe Robardey, par ailleurs président de la chambre de commerce de Toulouse.

Dans les sociétés d’ingénierie, il y a urgence. Car, si ce sous-traitant subit des pertes, il n’est pas le seul. CMT+, filiale du groupe Scalian, fait aussi les frais de cette crise inédite et violente. Dépendante de l’aéronautique à plus de 70 %, cette PME de 200 salariés installée à Colomiers (Haute-Garonne) vacille. Compte tenu de l’effondrement du plan de charge, le sureffectif est chiffré à 140 collaborateurs. Un PSE est en discussion avec les représentants du personnel.

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Les Etats-Unis créent 4,8 millions d’emplois en juin

Visite de Donald Trump dans une usine automobile Ford, à Ypsilanti (Michigan), le 21 mai 2020.

La reprise de l’économie s’est accélérée en juin aux Etats-Unis, le pays ayant créé le mois dernier 4,8 millions d’emplois. C’est mieux que les 2,5 millions de mai, qui avaient provoqué la surprise et qui ont même été révisés à la hausse (2,7 millions). De fait, le taux de chômage est tombé à 11 % en juin, après avoir atteint un plus haut de 14,7 % en avril, selon les chiffres très attendus publiés jeudi 2 juillet par le ministère fédéral du travail. Immédiatement, Donald Trump a convoqué une conférence de presse à la Maison Blanche pour saluer une hausse « historique » tandis que la Bourse américaine a ouvert en hausse de 1,5 % pour cette dernière journée avant le long week-end de l’Independance Day.

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Si ces chiffres attestent d’un fort rebond, supérieur aux attentes, les dégâts causés par le Covid-19 sont loin d’être effacés. L’Amérique est au tiers du parcours : avec 142 millions d’emplois en juin, elle a récréé 8,8 millions de jobs depuis le plus bas touché en avril, mais elle se trouve toujours 15 millions d’emplois en deçà du niveau de février. Le taux de chômage, qui avait atteint les plus bas historiques de la fin des années 1960, a triplé.

Restauration et tourisme

Surtout, l’enquête du ministère du travail a été réalisée mi-juin. Son bon chiffre ne prend pas en compte les emplois sans doute perdus depuis une dizaine de jours, alors que de nombreux Etats frappés par l’épidémie du Covid-19, tels le Texas, la Californie, l’Arizona et la Floride, ont dû refermer leur économie qu’ils avaient trop vite déconfinée. Le nombre de nouveaux cas a dépassé pour la première fois les 50 000 mercredi 1er juillet.

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Comme en mai, l’emploi a été recréé notamment dans la restauration et le tourisme au sens large, qui après avoir perdu la moitié de ses effectifs rouvre progressivement ses portes (2,1 millions d’emplois créés en juin), mais accuse encore un recul de 30 % de ses emplois.

Le rebond est net dans l’industrie manufacturière, qui a récupéré la moitié du terrain perdu (500 000 emplois recréés en juin, soit un recul réduit à 6 % des effectifs). Ce segment est politiquement très important pour l’élection de novembre : les ouvriers firent en 2016 l’élection de Donald Trump dans les Etats dits de la « ceinture de la rouille ». En revanche, le pire est encore à venir pour les compagnies aériennes, qui disent avoir 20 000 salariés de trop.

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Le débat sur les chiffres du chômage est perturbé par les enjeux électoraux, les détracteurs de Donald Trump acceptant mal qu’un bon chiffre macroéconomique puisse être publié tandis que le soutien du Congrès à l’économie, inédit et massif (2 700 milliards de dollars, soit 13 points de PIB), va à l’encontre des préjugés sur le non-interventionnisme américain.

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Hauts-de-France : alerte sur la recrudescence d’accidents du travail depuis le déconfinement

Stagiaire cordiste, à Die (Drôme), en 2007.

Vendredi 26 juin, un cordiste de 48 ans a trouvé la mort en tombant du toit d’un silo de l’entreprise Nord Céréales, à Dunkerque (Nord). Avant lui, un couvreur avait fait une chute mortelle à Arras (Pas-de-Calais) : un barreau de l’échelle sur laquelle il s’était hissé acrobatiquement, depuis un balcon, a cédé, le projetant dix mètres plus bas. Mortelle encore, la chute de 15 mètres, dans la Somme, d’un conducteur de camion toupie qui, pour surveiller le déversement de son béton, a grimpé sur un toit de tôle qui a cédé sous son poids.

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Trois accidents du travail mortels, et autant d’accidents graves, liés à des chutes de hauteur dans les Hauts-de-France depuis le redémarrage de l’activité économique : un salarié tombé d’un échafaudage non protégé dans l’Oise, un apprenti couvreur de 18 ans tombé d’un toit non protégé dans la Somme, une autre chute d’un toit non protégé à Amiens…

« Relâchement »

Absence de barrières de protection, utilisation d’équipement inapproprié… La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) des Hauts-de-France, service de l’Etat en charge, notamment, du respect de la réglementation du travail, a décidé d’alerter sur la situation dans un communiqué, jeudi 2 juillet. « Cette recrudescence d’accidents est sans commune mesure avec ce qu’on a connu sur l’ensemble de 2019 », s’inquiète Brigitte Karsenti, directrice régionale adjointe de la Direccte. Huit accidents mortels du travail liés à des chutes de hauteur avaient été recensés dans la région sur l’année.

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Pour expliquer cette recrudescence depuis le déconfinement, l’heure est encore aux hypothèses. « Cela peut être lié à des problématiques de désorganisation du travail [matériel indisponible, approvisionnements décalés]. Mais aussi à une volonté de rattraper le retard de commandes qui n’ont pu être honorées pendant le Covid. Cela peut favoriser les situations à risque », avance Cécile Delemotte, chef du service santé sécurité au pôle travail de la Direccte. Là où il aurait fallu installer une nacelle, on voudra aller plus vite en se servant d’une simple échelle. « Le fait de focaliser sur les risques liés au Covid a pu aussi contribuer à mettre au second plan l’information à la sécurité » ajoute-t-elle.

Ne pas avoir exercé pendant quelques mois a pu aussi favoriser un certain « relâchement ». « Nous voulons alerter ceux qui organisent le travail, les employeurs, les donneurs d’ordre, les maîtres d’ouvrage : il est de leur responsabilité d’organiser la reprise d’activité en sécurité, en anticipant les risques, insiste Brigitte Karsenti, qui a sensibilisé dès cette semaine les partenaires sociaux. Il faut que chacun soit vigilant à son niveau. » La Direccte a ainsi demandé aux inspecteurs du travail de renforcer leurs contrôles.

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Les pistes du CESE pour lutter contre le chômage de longue durée

« La part des demandeurs d’emploi de plus d’un an est passée de 45,6 % en 2014 à 47,5 % 21 fin 2019. »

Comment lutter contre le chômage de longue durée ? Alors que le nombre de demandeurs d’emploi se maintient à un niveau élevé depuis l’épidémie de Covid-19, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a tenté d’apporter quelques éléments de réponse au problème du chômage durable. Dans un avis présenté le 24 juin, le CESE formule une vingtaine de propositions relatives à la « prévention et la réduction du chômage de longue durée dans une perspective d’action territoriale ».

Avant la crise, ce noyau dur du chômage constituait déjà, avec le sous-emploi, une catégorie en hausse : la part des demandeurs d’emploi de plus d’un an est passée de 45,6 % en 2014 à 47,5 % 21 fin 2019. « La durée de la privation d’emploi augmente la difficulté de retour à l’emploi », souligne le rapport. Une partie de ces chômeurs tombent dans un cercle vicieux : précarité, désocialisation…, qui bloque d’autant plus leur réinsertion sur le marché du travail.

Problèmes de coordination

Tous les actifs ne sont pas égaux face au chômage de longue durée : celui-ci touche d’abord les moins qualifiés, les seniors et les personnes en mauvaise santé. L’avis du CESE met aussi en exergue de fortes inégalités territoriales : les anciens bassins industriels, les zones en déclin démographique et les départements d’outre-mer connaissent un taux important de chômage de longue durée. Les métropoles et certains espaces économiques pourtant dynamiques, situés dans le sud de la France, ne sont toutefois pas épargnés.

Bien sûr, tous les bassins d’emploi ne connaissent pas le même dynamisme. Mais l’avis du CESE relève des problèmes de « coordination » entre les acteurs territoriaux chargés de l’insertion des demandeurs d’emploi : travailleurs sociaux des départements, associations, opérateurs de formation… Les différents dispositifs d’insertion se superposent et le chômeur ne s’y retrouve pas toujours.

« Le rapport a montré qu’aucune collectivité n’était clairement chargée de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences à l’échelle des territoires », souligne le CESE, qui recommande d’en confier le pilotage à l’échelon régional. La région s’appuierait sur un « consortium » qui réunirait tous les acteurs territoriaux (les départements, les opérateurs de compétences en territoires, les composantes du service public de l’emploi…).

Une politique de contractualisation renforcée viendrait encadrer les différentes initiatives. Par exemple, les régions pourraient passer contrat avec les départements pour que les bénéficiaires du RSA (géré à l’échelon départemental) soient systématiquement orientés vers un parcours d’insertion professionnelle.

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« Stop work » : La métamorphose d’un cadre aux prises aux absurdités des pratiques RSE

« Stop Work. Les joies de l’entreprise moderne », par Morgan Navarro et Jacky Schwartzmann. Dargaud, 138 pages, 18 euros.

L’écologie ? Il s’en cogne. Les mecs de la CGT ? Tous des cons. S’occuper du stagiaire de 3e ? Jamais, sauf si le boss le demande, et qu’il prend l’apéro à midi au restaurant.

Fabrice Couturier est un cadre vieux jeu : il aime « saigner un fournisseur pour augmenter les marges » et fayote ostensiblement pour monter en grade, au point que ses collègues de Rondelles SA le surnomment « le suceur ». Mais lorsque le poste qu’il convoite est finalement attribué à une jeune externe, il passe du statut de beauf mal embouché à celui de rebelle acoquiné avec la CGT. Une drôle d’aventure racontée avec humour par l’illustrateur Morgan Navarro et l’ex-cadre en entreprise et auteur de polars Jacky Schwartzmann dans Stop Work (Dargaud).

La bande dessinée retrace la métamorphose d’un cadre au service achats et pointe à travers ses aventures les sommets d’absurdité et de cynisme du monde de l’entreprise, en particulier dans la mise en place des politiques de responsabilité sociale et environnementale. Ainsi de Rondelles SA, ridicule dans son nom comme dans ses pratiques.

Au comité de direction, on ne s’exprime plus que dans les termes du « business » : « wip », « deadline », « overdues »… Les anglicismes s’accumulent et exaspèrent Fabrice. Mais ce n’est rien face aux nouvelles règles du service environnement, hygiène et sécurité (EHS). Il faut désormais suivre une formation pour descendre l’escalier, et se garer en marche arrière dans le parking, « comme ça le soir vous êtes en marche avant avec une bonne visibilité, ce qui permettra d’éviter tout accident », martèle la pénible Ludivine, responsable du service EHS.

« Pas en frontal, sinon t’es mort »

Même un simple changement de pile requiert de faire appel à un prestataire de service, car « pour décrocher la pendule, il faut monter sur une chaise » et donc avoir suivi la « formation de travail en hauteur » ainsi que « la formation sur les risques électriques ». Les consignes sont de plus en plus aberrantes, à l’image des affiches qui s’accumulent sur les parois de la boîte : « tenir la rampe, chaussures à semelles non glissantes », « lingettes dans les caisses à outils, attention à la date de péremption sous peine de sanctions ».

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Mais le pompon, ce sont les incitations à déclarer les « presque accidents ». Vous vous cognez le genou contre un tiroir de bureau ouvert ? Il faut remonter l’information, ce qui permet à l’EHS d’analyser les « roots causes et établir les good practices ». « On me bride, on me vole ma place au Codir [comité de direction], et en plus on me castre », s’exaspère Fabrice. « C’est pareil dans toutes les boîtes, même dans l’administration. On ne fait plus rien sans autorisation écrite. C’est la Stasi qui rencontre la Nasa », résume Christophe, le délégué CGT.

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« On a voulu y croire » : Nokia court-circuite la Silicon Valley bretonne

Manifestation de salariés et élus syndicaux devant les locaux de Nokia, à Lannion (Côtes-d’Armor), le 23 juin.

Ils ont dégrafé un pan de la bâche blanche de la tente de chantier. Un peu d’air, enfin, dans cet étouffant jeudi de juin. Accoudés à une table de camping, les syndicalistes de Nokia à Lannion (Côtes-d’Armor) scrutent à travers cette fenêtre de fortune l’entrée de leur entreprise. Ils se tiennent prêts à héler l’un ou l’une de leurs 772 collègues qui chercherait leur QG. Depuis l’annonce de Nokia, lundi 22 juin, de supprimer 1 233 postes, dont 402 en Bretagne, pour « atteindre un niveau de rentabilité durable », les équipes sont sous le choc.

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« Nous avons besoin de nous voir pour parler de cette trahison. Ce plan social est humainement et technologiquement incompréhensible. La direction démantèle la recherche et le développement du site, l’avenir de l’entreprise. Du suicide, en somme », grommelle Bernard Trémulot, délégué syndical CFDT. Ingénieur depuis trente-huit ans sur le site lannionnais, il ne se remet pas de cette annonce surprise. Le syndicaliste pensait les équipes « à l’abri », protégées par les « bons chiffres » du premier trimestre 2020 et les « encourageantes perspectives » sur les marchés de la 5G. D’autant que Rajeev Suri, actuel PDG de l’équipementier télécoms finlandais, est sur le départ et ne sera remplacé par Pekka Lundmark qu’à la rentrée.

« Un tsunami social »

Le représentant CFDT ôte ses lunettes rondes et malaxe ses tempes : « Qu’est-ce que je dis aux 200 jeunes ingénieurs récemment recrutés à Lannion avec pour promesse d’être l’avenir de Nokia ? Certains sont encore en période d’essai. » « Que veux-tu ? On a voulu y croire… », soupire Yann Le Flanchec (CGT). Lui aussi pensait que le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia, validé par Emmanuel Macron alors ministre de l’économie, en 2015, protégerait les emplois. En 2016, il avait apprécié l’engagement formulé par sa direction au ministre de la défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian. Celle-ci avait assuré qu’elle ferait de Lannion le centre mondial de la recherche en cybersécurité de l’entreprise. Puis encore, en 2018, lors de l’inauguration des locaux qui se dressent derrière lui, M. Le Flanchec s’était laissé séduire par le discours de Thierry Boisnon, directeur France de Nokia, promettant un « avenir pérenne » au site costarmoricain. « Nous avons été naïfs », regrette le syndicaliste.

« Vus de Finlande, nous ne sommes que des pions. A présent, nous affrontons un quatrième plan social depuis 2016. Le dixième en… treize ans. » Avec la crainte que cette énième restructuration soit le prélude à la fermeture de Nokia à Lannion. Interrogée, la direction temporise : « Cette implantation n’est pas remise en cause dans le cadre de ce projet. » Or le « plateau », surnom de la zone industrielle et de son dédale d’avenues surplombant la ville, abritant quelque 4 000 techniciens et ingénieurs, bat au rythme de l’équipementier en télécommunication. L’entreprise est le deuxième employeur privé derrière Orange, l’autre spécialiste des télécoms, aussi confronté à de fréquentes réductions d’effectifs, passé de 1 700 à 1 100 emplois en vingt ans.

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Dix semaines de réserves de masques demandées aux entreprises : Véran veut décentraliser les stocks

Le ministre de la santé, Olivier Véran, au siège de l’OMS à Genève, en Suisse, le 25 juin.

Le gouvernement a demandé mercredi aux entreprises de prévoir dix semaines de stocks de masques afin notamment de permettre de décentraliser les stocks d’équipements de protection sanitaire face à un éventuel rebond de l’épidémie de Covid-19, a fait savoir, jeudi 2 juillet, le ministre de la santé, Olivier Véran.

« Nous préparons la rentrée et il y a un risque de recirculation du virus (…), et nous demanderons aux entreprises de prévoir dix semaines de stocks de masques, avec un petit rappel du fait que nous avons, désormais, des producteurs français », avait déclaré la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher lors d’une audition par la délégation aux entreprises du Sénat mercredi. Elle a expliqué avoir signé « une note » en ce sens, qui doit également être paraphée prochainement par la ministre du travail, Muriel Pénicaud, et le ministre de la santé.

« C’est une consigne qu’il est fondamental de respecter. Nous l’avons vu, notre pays n’était pas suffisamment doté de masques, il y avait eu des consignes qui n’étaient pas suffisamment appliquées, sans doute pas suffisamment claires, les entreprises doivent pouvoir protéger leurs salariés », a ajouté jeudi M. Véran, interrogé sur cette nouvelle directive sur RTL. Cette nouvelle consigne s’intègre dans le « plan en cas de rebond de l’épidémie, afin d’éviter à tout prix de revenir à une solution de confinement généralisé », a-t-il encore assuré.

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« Ça n’arrivera plus »

« On a vu que, quand on a un seul stock centralisé dans un grand entrepôt, on peut en perdre le fil – ça n’arrivera plus –, ça n’est pas les meilleures conditions de stockage possibles et la logistique pour les répartir sur le territoire prend trop de temps. Donc être capable de décentraliser, de déconcentrer les stockages de matériel de protection au sein des territoires, au sein des entreprises, des hôpitaux, des cabinets médicaux, c’est important, » a ajouté le ministre.

Interrogé sur le financement de ces mesures, il n’a pas explicitement répondu, tout en assurant que « personne n’a dit qu’elles [les entreprises] le feraient seules, nous les accompagnons ».

Le ministre s’est, par ailleurs, refusé à commenter les déclarations devant une commission d’enquête parlementaire des ex-ministres de la santé Marisol Touraine, Roselyne Bachelot et Agnès Buzyn sur la gestion gouvernementale en matière de masques, dont la pénurie au début de l’épidémie de Covid-19 fait toujours polémique, relevant qu’il était lui-même convoqué le 28 juillet devant cette commission et lui « réservait [ses] commentaires ».

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Sur l’épidémie

Sur le déconfinement et ses enjeux

Le Monde avec AFP

« Ça va être la lessiveuse » : la difficile reconversion des salariés de l’habillement

Des salariés d’André, en redressement judiciaire, manifestent à Paris, le 30 juin.

Des milliers de familles sont dans l’attente. Partout, en France. Les 3 300 salariés de Camaïeu, au siège de Roubaix et dans les 634 magasins de l’enseigne exploités dans l’Hexagone, devront patienter jusqu’à fin juillet pour connaître qui, des sept candidats, reprendra le leader du prêt-à-porter féminin, à la barre du tribunal de commerce de Lille.

Chez André, enseigne en redressement judiciaire dont la moitié des magasins pourraient être repris par un ancien PDG, François Feijoo, près de 200 des 412 salariés savent déjà qu’ils risquent de perdre leur emploi. Le verdict tombera le 24 juillet.

Les 5 809 employés de La Halle seront eux fixés le 8 juillet. Le tribunal de commerce de Paris décidera alors quels candidats hériteront des 820 magasins de l’enseigne placée en redressement judiciaire à la demande de son actionnaire, le groupe Vivarte. Sur le compte Facebook de leurs représentants syndicaux, beaucoup déversent leur colère en s’interrogeant sur les modalités du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « Je ne vois pas d’indemnités supralégales », s’agace l’un d’eux. « On aura notre argent dans combien de temps exactement ? », demande un autre. A Montierchaume (Indre), Sandrine (les personnes citées dont le nom n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat), préparatrice de commandes au sein de l’entrepôt La Halle, s’inquiète de « se retrouver sur le marché de l’emploi à un moment où il y aura plein de plans sociaux ».

« Ça va être la lessiveuse »

En tout, au sein des enseignes Camaïeu, La Halle, André, Un jour ailleurs, Celio, Damart ou Devianne, ils sont déjà plus de 16 000 en France à s’interroger sur leur avenir. Et les prévisions du secteur se font plus alarmantes. Sur l’ensemble de 2020, les ventes d’habillement devraient enregistrer, en moyenne, un recul de 20 % par rapport à 2019, selon l’Institut français de la mode. Procos, la fédération pour la promotion du commerce spécialisé, qui regroupe des secteurs aussi divers que l’habillement, la restauration ou la jardinerie, craint que la crise liée à la pandémie de Covid-19, faute de mesures d’aides, n’entraîne la destruction de « 150 000 à 300 000 emplois en France en 2020-2021 et la fermeture de 50 000 points de vente ».

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Fragilisé par la baisse de la consommation depuis une décennie, le marché de l’habillement a déjà connu, en 2017-2018, une vague de licenciements chez Pimkie, La Halle ou Jules, ou lors de la liquidation judiciaire de New Look et Mim. Dans l’indifférence du monde politique. « On ne peut pas garder les métiers du passé. On ne peut pas garder la bougie quand l’électricité arrive », avait déclaré, en juin 2018, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, en jugeant qu’à l’heure de la vente en ligne il fallait investir dans la formation pour accompagner les salariés du commerce vers les « métiers du futur ».

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Repris par les quotidiens, Presstalis devient France Messagerie et se restructure

Dans les locaux de la SAD, à Marseille, pendant la troisième semaine d’occupation, le 25 mai.

Presstalis est sauvé. Le tribunal de commerce de Paris a entériné, mercredi 1er juillet, l’offre de reprise faite par les quotidiens français sur le premier distributeur de la presse en France. « Dès demain, France Messagerie devra travailler sans relâche pour pérenniser son modèle économique », a annoncé, dans un communiqué, Louis Dreyfus, président du directoire du Monde et représentant des quotidiens.

L’entreprise, née après la seconde guerre mondiale, va changer de visage. Rebaptisée « France Messagerie », elle n’emploiera plus que 269 personnes, contre un peu plus de 900 avant sa mise en redressement judiciaire, le 15 mai. Depuis, ses filiales régionales (la SAD et la Soprocom) ont été liquidées, entraînant la suppression de 512 postes. Un plan portant sur la réduction de 130 postes supplémentaires va encore être mené. La distribution sur tout le territoire n’est pas complètement rétablie : elle reste encore perturbée à Marseille. Louis Dreyfus promet de « poursuivre les discussions pour lever les derniers blocages ».

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127 millions d’euros

Si la restructuration est aussi importante, c’est que les magazines et les quotidiens, qui étaient jusque-là actionnaires de Presstalis, n’ont pas réussi à s’entendre sur le sauvetage de l’entreprise.

De nombreux magazines ont préféré rallier le concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (MLP). A l’image de CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours), dont le propriétaire, Daniel Kretinsky, est actionnaire indirect et minoritaire du Monde. Prisma (Voici, Femme Actuelle…) et Reworld (Biba, Marie France…) ont réduit de moitié le montant des ventes au numéro transitant par le distributeur et ne sont plus actionnaires de la structure.

Alors que Presstalis distribuait 75 % de la presse française, représentant plus de 1 milliard d’euros de ventes en kiosque, France Messagerie devra se contenter de 600 millions d’euros. « Mais c’est beaucoup plus que les 375 millions à 380 millions d’euros que nous visions », fait-on valoir au sein de France Messagerie.

Remettre à flot France Messagerie va coûter 127 millions d’euros. L’Etat a prévu d’injecter 80 millions d’euros, une somme qui s’ajoute aux 95 millions versés ces derniers mois dans Presstalis. Cette nouvelle enveloppe servira notamment à payer les 38 millions d’euros liés aux plans sociaux. Les 47 millions d’euros restants, financés par les éditeurs, seront consacrés en partie à d’autres départs : en 2022, les effectifs pourraient tomber à 215 salariés, selon le jugement du tribunal de commerce consulté par Le Monde.

France Messagerie n’est qu’une première étape : compte tenu de la baisse continue des ventes du papier, l’idée est, d’ici trois ans, soit de rapprocher France Messagerie des MLP, soit de l’adosser à un autre acteur de la logistique. En attendant, les éditeurs français ont perdu 139 millions d’euros de créances – les ventes réalisées avant le redressement judiciaire – dans la faillite de Presstalis.