Santé au travail : « faire parler » les data pour améliorer la prévention

Dans le secteur aérien, certaines compagnies confient de manière épisodique des bracelets connectés à des membres d’équipage volontaires. Les capteurs qu’ils contiennent permettent de suivre avec précision l’enchaînement de leurs phases d’activité et de repos. Grâce aux données collectées, il sera également possible d’analyser leur sommeil durant les nuits suivant une rotation avec décalage horaire.

Avec ces campagnes d’actimétrie, les entreprises du secteur poursuivent un objectif : estimer le plus finement possible le niveau de fatigue des équipes et les risques qui peuvent lui être associés. « Si ce niveau est jugé trop important, nous pourrons faire évoluer la façon dont nous opérons le vol, explique un commandant de bord qui a souhaité garder l’anonymat. Il sera par exemple décidé d’augmenter le temps de repos en escale, de rajouter un pilote dans l’équipage ou encore de changer d’hôtel afin de diminuer le temps de trajet depuis l’aéroport. »

L’exploitation des « data » (données) au service de la santé et de la sécurité des salariés ? C’est déjà une réalité dans le secteur de l’aviation. L’heure est en revanche seulement aux expérimentations dans la plupart des autres secteurs d’activité. Elles laissent entrevoir des applications prometteuses grâce, en particulier, au développement exponentiel des capacités de l’intelligence artificielle (IA). « Dans des environnements dangereux, un système d’IA entraîné avec des données captées à l’occasion d’accidents peut permettre d’anticiper des situations à risque », indique Yann Ferguson, sociologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique.

Autre voie explorée par la recherche : le développement d’équipements de protection individuelle connectés capables d’effectuer des mesures régulières de paramètres physiologiques des salariés (fréquence cardiaque, température corporelle…). Ces solutions permettent de donner l’alerte, en temps réel, en cas de fatigue ou de perte de vigilance du travailleur. De même, grâce à des capteurs, des données biométriques peuvent être analysées lors de certains mouvements ou ports de charge (avec la capacité de prendre en compte le cumul de poids porté) et prévenir l’apparition de troubles musculosquelettiques ou de lésions.

Avec prudence et attention

Autant d’applications qui pourraient s’implanter dans les entreprises dans les années qui viennent. Quelques étapes restent toutefois à franchir pour assurer leur déploiement optimal. « Il y a encore des problèmes de fiabilité », note M. Ferguson. Les systèmes d’aide à la décision vont souvent être paramétrés pour que l’utilisateur ne puisse pas passer à côté d’un risque. Résultat : ils vont parfois générer des “faux positifs”. » Des fausses alertes qui peuvent avoir un coût pour l’entreprise, la prédiction d’un risque d’accident pouvant entraîner l’arrêt de l’activité.

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Salaires : légère avancée sur les inégalités femmes-hommes dans le monde

Carnet de bureau. Quand il s’agit de réduire les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, les progrès sont tellement rares qu’ils méritent d’être salués. Dans l’actualisation de son rapport annuel sur l’emploi et les questions sociales 2024 publiée mercredi 4 septembre, l’Organisation internationale du travail (OIT) a en effet annoncé une légère hausse du ratio global du salaire des femmes par rapport à celui des hommes dans le monde. Concrètement, lorsque en 2005 « un homme gagnait un dollar par son travail, une femme ne touchait que 47 cents. En 2024, elle en reçoit 51,8. Ce qui reflète un modeste progrès », commente l’OIT.

Mais c’est « insuffisant », soulignent les auteurs du rapport préparé par le département de statistiques de l’OIT sous la direction de Rafael Diez de Medina. Et cette amélioration n’est pas uniforme. Les avancées sont en effet plus « importantes » en Europe ou en Asie qu’en Afrique, par exemple. Les Européennes toucheraient désormais 61,9 cents (quand un Européen reçoit l’équivalent d’un dollar) contre 53,9 cents en 2005, tandis qu’en Afrique, la part versée aux femmes a reculé sur cette même période de 34,9 à 34,7 cents pour un dollar payé aux hommes.

Quelle que soit la région, on est évidemment encore très loin de l’égalité salariale. Un autre calcul nous rappelle chaque année à l’automne que le sujet avance extrêmement lentement en France. « A partir du 8 novembre à 16 h 48, les femmes travailleront encore gratuitement cette année. Et ce jusqu’à fin décembre », affirme Rebecca Amsellem.

Cette docteure en économie, fondatrice de la newsletter féministe « Les glorieuses », traduit chaque année depuis 2016 l’écart salarial publié par l’office de statistiques européen Eurostat en nombre de jours, puis d’heures pour afficher ce que représente le travail gratuit des femmes. En 2023, avec un écart de salaire de 15,4 %, rapporté aux 251 jours ouvrés, ce sont ainsi 38,6 jours de travail que les femmes ont offerts malgré elles. En 2024, c’est seulement deux jours de moins.

Ségrégations professionnelles

Le calcul des « Glorieuses » a parfois été critiqué car l’écart de 15,4 % est seulement mesuré en équivalent temps plein pour toutes les entreprises de plus de dix salariés, mais pas à postes comparables – le taux descendrait alors à 4 %. « C’est certes une moyenne intersectorielle, mais c’est un symbole fort des inégalités salariales », souligne Mme Amsellem.

De fait, il souligne en creux le rôle des ségrégations professionnelles dans la persistance des inégalités. En France, les secteurs très féminisés de la santé et de l’éducation présentent de bons exemples du lien entre faibles revenus des femmes et répartition genrée des professions.

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Violence, manipulation, relation toxique… La dark romance fascine la jeune génération

L'écrivaine algérienne Sarah Rivens, lors de la 45ème édition du Livre sur la Place, à Nancy, le 9 septembre 2023.

Dans un immense manoir, Elea est retenue contre son gré par Aleksander, un homme d’affaires puissant à la tête d’un réseau de cybercriminels. Elle subit des tortures, dort dans une cage, est presque noyée dans un bain d’eau glacée et se fait poignarder la main. Le tout pour qu’elle révèle ses secrets à son tortionnaire. Pourtant, ces intrigues conduisent à une histoire d’amour passionnée entre les deux protagonistes. Un bon vieux syndrome de Stockholm.

Ce livre intitulé Games Tome 1. Le croque-mitaine (Chatterley), de l’autrice Okéanos S., appartient au genre littéraire de la dark romance. « Des histoires d’amour sombres qui flirtent avec les limites de la morale et de l’interdit, ici romance rime avec violence », peut-on lire sur le site des éditions BMR (Hachette), en guise de définition.

« L’idée est de pousser les curseurs de la passion plus loin avec une figure de masculinité toxique qu’on essaie de sauver malgré elle », décrypte Glenn Tavennec, directeur du label de romans populaires Verso (Seuil). Ces histoires violentes utilisent, selon lui, les « clichés » et la « fascination absolue de l’homme violent et de la femme soumise ». Un schéma qui se répète presque à l’identique dans chaque livre.

Succès commercial

Lectrice assidue, Angélina, 21 ans, parle plutôt d’une attirance pour l’« atmosphère pesante » et le « suspense » des histoires « de mafia et de gang ». Margaux, 21 ans, qui en a lu « une cinquantaine en deux ans », avoue, elle aussi, avoir succombé à « la tension persistante » présente dans les livres.

Et c’est un succès. La célèbre série de trois romans Captive (BMR), de Sarah Rivens, a dépassé le million d’exemplaires vendus en France. Le premier tome de Lakestone (BMR), de la même autrice, a, lui, été vendu plus de 200 000 fois. Ces livres sont relayés partout sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok sous le hashtag #booktok. Dans cette communauté virtuelle de lecteurs, les internautes, des jeunes femmes de 15 à 25 ans pour la grande majorité, partagent leurs avis sur leurs lectures. Et la dark romance n’y échappe pas.

Consciente que ces romans peuvent être lus par un public très jeune, Marie Legrand, directrice des éditions BMR, se défend : « On ne publie que de la dark romance psychologique, c’est-à-dire que le héros manipule et tourmente mentalement l’héroïne. Jamais on ne publiera un livre où il y a des viols ou de l’inceste, par exemple. »

Aucun problème, par contre, pour publier Captive, où l’héroïne, Ella, se fait brûler la main sur une plaque de cuisson par son « possesseur » John, dont elle finira par tomber amoureuse. « C’est gênant, mais ce n’est pas vraiment de la transgression d’interdits », justifie Mme Legrand. Dark romance ou romance sans violence, ces livres sont « forcément dans le rayon adulte », pour éviter que cela « tombe entre les mains d’un public non averti ». Les scènes de sexe, très explicites, « ne doivent pas construire la façon dont les plus jeunes envisagent leurs rapports amoureux », ajoute-t-elle.

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La new romance, ce genre populaire devenu un filon d’or pour l’édition

La romancière Colleen Hoover à la première du film « It Ends With Us » (« Jamais plus », en français), une adaptation de l’un de ses romans, à New York, le 6 août 2024.

Epicées par des scènes érotiques, les histoires fleur bleue entre une oie blanche envoûtée par un homme souvent dingue et parfois violent, mais qui finissent bien, ont pour qualité première de doper les chiffres de l’édition française. Selon la dernière étude de GFK NielsenIQ, ce genre littéraire – appelé la « new romance » – a représenté 1,8 % des livres vendus en 2023, soit 6 millions d’exemplaires. Et un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros.

Après un déclin constaté entre 2015 et 2020, ce segment se porte à merveille, puisqu’il a plus que doublé par rapport à 2022. L’offre s’enrichit et trouve son public – aussi bien des adultes que des adolescentes. Une particularité est également à noter dans cette étude : l’extrême concentration de ce marché sur les cent titres les plus populaires.

Au point où cinq autrices, les Françaises C.S. Quill, Emma Green (pseudonyme d’un duo de romancières) et Morgane Moncomble, l’Algérienne Sarah Rivens et l’Américaine Colleen Hoover – qui bénéficient de fans absolues sur les réseaux sociaux – peuvent se targuer d’écouler de 200 000 à plus de 1 million d’exemplaires chacun de leurs ouvrages. Le film Jamais plus, adapté du livre éponyme de Colleen Hoover et sorti le 14 août en salles, devrait d’ailleurs encore relancer les ventes de ce best-seller.

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« La croissance sera durable », veut croire Arthur de Saint-Vincent, directeur général délégué du principal acteur du marché, Hugo Publishing, filiale extrêmement rentable (avec 10 millions d’euros de bénéfice net en 2023 pour un chiffre d’affaires de 42 millions, selon les comptes déposés au tribunal de commerce de Paris) de la maison d’édition Glénat. Le dirigeant est persuadé que « si l’édition n’édite que pour les catégories socioprofessionnelles les plus élevées et ne s’intéresse qu’à un microcosme, elle mourra dans quelques années ». Hugo Publishing cible, selon lui, « à 95 % un public féminin, qui démarre désormais à 15 ans et non plus à 18 ans, en raison de l’effet conjugué de l’engouement pour la romance sur TikTok et de l’utilisation du Pass culture [300 euros versés aux jeunes à partir de la 6e pour acquérir des biens culturels] ».

Enorme machine marketing

L’énorme machine marketing mise en œuvre par Hugo Publishing se révèle parfaitement huilée, entre le Festival New Romance, événement annuel qui réunit le gratin des autrices mondiales et leurs lectrices les plus assidues – dont la huitième édition se tiendra du 1er au 3 novembre à Lyon –, et surtout, la plate-forme d’écriture Fyctia, qui compte 200 000 adhérentes. C’est dans ce vivier que l’entreprise découvre ses jeunes autrices. Elles continuent d’écrire leur histoire dès qu’elles reçoivent suffisamment de « likes » à chaque fin de chapitre. Un moyen radical de tester les lectrices avant de publier une nouveauté…

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Trop de normes tuent la norme

Gouvernance. Une alternative classique, en économie politique, oppose le « laisser-faire » à la réglementation. L’un promeut l’absolue liberté d’action individuelle, quand l’autre contraint les comportements par des standards communs.

C’est une fausse alternative, car, dans la pratique, aucune société, même la plus libérale, ne peut fonctionner sans des règles instaurant les droits et les devoirs, les conditions de fonctionnement des marchés ou des contrats. Le laisser-faire absolu est un mythe et, quand il se réalise, il n’instaure que le règne des mafias et des exactions.

Le véritable dilemme porte moins sur la nécessité des normes collectives que sur leur juste quantité. L’efficacité économique ou sociale liée aux réglementations suit, en effet, une courbe en forme de cloche : au début, grâce aux normes, les relations se fluidifient et deviennent plus efficaces. Les droits sont précisés, l’incertitude est réduite, la confiance s’établit entre les individus, car les règles qui président à l’échange, à l’innovation ou à une rivalité tolérable sont connues.

Application coûteuse

Mais il vient un point à partir duquel l’efficacité des réglementations ralentit, puis stagne : les règles toujours plus pointilleuses pour gérer une même situation se superposent et, inévitablement, se contredisent ; ce qui exige de nouvelles précisions réglementaires qui accroissent encore la complexité de la réglementation. Arrive enfin le moment où son efficacité décroît : plus on réglemente, moins les comportements vont dans le sens espéré.

Car non seulement les normes se contredisent, mais leur application est coûteuse en temps et en moyens. D’où une abstention prudente par peur d’enfreindre le droit. Pire, les contradictions entre les règles encouragent les combines pour y échapper. La lettre tue l’esprit des lois.

Cette courbe en cloche est bien connue par la recherche en gestion. L’absence de processus formalisés en entreprise autorise parfois des initiatives individuelles fécondes, mais elle mène aussi à des défaillances collectives. La standardisation de règles communes est essentielle tant à l’efficacité économique qu’à la justice organisationnelle. Mais trop de procédures détaillant d’innombrables « bonnes pratiques » étouffent la spontanéité et les innovations pour inspirer les désengagements et les opportunismes.

A l’échelle de la société, même courbe en cloche : ainsi, la réglementation écologique est nécessaire, mais son excès devient paralysant ; la protection des libertés civiques est inestimable, mais la prolifération de règles spécifiques les rend inopérantes et favorise, finalement, le non-droit.

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En France, une croissance « modeste » suspendue aux incertitudes

Dans un magasin, à Paris, le 25 juillet 2024.

Des images grandioses, un joli panier de médailles, un Paris méconnaissable et, pour clore en beauté, trois petits dixièmes de point de croissance. « L’héritage » des Jeux olympiques et paralympiques, sur lesquels le rideau est tombé, dimanche 8 septembre, se joue aussi sur le plan économique : l’Insee estime en effet que la croissance du produit intérieur brut (PIB) sera de 0,4 % au troisième trimestre (dont 0,3 point redevable aux ventes de billets pour les épreuves et aux droits télévisés). Cette impulsion sportive disparue, le quatrième trimestre s’annonce en négatif, à − 0,1 %. Au total, après une progression de 0,2 % sur chacun des deux premiers trimestres, l’économie française devrait croître de 1,1 % en 2024, a indiqué, lundi 9 septembre, l’institut de la statistique.

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Après un été d’incertitudes sur le plan politique, la rentrée se joue donc en mode atone, autant du côté de la consommation que de l’investissement. La croissance, depuis le début de l’année, provient essentiellement de deux postes : le commerce extérieur pour une part, les deux secteurs-clés que sont l’aéronautique et le naval poursuivant leur rattrapage après le trou d’air dû au Covid-19 ; et des dépenses publiques pour l’autre part, « la seule source de dynamisme de la demande intérieure », souligne Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture à l’Insee.

Dans ces conditions, les choix budgétaires à venir vont peser lourd sur les scénarios de croissance des prochains mois. Compte tenu de la nouvelle dégradation du déficit annoncée début septembre par Bercy (celui-ci atteint désormais 5,6 % du produit intérieur brut, PIB), une rectification de la trajectoire budgétaire apparaît inévitable.

« Les ménages restent prudents »

Le redressement des comptes publics peut prendre deux formes : une réduction de certaines dépenses ou une hausse de la fiscalité, par exemple, un relèvement de la TVA, de la CSG, ou bien la réintroduction de l’impôt sur la fortune. Une arme à manier – et à cibler – avec prudence. Car, plus que jamais, le comportement des ménages sera au cœur des équations économiques. « La reprise de la consommation se fait attendre, reconnaît M. Roucher. Les ménages restent prudents, et le taux d’épargne continue à augmenter. »

C’est l’une des raisons, d’ailleurs, du dérapage budgétaire, comme le rappelait Eric Heyer, directeur du département analyse et prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au micro de France Inter, samedi 7 septembre : « On a eu de la croissance [au premier semestre], mais pas de la bonne nature, expliquait-il. Le gouvernement s’attendait à plus de consommation et à moins d’exportations : cela se traduit par beaucoup moins de recettes de TVA. »

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Le monde « impitoyable » du travail vu par les étudiants

Des étudiants sur le campus de l’université Paris-Saclay, dans l’Essonne, le 17 septembre 2021.

Ils n’ont pas encore mis un pied dans le monde professionnel mais envisagent le pire. C’est ce qui ressort de l’étude sur « Le monde du travail vu par les étudiants du supérieur » de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), parue le 3 septembre. Selon celle-ci, réalisée au début de 2024 auprès d’un échantillon représentatif de quelque 600 jeunes de l’enseignement supérieur, plus de 8 étudiants sur 10 sont convaincus que le monde du travail est « exigeant », « compétitif » et « stressant ». Il serait même « autoritaire » pour 70 % d’entre eux, voire « injuste » (67 %) et même « impitoyable » (57 %). Université, école de management, école d’ingénieurs… : cette vision globale négative du travail serait partagée, expliquent les auteurs de l’étude, « par tous les étudiants, quels que soient le type d’établissement ou la filière dans laquelle ils évoluent ».

La défiance de ces jeunes vis-à-vis du monde professionnel s’illustre particulièrement dans leurs craintes pour s’insérer convenablement une fois leurs études terminées. Ainsi 63 % d’entre eux pensent qu’il leur sera difficile de trouver un emploi qui corresponde à leurs critères de choix (salaire, localisation, télétravail, etc.), 55 % qu’il sera difficile de trouver un emploi stable et 48 % de trouver un premier emploi tout court.

Des craintes en contradiction avec une « réalité de l’insertion professionnelle qui est plutôt favorable à ces jeunes » tempère, chiffres à l’appui, Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec. Le baromètre 2023 de l’organisme montrait en effet que 12 mois après l’obtention de leur diplôme, 88 % des bac + 5 étaient en emploi (dont 68 % en CDI). Avec pour le coup des différences selon les filières puisque cette insertion rapide sur le marché du travail concernait 92 % des diplômés en Sciences et en Droit, mais seulement 74 % pour ceux de sciences humaines. De quoi expliquer que ces derniers expriment plus de craintes sur leur insertion dans la dernière étude.

« Attentes fondamentales »

Au-delà de la question de leur insertion professionnelle, les étudiants expriment des craintes sur la qualité de leur futur travail : 37 % ont peur d’être « mal payés », autant d’avoir « trop de pression, de stress », 29 % craignent d’avoir un « mauvais équilibre vie personnelle-vie professionnelle » et presque autant de « ne pas trouver de sens » dans ce qu’ils font. Ces inquiétudes concernent « des attentes fondamentales qui sont aujourd’hui formulées par les actifs de tous les âges, pas seulement les jeunes », rappelle Pierre Lamblin. Une enquête de l’Apec avec le think-tank Terra Nova publiée en février 2024 battait ainsi en brèche les idées reçues autour d’un hypothétique nouveau rapport au travail qu’auraient les jeunes.

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« C’est un métier ! » : Les caissiers ne lâchent pas leurs caisses et étendent leur territoire

« C’est un métier ! »

Les caissiers vont-ils être rapidement remplacés par des machines ? C’est le serpent de mer de la grande distribution, depuis l’arrivée du e-commerce et des premières caisses automatiques en France. Vingt ans plus tard, cette profession existe toujours, même si ses effectifs ont légèrement maigri : selon la plate-forme Horizons Commerce, 135 992 personnes occupaient la fonction « caisse » au troisième trimestre 2023, soit 20 % des salariés de la grande distribution. Ce sont toujours à 90 % des femmes, souvent à temps partiel.

« Historiquement, il y avait 150 000 équivalents temps plein en caisse, précise Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales, de l’emploi et de la formation à la Fédération du commerce et de la distribution. C’est une érosion plus lente que ce qu’on aurait pu imaginer il y a dix ans. » Il faut ajouter à ce nombre quelques dizaines de milliers de caissiers hors du commerce de détail alimentaire.

Cependant, l’analyse des chiffres n’est pas si simple, car la profession glisse lentement vers la « polyactivité ». L’hôte de caisse assis à temps plein derrière son tapis n’est plus la norme. Tandis que le nombre de caissiers a chuté de 14,4 % entre 2016 et 2020, selon l’Insee, les effectifs généraux de la catégorie « vente, caisse, accueil » ont grimpé de 7 %. « En supermarché et supérette, l’employé de magasin fait la caisse, la mise en rayon, la cuisson du pain, le ménage… Il y a des heures de caisse, mais vous n’avez plus l’intitulé “caisse” sur votre fiche de poste », explique M. Giroudet.

Les erreurs des machines fréquentes

C’est aussi dans les petites surfaces que l’on retrouve davantage de clients utilisant les caisses automatiques… Qu’un salarié doit bien surveiller. Si leur nombre a certes explosé dans les commerces, elles n’ont pas offert de gains de productivité massifs, en particulier car les clients sont lents, et les erreurs des machines fréquentes. « Les employeurs veulent réduire la masse salariale, ils l’ont un peu fait, commente Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT-Services. Mais les technologies ont montré leurs limites, elles entraînent aussi beaucoup de vols. » D’où le besoin de mettre un humain aux manettes, pour contrôler parfois jusqu’à dix caisses en simultané.

Tandis que le patronat voit dans ces multiples tâches une meilleure employabilité pour ses salariés, les syndicats s’inquiètent d’une dégradation des conditions de travail. « Il y a de plus en plus d’employés polyvalents, notamment dans la lignée du fonctionnement des magasins Aldi, Action ou Lidl, relève Elhadji Niang, secrétaire fédéral de la CGT-Commerce. Or, ceux qui gèrent la caisse et les rayons nous disent être plus fatigués quand ils font les deux, et, surtout, sans évolution salariale ! »

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Le sérieux des offres d’emploi au cœur d’une passe d’armes entre la CGT et France Travail

Cinquante-cinq pour cent des offres d’emploi diffusées sur le site de France Travail seraient frauduleuses ou fictives et donc illégales. C’est ce qu’affirme la 17e étude menée par la CGT et publiée le 29 août.

La confédération syndicale se mobilise régulièrement pour vérifier l’exactitude des mentions contenues dans les offres. Ainsi, du lundi 26 au mercredi 28 août, le Comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires (CNTPEP) de la CGT a passé au crible 1 844 annonces et estimé que 1 022 étaient illégales au regard du code du travail.

A la suite d’une analyse lexicale, 80 % des offres incriminées ont été classées comme telles. « Par exemple, la mention “CDD pouvant déboucher sur un CDI” peut induire en erreur le candidat. Cela sous-entend aussi que l’employeur pourvoit son besoin permanent de main-d’œuvre en recourant à un CDD réservé par la loi à des besoins ponctuels. II s’agit donc d’une offre illégale », estime Pierre Garnodier, secrétaire général du CNTPEP-CGT.

Vingt pour cent des autres annonces incriminées résultent d’une opération de testing menée par des militants de la CGT qui ont appelé les employeurs en se faisant passer pour des candidats. Le syndicat a même enregistré des échanges téléphoniques avec des agences d’intérim où la durée des contrats annoncée pour un ou plusieurs mois se réduit comme peau de chagrin, voire se volatilise au fil de la conversation.

Une stratégie délibérée

Ces annonces fictives ou trompeuses résulteraient, à en croire la CGT, d’une stratégie délibérée. D’une part, il s’agit pour les entreprises d’intérim d’« appâter les travailleurs » en les incitant à présenter leur candidature à des missions de longue durée qui n’existent pas. Les intérimaires rechignent, en effet, à postuler sur les missions très courtes, peu attractives.

D’autre part, les annonces fictives permettent aux employeurs de se constituer un vivier de candidats dans lequel puiser en cas de pic d’activité, de désistement de dernière minute. « Mais les demandeurs d’emploi ne peuvent perdre de temps à éplucher des offres ne menant à rien… Il est donc primordial de ne pas les “balader” en vain, cela constitue un manque de considération », s’insurge Pierre Garnodier.

Les résultats de l’étude de la CGT tranchent avec ceux de l’étude menée en 2019 par France Travail qui relevait seulement 7 % d’irrégularités pour les 5 000 offres analysées sur son site. Il est vrai que les deux études, non contentes d’être menées sur deux périodes distinctes, diffèrent aussi sur le plan méthodologique. La CGT analyse les offres portant sur une douzaine de villes hors Ile-de-France (Brest, Toulouse, Caen, Bordeaux, Angers…), en se focalisant sur les secteurs de la santé, les services à la personne et l’industrie.

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« Réapprendre à faire grève » : face à un nouveau prolétariat, la culture syndicale à l’épreuve

Dans un hôtel, un conflit oppose des salariés à leur direction. En jeu : la requalification du contrat de travail en CDI de quinze d’entre eux, alors en CDD. Un délégué CGT a pris contact avec un avocat. Des procédures aux prud’hommes doivent être engagées. Le militant sollicite l’aide d’un permanent du syndicat. Celui-ci lui déconseille d’agir de la sorte et lui propose de l’accompagner dans l’organisation d’un débrayage. La perspective effraie le délégué : « Ouh là, la grève, moi, tu sais… » Il ne donnera pas suite.

Une telle situation est loin de représenter un cas isolé. Le rapport distancié à la grève est une réalité dans les rangs cégétistes de nombreuses entreprises. Les modalités d’action sont ainsi en évolution, au sein même du syndicat. C’est précisément l’objet d’étude de Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à l’université d’Aix-Marseille, dans son nouvel ouvrage, Réapprendre à faire grève (PUF).

L’auteur a réalisé durant deux ans un « travail d’observation ethnographique » au sein de l’Union syndicale du commerce et des services de Paris de la CGT. Il en livre les conclusions dans son essai, dévoilant l’approche du syndicalisme que porte un « nouveau prolétariat », très présent notamment dans les secteurs de la livraison, de la propreté ou encore de la logistique.

Riche en enseignements, l’immersion donne à voir les ressorts de l’engagement militant. Il s’agit avant tout de « se protéger de l’autoritarisme patronal ». « Le syndicat est prioritairement investi comme un espace d’accès à la protection et aux connaissances juridiques nécessaires pour faire valoir les droits des salariés », poursuit l’auteur.

Un accompagnement difficile

Ces militants du secteur des services n’ont bien souvent pas de « culture syndicale » et se trouvent démunis face à la perspective d’un conflit avec leur patron. La « convergence des luttes » apparaît comme un concept bien lointain. Et bien souvent, la grève l’est tout autant. « Un truc de vieux », « de combattants », « de fonctionnaires », jugent certains syndicalistes.

Face à ce constat, les permanents de l’union syndicale mènent un travail au long cours d’organisation et d’apprentissage de la grève. Ils insistent sur l’importance d’instaurer un rapport de force collectif dans l’entreprise avec, pour point d’appui, une vision classiste, la nécessité, aussi, de gagner la confiance des salariés, pour mobiliser et mener une lutte efficace. Exercice délicat dans des secteurs qui cumulent les handicaps pour implanter durablement une culture syndicale (morcellement des structures, précarité et volatilité de la main-d’œuvre, diversité des statuts d’emploi, personnalisation des rapports de pouvoir, fort antisyndicalisme des patrons…).

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