Intelligence artificielle : « Sam Altman va-t-il réussir à maintenir le cap de la double mission d’OpenAI ? »

Sam Altman, exclu d’OpenAI en novembre 2023, a fait un retour remarqué au conseil d’administration de la société, vendredi 8 mars. Un nouvel épisode des luttes de pouvoir au sein de la high-tech américaine ? Pas seulement. Ce retournement spectaculaire témoigne aussi des débuts, en partie chaotiques, d’un modèle d’organisation qui se cherche encore mais pourrait constituer l’avenir du capitalisme. La gouvernance d’OpenAI est en effet originale. Société à but non lucratif au départ, OpenAI s’était donné comme mission que « l’intelligence artificielle générale profite à l’ensemble de l’humanité ». Ce n’est que quelques années plus tard qu’une filiale marchande a été créée pour commercialiser les outils d’intelligence générative tels que ChatGPT, développés initialement pour le « bien commun ».

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Ce modèle d’organisation, atypique, s’apparente à d’autres approches tentant de combiner une vocation marchande et une mission d’intérêt général. Des firmes issues de tous secteurs, de Patagonia à Bosch en passant par les laboratoires Pierre Fabre ou la Macif, se sont également écartées du paradigme capitaliste traditionnel pour proposer de nouveaux modèles fondés sur la combinaison d’objectifs financiers mais aussi sociaux et/ou environnementaux.

Ce type d’entreprises « hybrides » peut-il devenir la norme ou du moins offrir une alternative crédible aux sociétés focalisées sur la seule maximisation du profit ? Les démêlés de Sam Altman, le PDG de la filiale commerciale d’OpenAI, avec les membres de son conseil d’administration, ont conduit certains à mettre en doute la viabilité même de ces nouveaux modèles.

Toutefois, nos recherches, menées depuis vingt ans, montrent le potentiel considérable de telles organisations, capables de redonner du sens à l’activité économique, à condition que leur gouvernance – et notamment leurs conseils d’administration – respecte quelques principes-clés (« An integrative model of hybrid governance. The role of boards in helping sustain organizational hybridity », Anne-Claire Pache, Julie Battilana et Channing Spencer, Academy of Management Journal, 17 janvier). Le conseil d’administration de ces structures doit d’abord refléter véritablement la dualité de leur projet, réunissant à la fois des membres dotés d’une expérience au service de l’intérêt général, capables de promouvoir les objectifs sociétaux et environnementaux, et d’autres, issus du monde de l’entreprise, familiers des enjeux commerciaux et financiers.

Limiter les tensions

Bien sûr, la cohabitation de ces deux types de profils au sein des conseils d’administration peut être source de conflits. La crise de gouvernance d’OpenAI illustre ces risques. Les tenants de l’intérêt général au sein du conseil d’administration, inquiets du tournant commercial pris par l’entreprise dopée par le succès fulgurant de ChatGPT, ont provoqué l’exclusion de Sam Altman. Limiter de telles tensions tout en assurant la poursuite conjointe des objectifs sociaux, environnementaux et financiers n’a rien de simple, mais les présidents de ces conseils d’administration ont des moyens d’agir.

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Intelligence artificielle : « L’humain, qui est le point de départ de tout dispositif numérique, doit rester le point d’arrivée »

Il n’y a plus un discours sur l’innovation, le numérique et sur l’intelligence artificielle (IA) qui ne fasse pas de « l’humain » la pierre angulaire de sa raison d’être. La vision « humano-centrée » fait de la technologie un outil à son service. Y compris le rapport « IA : notre ambition pour la France » remis au président de la République le 13 mars par la commission de l’intelligence artificielle, dont un chapitre est titré « Humanisme : plaçons l’IA à notre service ». Cela est louable, incontestable, irréfutable. Mais c’est à la fois une vision réductrice de l’IA et une acception bien précise du mouvement humaniste.

D’abord, un objet ou un service numérique n’est pas – et n’a jamais été – un simple outil. Internet, les réseaux sociaux et l’IA sont des dispositifs sociotechniques et politiques conçus par des humains. Or, à force de calculs (intentionnel, mathématique, éthique, moral, financier…), le numérique les rend invisibles. Il faut donc « ouvrir le capot » des calculs pour que l’humain, qui est le point de départ de tout dispositif numérique, en reste le point d’arrivée.

Ensuite, l’humanisme qui sous-tend le progrès par l’IA, tel qu’il est décrit dans le rapport de la commission, s’apparente plus à un humanisme existentialiste, axé sur l’individu, la liberté de choix et la responsabilité personnelle, qu’à un humanisme tel qu’il peut être admis dans le langage courant, synonyme de bienveillance, d’altruisme, et d’un souci pour le bien commun, dans une perspective globale, et non locale. A cet égard, l’humanisme évoqué s’arrête aux frontières de la nation, et au pourtour de l’individu.

Culture commune

Mais affirmer avoir une préoccupation pour l’humain, c’est devoir s’acquitter d’une responsabilité envers lui. Les concepteurs de systèmes d’IA doivent être sensibilisés aux conséquences sociales, cognitives, éthiques ou encore environnementales que leurs choix techniques engendrent. Quand un immeuble s’effondre, la responsabilité de l’architecte est étudiée. Quand un algorithme favorise la désinformation ou amplifie de multiples risques psychosociaux, qu’en est-il de la responsabilité de son ou de ses architectes ?

Pour cela, les fondamentaux des sciences et des techniques, de l’anthropologie et de la sociologie doivent être enseignés plus largement qu’ils ne le sont dans les cursus techniques. Le partage d’une telle culture commune permettrait également de sortir des rêves technicistes et des amalgames hâtifs qui font de toute vague de nouveaux usages une nouvelle révolution.

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« Sommes-nous encore capables d’éviter d’introduire l’IA dans les organisations du travail sans réel esprit critique ? »

Le 13 mars, la commission de l’intelligence artificielle, coprésidée par l’économiste Philippe Aghion (Collège de France) et Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’Ecole normale supérieure, a rendu sa copie à Emmanuel Macron. Cœur de la quatrième révolution industrielle, l’intelligence artificielle (IA) serait porteuse de promesses de croissance, de productivité, d’emplois, de gains de temps et de montée en compétence pour les travailleurs. S’ensuit la rhétorique technoscientifique, bien connue depuis des décennies, mettant en garde contre un « risque de déclassement économique » qui guetterait la France faute d’avoir pris le train à temps. Il y aurait donc urgence à agir.

L’élément le plus original du rapport vient sans doute de la présence dans la commission de Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT cadres, unique représentant des salariés parmi ses membres essentiellement issus du monde du numérique. Ce qui a enfin permis d’aborder les questions de dialogue social par rapport au déploiement d’un système d’IA. Il y a en effet urgence à agir si nous ne voulons pas créer une fracture sociale sans précédent. D’autant que, comme l’affirme la sociologue Dominique Méda, « le monde du travail est déjà en crise » et nombre de salariés, employés ou cadres, et d’agents publics s’interrogent sur le sens du travail qui est aussi, comme le soulignent les chercheurs Coralie Perez et Thomas Coutrot, un enjeu majeur de santé publique.

Lire l’analyse de la chercheuse pour le projet du Liepp : | Article réservé à nos abonnés La transformation des organisations du travail en France, un défi qui reste à relever

Il est irréfutable que l’innovation technologique est un des moteurs de la croissance, mais il est tout aussi vrai que l’innovation sociale est indispensable à l’équilibre sociétal. Cet aspect social et sociétal est un enjeu primordial pour le futur de notre pays. Certes, l’enjeu de compétitivité et de souveraineté existe bien dans le rapport de la commission, mais comment peut-on envisager de plaquer sur les organisations, publiques ou privées, une innovation technologique controversée, aux conséquences profondes sur leur fonctionnement, dans un environnement social délétère ?

Nouvelle dynamique sociale

Pourtant, il est à noter que de nombreux organismes ont réalisé d’importants travaux, tel Sciences Po Paris avec sa médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » relayée par Le Monde et une conférence du Conseil économique, social et environnemental. Il est ainsi régulièrement démontré qu’une des caractéristiques de la France en matière de fonctionnement des organisations est le peu d’autonomie laissée aux salariés tant sur les objectifs de travail qui leur sont fixés que dans la participation aux décisions concernant leur travail. Quant à la santé psychique des salariés, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa a souligné la « pandémie » de burn-out qui sévit dans les pays occidentaux.

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Assurance-chômage : fin 2023, l’administration avait alerté l’exécutif sur les risques d’une nouvelle réforme

Dans sa volonté de réformer l’assurance-chômage, le gouvernement peine à trouver des soutiens. Sans surprise, les syndicats sont farouchement opposés à un nouveau durcissement des conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Beaucoup d’économistes critiquent également le bien-fondé d’un tel projet, tout comme plusieurs figures de la majorité. Mais, fait plus inattendu, des réserves ont aussi été émises par l’administration, bien avant que la polémique n’éclate.

Dans une note révélée par Mediapart, le 28 mars, et que Le Monde s’est procurée, l’exécutif a été mis en garde, dès l’automne 2023, par deux services du ministère du travail : la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). A l’époque, l’hypothèse d’un tour de vis supplémentaire pour les chômeurs n’était pas ouvertement évoquée. Mais l’Elysée y songeait déjà, comme le montre le document de six pages produit par les agents de l’Etat, qui n’est pas daté mais remonterait à septembre ou octobre 2023. Interrogés sur l’éventualité d’un nouveau raccourcissement de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi, les auteurs de la note considèrent qu’une telle idée est « peu opportun[e] ».

Cette expertise répond à « une commande faite dans le contexte de l’automne 2023, qui était celui d’un possible échec de la négociation paritaire sur la convention d’assurance-chômage », a précisé la ministre du travail, Catherine Vautrin, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, mercredi 3 avril. Gestionnaires du régime d’indemnisation par le biais de l’Unédic, les partenaires sociaux avaient engagé, il y a sept mois, des discussions qui débouchèrent, le 10 novembre 2023, sur un accord remaniant les paramètres de l’assurance-chômage.

« Différence de traitement »

Avant ce compromis, la Dares et la DGEFP ont donc été sollicitées pour examiner un scénario « privilégié par le président de la République » : réduire, une fois de plus, la période durant laquelle les personnes privées d’emploi reçoivent une prestation. Une telle mesure avait déjà été mise en œuvre par l’exécutif, en février 2023, au nom du principe de la « contracyclicité ». Le but affiché était de prévoir des dispositions plus sévères pour les chômeurs quand l’économie va bien et plus généreuses quand l’activité pique du nez. Résultat : la durée d’indemnisation, pour les personnes de moins de 53 ans, avait été ramenée de vingt-quatre à dix-huit mois. Le projet envisagé par Emmanuel Macron était d’abaisser encore plus ce curseur, à quatorze mois et demi, l’objectif étant d’« inciter davantage » à la reprise rapide d’un poste.

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« L’IA n’est pas considérée comme une solution parmi d’autres, mais comme la solution à tous les problèmes de l’organisation du travail »

On sait combien l’intelligence artificielle (IA) suscite de craintes, de fantasmes ou de promesses, avec des répercussions importantes sur l’emploi, mais plus encore sur le travail et le bien-être des salariés.

Les choix de conception et d’implantation de ces technologies émergentes dans les organisations répondent trop souvent à une logique « technosolutionniste », qui s’inscrit dans un paradigme déterministe et performatif. Autrement dit, l’IA n’est pas considérée comme « une » solution possible parmi d’autres, mais est posée d’emblée comme « la » solution à tous les problèmes de l’organisation. Elle devrait générer, par sa seule présence, des gains de productivité (notamment intellectuelle), une créativité et un engagement subjectif plus conséquents, et rendre plus attractif le travail par une sorte de réenchantement du monde professionnel.

L’imaginaire social associé à l’IA générative repose d’ailleurs sur l’idée qu’elle allégerait le coût cognitif du travail, en prenant en charge les tâches les plus répétitives et rébarbatives pour permettre à l’individu de se réinvestir dans des pratiques à plus haute valeur ajoutée. Or, ces tâches, que l’organisation perçoit comme futiles, peuvent représenter un intérêt pour le salarié : soit parce qu’elles lui donnent la possibilité de se reposer mentalement (en fonctionnant en mode automatique), d’imaginer et d’innover (par du vagabondage intellectuel), ou bien encore d’avoir l’impression d’avancer dans son travail (dans une activité globalement entravée).

Par ailleurs, on s’aperçoit que ces technologies peuvent également être utilisées comme un « cheval de Troie » pour justifier des changements (organisationnels ou professionnels) plus acceptables lorsqu’ils sont instillés par ces outils que lorsqu’ils émanent d’humains. Ainsi, la sélection à l’université a été rendue possible par les plates-formes algorithmiques (Parcoursup, Mon master), alors que celle-ci a toujours été un sujet hautement inflammable…

Idéologie managériale

Comme l’ont démontré les recherches en sciences humaines et sociales à chaque fois qu’elles ont eu à œuvrer dans l’accompagnement de transformations numériques, les démarches de conception oublient régulièrement d’associer les usagers finaux, qui sont pourtant les premiers destinataires de ces outils. La réalité de leur travail n’est jamais prise en compte, et les conditions d’intégration de ces dispositifs dans des systèmes toujours complexes ne font l’objet d’aucune concertation.

Diverses raisons expliquent cette indolence. D’abord, les professionnels sont trop souvent perçus comme la variable d’ajustement ou, pis, comme les exécutants dociles d’une IA qui devient le maître de ceux qu’elle était censée servir, dans une sorte de soumission à l’autorité technique. Ensuite, ces outils sont pensés comme le bras armé du projet organisationnel ou de l’idéologie managériale par lequel les firmes s’assurent que les procédures et les normes sont bien appliquées, notamment dans les nouveaux contextes hybrides de travail où l’activité s’invisibilise et s’individualise. Cette approche très descendante du projet technologique peut se résumer par cette formule de l’Exposition universelle de Chicago de 1933 : « La science découvre, l’industrie applique et l’homme suit. »

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La chaîne The Body Shop placée en redressement judiciaire en France

A leur tour, les magasins The Body Shop exploités en France sont dans la tourmente. La chaîne britannique aux 900 points de vente et 1 600 franchises dans le monde était déjà sur le point de tirer le rideau de ses 75 magasins exploités au Royaume-Uni. En France, sa filiale a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris, jeudi 4 avril. L’entreprise, qui exploite 66 points de vente dans l’Hexagone et emploie 266 salariés entre dans une période d’observation de six mois. The Body Shop était détenue depuis 2017 par le brésilien Natura & Co, avant d’être repris en novembre 2023 par le fonds allemand Aurelius, faute de candidats industriels à son rachat. Fondée en 1976 à Brighton par Anita Roddick, cette chaîne spécialisée dans la cosmétique naturelle − la première à avoir renoncé aux tests sur les animaux − avait été achetée par le groupe L’Oréal en 2006 qui s’en était séparé, à perte, pour 1 milliard d’euros onze ans plus tard.

Assurance-chômage : Gabriel Attal « assume totalement » sa réforme et défend un modèle social « davantage tourné vers l’activité que vers l’inactivité »

Gabriel Attal dans son bureau, à Matignon, le 4 avril 2024.

Gabriel Attal tâche de rectifier le tir. Ce jeudi 4 avril, lorsque le premier ministre reçoit Le Monde, les fenêtres de son bureau, au premier étage de l’hôtel de Matignon, sont grandes ouvertes. Le temps printanier vire à l’orage. Au sens propre, comme au figuré. La réforme de l’assurance-chômage, que le locataire de la Rue de Varenne a annoncé, une semaine plus tôt, suscite les critiques de toute part. L’opposition de gauche reproche au gouvernement de faire des économies « sur le dos des chômeurs ».

La fronde atteint le camp présidentiel. Des voix s’élèvent, comme celles de la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet et de l’ex-première ministre Elisabeth Borne, aujourd’hui députée du Calvados, s’étonnant d’une réforme qui contredit l’esprit contracyclique de celle de 2023 – le projet du premier ministre pourrait réduire la durée des allocations alors que le chômage repart à la hausse. Le débat s’envenime. La veille, en conseil des ministres, Emmanuel Macron s’en est inquiété, appelant à remettre du « sens » dans le récit de l’action gouvernementale.

Gabriel Attal s’exécute. « Ce n’est pas une réforme d’économie, c’est une réforme d’activité et de prospérité », assure le premier ministre. Si ce projet a été révélé au même moment que l’annonce d’un déficit budgétaire hors des clous, à 5,5 % du produit intérieur brut, c’est pur hasard. L’initiative, programmée, figurait dans la litanie de mesures promises par le chef du gouvernement lors de sa déclaration de politique générale, en janvier.

« J’assume totalement. J’ai été nommé pour agir. Il y aura une réforme de l’assurance-chômage en 2024 », affirme le locataire de la Rue de Varenne, qui assure avoir l’appui d’une majorité de députés de son camp. Depuis son arrivée à Matignon, Gabriel Attal a reçu quelque 150 élus de la coalition présidentielle et s’est encore entretenu avec une trentaine de députés de sensibilité de droite, mercredi soir, qui lui ont garanti leur soutien.

L’esprit de la réforme est de parvenir au plein-emploi, Graal macroniste, dit-il. « On est passé [depuis 2017] de 9,6 % à 7,5 % de chômage. Cette baisse historique, on ne l’a pas obtenue par magie. C’est le fruit, de nos réformes, notamment de l’assurance-chômage », lâche-t-il.

Répondre aux préoccupations des Français

En réponse à Elisabeth Borne qui vante dans un tweet publié le matin même les bienfaits de sa précédente réforme contracyclique, le chef du gouvernement signale qu’« il est attaché à rester dans cette logique-là tout en en faisant évoluer les paramètres ». Et il souligne que « la Banque de France anticipe un fort rebond économique en 2025, quand la réforme entrera pleinement en vigueur ».

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Sophie Binet, leader de la CGT : « Le projet de réforme de l’assurance-chômage est d’une injustice totale »

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, au siège de l’organisation syndicale, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 3 avril 2024.

Alors que Gabriel Attal a annoncé une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, critique vivement le projet du premier ministre. Et annonce que son syndicat ne devrait pas signer l’accord voulu par le gouvernement pour un « nouveau pacte de la vie au travail », dont la négociation s’achève le 8 avril.

Le premier ministre, Gabriel Attal, veut que le modèle social incite davantage au travail, pour atteindre le plein-emploi. Que pensez-vous de cette orientation, présentée comme une réponse au chômage qui augmente depuis un an ?

Le gouvernement n’a plus aucun argument pour défendre une cinquième réforme contre les chômeurs. La justifier au nom de la dette ne tient pas, puisque les comptes de l’Unédic, l’association paritaire qui gère le régime, sont dans le vert. Pire, le gouvernement se contredit par rapport à son précédent discours : en 2022, il nous avait expliqué qu’il était nécessaire d’avoir une assurance-chômage contracyclique, avec des protections qui reculent quand la croissance s’améliore et l’inverse lorsque la conjoncture se dégrade.

Alors même que les destructions d’emplois se multiplient ces derniers mois, le pouvoir en place nous certifie désormais qu’il faut encore durcir les règles d’indemnisation. Quant à l’idée selon laquelle il faudrait baisser les droits des chômeurs pour créer de l’emploi, elle n’est pas plus crédible, aucun économiste n’établissant une telle relation de cause à effet.

Le gouvernement objecte que c’est une réforme en faveur de l’activité et pour la prospérité, et que l’accent va être mis sur l’accompagnement des chômeurs, notamment avec la réforme du revenu de solidarité active…

Ce sont des mensonges, ça s’appelle du marketing. Il n’y a aucune mesure concrète pour mieux accompagner les privés d’emploi. On demande aux conseillers de France Travail [anciennement Pôle emploi] de concentrer leur énergie sur le contrôle et les sanctions, au lieu d’épauler les personnes dans la construction de leur projet professionnel. Cela engendre une souffrance très grande parmi les équipes, car on leur demande d’accomplir un travail contraire à leur mission de service public de conseil et d’accompagnement.

Cette nouvelle attaque contre l’assurance-chômage rejaillit sur l’ensemble des salariés. La finalité de cette réforme, c’est de forcer les gens à accepter n’importe quel poste et de généraliser les petits boulots. Le gouvernement s’inspire des politiques de Gerhard Schröder en Allemagne et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni.

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Pourquoi instaurer le congé menstruel en France ne fait pas l’unanimité : comprendre en trois minutes

Favoriser le télétravail ou accorder un jour de congé supplémentaire pour les femmes souffrant de règles douloureuses : cette idée fait son chemin en Europe et en France ces derniers mois. Une proposition de loi, inspirée de la loi espagnole adoptée en février 2023 et examinée jeudi 4 avril en séance à l’Assemblée nationale, propose d’en faire un droit.

S’il était voté, le texte porté par le député écologiste Sébastien Peytavie accorderait jusqu’à treize jours de congé annuels aux femmes souffrant de crampes menstruelles, sans délai de carence, et sous réserve d’un certificat médical en cas de « règles incapacitantes ».

Une poignée d’entreprises françaises, comme Carrefour, et des collectivités locales ont déjà annoncé qu’elles accorderaient jusqu’à un jour de congé supplémentaire par mois aux femmes concernées. Mais la proposition de loi rencontre aussi l’opposition du Medef, de la majorité sénatoriale, qui a rejeté un texte similaire début février, ou encore d’associations féministes.

Dans cette vidéo, nous examinons les arguments promus par les partisans d’un congé menstruel et les réserves formulées par ses opposants. Et pour savoir pourquoi la municipalité de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) a mis en place cette disposition, nous vous invitons à lire l’article ci-dessous.

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« Gabriel Attal sait très bien que la semaine “en quatre jours” n’est pas la semaine “de quatre jours” »

« Le travail est le premier combat du gouvernement », a déclaré Gabriel Attal, à l’ouverture du séminaire gouvernemental organisé le 27 mars, sur le ton martial qu’on lui connaît désormais. Un séminaire qui a fait suite aux annonces proférées lors de sa déclaration de politique générale, parmi lesquelles figuraient la réforme du revenu de solidarité active et la suppression de l’allocation de solidarité spécifique – deux mesures à l’effet très hypothétique sur le travail –, ainsi que l’expérimentation de la semaine en quatre jours dans les administrations des ministères. A ces mesures, confirmées mais non détaillées lors du séminaire, s’est ajouté un nouveau projet de réforme de l’assurance-chômage, destiné à « inciter à la reprise d’emploi ». Si le « travailler mieux » avait pu furtivement apparaître comme une visée de l’exécutif, c’est donc finalement le « travailler plus » qui apparaît comme le mot d’ordre du gouvernement.

Peu importe, en définitive, la formule retenue par l’exécutif. Dans un cas comme dans l’autre, ces expressions ne font que masquer une incompréhension sidérante de ce qui se joue en ce moment au travail, et par conséquent une incapacité à mener une politique du travail (« du travail » oui, et non seulement « de l’emploi ») digne de ce nom.

Car les mutations récentes du travail nécessitent bien un encadrement politique. Au cours des dernières décennies, les conditions de travail des Françaises et des Français se sont transformées de façon drastique, sous l’effet d’évolutions technologiques et managériales qui se traduisent essentiellement par la dématérialisation du travail (travail à distance, management algorithmique) et par l’externalisation des tâches non directement productives (nettoyage et maintenance des infrastructures, notamment). Ces transformations ont conduit à l’apparition de nouvelles modalités de travail, parmi lesquelles : le télétravail, le travail de plate-forme (celui des chauffeurs de VTC ou des livreurs de repas), ou encore la sous-traitance du travail du soin (celui des choses aussi bien que des vivants).

Ambiguïté sémantique

M. Attal croit-il sincèrement accompagner politiquement ces transformations en déclarant vouloir que, « désormais, dans l’Etat, les personnels d’entretien qui le souhaitent puissent travailler aux mêmes horaires que tout le monde » ? L’exécutif croit-il avoir suffisamment encadré l’émergence du télétravail, qui soulève, au-delà des questions matérielles et organisationnelles liées à sa mise en place opérationnelle, des questions politiques liées notamment aux inégalités sociales, générationnelles et de genre ? Et le gouvernement français a-t-il cru illustrer son souci du « travailler mieux » en bloquant, le 11 mars, la directive européenne qui visait à requalifier les emplois des chauffeurs VTC et livreurs de colis ou de repas, aujourd’hui abusivement qualifiés d’« indépendants » par les plates-formes qui les font travailler ?

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