« Quand vous n’avez pas de boulot, vous vous sentez en marge de la société » : chez les chômeurs, la crainte d’un nouveau durcissement de l’assurance-chômage

Après avoir occupé pendant « plus de vingt ans » divers postes dans les ressources humaines, Dominique (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom) se retrouve désormais « de l’autre côté », celui des demandeurs d’emploi, à la suite d’un licenciement économique en novembre 2023. Une fois passé le « choc psychologique » lié à la perte de son poste et après une expérience non concluante de quelques semaines en début d’année, cet ancien responsable de recrutement de 55 ans s’astreint à conserver un quotidien qui s’apparente « à de vraies journées de travail ».

Dès l’aube, Dominique épluche les offres d’emploi, postule à certaines d’entre elles, relance des recruteurs, se rend à des entretiens, tout en se tenant informé des sujets d’actualité de son secteur, « comme actuellement sur l’intelligence artificielle ». A la fin de ses journées, ce père de famille note sur son ordinateur toutes les actions entreprises « pour [se] donner l’impression [qu’il n’a] pas passé [sa] journée à ne rien faire », avant de préparer une « to do list » des tâches à réaliser le lendemain : « C’est une façon de fonctionner un peu excessive, mais je veux absolument retrouver un job. »

Alors quand le premier ministre, Gabriel Attal, annonce une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et l’augmentation des contrôles pour « inciter davantage à la reprise d’emploi » en arguant que « le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité », Dominique se demande si l’exécutif « considère bien le côté psychologique d’être au chômage ». « On n’est pas là à ne rien faire et à attendre que ça passe, se justifie-t-il. Le travail permet de structurer chaque être humain, quand vous n’avez pas de boulot, vous vous sentez en marge de la société. »

La volonté du premier ministre de durcir à nouveau les règles de l’assurance-chômage en proposant de réduire la durée d’indemnisation, de réduire le montant ou d’augmenter le temps de travail nécessaire pour bénéficier d’une indemnité a ainsi été perçue par bon nombre de personnes en recherche d’emploi comme un nouveau coup rude reçu dans un chemin déjà semé d’embûches.

Au chômage et percevant le revenu de solidarité active (RSA), Anne-Laure, déplore, elle, « un discours qui culpabilise les plus précaires ». « S’il y avait vraiment un véritable accompagnement, d’accord. Mais il n’y a même pas ça », rejette cette ancienne secrétaire de rédaction de 60 ans, qui reproche notamment à France Travail un manque de suivi régulier. Cette Francilienne s’est vu proposer par son conseiller un poste de cheffe de mission comptable, « alors [qu’elle n’a] aucune expérience dans la comptabilité », avant d’être orientée vers une formation pour devenir agent de sécurité à l’occasion des Jeux olympiques. « Je me retrouve à être dirigée vers quelque chose qui ne me correspond pas, mais bon ça me permettra de travailler… », explique-t-elle, avec un certain fatalisme.

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Percée historique du grand syndicat automobile américain UAW dans le sud des Etats-Unis

L’usine Volkswagen de Chattanooga (Tennessee, Etats-Unis), le 19 avril 2024.

A six mois de l’élection présidentielle américaine, la victoire est majeure pour la gauche. Le syndicat automobile UAW (United Auto Workers) est parvenu pour la première fois à syndiquer l’usine d’un constructeur étranger dans un des Etats du sud des Etats-Unis. En effet, 2 628 salariés de Volkswagen, soit 73 % des votants, ont approuvé la syndication de leur usine de Chattanooga dans le Tennessee. Le vote, étalé sur trois jours, s’est achevé vendredi 19 avril. Il s’est déroulé à bulletin secret sous la supervision fédérale du National Labor Relation Board. La participation a atteint 83 %.

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Ce scrutin fait partie d’une campagne massive (40 millions de dollars) de conquête des usines non syndiquées d’une douzaine de constructeurs européens et asiatiques implantés dans le sud des Etats-Unis, mais également des usines Tesla. L’offensive a été déclenchée à la suite de la grève victorieuse menée par le nouveau patron de l’UAW, Shawn Fain, à l’automne 2023 contre les trois constructeurs historiques de Detroit, les fameux Big Three (Ford, General Motors, Stellantis ex-Chrysler).

Après avoir obtenu des hausses de rémunérations cumulées supérieures à 25 % sur quatre ans, un salaire horaire atteignant 42 dollars de l’heure, l’UAW a estimé qu’il avait le vent en poupe. « Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les “Big Three” », mais avec les « Big Five » ou « Big Six », avait déclaré Shawn Fain en novembre 2023 . Vendredi 19 avril, le syndicaliste a vu sa stratégie confortée « Ce soir, vous avez tous fait un pas de géant et historique », a déclaré M. Fain, en célébrant la victoire de Chattanooga : « Mettons-nous au travail et gagnons davantage pour la classe ouvrière de cette nation. »

Depuis des mois, le syndicat jouit du soutien politique de Joe Biden. Le président démocrate s’était en effet déplacé sur un piquet près de Detroit, une première pour un président des Etats-Unis. Immédiatement après le vote clos vendredi, M. Biden a envoyé ses « félicitations aux travailleurs de Volkswagen à Chattanooga », se disant « fier » d’être « à leurs côtés ».

Une lame de fond

Joe Biden, qui se prévaut d’être le président le plus pro-syndicat des Etats-Unis, y voit une lame de fond. « Partout dans le pays, les travailleurs syndiqués ont enregistré des victoires et des augmentations importantes, notamment les travailleurs de l’automobile, les acteurs, les travailleurs portuaires, les camionneurs, les écrivains… », a déclaré M. Biden. Le président américain estime que ces victoires se répercutent sur l’ensemble de la classe moyenne. Le candidat à sa réélection s’en est pris aux gouverneurs républicains des Etats concernés, accusés de « saper » le processus de syndication.

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Aux Etats-Unis, les salariés de Volkswagen votent pour la constitution d’un syndicat UAW dans le Tennessee

L’usine d’assemblage Volkswagen de Chattanooga (Tennessee, Etats-Unis), le 19 avril 2024.

Les salariés de Volkswagen dans l’Etat américain du Tennessee ont voté à une large majorité pour la constitution d’un syndicat, selon des résultats communiqués vendredi 19 avril par le constructeur automobile.

Les salariés de l’usine de Chattanooga ont voté à 73 % pour être représentés par le syndicat de l’automobile United Auto Workers (UAW). Jusqu’ici, le syndicat n’était parvenu à s’implanter chez aucun des constructeurs non américains, qui ont, dans leur immense majorité, élu domicile dans des Etats du sud des Etats-Unis.

Un prochain scrutin prévu dans l’Alabama

« Les travailleurs de Volkswagen viennent d’entrer dans l’histoire ! », a déclaré l’UAW dans un message publié sur X. Après une négociation réussie chez les trois géants américains du secteur, le puissant syndicat de l’automobile a l’ambition de s’étendre aux constructeurs étrangers présents aux Etats-Unis.

Outre Volkswagen, l’UAW a déposé une demande pour la tenue d’un scrutin sur le site de Mercedes-Benz à Vance, dans l’Alabama, qui aura lieu du 13 au 17 mai, a annoncé cette semaine le National Labor Relation Board, chargé de l’application du droit du travail.

Le Monde avec AFP

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Dominique Méda, sociologue : « Il est essentiel d’anticiper et d’accompagner les transformations des modes de production de la transition écologique »

Les mouvements de colère contre les mesures environnementales, largement soutenus par des partis politiques qui aiment répéter que la France ne représenterait que 1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, se multiplient et touchent désormais des catégories professionnelles et sociales de plus en plus nombreuses. Le risque est grand de voir le Pacte vert européen, qui n’était pourtant pas parfait et méritait d’être complété, largement détricoté à la suite des élections de juin alors que les nouvelles du front climatique sont de plus en plus alarmantes. Cette remise en cause, qu’elle prenne ou non des formes protestataires, est très souvent liée à la question de l’emploi et aux craintes légitimes que suscitent les transformations des modes de production exigées par la lutte contre le changement climatique et en faveur de la santé des populations.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’anticiper et d’accompagner ces transformations. La notion de transition « juste » sert précisément à souligner que celles-ci ne doivent pas se faire au détriment de ceux qui travaillent dans les secteurs appelés à être restructurés, mais que le processus doit être piloté de manière à amortir ou à éviter les chocs, ce qui suppose une vision à long terme, des institutions spécifiques et des moyens.

Nous n’avons pas su, dans les années 1970 et 1980, accompagner sérieusement les restructurations du textile et de la sidérurgie, pas plus que celles des décennies suivantes. Une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales d’Axelle Arquié et Thomas Grjebine, parue en mars, rappelle fort utilement qu’entre 1997 et 2019, celles-ci s’étaient traduites par « un fort coût individuel en termes d’emploi et de salaire » et que les plans sociaux mis en œuvre n’avaient notamment pas permis une réallocation de main-d’œuvre bénéfique à l’économie locale. Et ce, « contrairement à l’hypothèse de la destruction créatrice » pourtant chère à beaucoup de nos économistes.

Pourquoi les travailleurs des secteurs et entreprises menacés de restructuration ne résisteraient-ils pas de toutes leurs forces à un processus qui risque de leur faire perdre leur emploi et d’aggraver leurs conditions de vie ?

Dépendance ou relocalisation

Mais les choses sont peut-être en train de changer. S’il ne s’était pratiquement rien passé en la matière depuis le plan de programmation des emplois et des compétences rendu au gouvernement par [l’ancienne présidente du Medef] Laurence Parisot en 2019, le secrétariat général à la planification écologique a publié en février une estimation du nombre d’emplois susceptibles d’être supprimés et créés par la transition écologique et a lancé des COP régionales destinées à préciser et à enrichir celle-ci (« Stratégie emplois et compétences pour la planification écologique »). Cette importante avancée devra être prolongée par une cartographie précise des compétences actuellement mobilisées et de celles à développer, mais aussi par des décisions claires concernant les productions que nous souhaitons conserver ou relocaliser.

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Le gouvernement souhaite faire des économies sur les contrats de professionnalisation

Dès le 1ᵉʳ mai 2024, l’aide au recrutement en contrat de professionnalisation sera de l’histoire ancienne. Dans son objectif de faire 200 millions d’euros d’économies sur les dépenses liées à l’apprentissage, rappelé par le premier ministre, Gabriel Attal, lors de son entretien du 18 avril sur BFM-TV, le gouvernement a proposé, le 14 avril, à la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) un projet de décret visant à supprimer cette aide pour les contrats signés à partir du 1ᵉʳ mai.

Les contrats de professionnalisation permettent au salarié d’acquérir une qualification professionnelle reconnue par l’Etat, en parallèle d’un enseignement théorique dispensé en organisme de formation ou en entreprise. Destinés notamment aux jeunes de 16 à 20 ans sortis du système scolaire sans qualification, aux demandeurs d’emploi et aux personnes bénéficiaires du RSA, ils visent à favoriser l’insertion professionnelle.

Le gouvernement avait mis en place en 2020 une aide unique de 6 000 euros versée à l’employeur pour soutenir le recrutement sous cette forme. Prolongée le 30 décembre 2023 pour l’ensemble de l’année 2024, elle fait finalement l’objet de la coupe budgétaire initialement destinée à l’apprentissage. L’aide de 6 000 euros ne serait désormais versée que pour le recrutement des apprentis, selon l’agence de presse AEF.

Une décision brutale

L’enjeu est d’importance ; 115 994 contrats de professionnalisation ont été signés en 2023, indique la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares), qui note une diminution de 22,4 % entre janvier 2023 et janvier 2024. Ces chiffres sont certes bien inférieurs à ceux des contrats d’apprentissage : 852 235 signatures en 2023, en hausse de 10,1 % entre janvier 2023 et janvier 2024.

La Fédération de consommation et de distribution (FCD), organisation professionnelle regroupant la majorité des professionnels du secteur, regrette toutefois une décision brutale et inique, compte tenu de l’utilité d’un tel dispositif. Face à un tel écart, l’organisation s’interroge sur l’absence d’équité, dans une situation où l’effort budgétaire semble peu réparti. Layla Rahhou, déléguée générale de la FCD, exige au minimum « une réduction identique des aides accordées aux contrats en apprentissage et aux contrats de professionnalisation ».

Au-delà du bouleversement économique qu’implique une telle mesure pour les employeurs concernés, la suppression de cette aide pose une question de justice sociale. Le public visé par le contrat de professionnalisation comprend notamment une tranche de la population dont l’accès à l’emploi est loin d’être privilégié. Le projet de décret apparaît dès lors comme un effort fait sur le dos des plus éloignés de l’emploi, notamment quand on sait que le volume de l’apprentissage constitue une réelle opportunité d’économie pour le gouvernement.

Les titres de l’éditeur du magazine « Têtu » vendus à plusieurs acquéreurs

La fin d’un long suspense. Six mois après avoir été placé en redressement judiciaire, plus de deux mois après avoir envisagé un plan de continuation, le groupe I/O Media va être finalement partagé entre trois repreneurs. La filiale Côté Maison de Prisma Media (propriété du groupe Vivendi) va reprendre les titres The Good Life et Ideat, tandis que le groupe SOS met la main sur le magazine d’actualité LGBT Têtu – cofondé en 1995 par l’homme d’affaires Pierre Bergé. Enfin, Opéra Magazine basculera chez Vendome Publication, qui édite notamment le trimestriel Dreams, spécialisé dans la joaillerie, la bijouterie et l’horlogerie.

Ainsi en a décidé le tribunal de commerce de Paris dans une décision communiquée vendredi 19 avril dans l’après-midi, à la suite de l’audience qui s’est tenue le 4 avril. Quatre candidats à la reprise étaient alors présents : Prisma Media (Capital, Ça m’intéresse, Cuisine actuelle, etc.) en la personne de sa présidente Claire Léost, ainsi que le groupe Bleu Petrol (Résidences Décoration, Guitar Part, etc.), filiale de l’agence de communication Raykeea, Vendome Publication et le groupe associatif spécialisé dans l’économie sociale et solidaire SOS, intéressé par le titre Têtu, complétaient le quatuor.

A l’origine, ils avaient eu jusqu’à fin janvier pour déposer leurs offres. Celles-ci ayant paru insuffisantes, le délai avait été allongé jusqu’au 29 mars pour les améliorer. C’est ainsi que, bien qu’arrivée hors délai, l’offre du groupe SOS (majoritaire à 51 %, avec la Fondation Le Refuge à 49 % du capital) a tout de même pu être prise en compte. Ce dernier n’est pas vraiment un inconnu pour les plus anciens de Têtu, ni même pour Albin Serviant.

« Un motif de fierté »

Le groupe SOS, groupe dirigé par Jean-Marc Borello, est un actionnaire minoritaire de I/O Media depuis 2018 et il a loué un temps des locaux à la rédaction de Têtu, dans le 10e arrondissement de Paris. En 2020, il avait également participé à une levée de fonds de 1,4 million d’euros.

« Cette combinaison des offres est vraiment une sortie par le haut », se réjouit Albin Serviant, le patron du groupe initialement baptisé Têtu Ventures. « Têtu était mon projet de cœur depuis 2017, et avoir réussi la diversification autour de la marque média constitue un vrai motif de fierté pour moi », expliquait au Monde à la mi-avril l’ex-entrepreneur de la French Tech, qui revendique volontiers sa proximité avec Emmanuel Macron. « J’ai voulu y arriver avec les autres titres, mais ça n’a pas été le cas », concède-t-il.

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« Une rémunération au mérite est un élément essentiel de la modernisation de la fonction publique »

Le président de la République, le premier ministre et le ministre concerné, Stanislas Guerini, ont annoncé une réforme de la fonction publique. Ce qui touche à la fonction publique suscite souvent chez nos concitoyens de l’intérêt, mais présente aussi un caractère rébarbatif, eu égard à la complexité technique et à l’opacité de la matière. Tentons d’éclairer les enjeux !

Pour l’essentiel, trois questions structurantes se posent :

– Faut-il modifier le régime juridique applicable aux agents publics (ce qu’on appelle le statut général) ?

– Faut-il revoir les modalités de leur rémunération ?

– Comment faire évoluer la gestion des ressources humaines dans les services publics, notamment pour les rendre plus attractifs et plus efficaces ?

S’agissant du régime juridique des agents publics, l’évolution des points de vue est édifiante. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la gauche, notamment la CGT, est hostile à un statut qui lui semble privilégier l’employeur. Elle lui préfère le contrat, supposé plus égalitaire.

C’est d’ailleurs sous le régime de Vichy, en 1941, que le premier statut de la fonction publique est mis en place. La situation s’inverse après la Libération : un nouveau statut est promulgué en 1946, dont la gauche devient le plus fervent partisan.

25 % de la rémunération des agents

Mais, depuis lors, les exceptions permettant de recruter des contractuels – qui, eux, ne relèvent pas du statut – n’ont cessé de se multiplier, pour des raisons de souplesse de gestion, mais aussi parce que de plus en plus de personnes, après leurs études secondaires ou supérieures, souhaitent participer au fonctionnement des services publics sans vouloir y faire carrière. Ainsi, sur les 5,7 millions d’agents publics travaillant pour l’Etat, les collectivités territoriales et les hôpitaux, environ un million sont contractuels aujourd’hui. Cela traduit une fonction publique « duale », qui répond à une diversité de besoins.

S’agissant ensuite des modalités de rémunération, Maurice Thorez (1900-1964), ministre communiste de la fonction publique en 1945, veilla à ce que des primes de rendement complètent le traitement des fonctionnaires. Depuis lors, plus d’un millier de régimes d’indemnités et de primes ont été créés, constituant un maquis impénétrable. Au total, ces primes et ces indemnités représentent en moyenne 25 % de la rémunération des agents des trois fonctions publiques. Cette rémunération comprend, à titre principal, le traitement qui est fixé en fonction du corps (ou du cadre d’emploi dans la fonction publique territoriale) dont relève chaque agent public.

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Démissionner après une formation peut coûter cher aux salariés

C’est un serpent de mer qui vient de refaire surface dans le cadre des négociations sur le « pacte de la vie au travail ». Le syndicat patronal Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a exprimé le souhait que les employeurs puissent avoir plus facilement recours au dédit-formation.

Ce dispositif, qui intervient sous forme de clause dans le cadre d’un accord entre l’employeur et le salarié, prévoit que ce dernier s’engage à demeurer un certain temps dans l’entreprise au retour de la formation qui lui a été financée, sous peine de devoir la rembourser.

Une obligation que justifie Eric Chevée, le vice-président chargé des affaires sociales de la CPME : « Quand les salariés acquièrent par une formation des compétences qu’ils peuvent monnayer immédiatement ailleurs, cela peut dissuader les entreprises de les financer. Au lieu de former leurs propres collaborateurs, les employeurs, faute de garantie, sont tentés de recruter à l’extérieur, ce qui est dommage. »

En réduisant le risque de départ anticipé, ce dispositif inciterait les entreprises, surtout celles qui exercent leur activité dans des métiers en tension, à investir davantage dans la formation interne. Et Eric Chevée de rappeler, à titre d’exemple, qu’un permis de conduire pour un poids lourd de 40 tonnes avoisine les 4 000 euros, une somme considérable pour une TPE.

Les clauses de dédit-formation concernent aussi des cadres, qui peuvent être envoyés en écoles de commerce pour suivre des séminaires de plusieurs dizaines de milliers d’euros, à condition qu’ils s’engagent à demeurer entre deux et cinq ans chez leur employeur.

Les syndicats de salariés partagés

Actuellement, la clause de dédit-formation est essentiellement « régie par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui définit ses conditions de validité en fonction du coût et de la durée de la formation précisés dans l’accord signé au préalable entre le salarié et l’employeur », expliquent Pauline Miranda et Christophe Girard du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats à Lyon. Il ne s’agit donc pas d’un droit inscrit dans le code du travail : en reprenant les acquis de la jurisprudence et en détaillant les possibilités, son inscription dans la loi conférerait, selon ces avocats, une meilleure visibilité à ce dispositif peu utilisé car méconnu.

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Convaincu de ses atouts, Franck Morel, avocat en droit social du cabinet Flichy Grangé, a pour sa part promu dès 2020 le dédit-formation dans une note publiée sous l’égide de l’Institut Montaigne, un cercle de réflexion d’inspiration libérale. Il y proposait la mise en œuvre par voie contractuelle d’une telle clause lorsque l’entreprise met des moyens supplémentaires en œuvre à ses obligations légales, limitée dans le temps et à l’exercice par le salarié d’activités concurrentes. Dans cette perspective, « l’employeur profite du gain de productivité découlant de son investissement sécurisé dans la formation d’un collaborateur. Et ce dernier améliore son employabilité et ses espérances de gain sur le marché du travail. Tout le monde est gagnant », détaille Franck Morel.

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Michelin promet un salaire décent, mais pas la pérennité des sites

C’est une innovation sociale comme Michelin les aime. Le fabricant français de pneumatiques annonce « le déploiement du salaire décent à l’échelle mondiale ». Pour son président, Florent Menegaux, dans beaucoup de pays, le salaire minimum ne suffit pas à faire vivre une famille. Il faut donc prendre une autre référence. Michelin a décidé de retenir celle que propose l’ONG Fair Wage Network. Le salaire décent d’un employé doit lui permettre de payer l’eau, l’alimentation, l’habillement, l’hébergement, l’éducation pour une famille de quatre personnes et lui laisser la possibilité de se constituer une petite épargne de précaution.

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En France, où le smic est à 21 203 euros brut par an, le salaire décent calculé par Fair Wage s’élèverait à 39 639 euros à Paris. Il serait moins haut à Clermont-Ferrand : 25 356 euros, soit 20 % de plus que le minimum légal. A Greenville, en Caroline du Sud (Etats-Unis), il se monterait à 42 235 dollars (environ 40 000 euros), contre un salaire minimum de 14 790 dollars. En Chine, il serait de 69 312 yuans (près de 9 000 euros) au lieu de 29 040 yuans pour le minimum légal.

Sur les 132 000 salariés de Michelin dans 175 pays, environ 5 % n’atteignaient pas ce niveau de salaire décent. Environ 7 000 personnes bénéficient donc d’un rattrapage. Le salaire décent est réévalué chaque année par Fair Wage Network, parfois plus fréquemment dans les pays où l’inflation explose. Michelin ne dit pas combien cette décision va lui coûter. « Ce n’était pas le sujet et cela n’a pas été évalué », explique Florianne Viala, directrice rémunérations et avantages sociaux du groupe. Florent Menegaux, lui, est certain de s’y retrouver : « Les salariés, lorsqu’ils sortent du mode survie, améliorent leur performance. » Il songe à étendre la pratique à ses fournisseurs, comme les planteurs d’hévéas.

Ce « salaire décent » est complété par un « socle universel de protection sociale », qui accorde un congé maternité-adoption de quatorze semaines minimum et un congé paternité de quatre semaines, rémunérés à 100 %, à tous les salariés qui ne sont pas protégés par les lois françaises. L’entreprise s’engage aussi à verser à la famille, en cas de décès d’un salarié, un capital d’au moins un an de salaire et une rente d’éducation.

Investissement dans la formation des salariés

Le directeur du personnel, Jean-Claude Pats, table sur sa politique sociale pour obtenir des salariés « un niveau d’engagement maximal ». Car la pandémie de Covid-19 a marqué une vraie rupture : en 2020 et 2021, le taux d’attrition (taux de départ des salariés) a doublé, jusqu’à 13,2 %, sous l’effet des démissions. Et les besoins de transformation du groupe demandent une grande capacité d’adaptation.

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« Le Chantier » : une vie de chantier en BD drôle, décalée… et juste

« Pensez à devenir dingue », dit un vieux monsieur à la jeune architecte Flora del Sol, dans Le Chantier, de Fabien Grolleau et Clément C. Fabre (Dargaud). Le personnage principal de cette bande dessinée déplore ainsi que l’architecture soit désormais entre les mains de gens sérieux. La scène se passe sur les hauteurs de Barcelone (Espagne), dans le parc Güell conçu par Antoni Gaudi. Faut-il y voir un message du scénariste Fabien Grolleau, lui-même ancien architecte et qui, en préface, dédie son livre aux jeunes professionnels, non sans évoquer les enjeux de durabilité qui pèsent sur le secteur ? Voici en tout cas une BD qui pose un regard tendre et lucide sur un métier au croisement des sciences et de l’art.

Flora del Sol, jeune architecte de talent, vient donc d’intégrer un cabinet prestigieux. Celui d’El Rodrigo, un professionnel reconnu à l’audace sans bornes, dont l’imprévisibilité est redoutée par ses équipes mi-fascinées, mi-terrifiées. En matière de management toxique, il se situerait au sommet de l’échelle.

D’emblée, on pense à Quai d’Orsay, la bande dessinée d’Abel Lanzac et de Christophe Blain (Dargaud, 2010-2011), et à la relation entre le jeune conseiller ministériel Arthur Vlaminck et son tourbillonnant ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms.

Architecte presque par accident

Quand El Rodrigo débarque à son cabinet, la même tornade traverse les pièces : les nuages de « scritch », lorsqu’il dessine frénétiquement, remplaçant les « tacatacatac » des moulinets du ministre du Quai d’Orsay en plein raisonnement. Une agitation du personnage qui donne aussi le ton de l’album, mi-amusé, mi-distancié, à l’image du scénariste qui explique être devenu architecte presque par accident.

Pour Flora, c’est le premier grand projet postétudes qui se concrétise à travers la commande d’une cliente exigeante. Sur un terrain vierge au bord de la mer, la voici qui projette ses idées, comme sur une feuille blanche. Des premières esquisses à la livraison de chantier, nous la suivons à chaque étape, tandis qu’elle surmonte les embûches et affine son projet.

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C’est aussi drôle et décalé que juste pour traduire les petits tracas quotidiens d’une vie de chantier. Ainsi, la survie d’un estimable pin de Monterey se joue avec la complicité d’un grand chef étoilé qui, lors d’un dîner avec les clients, vient opportunément raconter une légende émouvante – totalement fantaisiste – autour de cet arbre « sacré », qui « porte chance » et qu’il ne faudrait surtout pas abattre…

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