« L’employeur principal aurait tout intérêt à accompagner son salarié vers un deuxième emploi »

Il existe des singularités qui interrogent le modèle économique et social français. Le rapport de la Cour des comptes (2025) souligne la permanence des écarts entre les montants des retraites des hommes et des femmes, en raison des métiers exercés, mais aussi des charges de famille déséquilibrées. La direction du Trésor estime que le taux de fécondité dépend moins de la politique familiale au sens strict que de la capacité à concilier les temps de vie personnel et professionnel. Quant à la ministre du travail, Catherine Vautrin, elle a déclaré souhaiter « travailler à une évolution de la loi pour autoriser le cumul du métier d’assistant familial avec une autre activité professionnelle ». Une proposition de loi en ce sens a été adoptée en première lecture au Sénat le 29 mai 2024.

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Si le report de l’âge légal peut contribuer à améliorer le taux d’emploi des seniors, il n’est pas impossible qu’il intensifie aussi les inégalités sociales et de genre, ainsi que le souligne la Cour des comptes. Notre modèle social doit évoluer pour être plus résilient. Un nouvel ingrédient est sans doute à trouver dans le cumul des métiers et des emplois.

Est-ce d’ailleurs un nouvel ingrédient ? Le cumul des emplois n’est pas forcément interdit, il est même autorisé pour les agents publics, sous certaines réserves. C’est ainsi que des enseignants accordent une partie de leur temps de vacances à encadrer des séjours thématiques ou des colonies de vacances ou enseignent dans des cours privés, sans que cela suscite des oppositions.

Compenser les pertes de pouvoir d’achat

Un grand nombre de travailleurs ou de retraités proposent leurs services soit contre rémunération, soit en échange d’autres services. Ces activités sont rarement déclarées, même si elles nécessitent le recours au matériel de travail usuel. Enfin, beaucoup de personnes donnent une large partie de leur temps libre dans le milieu associatif, sous une forme de bénévolat qui mériterait d’être mieux reconnu. Une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) de 2024 sur les nouveaux rythmes de travail fait ressortir que la semaine de travail dite « standard » (du lundi au vendredi sur des horaires diurnes et fixes) ne concernerait plus aujourd’hui, en France, que 36 % des salariés.

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« Travailler plus passe par l’amélioration de la qualité de l’emploi pour toutes et tous »

Pour comprendre la participation au marché du travail, il est utile de raisonner en matière de trajectoire de vie, de prendre en compte l’âge mais aussi les événements familiaux : décohabitation pour les études, mise en couple, naissances, dépendance de parents âgés… Or, par rapport aux autres pays, la France se singularise par une forte concentration de l’emploi dans la tranche d’âge médiane, entre 25 et 54 ans, alors que la part des personnes qui travaillent est plus faible à l’entrée comme à la fin de la vie active, particulièrement après 60 ans. Les taux d’emploi sont également relativement plus faibles pour les mères de jeunes enfants, et plus particulièrement pour les mères de trois enfants et les femmes d’origine étrangère.

Si le temps partiel est moins fréquent que la moyenne européenne, il concerne en premier lieu les mères de jeunes enfants. La part des femmes déclarant être à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants – ou d’un proche – se situe à un niveau élevé : près de quatre fois plus que chez les hommes. Pour résumer, le déficit français en temps de travail par rapport à certains de ses voisins européens n’est imputable ni à une durée hebdomadaire de travail plus faible (en raison des 35 heures), ni à un nombre supposé record de jours de congé, mais à une durée du travail plus faible tout au long de la vie.

Les appels à relever le taux d’emploi se multiplient, portés à la fois par les enjeux de financement de la protection sociale dans un contexte de vieillissement démographique, et par l’urgence née des tensions géopolitiques en Europe. Mais d’autres raisons plaident pour un rééquilibrage : il peut apparaître souhaitable en termes de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, tout autant qu’en matière d’égalité (de genre, d’âge, d’origine…) et de diversité au sein des milieux de travail. Pour y parvenir, l’expérience des pays qui connaissent de forts taux d’emploi tout au long de la vie montre qu’il convient tout d’abord de favoriser la qualité de l’emploi de tous et toutes, à tous les âges et étapes des parcours de vie.

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Le cumul emploi-retraite est-il possible après un départ anticipé pour carrière longue ?

Question à un expert

Si je pars à la retraite en carrière longue, avant l’âge légal, pourrai-je tout de même ensuite reprendre une activité professionnelle ?

Le cumul emploi-retraite permet de reprendre une activité rémunérée après avoir liquidé tous ses droits à la retraite (en France et à l’étranger), pour les régimes de base et complémentaires. Selon les situations, le cumul des revenus professionnels et des pensions est intégral (sans limite de montant) ou plafonné.

Le cumul intégral est accessible à partir de l’âge légal de départ à la retraite (entre 62 et 64 ans, en fonction de l’année de naissance), si l’assuré a validé le nombre de trimestres requis pour le taux plein, ou automatiquement à 67 ans.

Régime différent

Si ces conditions ne sont pas remplies, le cumul est plafonné. La somme des pensions de retraite (de base et complémentaires) et des revenus professionnels ne doit pas dépasser un plafond, variable selon les régimes. Pour l’assurance-retraite, régime de base des salariés, c’est 1,6 fois le montant du smic, ou la moyenne des salaires des trois derniers mois (le plus avantageux s’applique).

Un départ anticipé pour carrière longue n’interdit pas la reprise d’activité. Mais même avec le taux plein, le cumul intégral est inaccessible avant l’âge légal de la retraite. Seul le cumul plafonné est possible dans ce cas.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Retraites : ce qui change en 2025

Une fois l’âge légal atteint, la personne en cumul emploi-retraite peut basculer vers un cumul intégral. Ces conditions valent pour un cumul « intra régime » – quand la nouvelle activité du retraité relève du régime qui verse la pension. Si l’on reprend une activité dans un régime différent, les règles peuvent être plus souples.​

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« Le débat sur le travail ne peut se réduire à une question de quantité »

Depuis quelques semaines, une vieille ritournelle tourne dans le débat sur le financement de la protection sociale et des déficits publics. Pour Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail, il faudrait travailler plus pour sauver notre modèle social, un propos repris par le ministre de l’économie et des finances, Eric Lombard. Le travail serait un « actif stratégique » permettant de concilier dépenses sociales, remboursement de la dette publique et augmentation des dépenses militaires.

Mais il ne s’agit plus du « travailler plus pour gagner plus » de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. Ce « travailler plus » signifiait l’augmentation des heures supplémentaires. Le nouveau « travailler plus » cherche la mise au travail. Les ministres s’appuient sur une note du Conseil d’analyse économique (CAE) (« Objectif plein emploi »), datant de mars, qui compare les volumes de travail de la France avec ceux de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, réputés pour avoir des « marchés du travail » plus inégalitaires. La durée du travail annuelle n’est plus celle des travailleurs, mais celle de toutes les personnes âgées entre 16 et 74 ans.

Cette nouvelle mesure des heures travaillées est le résultat de deux phénomènes distincts : la durée du travail en emploi encadrée par des dispositifs juridiques et le taux d’activité (nombre d’actifs en emploi ou au chômage/population en âge de travailler) des différentes catégories de la population. Or, ces taux sont déterminés par différents rapports sociaux, comme ceux de genre, de production, éducatif.

Offre insuffisante

Alors, pourquoi utiliser une mesure qui mélange des éléments aussi socialement disparates, risquant d’obscurcir l’analyse, au lieu de comparer séparément durée du travail par emploi, taux de chômage et taux d’activité ? Il s’agit de construire une mesure unique de la place quantitative du travail dans la société, sans considération ni du sens du travail ni de sa qualité. Les sociétés moins travailleuses sont fautives, puisqu’elles choisissent de soutenir l’inactive jeunesse ou les « faux vieux ».

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« L’enjeu pour les jeunes et les seniors n’est plus de travailler moins, mais de travailler tous »

Historiquement, les revendications sur les conditions de travail et celles sur le temps passé à travailler étaient étroitement liées, ce que l’on comprend à l’époque où le travail était pour beaucoup de travailleurs un labeur qui mangeait une grande partie de leur vie. Mais aujourd’hui, si la question du « travailler mieux » reste d’actualité, celle de la quantité de travail se pose très différemment qu’aux XIXe et XXe siècles.

L’opposition à la récente réforme des retraites peut être lue comme le signe que de trop nombreux Français ne sont pas heureux dans leur emploi : le sujet sur la qualité du travail n’a pas disparu. On sait par exemple que la France se singularise par un taux d’accidents du travail élevé et par des pratiques de management très verticales.

Mais sur la quantité de travail, la réalité pour les moins qualifiés n’est plus qu’ils travaillent trop mais, au contraire, qu’ils sont trop souvent exclus du marché du travail. Une récente note du Conseil d’analyse économique (CAE) sur le plein-emploi indique que le nombre moyen d’heures travaillées par les moins diplômés s’est effondré de 40 % en trente ans, bien plus que dans d’autres pays comparables. Cela est dû au fait que nombre d’entre eux sont au chômage ou inactifs.

Objectif de plein-emploi

L’enjeu n’est donc certainement pas de travailler moins – la revendication d’autrefois –, mais de travailler tous. Par ailleurs, trop de salariés en France, en particulier des femmes, sont dans des emplois à temps partiel alors qu’ils souhaiteraient être à temps plein, ou du moins travailler davantage. Il faut œuvrer pour faciliter cela.

L’objectif de plein-emploi se justifie également par des considérations économiques. Les heures totales travaillées en France correspondent à cent heures de moins par an par habitant que chez nos voisins européens (et trois cents heures de moins qu’aux Etats-Unis). Cela implique moins de cotisations sociales et de recettes fiscales et davantage de dépenses, avec les conséquences que l’on connaît.

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Au lit, on bosse : comment être productif tout en restant couché

Avec la démocratisation du télétravail, nos lieux de labeur potentiels se sont enrichis d’un espace inattendu, depuis lequel il est désormais admis que l’on peut faire avancer les dossiers, tel Sisyphe en pyjama : le lit. En effet, lorsqu’on bosse à la maison, il est tentant de quitter l’inconfortable posture assise pour se translater à un moment ou à un autre vers ce havre moelleux et rectangulaire qui semble nous faire de l’œil. Que celui ou celle qui n’a jamais assisté à une réunion à distance depuis son matelas me jette le premier coussin à mémoire de forme !

Si elle est difficilement quantifiable, cette tendance semble néanmoins s’être installée dans les mœurs. Une étude menée en 2020 par Tuck Sleep, qui documente le sommeil à des fins commerciales, a montré que la pandémie de Covid-19 avait eu pour effet collatéral une massification du travail depuis le lit. Parmi les 1 000 Américains interrogés à cette occasion, 8,8 % passaient tout de même de vingt-quatre à quarante heures par semaine dans une attitude paradoxale de gisant-productif. Même si elle renvoie à un certain hédonisme, convoquant les figures tutélaires d’Alexandre le Bienheureux ou du fondateur de Playboy, Hugh Hefner – voire de Winston Churchill, qui travaillait également depuis son lit –, cette posture est parfois contrainte, dictée par l’absence de bureau dans les petits appartements.

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« La massification scolaire débouche sur une inflation des diplômes, qui tendent à perdre de leur valeur »

Dans la bibliothèque du campus Valrose, à l’université Côte-d’Azur, à Nice, le 17 avril 2025.

Le marché de l’emploi connaît un net ralentissement, et les jeunes diplômés ne sont pas épargnés. Ils sont même en première ligne, avec une baisse des embauches de 19 % en 2024 et une nouvelle chute attendue en 2025, selon l’Association pour l’emploi des cadres. Pourtant, la génération des 25-34 ans est plus diplômée que jamais : en 2020, 36 % d’entre eux sont titulaires d’un diplôme supérieur à bac + 2, contre 14 % chez les 55-64 ans, d’après l’Insee. Ce décalage entre niveau de formation et propositions d’emploi alimente un sentiment de déclassement des jeunes, qui n’arrivent pas à trouver un emploi à la hauteur de leurs diplômes. Seule la moitié des jeunes sur le marché du travail exercent un métier en rapport avec leur formation initiale.

La situation interroge la valeur du diplôme, estime Marie Duru-Bellat, professeure des universités émérite en sociologie au centre de recherche sur les inégalités sociales de Sciences Po et autrice de L’Inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie (Seuil, 2006).

La France produit-elle trop de jeunes diplômés ?

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« Travailler demain » : une BD pour décrypter les bouleversements qui se profilent

Quel sera le futur du travail ? La question alimente ces dernières années une importante production éditoriale, à la mesure des transformations d’ampleur qui se dessinent dans la sphère professionnelle et des inquiétudes qu’elles peuvent susciter. Portée par l’ancienne ministre du travail Muriel Pénicaud, le journaliste et responsable de la programmation de la Cité de la BD d’Angoulême Mathieu Charrier et le dessinateur Nicoby, la bande dessinée Travailler demain (Glénat, 144 pages, 23 euros) apporte un regard synthétique et pédagogique sur le sujet.

Au fil d’une histoire bien rythmée, les auteurs proposent de suivre Soraya, une lycéenne qui doit réaliser un exposé sur le futur du travail et qui, reconnaît-elle, ne « comprend rien » au sujet. Mais la chance est avec elle : elle doit participer au pot de départ de sa grand-mère, directrice des ressources humaines d’une entreprise de production de parapluies, où se trouvent de nombreux spécialistes de l’univers professionnel et de ses mutations. La quête d’information de l’adolescente va donner l’occasion à 13 personnalités (la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, l’ancien secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, le directeur général de la MAIF, Pascal Demurger…) de livrer leur regard sur ce que sera, selon elles, le monde du travail demain.

Regards croisés

Plusieurs grands bouleversements sont abordés : la transition écologique, le « basculement démographique » (« Y aura-t-il assez d’actifs demain ? », s’interroge Mme Lagarde) ou encore le changement du rapport au travail, porté en particulier par les jeunes générations. L’une de ces mutations focalise l’attention : la révolution annoncée de l’intelligence artificielle (IA). Le propos des intervenants, notamment celui de l’entrepreneuse Aurélie Jean, se veut rassurant : « Je pense que l’IA va influencer nos emplois, les transformer, mais pas les remplacer », estime-t-elle. Quelques voix anonymes se font toutefois entendre, de bulle en bulle, pour nuancer cette approche et mettre en lumière les risques pour l’emploi dans différents secteurs d’activité.

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