La banque américaine J.P. Morgan poursuit son soutien caritatif d’envergure à la Seine-Saint-Denis

Jamie Dimon, PDG de J.P. Morgan, en visite dans un atelier des Compagnons du devoir à Pantin (Seine-Saint-Denis, le 6 novembre  2018.

En 2018, à l’occasion du 150e anniversaire de sa présence en France, J.P. Morgan avait promis d’allouer, à travers sa fondation, 30 millions de dollars (26 millions d’euros à l’époque) sur cinq ans afin d’aider les habitants de Seine-Saint-Denis à « accéder à des opportunités économiques ». Mercredi 8 novembre, Jamie Dimon, le président-directeur général de la première banque américaine, en visite à Paris, a annoncé une rallonge de 20 millions de dollars pour les cinq prochaines années.

A cela s’ajoute une enveloppe de 50 millions de dollars – puisée sur le capital du groupe – visant à financer des fonds de capital-risque « dirigés par des femmes » ou « ayant un impact positif sur la société ». Ce « superfonds », confié à Bpifrance, fait écho à un dispositif lancé en 2021 par la firme américaine aux Etats-Unis.

La France confirme ainsi son statut de principale bénéficiaire, en dehors des Etats-Unis, des actions philanthropiques de J.P. Morgan, sans aucune défiscalisation associée. « Nous payons beaucoup d’impôts en France, nous employons 900 personnes et nous agissons en tant qu’entreprise responsable. Nous aidons à tirer le pays vers le haut, et cela ne bénéficie pas seulement à ceux qui sont déjà en haut », se réjouit M. Dimon, fan de la première heure des réformes économiques d’Emmanuel Macron, qu’il avait d’ailleurs rencontré dans la matinée.

Une locomotive pour les entreprises locales

« Nous avons voulu lancer une opération d’envergure à Paris, à l’image de celle que nous menons à Detroit depuis 2014 », relate au Monde Peter Scher, vice-chairman de J.P. Morgan, chargé de la responsabilité d’entreprise. Pour aider à remettre sur pied la capitale de l’automobile aux Etats-Unis, J.P. Morgan a engagé 200 millions de dollars en près de dix ans. « Detroit et la Seine-Saint-Denis sont des endroits bien différents, mais notre approche est la même : nous voulons servir de catalyseur en soutenant les bons partenaires, en liaison avec les acteurs publics », poursuit M. Scher.

Une vingtaine d’associations actives dans le département francilien, l’un des plus pauvres de France mais aussi l’un des plus jeunes, ont bénéficié de cet appui. « J.P. Morgan a eu une démarche originale en concentrant énormément de moyens sur une zone », souligne Quentin Moreno, directeur général adjoint de l’association Sport dans la ville, qui vise notamment à amener vers l’emploi des jeunes ayant décroché scolairement : « Grâce à la Fondation J.P. Morgan, nous avons pu doubler le nombre de jeunes accompagnés en Seine-Saint-Denis. »

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« Enseigner : quoi qu’il en coûte ? » : l’impact psychique de la continuité pédagogique pendant le Covid-19

Cela a constitué la plus grande perturbation de la sphère éducative qu’ait connue le monde moderne, souligne le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. La pandémie de Covid-19 a entraîné en 2020 la fermeture brutale des établissements scolaires à travers le monde. Près de 1,6 milliard d’apprenants ont été touchés. En France, un grand nombre d’élèves et d’étudiants ont dû suivre leurs cours depuis leur domicile, par écran interposé. A charge pour les enseignants d’assurer, dans l’improvisation, cette « continuité pédagogique ».

L’événement, qui a provoqué la sidération générale, est connu. Ce qui l’est moins en revanche, c’est la façon dont les enseignants ont vécu intérieurement cette expérience à marche forcée. Quel impact sur leur psychisme, mais aussi sur leurs méthodes et sur les apprentissages qu’ils ont pu transmettre ?

Professeur en sciences de l’éducation à l’université de Rouen-Normandie, Jean-Luc Rinaudo s’est penché sur ces questions dans un livre paru aux éditions Erès, Enseigner : quoi qu’il en coûte ? Un ouvrage au travers duquel il explore le vécu des acteurs de cet épisode inédit, à travers de nombreux témoignages, convoquant régulièrement l’analyse psychanalytique et soulignant la force des processus inconscients à l’œuvre.

Durant cette période, les enseignants ont dû relever un premier défi : trouver « la bonne distance » dans leur rapport aux élèves et aux étudiants. « Les participants des classes virtuelles peuvent ressentir un sentiment de présence de l’autre, à la condition que cette présence ne se fasse pas envahissante, intrusive et que les limites de l’intime soient préservées », indique l’auteur. Ils ont dû aussi maintenir un lien avec les élèves, une question prioritaire aux yeux d’une enseignante, Stéphanie : « Les enjeux relationnels ont pris le pas sur le contenu même des savoirs à enseigner. »

Les interactions se sont effacées

M. Rinaudo note combien les conditions d’exercice du métier d’enseignant ont pu mettre à l’épreuve les professeurs, dans cette « situation qui ressembl[ait] à l’école mais n’en [était] qu’un ersatz ». De fait, ils ont dû exercer leur métier devant un ordinateur, en « enseignant tronc », dans une relation souvent désincarnée. Pire : en de nombreux cas, ils n’ont eu face à eux qu’un écran noir, les caméras des apprenants n’étant pas activées. Les enseignants n’ont alors plus eu la possibilité de s’appuyer sur les réactions des élèves pour comprendre comment leur discours était accueilli.

Les interactions se sont effacées, les formateurs pouvant alors se vivre comme de simples « machines à enseigner ». De même, ils ont délivré leurs cours dans un silence inhabituel. « Une classe ordinaire bruisse, rappelle M. Rinaudo. L’enseignant qui éprouve le sentiment d’être seul, de parler dans le vide, peut légitimement s’interroger sur le sens de sa pratique professionnelle et ressentir une forme de perte de son identité. »

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Les salariés du secteur privé ont perdu 1 % de pouvoir d’achat en 2022

Dans un supermarché, à Lens (Pas-de-Calais), le 28 avril 2023.

Ce n’était pas arrivé depuis un quart de siècle, si l’on met de côté les deux années exceptionnelles de 2020 et 2021. En 2022, le pouvoir d’achat des salaires du secteur privé a reculé de 1 %, selon les données publiées mercredi 8 novembre par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). En valeur absolue, les salariés du privé ont touché 2 630 euros net en moyenne par mois, pour un équivalent temps plein ; au plus bas de l’échelle, un salarié sur dix a gagné moins de 1 436 euros, perdant 0,1 % de pouvoir d’achat. Les 10 % des salariés les mieux lotis ont, eux, perçu en moyenne plus de 4 162 euros net, mais accusent une baisse de 1,4 % de leur pouvoir d’achat.

Seul le pouvoir d’achat des plus bas salaires s’est maintenu en 2022, en raison des revalorisations du smic intervenues au cours de l’année pour suivre la hausse des prix à la consommation, précise l’Insee. Les cadres ont perdu en moyenne un peu plus que les ouvriers (– 1,2 % contre – 0,9 %), puisque leurs rémunérations ont décroché plus fortement par rapport à l’inflation que les bas salaires.

Pourtant, indique l’organisme, les rémunérations des quelque 20 millions de salariés du privé, sur 25 millions de salariés au total, ont augmenté de 4,4 % pour le brut, et de 4,2 % pour le net, des hausses « particulièrement élevées au regard des trente dernières années ». Mais ces renégociations salariales et le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, devenue prime de partage de la valeur, n’ont pas suffi à compenser la hausse des prix, qui a atteint 5,2 % sur l’année 2022. Plus d’un salarié sur quatre a bénéficié de cette prime en 2022, selon l’Insee, pour un montant moyen de 803 euros par bénéficiaire.

Les disparités salariales au plus bas

Le recul du pouvoir d’achat des salaires nets ne signifie pas pour autant que les ménages ont subi un recul équivalent de leur pouvoir d’achat, une fois la totalité de leurs revenus pris en compte, transferts et prestations sociales inclus. « Le salaire net n’est pas équivalent au revenu disponible », rappelle Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activité à l’Insee.

Dans sa note de conjoncture du 15 mars, l’institut détaille que le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages a augmenté de 0,2 % en 2022, après 2,3 % en 2021. Le dynamisme des revenus de la propriété, notamment, a compensé en partie le recul des salaires en euros constants pour les ménages propriétaires d’un ou plusieurs biens locatifs.

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Avant les JO 2024, Paris teste le démontage des caisses des bouquinistes

A Paris, le 12 août 2023.

La Mairie de Paris a prévu de procéder, vendredi 10 novembre, à « un test de faisabilité de démontage, vidage, remontage et remise en place à l’identique d’un jeu de quatre boîtes de bouquinistes et de leur contenu ». Cette opération s’inscrit dans la stratégie de la Préfecture de police de Paris destinée à sécuriser les quais de Seine lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 26 juillet 2024.

A partir de 20 h 15 – si la météo est clémente –, ce test digne de la complexe remise en place d’une vieille armoire Ikea s’effectuera entre les ponts de la Tournelle et de Sully. Selon l’Association culturelle des bouquinistes de Paris, cette opération doit permettre à la Mairie de statuer sur « l’enlèvement ou non des boîtes de bouquinistes situées sur le parcours fluvial » en juillet.

Dans un document de travail du 23 octobre, la Ville de Paris envisageait un retrait, entre le 13 et le 18 juillet, des 500 à 700 boîtes, selon le périmètre de sécurité retenu, ainsi qu’une repose, à partir du 3 août. Le choix du prestataire s’effectuera selon sa capacité à « intervenir sur des objets fragiles (des livres, mais aussi de la petite brocante, des affiches, des gravures…) et sur des boîtes parfois très dégradées », dont le poids, avec le contenu, est estimé à 250 kilogrammes chacune. La Ville a déjà identifié « une centaine de boîtes en mauvais état » qui « devront faire l’objet d’une réfection ».

Des socles sur mesure pour chaque boîte

C’est peu dire que les bouquinistes s’opposent de façon véhémente à un tel retrait, en brandissant une pétition de soutien, « Sauvegarde des bouquinistes des quais de la Seine », qui réunissait, mercredi 8 novembre, plus de 173 000 signatures. Les 200 bouquinistes attendent le résultat du test mais sont prêts à lancer une procédure en référé devant le tribunal administratif de Paris, dès le mois de décembre.

Pour vendredi, la Ville a fait construire un socle sur mesure pour chacune des quatre boîtes. Rien ne dit qu’un tel schéma sera retenu pour toutes. « L’idée de ce test ne vient pas de nous, précise Jérôme Callais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris. Notre seul espoir est de démontrer la non-faisabilité de l’opération. » Il redoute que certaines boîtes vert wagon, qui font partie du patrimoine parisien au même titre que les entrées de métro Guimard ou les fontaines Wallace, ne survivent à ce traitement. Et que la Ville ne les remplace par quelque chose de laid.

Selon lui, « si la Préfecture de police est dans son rôle, la Mairie de Paris sort un bazooka pour tuer un moustique. Quand Charles III ou le pape passent le long des quais ou lorsque le Tour de France arrive, rien ne nous est demandé. Pour la cérémonie d’ouverture des JO, il n’y a qu’à fermer les boîtes le jour J et mettre une barrière de sécurité devant ».

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« Par la fenêtre ou par la porte » : le long combat des salariés de France Télécom contre le harcèlement moral

Le premier jour du procès de France Télécom, en 2019, devant le tribunal judiciaire de Paris, avec, au centre, Patrick Ackermann, délégué central de la fédération SUD-PTT, qui a été à l’initiative de « Par la fenêtre ou par la porte ».

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Le titre de ce film reprend les paroles, pour le moins obscènes, de Didier Lombard, PDG de France Télécom de 2005 à 2010, lors d’un séminaire de formation des cadres de l’entreprise en octobre 2006 à la Maison de la chimie, à Paris. Chargé avec ses seconds Louis-Pierre Wenès (« cost killer ») et Olivier Barberot (DRH) de rentabiliser l’entreprise alors que la guerre fait rage sur le marché français de la téléphonie, Didier Lombard entend ici motiver ses troupes de l’encadrement pour éjecter, donc, « par la fenêtre ou par la porte » 22 000 salariés, à défaut de convaincre ces derniers de la justification de leur départ volontaire.

Ce qui s’est ensuivi de cette offensive patronale fut, on s’en souvient, une vague de suicides inédite (vingt-trois pour la seule année 2009, sans parler de la recrudescence des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et autres dépressions chroniques) chez les salariés de cette entreprise, au point que le scandale de leur révélation mena, d’une part, à l’éviction du PDG et de ses sbires, et, d’autre part, à la tenue, bien des années plus tard, d’un procès en bonne et due forme. De sorte que le 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel reconnut coupable Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, en faisant entrer la notion de « harcèlement moral institutionnel » dans la jurisprudence. La cour d’appel confirmera en septembre 2022 la condamnation mais allégera les peines à un an de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende.

Ce film, qui ambitionne de raconter cette histoire et fait à ce titre suite à d’autres œuvres sur le sujet, a pour particularité d’avoir été réalisé à l’initiative d’un collectif de syndicalistes de France Télécom. Il révèle de fait le désir de faire entendre de l’intérieur le long et difficile combat mené, durant de longues années, par les syndicats de l’entreprise pour dénoncer, sous ses dehors de rationalité technocratique, la gestion sauvagement idéologique et décomplexée du triumvirat qui en avait pris la tête. Le film pourrait à cet égard faire penser à la création des groupes Medvedkine avec des ouvriers de la région de Sochaux et Besançon (Doubs) dans les années 1960 et 1970, expérience esthético-politique majeure du cinéma militant soutenue alors par Jean-Luc Godard et Chris Marker.

Profondeur historique

Ce n’est toutefois pas sur les mêmes bases utopiques de l’appropriation de l’outil filmique par les ouvriers que fonctionne Par la fenêtre ou par la porte. Il s’y agit essentiellement de faire partager, dans un document de forme classique confié à un homme de métier (le réalisateur Jean-Pierre Bloc), une expérience syndicaliste, ce en quoi le film remplit d’ailleurs très honnêtement sa mission. Il le fait d’abord en resituant l’histoire dans sa profondeur historique : l’entreprise étatique florissante des Postes, télégraphes et téléphones (PTT) dans les années 1960, son vieillissement, la privatisation lente à compter des années 1980, accélérée dans les années 1990 avec le départ de 40 000 fonctionnaires en dix ans et l’entrée en Bourse, l’endettement chronique, l’arrivée des chevaliers blancs du néolibéralisme de choc en 2005, la décision des syndicats, enfin, puisqu’il y a aussi bien mort d’homme, de porter l’affaire au pénal en 2009.

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L’intelligence artificielle, cet « ogre numérique » qui angoisse les travailleurs

Le jour où elle a découvert les images que le générateur Midjourney était capable de produire en s’appuyant sur l’intelligence artificielle (AI), Catherine est restée « bouche bée ». Une question est rapidement venue à l’esprit de la graphiste parisienne : « Comment arriver, encore, à exister ? » Face à ces créations de qualité, produites instantanément et quasi gratuitement, elle s’est sentie « dépossédée de [son] expertise. Sur un plan psychologique, c’est dévastateur, on perd confiance en soi ». Elle se dit « pessimiste pour l’avenir de [son] métier ».

Le sentiment d’« angoisse » ressenti par Catherine est le même que celui qui bouscule aujourd’hui Chloé, une chargée de communication, qui pense que son travail n’aura, d’ici à quelques années, « plus de valeur ». Ou celui qui amène Pierre, comptable, à réfléchir à une reconversion professionnelle. L’intelligence artificielle sera-t-elle cet « ogre numérique », comme la surnomme Chloé, qui absorbera les emplois dans certains secteurs d’activité ? La question reste aujourd’hui en suspens, tant les projections sur le sujet s’avèrent délicates. Nombre d’organisations reconnaissent d’ailleurs qu’en la matière, le flou domine, depuis des mois maintenant.

« L’impact direct de l’IA sur nos métiers demeure à ce jour énigmatique », résume Valérie Decaux, DRH du groupe La Poste. Les entreprises françaises en sont aujourd’hui essentiellement au stade de l’expérimentation. Et l’usage d’outils d’IA générative pour créer des contenus (ordre du jour d’une réunion…), s’il a rapidement progressé, reste encore peu structuré.

Impression de déclassement

Pour autant, le recours à des solutions basées sur l’IA (et plus généralement à des outils d’automatisation des tâches) trouble une part non négligeable des collaborateurs. Aux côtés des curieux, voire des enthousiastes, « un grand nombre de travailleurs (trois sur cinq) s’inquiètent de perdre leur emploi du fait de l’IA au cours des dix prochaines années, en particulier ceux qui travaillent déjà avec [elle] », selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) parue en juillet 2023 et centrée sur les secteurs de la finance et de l’industrie manufacturière.

Qu’il s’agisse d’une vision réaliste ou fantasmée, la peur d’être remplacé par la machine est là. Mais elle n’est pas la seule. De fait, l’arrivée des outils d’automatisation peut activer différents mécanismes psychiques chez les collaborateurs concernés. C’est le cas par exemple dans l’industrie, où des systèmes d’IA sont testés pour automatiser le contrôle de la qualité des pièces produites. Des solutions que les salariés jusqu’alors chargés de cette mission voient souvent arriver avec crainte.

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Retrouver le sourire avec l’intelligence artificielle ?

Carnet de bureau. L’intelligence artificielle (IA) qui donne le sourire permanent aux vendeurs, aux agents de la fonction publique et autres salariés en contact avec la clientèle, c’est déjà du présent. Depuis trois ans, plusieurs start-up (Sanas, Krisp, Alta Voce) développent et commercialisent des logiciels qui permettent de modifier la prosodie des interlocuteurs, en partant d’un principe reconnu : le sourire de celui qui parle s’entend dans sa voix. Le ton stressé voire comminatoire de l’opératrice qui vient de passer un très mauvais moment avec le client précédent est remplacé par quelques phrases claires qui transpirent l’empathie grâce à l’« assistance sourire ». De quoi susciter l’intérêt de l’industrie des centres d’appels qui a fourni les premiers clients aux éditeurs de ces logiciels.

L’IA transforme en effet la voix des salariés avec des applications diverses. Celle de la start-up Sanas, développée en 2021 pour l’industrie des centres d’appels, gomme l’accent local des opérateurs auquel certains consommateurs réagissaient avec agressivité. Il s’agit de « briser les barrières linguistiques » et de « rendre les communications plus inclusives », assure le directeur d’exploitation, Sharath Keshava Narayana.

La solution Alta Call, développée par des chercheurs et des ingénieurs du son de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), améliore l’intelligibilité d’un message et simule un sourire en temps réel. « Dans les centres de contact, on vous demande de sourire toute la journée. Les ingénieurs ayant constaté que la prosodie de la voix peut avoir un impact émotionnel, l’idée a été d’aider les salariés à désamorcer l’agressivité de certains usagers par un sourire artificiel », explique Sarah Boujendar, maîtresse de conférences en ressources humaines et comportement organisationnel à l’université Toulouse-Capitole, autrice d’une thèse sur les conséquences de l’agressivité verbale sur la performance des salariés.

Acceptabilité éthique

Dernier exemple, Krisp, comme les deux précédents logiciels, supprime les bruits de fond : ceux de la rue ou des enfants qui jouent dans la pièce du télétravailleur, jusqu’aux clics de la souris. L’espoir d’une meilleure productivité des réunions en hybride, ou d’une plus grande efficacité d’une communication en télémédecine ou avec le SAMU.

L’intérêt économique pourrait être significatif. Si lors d’un premier bilan, il y a un an, Sanas ne faisait état que d’une amélioration de la satisfaction client de 21 %, la start-up Alta Voce a mesuré une hausse des ventes de 8 % à 30 % à l’issue d’une expérimentation d’un mois de son logiciel Alta Call dans un centre d’appels de 1 300 salariés.

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L’ex-directrice du régime de garantie des salaires n’obtient pas le statut de lanceuse d’alerte

C’est un coup dur pour celle qui affirmait avoir révélé le scandale des entreprises en difficulté. Mardi 7 novembre, Houria Aouimeur, l’ancienne directrice nationale du régime de garantie des salaires AGS, a été déboutée de toutes ses demandes par le conseil de prud’hommes de Paris. Elle réclamait, en particulier, le statut de lanceuse d’alerte dans une affaire de détournement de fonds, mais les juges, saisis en référé, ont refusé de lui donner gain de cause.

Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans un dossier à tiroirs particulièrement complexe. Tout commence à l’automne 2018, lorsque Mme Aouimeur prend les rênes du régime AGS, un organisme de protection sociale au fonctionnement très atypique. Il permet aux salariés de sociétés battant de l’aile ou liquidées de continuer à être payés. L’argent est mis à disposition de mandataires judiciaires qui le redistribuent ensuite aux travailleurs concernés. Le dispositif est gouverné par une association patronale, tout en étant rattaché à l’Unédic, l’association paritaire qui gère l’assurance-chômage.

Début 2019, un audit réalisé par le cabinet E & Y, à la demande de Mme Aouimeur, juste après son recrutement à l’AGS, révèle des anomalies susceptibles de mettre en cause le prédécesseur de la directrice nationale (favoritisme à l’égard d’une société d’avocats et de prestataires de services de communications, etc.). Des plaintes sont déposées en mars 2019, notamment par le Medef et par l’Unédic, pour « corruption active et passive, prise illégale d’intérêt »…

Au fil des mois, les soupçons s’élargissent à d’autres protagonistes – en particulier à des administrateurs et mandataires judiciaires qui auraient été impliqués dans des manœuvres frauduleuses avec l’ancienne équipe à la tête de l’AGS. Une deuxième série de plaintes est déposée, fin 2019, pour « abus de confiance, faux et usage de faux »… En parallèle, Mme Aouimeur confie un autre audit au cabinet Advolis, qui s’interroge sur l’emploi de plusieurs milliards d’euros ayant transité entre les mains de mandataires judiciaires entre 2013 et 2018.

Le dossier n’est pas clos

L’affaire prend une nouvelle dimension lorsque l’Unédic – l’employeur des personnels du régime AGS, donc de Mme Aouimeur – s’intéresse aux « frais de mission, de réception et de déplacement » de la directrice nationale et de ses proches collaborateurs. Une première « évaluation » met en évidence des dépenses très élevées : notes de restaurants, courses en taxis… Une autre expertise – du cabinet PwC – parvient à des constats similaires tout en pointant du doigt des contrats et marchés passés avec des prestataires dans des conditions irrégulières. Du fait de tous ces « manquements », l’Unédic – qui est le patron de Mme Aouimeur – décide de la licencier, en février, pour « faute lourde ».

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« Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises ne sont pas leurs engagements volontaires mais les limites planétaires »

Depuis la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, l’article 1833 du code civil stipule qu’une entreprise doit être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Pour faire face à cette nouvelle exigence de manière efficace, cette même loi Pacte propose une solution : la société à mission. Ce cadre innovant et engageant leur permet de sortir des logiques financières trop court-termistes et de se fixer des objectifs de création de valeur globale dans la durée.

A ce jour plus de 1 400 entreprises ont adopté la qualité de société à mission. Dans la plupart des secteurs, des entreprises leaders sont devenues société à mission : Enedis, Danone, les deux groupes de Crédit mutuel (Crédit mutuel Arkea, et Crédit mutuel Alliance fédérale), Korian, Doctolib, etc.

Elle protège sa réputation

De nombreux dirigeants considèrent néanmoins que leur liberté est déjà suffisamment entravée par les nombreuses normes auxquelles ils sont soumis, et qu’ils n’ont pas d’intérêt à « s’infliger des contraintes additionnelles », en adoptant la qualité de société à mission. Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises, ce ne sont pourtant pas leurs engagements volontaires mais bien les limites planétaires (biodiversité, changement climatique…) et l’aspiration légitime de justice sociale des populations.

La loi Pacte a entériné le fait que les entreprises devaient apporter des réponses à la hauteur des enjeux, qu’elles portaient toutes cette responsabilité. De la même manière, la généralisation de la directive CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive ») sur le reporting de durabilité des sociétés qui impose des normes de reporting extra-financier à toutes les entreprises de plus de 250 salariés, vise à empêcher ces dernières d’aggraver par leurs pratiques les risques auxquels elles sont soumises.

La société à mission permet, à travers la formulation statutaire d’une raison d’être et d’une mission de fixer un cap pour transformer l’entreprise et rendre son modèle d’affaires compatible avec les limites planétaires. En agissant ainsi, l’entreprise se prémunit contre plusieurs risques. Elle se met en conformité avec l’article 1833 du code civil cité ci-dessus, en démontrant la manière dont cette nouvelle responsabilité est concrètement exercée, et se prémunit contre des attaques sur cette base juridique. Elle protège aussi sa réputation.

Des vigies de plus en plus affûtées

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« Faut-il répondre au désir de consommer pas cher ou assurer, par des produits innovants, la transition vers une économie plus sobre ? »

Gouvernance. La poussée de l’inflation depuis 2022 a montré combien notre imaginaire politique reste bercé par deux grands récits économiques opposés : l’un affirme la valeur suprême du pouvoir d’achat, quand l’autre prône l’impératif de revoir fortement notre manière de consommer.

Depuis les « trente glorieuses », les syndicats, les entreprises comme les politiques ont associé le progrès social, la croissance économique à la hausse du pouvoir d’achat des ménages et donc de la consommation de biens matériels. La satisfaction des besoins répondant à toutes sortes de désirs s’est imposée autant comme le moteur de l’économie que comme une exigence morale.

Aussi, quand la compétition internationale a pesé sur les niveaux de salaires, la baisse des prix de production a pris le relais pour maintenir le niveau du pouvoir d’achat des ménages occidentaux : d’où l’industrialisation massive des produits et des services ; la délocalisation des industries dans des pays à faible coût de main-d’œuvre ; les aides publiques pour assurer le prix bas des productions non délocalisables, notamment agricoles. Compression des prix d’autant plus nécessaire que le coût des dépenses incompressibles, tel celui des logements, explosait.

La consommation épuise le désir qu’elle crée

La période fut donc tirée par un accroissement constant de la consommation même éphémère, du fait du relatif bon marché des produits et de leur facilité de mise en marché par la grande distribution puis par les sites Internet diffusant le « pas cher ».

Dès les années 1970 pourtant, un autre récit s’est fait entendre, affirmant que le rôle suréminent attribué au pouvoir d’achat était structurellement contre-productif : la consommation épuise le désir qu’elle crée, et qui n’est maintenu que par l’addiction ou par le renouvellement constant des objets désirables.

Conséquence, nous dépensons toujours plus d’énergie à recycler les déchets sous lesquels nous croulons ; nous payons des impôts pour soutenir une surconsommation alimentaire source de maladies, creusant les déficits sociaux pour lesquels il faut payer d’autres impôts ; nous courons après le temps compressé par l’usage intensif de technologies supposées nous faire gagner du temps ; nous nous évadons en rejoignant les cohortes de touristes qui font de même…

Qualité et sobriété

Depuis l’origine, ce récit s’est posé comme un contre-discours écologique. Non qu’il se limite à une simple inquiétude pour l’environnement : par définition, l’écologie s’intéresse aux écosystèmes que produit le vivant, et, en particulier l’humain, et donc aux effets, tant sur la nature que sur cet humain lui-même, de la promesse d’une croissance fondée sur le pouvoir infini de consommer.

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