« Que sait-on du travail ? » : les algorithmes au cœur de la relation entre les demandeurs d’emploi et leurs conseillers

Comment récolter et traiter au mieux les informations nécessaires au retour à l’emploi ? Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po, diffusé en collaboration avec « Le Monde », le sociologue Didier Demazière décrit l’adhésion contrastée des conseillers de France Travail aux logiciels d’aide à la décision.

Dire « oui » ou « non » à l’ordinateur : retour sur la numérisation du service public de l’emploi

Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po, diffusé en collaboration avec « Le Monde », le sociologue Didier Demazière s’intéresse aux usages des algorithmes à disposition des conseillers France Travail (ex-Pôle emploi).

« Abolir l’exploitation » : comprendre l’exploitation des travailleurs pour mieux la combattre

Le livre. Le concept d’exploitation connaît aujourd’hui une destinée contrastée. S’il est fréquemment utilisé dans le langage ordinaire pour dénoncer des expériences de l’injustice et de la domination (face aux stages faiblement rémunérés, à la condition des livreurs à domicile…), il serait désormais « largement discrédité dans les champs académiques de la philosophie sociale, de la théorie politique et des sciences sociales critiques », observe Emmanuel Renault.

Il est pourtant essentiel pour penser les conditions de travail et la question salariale aujourd’hui, selon le philosophe. Dans son dernier ouvrage, Abolir l’exploitation (La Découverte, 2023), le professeur à l’université Paris-Nanterre s’attache donc à replacer au centre du débat cet « outil puissant d’analyse et de combat ».

A travers son ouvrage, il propose ainsi une exploration minutieuse et érudite de ce terme, revenant sur ses origines, s’arrêtant sur les critiques dont il fait l’objet aujourd’hui, mettant en avant son apport dans « la lutte pour un monde plus juste », mais aussi dans la construction d’une pensée de gauche.

La France du XIXe siècle

La construction du concept d’exploitation prend place dans la France du XIXe siècle, en plein essor industriel. « Comme Babeuf, les saint-simoniens [porteurs de la doctrine de Saint-Simon (1760-1825)] dénoncent dans l’exploitation le fait que des “oisifs” accaparent la “sueur des travailleurs” » et « voient dans la propriété privée l’origine de l’exploitation », indique l’auteur.

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Progressivement, l’idée d’une exploitation de l’homme par l’homme va s’imposer « au sens de l’antagonisme entre les deux classes du monde industriel : la bourgeoisie et le prolétariat ». Le mouvement ouvrier français se saisit de ces différentes notions qui seront dans un second temps reprises par Karl Marx (1818-1883) – lequel en proposera une théorisation approfondie.

Au fil des pages, l’auteur présente les différentes critiques émises à l’encontre du concept d’exploitation. Il serait impossible de distinguer les situations relevant de l’exploitation et celles qui n’en relèvent pas. La notion d’exploitation buterait par ailleurs sur le fait que les salariés ne constituent plus « un ensemble homogène qui incarnerait l’injustice distributive »… M. Renault s’attache à les déconstruire avec méthode.

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Ce faisant, il dessine progressivement les contours du concept classique d’exploitation. Les travaux du sociologue américain Erik Olin Wright (1947-2019) lui permettant notamment de distinguer quelques lignes forces : le « bien-être inversé » (le bien-être matériel des exploiteurs dépend de la réduction du bien-être matériel des exploités), l’« exclusion des ressources productives » et l’« appropriation des efforts de travail ».

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Les femmes et les hommes sont-ils égaux face à l’avènement de l’intelligence artificielle dans les entreprises ?

Depuis l’arrivée de ChatGPT sur le marché, en novembre 2022, tout ou presque a été dit sur les risques et les dangers de ces outils d’intelligence artificielle générative (IAG) : suppressions massives d’emplois, pertes de créativité, faux profils, fausses images et informations, etc. Beaucoup a également été dit sur les avantages, notamment économiques, de cette IAG pour les entreprises. Rapide dans le traitement des informations ou capable de traduire dans toutes les langues, elle libère du temps qui peut être consacré à des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme la rédaction automatique du compte rendu après une réunion.

Mais ces risques et ces avantages sont-ils les mêmes pour les femmes et les hommes ? Rien n’est moins sûr ! La première inégalité est celle du nombre dans le secteur du numérique – et donc de l’IA –, où les femmes sont sous-représentées. Bien que relativement dégenrés, les métiers liés aux technologies en général et au numérique en particulier souffrent de la sous-représentation des femmes dans les filières scientifiques et techniques.

Le « Pacte pour une intelligence artificielle égalitaire entre les hommes et les femmes », lancé par le Laboratoire de l’égalité, constate que les femmes ne représentent actuellement que 12 % des emplois du secteur, et souligne que leur absence « est une des raisons-clés du sexisme des algorithmes conçus et développés par et dans un univers masculin ».

Le principal risque de cette sous-représentation est celui de l’invisibilisation progressive des femmes dans de nombreux métiers du numérique. A l’heure où l’IAG s’impose rapidement à tous les niveaux des entreprises, « il faut que les femmes soient représentées et actives dans tous les métiers liés à l’IA, notamment pour débiaiser les algorithmes, inclure toutes les diversités, enlever les stéréotypes…, insiste Hélène Deckx van Ruys, directrice RSE et copilote du groupe IA au Laboratoire de l’égalité. Faute de quoi, les biais perdureront et seront amplifiés ».

Une situation complexe

C’est déjà le cas dans une zone mal connue du monde du travail, celle de la préparation des données dont se nourrissent les modèles d’IAG. Paola Tubaro, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l’économie des plates-formes numériques, s’est intéressée aux travailleurs de l’ombre, qui effectuent des microtâches sur des plates-formes numériques pour entraîner des outils comme ChatGPT, partout dans le monde et notamment en Afrique.

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« Ce sont des tâches dégenrées, qui nécessitent juste des compétences basiques et qui peuvent être effectuées par n’importe qui, même à domicile, ce qui pourrait convenir à beaucoup de femmes. Pourtant, là aussi, elles sont minoritaires. Loin de réduire les inégalités entre hommes et femmes, ces travaux les exacerbent, résume-t-elle. Non seulement ils ajoutent une charge supplémentaire aux femmes, qui gèrent déjà la vie domestique et familiale, mais comme elles le font occasionnellement, elles réalisent des tâches de moins haut niveau et gagnent moins que les hommes. » Conséquence, les centres de préparation des données en Afrique francophone emploient aujourd’hui majoritairement des hommes.

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