« Clinicien du travail, je constate l’ampleur des pathologies associées aux nouvelles organisations »

« De partout monte le sentiment qu’inexorablement, le monde s’obscurcit. Et à ce sentiment répond, en écho, une aspiration diffuse à vivre dans la beauté. » Cette parole brûlante du poète caribéen Monchoachi résonne avec une intensité particulière dans le monde professionnel. Est-il possible aujourd’hui de vivre et de travailler dans la beauté ? D’exercer son métier en y trouvant un lieu d’humanisation et de création ? Pour qui et comment ?

Depuis une quinzaine d’années, j’interviens en Belgique, dans une clinique du travail à Liège et en privé à Namur. Ce sont des lieux de consultation ouverts à des personnes qui rencontrent des difficultés professionnelles. Nous y sommes confrontés aux malaises que les transformations du travail suscitent. Nous pouvons constater l’ampleur des pathologies associées aux nouvelles organisations. Mon livre, Le Travail à vif (Erès, 280 pages, 25 euros), rend compte de cette expérience et s’interroge sur les manières d’intervenir, entre écoute du sujet et transformation du travail.

Comme cliniciens, nous sommes confrontés à une multiplication de demandes adressées par des personnes souvent en congé maladie. Des situations très dégradées nous confrontent d’emblée à la violence des rapports sociaux. Les demandes s’expriment d’abord au travers de symptômes et de diagnostics, dont le plus fréquent est celui de burn-out.

On parle à ce propos de pathologies « du travail ». L’expression mérite réflexion. Il peut s’agir de maladies causées par le travail, avec toute la difficulté d’établir un lien de causalité, comme dans le cas du burn-out. Mais l’expression peut également signifier que c’est le travail lui-même qui est malmené et demande à être soigné.

Le juste, l’injuste et l’intolérable

On doit s’interroger sur l’idée de pathologie. Celle-ci n’est pas le contraire de la normalité ; elle révèle des traits de la vie ordinaire qui autrement passeraient inaperçus alors qu’ils sont problématiques. Une patiente, directrice des ressources humaines, dont je reprends le récit dans l’ouvrage, racontait qu’elle avait été amenée à procéder à des licenciements collectifs à répétition, avec des méthodes brutales à la limite de la légalité. En consultation, elle s’est demandé pour la première fois : « Est-ce normal ? » L’engrenage dans lequel elle s’était laissé prendre l’empêchait de discerner le juste de l’injuste. L’intolérable s’était normalisé, et la pathologie venait manifester dans le corps une protestation qui n’avait pas encore trouvé le chemin des mots.

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Les salariés licenciés de Milee manifestent devant Bercy : « C’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans ! »

Sa détresse, un salarié de Milee la résume en cette formule : « On a l’impression d’être des invisibles, un quart-monde. » L’entreprise de distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres est en liquidation depuis le 9 septembre. « Y a 10 100 personnes sur le carreau, c’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans dans ce pays, comment ça se fait que ça ne fasse pas l’ouverture de tous les JT de France ? », s’indigne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT. D’autant qu’une partie des salariés n’ont même pas perçu leurs derniers salaires. « Certains se retrouvent sans aucun revenu. Et nous ne savons pas quand ils seront payés ! », insiste l’élu.

Pour tenter d’attirer l’attention, plusieurs dizaines d’entre eux, venus de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Rouen (Seine-Maritime), Niort (Deux-Sèvres) ou Brive-la-Gaillarde (Corrèze) s’étaient donné rendez-vous devant le ministère de l’économie et des finances, à Paris, mardi 8 octobre. « Les autres n’ont déjà pas de quoi acheter à bouffer, alors encore moins de quoi payer un billet pour Paris », commente au micro Jean-Paul Dessaux, secrétaire fédéral SUD-PTT.

Marie-Ange Goyard, 37 ans, deux enfants, distributrice au dépôt de Roanne (Loire), prend la parole après lui : « Vous savez ce qu’il va faire mon homme cet après-midi, comme tous les mardis ? Il va aller aux Restos du cœur ! J’en ai fait des heures pour Milee… On nous payait toujours des temps approximatifs. Et avec ma bagnole personnelle, malgré la hausse de l’essence… Marie-Ange c’est pas une vache à lait, ce que je voulais c’est travailler dignement ! » Elle éclate en sanglots.

Aucune allocation chômage

La plupart des distributeurs travaillaient à temps partiel, au smic horaire. Parmi eux beaucoup de personnes fragiles, mères célibataires, travailleurs multipliant les petits boulots ou retraités complétant de maigres pensions. Pour ces derniers, il n’est prévu aucune allocation chômage : « Je vais devoir me débrouiller avec les heures de ménage que je fais encore… », explique Nicole Fromage, 74 ans. Environ 1 700 salariés ont plus de 70 ans selon Sud-PTT qui demande, pour eux, la mise en place d’une aide exceptionnelle.

« Il y a une hypocrisie énorme des responsables politiques et patronaux qui connaissaient la situation, mais comme les salariés sont très précaires et disséminés sur tout le territoire, ils se sont dit “On est tranquille, personne ne va réagir” », s’est indignée devant les salariés la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.

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Prix Penser le travail : un appel à reconnaître la place de l’individu dans les organisations

« Mettre le sujet au cœur de l’action, c’est reconnaître que dans toute action il y a une dimension humaine et intersubjective », disait le sociologue Blaise Ollivier (1924-2007) lors d’une interview sur la parole difficile du sujet en entreprise. C’est ce que nous invitent à faire les nommés au prix Penser le travail 2024, à travers trois ouvrages sur des sujets aussi différents que la religion, les inégalités femmes-hommes et la souffrance au travail, mais qui portent un message commun : soyons tous responsables, en reconnaissant la place de l’individu dans les organisations.

Le prix Penser le travail, cofondé par Sciences Po et Le Monde, est chaque année l’aboutissement d’un an de lectures croisées. Quelque soixante-dix essais, manuels, enquêtes et autres témoignages sur le monde du travail publiés en 2023 par les maisons d’édition ont ainsi été soumis aux étudiants du master RH et gouvernance durable de Sciences Po, qui en ont présélectionné quelques-uns, par la suite mis en débats avec des responsables des ressources humaines, des journalistes du Monde et des professeurs de Sciences Po, sur six critères : la nouveauté du sujet, la qualité de l’argumentation, le fondement scientifique, la lisibilité, l’apport à la réflexion bien sûr et enfin la pertinence pour l’action, à laquelle les DRH sont particulièrement attentifs.

Parmi les trois nommés 2024, Les Entreprises et l’égalité femmes-hommes (Presses de Sciences Po, 2023), de Dominique Meurs, dresse un état des lieux des inégalités, aux responsabilités largement partagées entre employeurs, partenaires sociaux, salariés et éducation nationale. Les inégalités persistent sur les salaires et l’évolution de carrière. En confrontant les études de chercheurs et les dispositifs mis en place dans les organisations avec plus ou moins de succès, l’économiste met le doigt sur ce qui se passe sur le lieu de travail au regard de l’évolution des normes et des réglementations.

« Le sujet est figé »

Les politiques publiques ont imposé l’index de l’égalité femmes-hommes aux entreprises pour corriger les écarts de rémunération ; « les entreprises sont nombreuses à chercher à innover », note l’économiste, mais avec une efficacité qui reste toute relative. « Le sujet est figé », constatait un DRH au cours des débats. Les responsables des ressources humaines témoignent d’« une frustration extrême face à cette inertie » et ont lu cet ouvrage comme « une invitation à reprendre le sujet ».

En décrivant le travail en situation – des sanctions aggravées pour les femmes ayant des responsabilités, des recrutements qui s’attardent plus sur les profils que sur les compétences, une tolérance coupable face aux attitudes sexistes –, Dominique Meurs ouvre des pistes de réflexion qui renvoient chacun à ses responsabilités. La sociologue suggère notamment de renforcer les compétences statistiques des services RH, les formations, les quotas et le mentorat.

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« Ce doit être aux plateformes comme Uber de démontrer qu’elles emploient de vrais indépendants »

Un livreur portant un sac à dos Uber Eats se joint à des dizaines de livreurs de repas qui manifestent contre leurs conditions de travail et contre un arrêté municipal interdisant les scooters thermiques dans le centre de la ville de Nantes (Loire-Atlantique), le 12 mars 2021.

Uber, les salauds et mes ovaires, c’était déjà le nom d’un « spectacle politique » que donnait Danielle Simonnet dans un théâtre parisien en 2016. La députée de la 15e circonscription de Paris (groupe Ecologiste et social) n’a jamais délaissé le sujet depuis. C’est elle qui a initié et conduit la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les « Uber Files », du nom d’une série d’articles publiés par Le Monde et ses partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation en juillet 2022. Son rapport, publié à l’été 2023, dénonçait le « cynisme total » d’Uber et critiquait Emmanuel Macron, qui a manœuvré en coulisses pour la plateforme lorsqu’il était ministre de l’économie.

La députée, exclue de La France insoumise en juin dernier lors d’une « purge » d’élus « frondeurs », publie, jeudi 9 octobre, Face à Uber. Enquête sur un scandale d’Etat (Fayard). Un livre dans lequel elle dénonce la menace que la hausse du nombre de travailleurs des plateformes fait peser sur nos normes sociales. D’où l’urgence, selon elle, de transposer en droit français la directive européenne sur le travail des plateformes adoptée au printemps.

Vous qualifiez, dans votre livre, les relations entre Uber et Emmanuel Macron de « scandale d’Etat ». Mais, lui, estime avoir été dans son rôle de ministre de l’économie, puis de président, en rencontrant des chefs d’entreprise étrangers. Dès lors qu’il l’assume, où est le problème ?

Cette histoire, ce n’est pas du tout celle d’un homme politique qui rencontre des entreprises qui créent de l’emploi. Déjà, ce n’était pas du tout transparent à l’époque. Surtout, au moment de ces rencontres, de 2014 à 2016, Uber est une plateforme hors-la-loi à tout point de vue : le code du travail est bafoué, les règles sur la concurrence également, sans parler de la fiscalité. Cette application n’est pas une grande invention en soi, mais ils ont été très forts pour se moquer de l’Etat de droit et théoriser le passage en force. Or, le ministre de l’économie, à l’insu de son gouvernement, a construit avec la multinationale américaine toute une stratégie de communication commune, en vue d’un deal. Les documents issus des « Uber Files » le montrent. Emmanuel Macron s’est efforcé de modifier les réglementations pour les adapter à cette application. C’est ça qui est scandaleux.

Relire notre enquête : Article réservé à nos abonnés le deal secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy

Le revenu moyen d’un livreur Uber Eats qui accepte toutes les courses était de 10,10 euros brut par heure en 2023, selon une étude publiée début octobre par le ministère de l’économie. C’est moins que le salaire minimum, si l’on tient compte des cotisations. C’est aussi ça, l’ubérisation ?

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Dominique Meurs, finaliste du prix Penser le travail : « Pour briser le plafond de verre, il faut passer au crible les procédures de promotion »

La chercheuse Dominique Meurs, codirectrice du projet « Travail » du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), chercheuse associée à l’Institut national d’études démographiques (INED) et directrice exécutive de la chaire Travail à Paris School of Economics, a commencé à s’intéresser aux inégalités de genre au travail dès le début de sa carrière. Son ouvrage Les Entreprises et l’égalité femmes-hommes, publié par les Presses de Sciences Po dans la collection « Sécuriser l’emploi » (2023), dresse un état des lieux de ce qu’en ont fait les entreprises. Il vient d’être nommé au prix Penser le travail 2024.

Votre ouvrage aurait pu être titré « Que font les entreprises pour l’égalité femmes-hommes ? ». Il présente les avancées significatives réalisées ces dernières années en termes d’inégalités femmes-hommes, mais aussi les blocages persistants. Qu’apporte-t-il de nouveau ?

La première nouveauté est de s’adresser en tant que chercheur aux entreprises et aux responsables des ressources humaines. Mon objectif était de faire un pont entre la recherche académique et les entreprises.

La deuxième est de montrer, à travers les nouveaux travaux, que les entreprises ont un rôle à jouer en interne et pour faire bouger la société, comme certaines l’ont fait sur le congé paternité, par exemple. L’Oréal avait ainsi mis en place un congé paternité rémunéré bien avant la loi. Dans une autre entreprise, pour laquelle j’avais établi les liens entre les retards de promotion et le retour de congé maternité, a été mis en place un suivi personnalisé de carrière.

Pour analyser les inégalités, vous pointez notamment le poids des ségrégations professionnelles qui concentrent les femmes dans des métiers moins bien rémunérés que ceux exercés plutôt par des hommes : 90 % de femmes chez les aides-soignants, 66 % parmi les enseignants, 25 % chez les ingénieurs. Que peuvent les entreprises ?

C’est l’un des verrous les plus difficiles à lever. La première réponse est d’aller dans les écoles présenter les débouchés professionnels pour les deux genres, puis de travailler en interne sur les conditions de travail.

La deuxième concerne la ségrégation verticale. Pour briser le plafond de verre, il faut passer au crible les procédures de promotion, mettre en place du job posting [affichage des postes] pour favoriser la mise en compétition interne des candidats. Si on peut doubler ce mode de transparence par du mentoring [accompagnement] pour inciter les femmes à se présenter, c’est un puissant levier favorable à la mixité.

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Thomas Périlleux, finaliste du prix Penser le travail : « Le burn-out est une protestation qui n’a pas trouvé le chemin de la parole »

Le sociologue et clinicien du travail Thomas Périlleux, également professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique), s’intéresse à l’engagement subjectif dans le travail ou plutôt dans l’activité. Son ouvrage Le Travail à vif. Souffrances professionnelles, consulter pour quoi ?, publié en 2023 aux éditions Erès, analyse des témoignages de salariés venus le consulter pour faire le lien entre des situations d’épuisement, de sidération, d’étouffement de la parole, et les organisations du travail. Il vient d’être nommé pour le prix Penser le travail 2024.

Votre ouvrage « Le Travail à vif » nous plonge dans le monde des pathologies du travail. En quoi s’inscrit-il dans l’actualité ?

C’est un livre issu de quinze ans de consultations, qui aborde des questions qui ont pris une certaine acuité et ont rejoint l’actualité sur deux points : les changements dans le travail et son organisation, encore accentués par la crise sanitaire, qui ont des incidences collectives – l’intensification du travail, la disparition des anciens collectifs issus de la période fordiste –, et des incidences subjectives, à savoir le nouveau rapport au travail, la promotion d’un modèle de performance et de réussite individuelle. On est peut-être à un moment d’épuisement de ce modèle.

Le deuxième point touche aux changements dans le paysage de la santé, en particulier la santé mentale au travail, à savoir l’évolution de la réglementation et la multiplication des intervenants en entreprise, concomitants à la montée des risques psychosociaux et des burn-out.

Vous adressez votre analyse des souffrances professionnelles à tous ceux qui cherchent à transformer le travail. Quel est, selon vous, le propos de l’ouvrage à retenir en priorité ?

La dimension de l’écoute – souvent esquivée – me paraît centrale. Il est important de revenir à ce qu’on appelle « le réel du travail », d’être en mesure d’écouter ce que les salariés ont à dire sur leur travail d’abord, sur l’activité et ensuite sur son contexte, car l’expérience personnelle se déploie toujours dans un cadre collectif et ses règles.

L’enjeu est de repartir du travail vécu et non d’un modèle qui peut être en contradiction avec les valeurs du métier. En partant des situations concrètes, on voit comment le sens du travail peut se reconstruire ou se détruire. On voit quelles sont les possibilités de création ou d’innovation. Comment le sentiment d’impuissance par exemple, n’est pas l’impuissance elle-même. En revenant dans le détail du travail réel, on sort de l’image globale pour révéler les marges de manœuvre du salarié.

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Lionel Honoré, finaliste du prix Penser le travail : « Face aux faits religieux, il est important que les manageurs restent dans une posture d’accommodement raisonnable »

Professeur de sciences de gestion et directeur adjoint de l’institut d’administration des entreprises (IAE) de Brest, Lionel Honoré a lancé, en 2013, l’Observatoire du fait religieux en entreprise. Son manuel Manager la religion au travail, publié chez Dunod, en 2023, fait la synthèse de la connaissance sur le sujet, des bonnes et des mauvaises pratiques en entreprise. Il est finaliste du prix Penser le travail 2024.

Dans votre ouvrage, vous indiquez que deux entreprises sur trois sont concernées régulièrement ou occasionnellement par les questions de religion au travail, en 2023, contre une sur quatre, en 2013. Mais qu’est-ce qu’un fait religieux, et lesquels reviennent le plus souvent ?

Lionel Honoré : Un fait religieux est une situation de travail où il y a des comportements et des faits qui ont une dimension religieuse, avec un impact sur la situation de travail. Le plus fréquent, c’est le port d’un vêtement, de signes religieux, les demandes d’aménagement du temps de travail pour pratiquer un rite. Plus rarement, on observe des comportements misogynes des salariés, des prières pendant le temps professionnel, ou le refus de réaliser une tâche. Le regard projeté par d’autres salariés sur les salariés pratiquants, ou leur stigmatisation, est aussi un fait religieux.

Quelles sont les raisons de cette progression ? Quels sont les profils les plus concernés ?

Depuis les attentats de 2015, il y a un regard plus négatif sur la religion. Cela s’explique aussi par l’affirmation de la part des salariés de leur identité religieuse, plus évidente qu’il y a dix ans. C’est davantage considéré comme un droit, et cela correspond au cadre juridique puisque la liberté religieuse est garantie dans le privé si elle n’est pas limitée par un règlement intérieur.

Les secteurs les plus concernés sont les grandes métropoles, avec 50 % des cas en Ile-de-France. On les retrouve plus fréquemment dans les grandes entreprises, dans la gestion de l’environnement, la grande distribution, le nettoyage, la logistique, le transport et la sécurité. Le fait religieux est à la fois masculin et féminin, mais les plus problématiques sont l’objet d’hommes. Chez les hommes jeunes et peu qualifiés, il y a davantage une logique de fait religieux collectif.

Les directions, les manageurs mais aussi les salariés maîtrisent-ils le sujet de la religion au travail ?

Ce sont des situations de mieux en mieux abordées. Les entreprises s’outillent de plus en plus, informent les salariés. Les manageurs sont moins surpris et cela ouvre plus d’espace pour des logiques d’accommodement raisonnable. Mais seules les entreprises les plus concernées prennent le sujet à bras-le-corps, pour éteindre le feu ou réparer. C’est un sujet de terrain qui a du mal à remonter, car les manageurs de proximité ont peur de faire remonter des situations épineuses aux ressources humaines.

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Assurance-chômage : le gouvernement Barnier revient sur les réformes Attal

La ministre du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, à l’Assemblée nationale, le 2 octobre 2024.

Petit à petit, le gouvernement de Michel Barnier dévoile sa feuille de route en matière sociale. Si elles se confirment, plusieurs intentions affichées par la nouvelle équipe au pouvoir détricotent une partie des projets du précédent premier ministre, Gabriel Attal. Dernier exemple en date : l’allocation de solidarité spécifique (ASS), dont la suppression avait été annoncée, fin janvier. Cette prestation, accordée – sous certaines conditions – aux demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à l’assurance-chômage, sera finalement maintenue.

C’est Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre du travail, qui a révélé cet arbitrage. Dans un entretien au quotidien Ouest-France daté du samedi 5-dimanche 6 octobre, elle explique avoir « obtenu » que ce minimum social « sorte (…) de toutes les discussions budgétaires et qu’on ne [le] supprime pas en l’état ». La disparition de cette allocation faisait partie des décisions présentées, le 30 janvier, par M. Attal lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. A l’époque chef du gouvernement, il avait expliqué que l’ASS serait basculée sur le revenu de solidarité active (RSA) – autrement dit remplacée par celui-ci. Un choix fortement critiqué car il était susceptible de pénaliser des personnes en très grande précarité.

Toutefois, quelques jours avant les élections européennes du 9 juin, l’exécutif avait donné le sentiment d’hésiter sur la mise en œuvre de la mesure, Catherine Vautrin, alors ministre du travail, indiquant qu’elle n’était « pas un sujet d’actualité immédiat ». Le secteur associatif, qui vient en aide aux plus démunis, y avait vu l’amorce d’un renoncement. Aujourd’hui, l’abandon du projet paraît acté.

Pas de nouvelle lettre de cadrage

Une autre réforme portée par M. Attal semble également être enterrée : celle de l’assurance-chômage, qui devait durcir les règles applicables aux demandeurs d’emploi par le biais d’un décret mis entre parenthèses depuis juin. Dans son interview à Ouest-France, Mme Panosyan-Bouvet confirme la volonté, déjà exprimée par M. Barnier, de « redonner la main aux partenaires sociaux » sur ce dossier, ce qui signifie concrètement que les organisations de salariés et d’employeurs vont rouvrir une négociation au sujet du régime d’indemnisation des chômeurs. La discussion entre les protagonistes s’appuiera sur l’accord qui avait été conclu en novembre 2023 par le patronat et par trois syndicats (CFDT, CFTC, FO), mais que l’exécutif avait finalement refusé de valider.

Souhaitant « donner un maximum de chances pour que le dialogue social fonctionne », Mme Panosyan-Bouvet précise qu’il n’y aura pas de nouvelle lettre de cadrage de Matignon qui dicterait des objectifs aux représentants des travailleurs et des chefs d’entreprise. Mais cela « n’interdit pas que l’Etat et les partenaires sociaux se parlent, bien au contraire ! », ajoute-t-elle, comme pour insister sur le changement de méthode prôné par le gouvernement, rompant ainsi avec sept années de macronisme durant lesquelles les tensions ont été nombreuses avec les corps intermédiaires.

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« C’est un métier ! » : Leur profession étant souvent associée au risque de chute, les couvreurs veulent changer d’image

Régulièrement, depuis vingt ans, Michel Bianco prend des photos des travailleurs sur les toits de sa région : « On voit les couvreurs se balader sans aucune protection, ce sont souvent des précaires qu’on a fait monter pour remplacer des tuiles, en quelques heures. Il n’y a pas de nacelle, l’échafaudage n’est pas aux normes. » Le 2 août 2006, son fils Jérôme, qui installait une baie vitrée sur un immeuble, a chuté mortellement d’un échafaudage, et l’entreprise a été condamnée. « Les couvreurs sont le symbole d’une culture où l’on a conscience du risque, mais où l’on grimpe sans harnais ni ligne de vie, comme si c’était anodin. »

Entre 17 % et 19 % des 738 salariés du secteur privé morts au travail en 2022 ont pour origine une chute de hauteur. Le métier de couvreur en est régulièrement le symbole : sa mission principale consiste à réaliser, réparer et entretenir les toits des constructions. Il pose des couvertures étanches et isolantes, installe les systèmes d’évacuation des eaux de pluie, parfois des fenêtres de toit voire des panneaux solaires. « 43 % des accidents graves et mortels de couvreurs sont dus aux chutes de hauteur », explique Sébastien Terrier, responsable d’opération à la direction technique de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), qui a publié en septembre une étude sur les conditions de travail des couvreurs.

L’accident type survient souvent sur un chantier géré par une petite entreprise, qui fait de la rénovation pour des particuliers, à la suite d’un problème d’échafaudage inadapté ou à cause d’une toiture en matériau fragile. Exposés aux aléas climatiques, sur des toits à chaque fois uniques, les risques sont démultipliés. Les obligations de sécurité aussi, et le nombre d’accidents pour mille salariés a été presque divisé par deux entre 2016 et 2021, mais les petites entreprises – plus de 90 % des employeurs en couverture – manquent souvent de temps et d’argent.

Bonnes pratiques

« Quand il y a un confort de travail, on gagne de l’argent, met pourtant en avant Cyril Guy, chef d’entreprise en Dordogne. Mais le client ne voit pas toujours l’intérêt de mettre en sécurité les couvreurs. » « Les chantiers de couverture sont courts. Certains patrons expliquent que mettre des filets de sécurité prend deux jours, pour une intervention d’une heure, confirme Frédéric Mau, président de l’OPPBTP et secrétaire général de la CGT-Construction, bois et ameublement. Tant que la maîtrise d’ouvrage ne sera pas impliquée dans les suites judiciaires en cas de drame, on n’y arrivera pas. »

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