Après l’arrêt contre Uber, il faut « construire un nouveau droit social »
Tribune. Par un arrêt rendu le 4 mars, la chambre sociale de la Cour de cassation a validé une décision de la cour d’appel de Paris du 10 janvier 2019 requalifiant en salarié un conducteur de VTC [véhicule de tourisme avec chauffeur] travaillant en indépendant via la plate-forme Uber. Si une requalification généralisée de ces indépendants en salariés des plates-formes n’est pas souhaitable, il est en revanche temps d’envisager la construction d’un nouveau droit social associé à l’activité professionnelle et protégeant tous les travailleurs, qu’ils soient indépendants ou salariés.
La décision du 4 mars n’est pas le premier cas de requalification en France. La Cour de cassation avait déjà, en novembre 2018, requalifié un travailleur en salarié de la plate-forme de livraison de repas Take Eat Easy, qui a depuis décidé de cesser son activité dans notre pays. Citons également le conseil de prud’hommes de Paris qui, en février 2020, a requalifié le contrat d’un coursier travaillant en prestation de services pour Deliveroo.
La justice a aussi décidé, en mars 2020, de saisir 3 millions d’euros sur les comptes de cette même plate-forme pour non-paiement de cotisations sociales que l’entreprise aurait dû acquitter sur les années 2015-2016. L’arrêt du 4 mars est fondé sur des critères définis par un précédent arrêt rendu en 1996, qui s’appuie lui-même sur la définition du salarié liée au concept de subordination juridique. Uber avait vis-à-vis du conducteur indépendant trois pouvoirs caractérisant l’existence d’un contrat de travail : donner des instructions, contrôler leur exécution, sanctionner leur non-respect.
L’inégalité des droits n’est pas acceptable
Il est intéressant de remarquer que ces mêmes critères sont ceux qui fondent des requalifications décidées dans d’autres pays, par exemple par la justice britannique en octobre 2016 contre Uber, ou par une loi californienne de septembre 2019 concernant tous les conducteurs de VTC.
Cette décision fera jurisprudence, les conseils de prud’hommes pourront facilement s’y référer. Il est vrai que de nombreux indépendants travaillant via des plates-formes connaissent des conditions de subordination économique extrêmes et des protections fortement appauvries par rapport à celles des salariés. Cette différence ne concerne pas seulement la protection sociale, et en particulier le chômage, mais aussi de nombreux autres domaines.
Par exemple, le droit social ne confère pas à ces indépendants la protection d’une rémunération minimale équivalente au smic, un encadrement des conditions de travail comme les durées du travail maximales, la possibilité de contester aux prud’hommes les conditions d’une séparation, etc. Ces indépendants portent même, à la différence des salariés, le risque financier lié à l’achat de leur outil de travail, comme le véhicule du conducteur de VTC. Une telle inégalité de droits n’est pas acceptable, elle est contradictoire avec l’objet même du droit social.