« Alors que nos modèles économiques mettent en péril l’habitabilité de la planète, de quoi l’entreprise doit-elle être comptable ? »

« Alors que nos modèles économiques mettent en péril l’habitabilité de la planète, de quoi l’entreprise doit-elle être comptable ? »

Loin d’être un enjeu strictement technique, la nouvelle directive européenne de reporting extrafinancier CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) pose avant tout une question politique. Alors que nos modèles économiques mettent en péril l’habitabilité de la planète, de quoi l’entreprise doit-elle être comptable ? Au-delà du pilotage financier de l’entreprise, la comptabilité révèle ce que la société s’accorde à valoriser. La définition de ces règles est un enjeu politique majeur.

Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », rendu au gouvernement en 2018, le pointait déjà : pour tenir effectivement compte des enjeux sociaux et environnementaux en économie, une évolution des normes comptables est indispensable. En installant de nouvelles normes de reporting, la CSRD va justement obliger les entreprises à rendre compte de leur contribution au bien commun dans leurs publications annuelles.

Les débats sur la manière de s’y prendre se cristallisent autour d’un thème : la double matérialité. Issue du secteur de l’audit, la notion de matérialité représente le seuil au-delà duquel des erreurs comptables peuvent avoir un impact significatif sur la vérité des comptes audités. En comptabilité, dire d’une information qu’elle est matérielle, c’est donc tout simplement dire qu’elle est importante.

Changer de paradigme

Voilà tout le sujet du débat : qu’est-ce qui est important ? Jusqu’ici, cette matérialité portait exclusivement sur les aspects financiers. La nouvelle directive européenne y ajoute une dimension extrafinancière : une double matérialité, qui intégrera les impacts négatifs ou positifs significatifs de l’entreprise sur l’environnement social et environnemental. Sans surprise, c’est bien là que ça coince : il s’agit de changer de paradigme pour réguler l’économie.

Les tenants de la matérialité simple revendiquent l’autorégulation du marché basée sur la bonne volonté des acteurs, à condition qu’ils intègrent dans leurs risques et opportunités les facteurs climatiques. Ils doutent de la faisabilité et de la pertinence de la double matérialité. Selon eux, un monde à + 5 °C serait devenu suffisamment mauvais pour les affaires pour que les acteurs transfèrent sans contrainte leurs investissements vers des activités durables…

Certes, ces nouvelles normes demandent un temps d’adaptation, mais elles sont tout simplement indispensables. La communauté scientifique le rappelle très bien, à l’image de la réponse de la Chaire de comptabilité écologique à la consultation de l’International Sustainability Standards Board : sans cette double matérialité, nous n’atteindrons pas nos objectifs et continuerons de mettre en péril la vie sur Terre.

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LJD

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