Alexandra Roulet, lauréate du Prix du meilleur jeune économiste 2024 : « L’assurance-chômage comporte un aléa moral  »

Alexandra Roulet, lauréate du Prix du meilleur jeune économiste 2024 : « L’assurance-chômage comporte un aléa moral  »

Alexandra Roulet, lauréate du Prix du meilleur jeune économiste 2024, dans les locaux du « Monde », le 22 mai 2024.

Lauréate du Prix du meilleur jeune économiste 2024, Alexandra Roulet revient sur ses travaux ainsi que sur son expérience en tant que conseillère économique à l’Elysée et à Matignon.

Comment êtes-vous venue à la recherche économique et à vous spécialiser dans la question du travail ?

J’ai hésité entre une carrière académique ou administrative. C’est la rencontre avec mes professeurs, Daniel Cohen à l’Ecole normale, puis Philippe Aghion à Harvard, qui a été déterminante par leur enthousiasme communicatif. Quant à la question du travail, je l’ai abordé avec Lawrence F. Katz, professeur à Harvard. Il est vrai que beaucoup de Français sont attirés par ce thème, peut-être poussés par l’importance de la question du chômage dans notre pays.

Vous avez travaillé sur l’assurance-chômage, un thème d’actualité. Que vos recherches ont-elle apporté ?

L’assurance-chômage est destinée à atténuer un choc, celui de la perte de revenus. Mais elle doit aussi aider à la recherche d’un nouvel emploi. Comme toute assurance, elle comporte un aléa moral, si elle n’incite pas à retrouver suffisamment rapidement un travail.

Avec Thomas Le Barbanchon et Roland Rathelot, nous avons regardé si avoir droit à une durée d’indemnisation plus longue induisait aussi une durée plus longue de recherche d’emploi. Nous avons constaté que, si l’on augmente de 10 % la durée d’indemnisation, la durée au chômage augmente de 3 %. Ce chiffre est cohérent avec les études qui ont été menées à l’étranger sur le même sujet. On serait sûrement plutôt autour de 2 % si on avait pu regarder la durée de non-emploi, certaines sorties du chômage n’étant pas nécessairement vers l’emploi. Mais, surtout, nous nous sommes interrogés sur l’interprétation de ce constat : les gens restent-ils plus longtemps au chômage parce qu’ils ont le temps ou parce qu’ils cherchent un meilleur emploi ?

Nos travaux, qui ont porté sur la période 2006-2012, montrent qu’une durée d’indemnisation plus longue ne modifie pas les critères de recherche d’emploi (salaire de réserve, type de contrat, etc.) et, donc, n’amène probablement pas à trouver un meilleur emploi.

Les adversaires de la réforme de l’assurance-chômage et de celle de 2023, qui s’appuie sur ce genre d’étude, peuvent souligner que cet ordre de grandeur de 3 % est minime au regard des effets sociaux négatifs que cela induit…

C’est toute la question. Est-ce que les gains sont suffisants au regard d’autres critères, comme le risque d’induire pour certains un basculement dans les minima sociaux ? C’est là que les économistes divergent et que les politiques arbitrent. Notre papier en lui-même n’était pas un conseil de politique publique.

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