« C’est au droit du travail et au droit social d’évoluer pour s’étendre aux nouvelles activités de l’économie numérique »
Tribune. La situation des travailleurs indépendants intervenant sur les plates-formes numériques est inquiétante, surtout concernant les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et la livraison, car ces travailleurs peuvent connaître des situations de forte subordination économique et de déséquilibre des droits en comparaison avec les salariés.
Ce déséquilibre ne concerne pas uniquement la protection sociale, mais également les conditions de travail, la rémunération ou la sécurité de l’emploi. Il faut le réduire, c’est évident. Pour autant, le contenu de la proposition de directive européenne qui préconise la requalification de ces travailleurs en salariés sur la base de cinq critères est très critiquable, et ceci pour au moins trois raisons.
Tout d’abord, de nombreuses enquêtes signalent que les travailleurs concernés veulent très majoritairement demeurer indépendants. Beaucoup d’entre eux étaient d’ailleurs auparavant très éloignés du marché du travail et ce type d’emplois est pour eux un moyen d’y prendre place.
Par ailleurs, le développement des activités concernées a été bénéfique en termes de croissance, et a, dans certains cas, permis de contourner les difficultés à réformer des professions qui défendaient des barrières à l’entrée préjudiciables à la croissance (les taxis par exemple).
Technocratisme
Bref, si le modèle économique de ces activités appelle des transformations visant à protéger davantage leurs travailleurs, il ne doit pas être menacé, car il y a derrière des emplois de la création de valeur et… les aspirations de ces travailleurs.
Ensuite, ce projet de directive pèche par son technocratisme prononcé. Créer, dans la loi (européenne), une définition de la subordination juridique permettant la requalification de la situation du « travailleur » en salarié à partir de cinq critères ne fait que créer de l’insécurité juridique, donc une judiciarisation excessive ayant forcément des effets négatifs sur l’emploi.
Enfin, le recours à la requalification en salarié ne doit pas être la voie privilégiée pour protéger les travailleurs indépendants économiquement subordonnés. La requalification reste, surtout dans un pays comme la France, ancrée dans un droit du travail créé par et pour la civilisation de l’usine.
Le numérique et l’intelligence artificielle appellent au dépassement du critère du salariat par celui de l’activité professionnelle protégeant tous les travailleurs, salariés et indépendants, le niveau de protection étant alors en liaison avec le degré d’autonomie. Cela ne peut qu’inviter à maximiser le rôle de la convention collective, plus à même (parce que c’est un contrat) d’adapter les normes protectrices à chaque activité et chaque contexte, mais aussi de gérer préventivement les risques.
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