Pourquoi le télétravail n’est-il pas obligatoire ?

Pourquoi le télétravail n’est-il pas obligatoire ?

Selon l’enquête de suivi de Harris Interactive commandée par le ministère du travail, 58 % des actifs disent que leur métier peut être exercé en télétravail. Emilie et Mathieu Satostefano partage le même espace, chez eux, à Niort (Deux-Sèvres), en mars 2021.

« Il faut s’y mettre. » Emmanuel Macron a fait passer, mardi 23 mars lors d’une visite à Valenciennes dans un centre de vaccination, « un message très clair » en demandant aux employeurs et aux entreprises de se mettre au télétravail pour freiner la propagation du Covid-19. Un refrain déjà entonné jeudi 18 mars par le premier ministre, Jean Castex, qui a demandé « à toutes les entreprises et administrations qui le peuvent » de mettre en place le télétravail « au moins quatre jours sur cinq », alors qu’il annonçait un reconfinement nouvelle formule dans seize départements. Une instruction a été envoyée aux préfets de région et de département des zones confinées pour leur demander d’établir un plan d’action pour renforcer l’usage du télétravail. Car depuis novembre 2020, de moins en moins de salariés font du télétravail, avait alerté la ministre du travail, Elisabeth Borne, début février.

Selon l’enquête de suivi de Harris Interactive commandée par le ministère du travail, pendant la semaine du 8 au 14 mars, 35 % des actifs ont télétravaillé (contre 36 % mi-janvier et 41 % début novembre 2020) alors même que 58 % disent que leur métier peut être exercé en télétravail. Et parmi les actifs pouvant télétravailler facilement, 35 % étaient exclusivement en présentiel (comme en janvier). Or une étude de l’Institut Pasteur réalisée en mars montre que les contaminations au travail représentent 15 % des cas identifiés de Covid-19.

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  • Une obligation pour les entreprises ?

Aucun décret n’a été adopté pour rendre le travail à distance obligatoire. « Si les recommandations du gouvernement sont extrêmement pressantes, la loi ne prévoit aucune obligation pour l’employeur de mettre en télétravail ses salariés », observe Guillaume Roland, expert en droit social.

Outre le protocole sanitaire en entreprise, c’est le code du travail qui fixe la règle en matière de télétravail (articles L1222-9 à L1222-11). Qu’il soit occasionnel ou régulier, ce dernier doit être décidé par un « accord collectif » ou « dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur, après avis du comité social et économique [CSE] ». En l’absence d’accord collectif, voire de CSE, l’employeur et le salarié peuvent décider de recourir au télétravail et de le formaliser librement sous la forme qui leur convient. L’employeur peut refuser d’accorder le télétravail à un salarié mais doit motiver sa réponse.

  • Un employeur peut-il imposer le télétravail ?

S’il peut refuser le télétravail, l’employeur a aussi le pouvoir de l’imposer à ses salariés, en l’absence d’accord collectif ou de charte, en cas de « circonstances exceptionnelles ». L’article L. 1222-11 du code du travail mentionne explicitement le « risque épidémique » depuis 2017 parmi les motifs pouvant justifier le recours au télétravail. L’employeur décide quel poste de travail est concerné. Depuis début janvier, il est possible pour le salarié de demander un retour sur site un jour par semaine.

Vis-à-vis du télétravail, « une forme de lassitude prévaut et il devient de plus en plus difficile aux employeurs de l’imposer. De nombreux salariés disent souffrir d’isolement et souhaitent retrouver les locaux de l’entreprise », a alerté, mardi, l’organisation patronale représentant les petites et moyennes entreprises, la CPME. Près d’un salarié sur deux (45 %) se dit en détresse psychologique, selon un baromètre Opinion Way réalisé pour le cabinet Empreinte Humaine, publié mardi. Parmi les plus exposés, les jeunes de moins de 30 ans, les femmes, mais aussi les managers qui peinent à gérer leur équipe à distance.

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  • Quelles sont les mesures mises en place ?

Le protocole sanitaire national mis en place pour accompagner les entreprises dans la lutte contre le coronavirus est publié sur le site du ministère du travail depuis plusieurs mois, et régulièrement actualisé à chaque nouveau confinement. Le Conseil d’Etat a rappelé au ministère du travail « que ces textes n’étaient que des recommandations pour les employeurs et qu’ils n’avaient aucune obligation légale de contrainte ».

Un nouveau protocole en entreprise a été publié mardi 23 mars. Il précise notamment les mesures resserrées pour les seize départements concernés par les nouvelles restrictions depuis samedi et vise à renforcer les obligations en matière de télétravail. Selon ce protocole, « les entreprises définissent un plan d’action pour les prochaines semaines pour réduire au maximum le temps de présence sur site des salariés, tenant compte des activités télétravaillables au sein de l’entreprise ». « En cas de contrôle, les actions mises en œuvre seront présentées à l’inspection du travail », précise le document.

« On est dans un système paradoxal d’injonctions contradictoires où l’employeur a la possibilité de faire ce qu’il veut et le gouvernement semble dire ce qu’il faut faire mais en réalité il ne peut pas l’imposer », souligne Guillaume Roland.

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  • Comment contraindre les entreprises ?

Au sortir du conseil de défense, mercredi, Gabriel Attal a prévenu que le gouvernement allait durcir sa ligne pour faire respecter ces recommandations dans le milieu professionnel. « Nous allons renforcer les contrôles et sanctions pour les entreprises qui, manifestement, ne voudraient pas appliquer cette mesure, là où c’est possible. Nous avons une exigence toute particulière vis-à-vis des administrations, pour des raisons sanitaires mais aussi d’exemplarité », a dit le porte-parole du gouvernement.

Mais « sans texte pénal, pas de sanction pénale », observe Guillaume Roland. Le ministère du travail souligne que ne pas respecter la nouvelle règle sur le télétravail « est un manquement à l’obligation de protection des salariés qui expose l’employeur à une sanction civile ou pénale ». L’employeur a en effet une obligation de santé et sécurité envers ses salariés. C’est la seule obligation qui découle du code du travail, qui prévoit que l’employeur doit prendre des mesures quant à la protection physique et mentale de ses salariés. Mais les mesures qui le permettent peuvent être différentes du travail à distance.

« Cette obligation de sécurité qui incombe à l’employeur est plus forte [pour faire appliquer le télétravail] que les protocoles émis par le gouvernement, remarque M. Roland. Le gouvernement envoie des inspecteurs du travail pour contrôler dans les grandes entreprises l’application du télétravail avec cette notion d’obligation de sécurité. C’est uniquement par ce biais que les inspecteurs du travail parviennent à faire évoluer les choses. »

La direction générale du travail a adressé, début février, une nouvelle instruction aux services de l’inspection du travail pour renforcer l’accompagnement et le contrôle sur la mise en œuvre du télétravail dans les entreprises et le respect des mesures de prévention face au Covid-19. Depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020 à début février, les agents de l’inspection du travail ont effectué 64 000 interventions liées à l’épidémie de Covid-19, selon des chiffres de la direction générale du travail. Près de quatre cents mises en demeure ont été adressées aux entreprises qui ne respectaient pas leurs obligations de prévention. Dans 93 % des cas, ces mises en demeure ont été suivies d’effets. Seules 7 % des entreprises se sont montrées rétives.

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