La Gigafactory Tesla près de Berlin, ou comment Elon Musk bouscule le secteur automobile en Allemagne
La berliner Schnauze, la « grande gueule berlinoise », est une sorte de dialecte de la région de Berlin-Brandebourg, reconnaissable à son ich (« je »), durci en ick, et à son humour jovial, affranchi de toute forme de politesse. On y décèle aussi, souvent, une certaine mauvaise humeur, les blessures de la réunification et l’idée sous-jacente que les choses ne sont jamais aussi belles que « ceux d’en-haut » veulent bien nous le faire croire. C’est avec sa Schnauze des grands jours que Thomas Gergs, chauffeur de taxi à Erkner (Brandebourg) depuis 1975, nous fait faire le tour du grand projet dont il est riverain, à son corps défendant : la Gigafactory de Tesla, la future usine automobile et de batteries d’Elon Musk, à Grünheide, au sud-est de Berlin, dans le Brandebourg.
« Il a vraiment fallu qu’il vienne s’installer chez nous, celui-là !, s’emporte notre chauffeur, sans masque. Tu ne trouves pas qu’il aurait pu se mettre 100 km plus à l’est ? Là-bas, dans la Lusace, ils vont fermer les mines de lignite ! C’est déjà pollué, il n’y avait qu’à se mettre dessus, non ?, s’agace-t-il. Moi, l’industrie je suis pour, en général, mais il faut que ça reste de taille raisonnable. Et puis l’eau ? Déjà qu’on en manque ici en été ! Ce type va nous assécher avec son usine ! »
Rien, dans le mégaprojet du patron du constructeur automobile américain, ne trouve grâce à ses yeux : ni les 12 000 emplois industriels directs créés (qui pourraient monter à 40 000 au total, selon l’entrepreneur), ni les retombées pour les sous-traitants locaux, ni les engagements environnementaux de Tesla. « Je sais bien que je suis un peu pessimiste, concède-t-il, mais j’en ai vu d’autres, depuis 1990. Je ne pense pas que les gens d’ici profiteront des emplois créés. » Il n’est pas le seul à nourrir le scepticisme. Depuis plusieurs mois, d’autres riverains en colère, opportunément alliés à des militants écologistes, s’opposent au projet, sous l’œil des caméras.
« Le plus gros investissement privé depuis la Réunification »
Le bouillonnant entrepreneur californien perturbe la tranquillité des habitants du coin. Le chef-lieu Erkner et ses environs, ce sont quelques centaines de maisons individuelles avec jardin, au milieu d’une région idyllique faite de lacs aux eaux limpides et de plantations de pins à perte de vue. A part le S-Bahn (équivalent du RER) vers Berlin, rien ne vient rappeler la présence de la tapageuse métropole, distante de seulement 35 km.
Il vous reste 74.44% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.