Chez Jacob Delafon, l’amertume des salariés face au risque de disparition d’un savoir-faire
C’est une signature bleue que l’on remarque distraitement sur le lavabo en se lavant les mains : « Jacob Delafon ». « S’il a été installé il y a plusieurs années, alors c’est nous qui l’avons fait. Mais si c’est du récent, il vient du Maroc votre lavabo, prévient tout de suite un ouvrier de l’usine historique de la marque française, à Damparis dans le Jura. Et à partir de demain, ceux qui achèteront du Jacob Delafon seront sûrs que plus rien n’aura été fabriqué en France. »
Car, en septembre, le groupe de sanitaire américain Kohler, qui a racheté la société en 1986, a annoncé qu’il se séparait des derniers sites français de production de la marque : Damparis et ses 151 salariés, qui fabriquent des sanitaires en céramique, ainsi que l’usine de robinetterie de Reims (Marne) et ses vingt-neuf salariés ne vont plus « s’inscrire dans la stratégie du groupe » à partir de 2021. Après trois mois « dans le flou » pour les employés, la réunion de lancement du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) se tient mercredi 2 décembre.
L’histoire de l’usine de céramique commence en 1889, lorsque la société d’Emile Jacob obtient une médaille d’or à l’Exposition universelle pour sa fabrication des grès émaillés blancs. Puis s’associe avec Maurice Delafon pour développer en France une industrie des équipements sanitaires, décrochant de nouvelles médailles à l’exposition de 1900.
En un siècle, la marque s’imposera comme l’un des leaders du marché, équipant nombre de foyers et d’établissements publics en baignoires, lavabos et W-C.
« Surcapacité chronique »
C’est en 1980 que la société ouvre son usine de céramique à Tanger, au Maroc. Toute la production y sera peu à peu délocalisée. Pour justifier sa décision de se séparer de l’usine de Damparis, Kohler – qui s’est refusé à tout commentaire auprès du Monde – a fait état d’une « surcapacité chronique » du site, de coûts de production nettement supérieurs à ceux de Tanger, et de l’impact négatif de la crise sanitaire.
Les salariés ont réagi à cette annonce par une journée de grève. « On n’avait pas le cœur à travailler, confie Nicolas C., 34 ans, qui est au coulage des pièces. Le soir, j’ai retrouvé mon père, j’ai dit “la boutique ferme”. C’est un coup dur, il a fait toute sa carrière ici… Comme mon grand-père, mon arrière-grand-père, mes oncles, mes deux frères. Tous les hommes de la famille ont travaillé ici. On est beaucoup dans ce cas. »
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